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Bulletin SAF 1898


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La milice et les garnisons au pays de Carhaix sous Louis XIV. Les contributions militaires de la ville de Carhaix et logement des troupes

Antoine Favé

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XXVII.
LA MILICE' ET LES GARNISONS
AU PAYS DE CARHAIX SOUS LOUIS XIV

tl'ibutions .nilitab·es .le la ville
.le Uarbaix
et le logelnent ,les tl·oupes.
Au commencement du règne de . Louis XIII, la France
présentait encore le spectacle d'un sol hérissé de forteresses,
villes et châteaux aux murs crênelés et flanqués de tours.
Pas de bourgade, un peu importante, qui n'avait sa ceinture '
de remparts et ses portes solides. Derrière les remparts des
villes, sous la voûte de leurs portes, les bourgeois armés à
l'intérieur du château, en cas de péril, et les manants assu-
Jettis au droit de guet et de garde, veillent à sa défense. La

décadence des milices urbaines commence vers le milieu du
règne de Louis XIV, avec le démantèlement des villes de
l'intérieur. La ville de Carhaix, dont les fortifications avaient
été jalousées par beaucoup de cités bretonnes, la ville de
Carhaix qui fut prise et reprise six fois consécutives, tantôt
par un parti, tantôt par un autre, pendant la guerre de suc­
cession de _ Bretagne, se vit découronnée, privée de son
enceinte, déchue _ des splendeurs guerrières des anciens
jours. De son passé de ville fortifiée, elle n'a conservé,
sous Louis XIV, que quelques restes de murailles éparses
et délimitant à peine sa vieille enceinte; en plus deux portes:
la porte de Rennes et la porte de Motreff; et un gou­
verneur : Messire Anne de La Haye (1), seigneur comte de
(1) Demeurant BU château de la Haye, paroisse de Saint-Hilaire, évêché
de Rennes, il intervient avec dame Louise-Alexandrine de Canaber, sa
femme, dans le contrat d'acquêt de la maison des Carmes,à Carhaix,
(4 juillet 1687).

La Haye Saint-Hila~re ! Elle voit se modifier le rôle qu'elle
devra remplir à l'avenir, pour contribuer à défendre l'intégrité
du territoire du royau.me. Carhaix aura à subir les taxes '
à aviser à l'élec~ion et au
militaires, les logements de troupes,
tirage au sort de la milice: de forteresse il est devenu une
caserne et un cantonnement occupés, tour à toul ou simul­
par les compagnies de milice de Lenoncourt et du
tanément,
régiment de Carman, les soldats Irlandais, les dragons d'As-
feld et les compagnies de marine. .
peut mieux faire saisir cet · aspect de la
Rien ne
charges militaires qui l'accablent que les Déli­
ville et des
bératwns de la eommunauté de CaThaix, telles que nous les
retrouvons dans un registre de ses assemblées ne com­
prenant malheureusement qu'une période de dix ans: du
1 er juillet 1687 au 30 mai 1697.
Les renseignements que nous analysons, ou que nous ex-
trayons de ce cahier de 81 folios, sont des documents irrécu-
sables, nous présentant au jour le jour, la vie municipale aux
prises avec les difficultés de moments, souvent bien graves
l'histoire générale de la patrie .
dans

1" juin 1789. « Le S' sindic ..... remontre que mondit seigneur
le duc de Chaulnes luy a envoyé un ordre du 24' mai dernier qui
ordonne aux syndic et habittans de cette ville de fournir les trois
quon doit à la compagnie du sieur de Boisglé, bien armés
soldats
de fusils, dépées, de deux chemises, dune cravatte et de souliers à
chacun, suppliant la communaulté de donner un prompte ordre pour
le fournissement desq. trois soldats, leurs habillements, armes néces­
saires et largent qui! sera nécessaire de leur fournir pour leur con­
duitte au ca mp de leur capitaine. »)
Il est donné ordre au syndic de faire toutes avances sur
les deniers de la communauté « parce qu"il ser&Jaict humble

supplique à mond. seigneur duc de Chaulnes de lavoir pour
agréable », .
22' juin 1690. « De la part de M" Pierre Le Dissez a esté
ya ordre au sieur de Querdellau, sindic de la com­
remontré.qui!
munaulté, .de faire des loge mens pour hnict compagnies de milice
quy doibvent passer en cette ville samedy et dimanche prochain
il est nécessaire de nommer des per­
pour faire lesq. logement et
sonnes de lad. communaulté pour les siguer en l'absence dud. sieur
(1). Sur laq. remontrance il a es té délibéré que pour faire lesq .
sindic

logements et signer les billets ont estés nommés les sieut's de Vil-
landré et de Quergovin et Dissez et quils se trouveront chez Mon­
sieur le séneschal à deux heures de relevées pour faire lesq. billets. »
22' décembre 1690. « Le sindic a reçu un ordre de M. de
Pomereu du 18 novembre dernier . ( pour livrer un sixième daug­
mentation des fouages pour la subsistance du régiment des dragons
de Bretaigne et pour le payement des officiers des trois régjments
des milices de ladicte province. »)
Dans rassemblée du 6 février 1691, le syndic Jacques
Pourcelet, Sr de Maisonblanche, dans une s%xième remon­
trance, expose que:
« Pour faire à ladvenir les logements des gents de guerre comme
pout' esviter aux embaras et contestations
ils doivent estre faits et
qui peuvent arriver et pour le soullagement tant des troupes que .
des habitants de cette ville, il requiert qu'il plaise à la comunaulté
nommer telles nombres de personnes quelle avisera pour faire les
logements dans-les occasions joinctement avec le sindic. »)

