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Bulletin SAF 1899


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Les chapelles du Cap-Sizun (suite)

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III.

LES CHAPELLES DU CAP-SIZUN (suite). (1)
L'EgUse de

.1'11. udierne.-

La ville d'Audierne fut fondée par des pêcheurs
qUl se
à l'est
sont groupés aux alentours d'un château-fort situé
du cimetière actuel.
Là, ils trouvaient protection contre les pilleurs qui surve-

naient par mer et assistance dans tous leurs besoins-. Leur
situation était tout à fait précaire. Les dangers étaient
continuels; leurs moyens d'existence presque nuls. En tous
temps, ils étaient obligés de r.ecourir à leur puissant vpisin
pour repousser les .attaques des ennemis, de lui tendre la
. main quand les gains avaient manqué ou que la tempête
avait détruit leurs instruments de travail.
Ces -deux causes, la protection .et l'assistance, qui ont
déterminé ce groupement de pêcheurs, ont donné à ceux-ci
un caractère particulier qui a persisté jusqu'à nos jours.
Timides et quémandeurs, sans volonté devant qui est
_ puissant ou riche, tels ils étaient autrefois, tels on les
retrouve. .
Entre temps, parmi ces pêcheurs vinrent s'établir des
marchands étrangers, qui leur livraient, en échange des
produits de leur pêche, les objets néce~saires- à leur existence
et à leur profession. Ces produits étaient transportés en
. dehors de la contrée, et, peu à peu, Pont·Croix, avec son escale
de Poulgoaze(! sur le Goayen, seul centre commercial, eut une
rivale. Le commerce s'était implanté dans la ville naissante.

(1) cr. Bulletin de la Société arch~ologique. (Juillet 1891.)

Bientôt la richesse le suivit. Mais elle resta le privilège

. d'un petit nombre. Les marchands formèrent une aristo­
cratie de la fortune qui devint la seule dominatrice du pays.
d'Audierne se faisait principalement avec
Le commerce
l'Espagne. Barcelone et Cette étaient souvent fréquentées
par ses navires. Mais, dans ce trajet ' de l'Océan à la
Méditerranée, que de dangers à courit'! Le plus grand était
la rencontre de corsaires des Etats barbaresques. Ce fait
comment Audierne choisit) pour son patron, saint
explique
Raymond' Nonnat, Espagnol J'origine: captif et martyr
des Turcs, .

Le plus ancien voca?le du saint, titulaire et patron d'Au- .
dierne, est Rumon, Rurnond. On le désignait toujours, et
avec vénération, sous le nom de Monsieur sainct Rumon"
d'Audierne. Ce nom Rumon se rappI'oche de l'appellation
bretonne actuelle, Rumen. Plus tard on écri vi t Rymon,
Ramond, Rymond, mais ce ne fut qu'accidentellement; on
retrouve les trois formes da,ns les actes antérieurs à 1659 Le
Raymond, apparaît, pour la première fois, cette
nom actuel,
meme annee.
onsieur sainct Rumon d'A udierne date des
L'église de
premières années du XVIlc siècle. Il ne' reste aucune trace
d'un édifice antérieur. '
fin du siècle précédent, Audierne comprenait deux
A la
-., éléments de population! complètement distincts mais soli-

daires : les marins qui se livraient à la pêche ou montaient
les barques de commerce; les marchands qui détenaient
toute la fortune.
Lors de l'établissement de La Fontenelle sur l'île Tristan
de Douarnenez, la panique s'empara de la contrée. Les riches
marchands d'Audierne et les nobles du Cap, au dire du

chanoine Morean, se réf~gièrent à Brest. Restèrent seuls
dans le pays ceux qui n'avaient pas les moyens de se sauver ,
C'est peut-être à cettE? circonstance qu'Audierne n'eut pas
à subir le sort de Penmarc'h et de Pont-Croix. Lorsque la
tranquillité fut rétablie, les fugitifs d'Audierne ~etournè,rent
à leurs négoces,
Un fait est à remarquer: à cette époque, toutes les églises
et chapelles du Cap ont été construites! agrandies ou res­
. taurées. Il semble que les bourgeois etles nobles qui s'étaient
'sauvés aient voulu, en rentrant dans leurs foyers, faire
œuvre de leur reconnaissance envers le Ciel, pour les avoir
préservés, eux et leurs 'fortunes.
L'église d'Audierne fut commencée à cette époque, Au

contraire des églises voisines, construites ou achevées par
des maîtres jurés et d'après des plans ou modèles préala­
blement conçus et détaillés, celle de Saint-Raymond fut faite
par les ouvriers de la localité. Aussi ne présente-t-elle aucun

caractère notable, si ce n'est sa masse imposante, vue des
hauteurs de Keridreux et de Kervréac'h.
Les marchands avaient fait les premiers dons pour la cons­
truire. Mais bientôt repris et absorbés par leurs habitudes
commerciales, ils cessèrent de s'y i~téresser. L'église resta

inachevée, suffisante seulement pour abriter les fidèles, possé­
dant à peine les objets indispensables aux besoins du culte . '
Cette indifférence des bourgeois d'Audierne pour tout
ce qui n'était pas commerce se manifesta dans une circons­
tance mémorable. - '
En 1618, Michel Le Nobletz vint à Audierne pour y faire
connaître la parole de Dieu.

« Dès qu'il eut fait le signe de la croix, à son premier
(J, sermon, les ,bourgeois de la ville sortirent en masse de
(( l'églisè, comme si le diable eut été à leurs trouss,es, et il
« ne resta que des femmes. Michel Le Nobletz) indigné,

s prédit que Dieu punirait leur dureté de cœur en les .
« privant de ces richesses qui absorbaient leur afl'ection (1). »
La prédiction d~ Michel Le Nobletz s'accomplit. Peu de
iemps aprè_ s, la flotte des marchands d'Audierne, s'en
retournant de Bordeaux, trompée par les feux que l'on
allumait la nuit dans les églises et les cimetières ,de Pen-
. marc'h, se jeta toute entière à la côte. Un chant populaire
gardé le souvenir de cette catastrophe; nous le reproduisons ,

ct-apres.
Cette punition fut salutaire. En 1643, après une mission
qu'y prêcha le père Maunoir, les travaux de l'église furent
repris. Cette fois, toute la population, riche et pauvre,
associa ses moyens. Les dons et les fondations affiuèrent.
La fabrique fut mise en possession de rentes à Plogofl', à
Cléden, .à Esquibien, à Goulien, à Beuzec, à Pont-Croix,
à Plouhinec, à Plovan, sur plusieurs maisons d'Audierne, etc.
Ce fut là la part des riches.
Les pauvres contribuèrent d'une autre façon, chacun
selon ses ressources. Des droits et devoirs furent établis.
Voici les principales mesures qui furent employées:
1 ° Sur l'ordre de Monseigneur René du Louet « on planta
,« un tronc sur la Montagne regardant la mer »;
2° « Les maistres de barques et navires, navigans par mer
«( de ce lieu et( environs, » au retour de chaque 'voyage,
remettaient à la fabrique un don de bonne traversée. Ce don
était le plus souvent de 10 livres tournois;
3° (c La fabrique fut en possession de fournir la mesure
(c pour le mesurage du sel et charbon qui se décharge
« dans le hâvre d'Audiei'ne, et de prendre s~lr les descharge
« de chaque barquée de sel un minot et de chaque barquée

« dec harbon une barriquée comble. »

(1) Le vénéraf1le Michel Le Nohletz" par le vicomte Hippolyte Le Gouvello.

L'Ile de Sein possède encore aujourd'hai un droit coutu-
mier à peu près semblable, mais il n'en est tenu aucun

compte régulier ,
charbon qui se déchargeait au hâvre d'Audierne était

le charbon d'A ngleterre, ou ,houille.
4° « L.a fabrique fut aussi en possession de placer dans

« chacune maison et mesnaige tenant feu une bouëtte pour
« estre mise au profit d'icelle fabrique, le denier à Dieu de
« de tous les marchés et négots qui se font dans les dites '
«( maIsons. ))
Ces « bouëttes )) étaient des tire-lires en terre que le tréso­
rier de la fabrique, lors de son entrée en fonctions au mois
de juin de chaque année: répartissait entre'les maisons de la
ville et relevait pour les briser et en retirer l'argent, l'année
suivante, à la même époque. En 1647, le nombre de ces
tire-lires était de 174.
Cet usage venait à l'eneontre d'une coutume superstitieuse
très répandue à cette époque et qui n'a pas encore aujour-
d'hui disparu'. Voici cette coutume:
D'après la croyance, toute marchandise exposée en vente
était susceptible d'être atteinte d'un mauvais sort.
P~)Ur conjurer ce sort, deux conditipns étaient nécessaires:
Avant la vente, le vendeur devait donner le sou du mauvais
œil, guennecan drouk-a'Qi's; après l'achat; l'acquéreur le

denier à Dieu, guennec an drugàre (1). '
5° De plus on rechercha les droits de l'église 1/. estre deub
Cl de rente annuelle assises sur les maisons sittuez dans
« l'antien bourg de ce lieu et terre en dépendans et mesme
« sur les thumbes de la ditte église 11.
L'ancien bourg d'Audierne comprenait le quartier de
Penanguer, un groupe de maisons situé au haut de la rue

(1 ) Superstitions du Cap-Sizun. Le mauvais œil. - (Revue des
Traditions populaires, années 1889, 1890, 1894 et 1896 )

du Château, longeant les venelles qui se trouvent à droite
de cette rue; un moulin et une maison à Guervihan ; quelques
Pors-ar-Briouat (Brivat et BraeDet). Ce port,
maisons à
dont le nom est à rJpprocher du Brivates portus de Ptolémée, .
comprenait l'emplacement de l'hospice et le' bas de la rue
Double jusqu'à la rue de l'Eglise, dite aussi rue Neuve.
• L'église était encombrée par les tombes, si bien que le
dimanche 10 mal'S 1658 l'assemblée des habitants décida
qu'il y avait lieu de les aligner et de les niveler. Le produit
des concessions était d'un bon rapport outre les services
et les obits qui s'y faisaient à jours fixes. Nulle part le culte
est en plus grande vénération qu'à Audierne et
des morts
dans le Cap. Alors, comme aujourd'hui dans le cimetière,
chacun voulait avoir sa tombe dans l'église. Le prix le plus
ordinaire était de vingt livres tournois.
Tels ont. été les principaux moyens employés pour achever
et orner l'église. Comme ils étaient annuels, les travaux et
fournitures se faisaient successivement.
Nous relevons: dans les comptes de la fabrique, les
principales dépenses effectuées:
1643-1644. Construction d'une lucarne sur la. toiture;
blanchissage des murs; travaux de soubassement; cons-
truction d'une image de Notre-Dame, avec sa niche et
châssis, etc.;
. 1644-1645. Doré les images du crucifix, de Notre-Dame
et de saint Jean, le châssis du grand table a u placé derrière .
le crucifix; peinture des lambris, des piliers, etc.;
1645-.1646. Réfection de ]a tribune des orgues; achat
d'ornements, à Morlaix, etc.;
1646-1647. Construction d'une sacristie « derrière et
« à l'orient du grand autel et hors le pignon de l'église ». Les
fournitures ont été achetées par la fabrique, et les travaux
effectués par les ouvriers de la ville. Outre le,ur salaire, ils

recevaient de la graisse et du gruau pour fair-e la soupe, et
duvin; ..
1647-1648. ' Travaux aux soubassements. Cette dépense
arrive fréquemment et est relativement élevée;
1648-1649 (année du jubilé). ' Clôture d'une fenêtre
à la tribune des orgues; couverture en plomb du· dôme
situé au bout orient de l'église; boiseries du grand autel, de
l'armoire des poids de l'horloge, etc.;
1649-1650. Boiseries de la sacristie;
t650-1651. Réparation du grand portail et de la char-

pente des cloches, etc.;

1651-1652. Achats d'ornements;
Construction d'un reliquaire au bout occidental de l'église.
Les pierres de l'édifice ont été tirées des carrières de Keri-
dreux ; le bois de couverture vient du Faou; les chevrons,
de Plovan; une partie des bois et lattes, de Pont-Croix; le

reste, d'Audierne. .
Ont travaillé au reliquaire: .
Yves Jourdain, Jan Le Bonis, Jan· L,e Gascoing, Jan Ké­
risit, Jacques Inizean, charpentiers et menuisiers ;
Hervé Bresquigner, maître-maço" n ;

Lucas Guézennec, serrurier;

Nicolas Canté, maréchal;

Mathieu Lannou, maître-paveur juré;
100'eurs .
La veuve Yves Le Sodee et Martin Jourdain,

Allain et.J acques Madec, peintres ;
Le Machadour, maîtr~-couvreur ;
Yves
Guillaume Magadur, paveur et couvreur; .
Jan Le Corre, marchand de planches, de bordaiges et de
chaux;
Louis Corvezit, marchand de planches et menuisier ;
Tudal Lasbléis, carrier en pierres de taille;
Gaspart, clou.tier ;
La journée d'ouvrier a coûté 12 sols;

Celle de manœuvre, ou darbareur, 8 sols;
Le millier d'ardoises.. . . . . . . .. 3 liv. 15 s •
La barrique de vin nantoys. . . . .. 16 liv. 10 s.
journée de charroi de pierres. .. 4 liv. 3 s.
La barrique de chaux ........ , 5 liv. 1 s.
1653-1654. Construction d'une porte au bas de l'église;
d'un escalier pour accéder au reliquaire;
1655-1656. Baillé en prest au sieur de Chateaumabon
et au sieur Guillaume Guézennec 547 liy. 5 s. Le recouvre­
ment de cette créance, avec ses intérêts, a été, peu après,
l'objet d'un procès;
1656-1657. . Clôture du cimetière neuf; construction d'un
pavé devant le reliquaire, etc. ;
et redressement des tombes de
1657-1658. . Nivellement
du reliquaire;
l'église; achèvement
1658-1659. Réfection de l'autel de Notre-Dame; de la
balustrade; achat d'ornements, de livres, etc.; grosses répa- .
rations à la tour et aux murs de l'église; construction de
l'escalier au levant de l'église; réfection des autres degrés
qui y accèdent; construction d'un cadran solaire au-dessus
du portail;
1660-1661. . Gros travaux à la toiture; faîtage en tuiles;
achats d'ornements; .
1661-1662. Peinture de l'image de Saint-Michel; divers
tl'avaux de maçonnerie et de toiture;
1662-1663. Achat d'une èroix d'argent à Bordeaux:
en sus de la vieille croix il a été baillé, à l'orfèvre, en
argent, 771 livres;
1663-1664. Achat de quatre chandeliers et de la lampe
d'argent, 808 livres; ' .
1672. Jubilé des Pères Capucins et dédicace de leur
église;
1673. Arrangement des orgues par Thomas Dallau (?)
sieur de la Thour, veI).ant de Daoulas; réparations de
• BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI. (Mémoires). 3

l'horloge par un horloger de Saint-Nic; réparations du
Jubé, etc. ;
1674. Payé à Ardouin, de Quimper, pour avoir imprimé
les indulgences qui ont esté envoyées de Rommes pour la
dite esglise de Saint-Raymond, 5 livres.
arrêtons là cc résumé. Depuis cette époque, l'église
Nous
. a subi peu de transformations, si ce n'est la suppression du
reliquaire et la réfection du chevet, travail qui a donné lieu

à la discussion des droits de préséance des seigneurs de

Kermabon. .
Dans tous ces travaux, nous avons remarqué de fortes et
fréquentes dépenses de maçons. Ces dépenses doivent avoir '
été faites autour des soubassements sud de l'église.
L'église de Saint-Raymond est construite sur le bord de
.la douve de l'ancien château. C'est indiqué par le sous-sol
du reliquaire qui était vaseux et a nécessité une forte
. dépense. Un des systèmes de défense de l'ancien château­
fort était un barrage construit en travers du vallon de Saint­
Raymond pour arrêter les eaux. Ce barrage constitue
aujourd'hui la rue de l'Eglise. Toute la partie en amont de
oette digue formait un étang marécageux. Le côté sud et

le pignon ouest de l'église sont construits en grande partie
sur un mur de soutènement dont la base est plongée dans
ce maraIS. ,
. Une restauration de l'église actuelle sur ses anciennes
bases ou un agrandissement en dehors de f;on périmètre
ne présenterait aucune chance de réussite qu'en y consacrant
des sommes considérables, hors de tout rapport avec la'
aideur de l'édifice et toutes annexes architecturales que
l'on pourrait y adapter. Un édifice neuf, convenable et appro­
prié aux besoins actuels, au même endroit, comporterait
aussi, pour accès et dégagement, des expropriations, des
démolitions et des trava~x d'art d'une telle importance que
tous les fonds, qu'il serait possible de réunir, seraient

entièrement engagés avant que la première pierre du
bâtiment soit posée.
En raison de cette impossibilité de construire la nouvelle
église d'Audierne sur l'emplacement ou à côté de l'ancienne
église, celle-ci est destinée à servir de chapelle spécialement
affectée aux enterrements. Cette destination perpétuera le
souvenir des deuils qui se rattachent à cet édifice.
III.

Comme tous les saints de Bretagne, saint Raymond d'Au­
dierne a sa légende.
Il est venu au monde 'après la mort de sa mère.
«( (1) En instant ma varvas he vam,
«( Euz he c'horf oue tennet divlam,
« Chetu perac ez eo galvet
«( Nonnat dre bevar c'horn al' bed. »)
Toute personne née dans ces circonstances possède,d'aprè!:l
une superstition du Cap, le double pouvoir de' jeter des sorts
par son seul regard et aussi de les conjurer (2).
La naissance de notre sain't, considérée comme un miracle
plus grands, l'a rendu capable ~e toutes choses mer-
des
veilleuses.
(c E zonediguez er bed-ma
«( A oue , eur miracl ar brassa;
(1 Abaoue neuze betec bremen
(c Euz peb burzlld eo ar zourcen. »),
Saint Raymond a la double mission de protéger Audierne
et de sauvegarder les marins dans leurs dangers.
Son assistance est sensible. Plusieurs fois, dans les
naufrages, lorsque la barque est brisée et les marins sur
le point d'être engloutis à jamais, « on l'a vu leur tendre

(1) Buez, nevez, sant Raymond-Nonnat, patrom eus a ilis &oayen, par
Le Bars (Jean-Michel), ancien m<;lrin d'Audierne. Typ: Ar de Kerangal.
(2) Le mauvais œil. Id.

« la main, les sortir de la mer et les conduire vers la terre
cc comme un berger conduit ses brebis vers l'étable » .

D'autres fois, « il se place au-devant d'eux~ encourage
« leurs efforts, réconforte leurs cœurs, éclaire leur esprit et,
« ainsi les aidant, les conduit à leur délivrance ».
Ei11810, une nuit, une barque, montée par cinq pêcheurs,
est jetée sur des rochers. En un instant elle est broyée et ses
débris dispersés comme balle de blé par le vent. Au premier
choc, l'un des marins (Raymond était son nom), plein de
confiance, se jette à l'eau en invoquant son saint patron. La
mer le roule, le déjette; la pâleur de la mort envahit son
visage. Mais saint Raymond avait entendu son invocation.
n arrive, le conduit par la main, marchant devant lui; le
consolant, et le dépose au rivage .
.. Er blavez-ma, trivec'h cant dec,
« E oa ta01et var ar c'herrec
« Eur vag en nos gant pemp pesqneteur,
« Pebez chagrin 1 pebez malheur:

« Unan anezo en instanç
« En em dol er mor gant fisianç,

« En eur invoqui sant Raymond,

. « He batrçm quez hac he baeron.
« ToId, distold e oa dre ar mor,
« Chanch leo a ra prompt ar fillor,
« Ato conduet dre an dorn,
« Evel eun oan gant e baeron.
« En eroc'h edo sant Raymond,
« 0 encouragihe c'halon,
« 0 rei sclerigen d'he speret,
« Evellen eo bet delivret. ,)
C'est en ces termes qu'un vieux marin d'Audierne, Jean-
Michel Le Bars, a décrit l'un des miracles opérés par saint
Raymond .
La puissance du saint est si grande que: lorsque Dieu veut
exercer sa colère, il a le droit d'intervenir pour avertir ceux
qui doÏ vent être frappés. _ . .

L'heure était venue où la prédiction que Michel Le
Nobletz avait faite: du haut de la chaire de Saint-Raymond
d'Audierne, allait s'accomplir. .'
La flotte, les voiles gonflées par un vent favorable, avait
levé l'ancre. Toute la population d'Audierne: joyeuse, s'était
portée sur la montagne: pour assister à son départ ; la tra­
versée' allait se faire rapidement, tout l'indiquait; les gains
seraient nombreux. Mais à peine les navires étaient-ils en vue
de la haute mer, qu'au-dessus de la Gamelle, en avant de la
flotte, dans le ciel, apparut une grande croix rouge, couleur
de sang. C'était un signe de mort que saint Raymond avàit
pour prévenir les navires de retourner au port.
envoyé
Personne ne prît garde à son avertissement. La flotte con­
tinua sa route ..... Lorsque, bientôt, chargée de richesses,
elle allait être de retour, arrivée en face de la baie d'Audierne,
le jour, « entre la fête de saint Clément et celle de sainte
Catherine )), la prédiction de Michel Le N obletz s'accomplit ...
Saint Raymond n'avait pu sauver ceux que Dieu avait .
condamnés .
.... E Plonzevet, er parou .fâ,
Ma lien fiôd Goaien 0 sec 'ha ....
.... Cant intanvez, ,deuz a Voayen,
A gassaz gant-ho cant lisser ven ;
Ac in 0 c'houlen 'ne il d'hi ben ?
« Ha ne peuz ked gllelet ma den ?
« Penoz jonj doc'h 'meus guelet ho ten,
(c Hag eon 0 triDi gad cranket melen ! (1))) . .

- A Plozévet, dans les chàmps de fèves,
Les épaves de la flotte furent mises à sécher ....
Dans un carrefour, cent veuves d'Audierne, '
Portant des linceuils blancs,
S'interrogeaient: ( Et mon mari? l'ayez-vous vu ? »
( Comment l'aurai-je vu ?
( Il sert de pâture aux crabes jaunes! »

(1) Le Raz de Sein et les phares. IX : La flotte d'Aud.ierne. (Revue
des Traditions 1JOpulaires, 1891) .

Le jour où nous écrivons ces lignes a eu lieu, dans l'église
de Saint-:Raymond d'Audierne, un service pour les victimes
de la tempête du 4 février. Dix-sept hommes ont péri.
Quatre seulement ont été retrouvés. Pendant leur enterre­
ment, tout Audierne s'était porté vers l'église que les paren1s
des naufragés remplissaient de leurs cris de duuleur .
Chaque jour la mer rejette sur le rivage dès lambeaux de
cadavres déchiquetés par les roches: un pied, un bras: un
buste; débris informes que les parents, nuit et jour fi la
recherche des leurs~ ont la douleur de ne pouvoir reconnaltre.
En compulsant les registres paroissiaux, depuis 1626,
nous trou.vons ces mentions:
...... X**\ mort en mer, f'ut enterré et 'inhumé ......
Faictle service de ...... qu'on dict mort en mer. '"

Ces mentions se répètent fréquemment aux registres de
toutes les années~ Souvent même, après elles, est réservé

un large espace blanc destiné à recevoir de nonveaux actes,
ceux des disparus ... et qui n'ont pas été retrouvés.
La désolation qui atterre aujourd'hui Audierne a donc
frappé toutes les générations qui se sont · succédé depuis la
construction de l'église de Saint-Raymo·nd. De tout temps,
cette église a été témoin des scènes navrantes auxquelles
nous venons d'assister. Il n'y a aucune famille de pêcheul's

qui n'ait eu à y pleurer la mort de quelqu'ul! des siens péri
en mer, et n'y ait trouvé la résignation.
Acetitre, l'église de Saint-Haymond mérite u'être respectée.
y porter la main, ce serait attenter aux souvenil's les plus
intimes de toutes les familles , jeter dans l'ou hl i tou,s ces

'deuils qui sont la seule histoire d'Audierne.

Puissent ces lignes écarter d'elle la pioche du dérnol isseur !
H. LE CARGUET

Audierne, le 16 février '1899.

FLOD GOAIEN.
Da ch'ouel Clemenç, santes Catel,
A zistroas ar flôd. d'oc'h a Vourdel,
Da zont da Ben··Marc'h ; prest da vervel! -­
·Goulon so adreon, goulou so arog !
Setn ni breman e creis ar flod 1
Ha ni var Pen-Marc'h, aben en od ! .

- « Penoz a juj d'oc'h e vec'h 'creis [Ir tlod,
Ha c'hui, var penmarc'h, aben en od ? _. ))
Malloz a raon da Benmarkis,
Goulou en noz en ho ilis ! -
MaHoz a raon da sant Demet,
D'ar paron fà 'so en Drinded ! -
E Plonzeved, er parou Cà,
Ma lien flod Goaien 0 sec'ha ! -­
Pion ~asso kelon da Voaien,
Colled al' flod, nemed nnan?
Unan hanved ar Maont-guen
A za]c'haz en avel d'an Dorchen. .
Chakez al Liang a ialo di, .

Ha lako eno calz a gri. -
Cant intanvez, deuz a Voaien,
A gassas gant' ho cant lisser ven; -
Ac in 0 c'houllen 'neil d'hi ben, .
«( Ha ne penz ked guelet mq den? » -
« Penoz jonj d'oc'h 'meus gueled ho ten,
« Hag eon 0 tribi gad cranked melen 1 »
lKaned gad Per Yvenou, d'oc'h a Bennéac'h, e Plogon, d'an 22 a vis
even 1890).
LA FLOTTE D'AUDIERNE
Entre la Saint-Clément et la Sainte-Catherine,
La flotte retourna de Bordeaux, " .

Pour yenir il Penmarc'h ; prête à périr! -
Feux à l'arrière, feux à l'avant,
Nous voici maintenant bien 3 flot!
à la côte!
Et sur penmarc'h, droit
Comment croyez-vous être bien à flot,
Et vous, sur Penmarc'h, droit à la côte? -

Malédiction aux gens de Penmarc'h

Qui ont des feux, la nuit, dans leur église! .
à saint Demet, -
Malédiction
Aux champs de fêves de la Trinité! - .
les champs de rêves,
A Plozévet, dans
Les voilef de la flotte d'Audierne sont à sécher ~
Qui portera la nouvelle à Audierne, .
Que la flotte est perdue excepté un (navire) ? -
Un (navire) appelé le Mouton blanc .
Qui tînt au vent de la Torche. -
Le Liang ira là-bas,
Jacques
y fera pousser des gémissemrnts. -
Cent veuves d'Audierne .
Portèrent avec elles cent draps blancs;
à l'autre:
Et elles demandaient l'une
« N'avez-vous pas vu mon mari? -
« Comment voulez: vous que j'aie vu votre m~lri ?
(' Il sert de pâture aux crabes jaunes! •
(Chanté par Pierre Yvenou, de Pennéac'h, en PlogolI, le 22 juin 1890) .