La communauté de ville en conséquence nomme à cet
effet Monsl' de Pennanec Le Gogal, Monsieur de Poulloudu,
Monsieur Vachet et Monsl' de Villandré conjoinctement aveq
e , sm lC,

« Et travailleront pour ce subject les uns en labsence des aultres,
et tous ceux qui prétenderont des exceptions de gentz de guerre

(1) Le syndic était pour Jors à la tenue des Etats de la province .

mettreront les titre:; de leurs exemptions entre les mains dudlt
sindic pour sur iceux recepvoir les ordres de mond. seigneur de
Pomereu. »
Le 11 mai 1691, le syndic requiert l'assemblée de ville
réunie' sous la présidenèe du sénéchal: il a reçu une lettre
du maréchal d'Estrées et copie d' « une lettre du Royescrite
au camp devant Mons le ioe avril dernier)). Par ces ordres
un Te Deum et un feu de joie sont demandés.
La communauté décide que le dimanche suivant, ces
'ordres recevraient toute leur exécution .
Mais, / dans rassemblée du samedi 19, le syndic re-
montre avoir reçu du maréchal d'Estrées copie de la lettre
du Roi écrite à Versailles, le 19 avril 1691, avec un ordre du

maréchal daté de Nantes, 8 mai, « pour faire chanter le .
Te Deum et faire allumer des feux de joy dans cette ville
suivant la vollonté de Sa Majesté, pOUf la pfise de Mons. »
c( La communauté a esté d'advis que les feùx de joy seront
allumés demain prochain à lis sue des vespres après que le
Te Deum aura esté chanté à la manière occoustumée ou
assisteront tous les corps tant esclésiastiques quauttres con-
formément à la vollonté de Sa Majesté ». .
Assemblée du 5 décembre 1691. « Le sieur sindic remontre
avoir receü des ordres de monsieur des Grassières, conseiller du
Royen ses conseils et inspecteur général de la marinne, da !té à
Brest le 30' novembre dernier pour lestablissement duo corps de
garde en cette ville; leqnel sera fait aux frais de la communaulté
à la réserve du bois et de la chandelle que le Roy fournira, et
comme monsieur Theus, commissaire ordinaire de la marinne, est
venu en cette ville suivant les ordres de Mons' des Grassières pour
choisir un lieu propre pour ledit corps de garde et quil a destiné
dans la maison de la demoiselle Dieulangard, près de la principale
place de cette ville, et chargé ledit sieur sindic dy faire faire des
lits de camps et de foumir douze paillases et vingt et deux cou­
vertures de laine, com me aussi deux guérittes pour les sentinelles,

led. sieu'r'sind'ic prie' Messieurs de la éommunaulté de nommer telles
quils jugeront à propos pour régler avecq lad. demoiselle
personnes
le louage des appartements que led. sieur Theus a
Dieulangard
destiné dans lad. maison pour le corps de garde, et pour y loger
les bois, fagots et charbons que Sa Majesté y fournira, comme aussy
et charpentiers pour, faire les lits
pour traitter avec des menusiers
de camps .êtguérittes et faire lesd. achaps de couvertures et paillasses
au corps de garde )) .
nécessaires
La.communalllté délibérant .... est dadvis que Ion paye à lad.
demoiselle Dieulangard pour led. corps de garde la somme de
vingt livres p~r mois,si mieux eUe nayme faire régler lesd. logements
Messieurs les commissaires, pour laquelle fournira la chambre,
par
et lits pour lofficier comme aussy est la communauté
greniers
dadvis de donner pour chaque guéritte douze livres. Laquelle somme
l'rémeur Le TaUec a offert de les faire et ainsy, pour les deux, luy a
la somme de vingt-quatre livres comme estant celluy
esté adjugée
fait la condition de la communaulté meilleure, et pour faire
qui a
les lits de câmps et fournir les planches nécessaires, la communaulté .
est dadvis de donner quarante sols par douzaine de planches
placée sur des trétauts, à laquele somme Jacques Biron aussy
fait offre de faire lesd. lits et fournir les planches,
menuisier a
le corps de garde levés et quon luy four-
parcequille retirera après
nira les clous pour attacher les planches ; lesqueles led. Biron
au sindié qlly sera lors en charge. Pou.r le paiement des-
rendera
quel es sommes et pour les achapts des couvertures et paillasses se
pourvoira led. sieur sindic vers led. sieur Miseur saisy des deniers
de ce te Gommunaulté' )). ,
doctroys
Le syndic ayant reçu ordre du commissaire du Roi à Brest,
M. de Bouridal, du 3 du même mois de décembre, au sujet
• du logement de deux cents cinquante cavaliers de troupes
irlandaises (1), et fournÎssement de fourrages, il est invité par
rassemblée de ville d'exécuter ces ordres, et au cas où il
(1) Jacques II venait de quitter Sa i nt-Germain pou r. vers la fin de
décembre, passer la revue de ses troupes en quartiers d'hiver à Saint-
Brjeuc, Saint-Malo et Dinan. ' .

serait utile d'aller à Brest s'entendre avec M. de Bouridal, il ,
est autorisé à pI'endre du miseur les deniers nécessaires,
17 décembre 1691. Le syndic notifie qu'il a reçu de . ,

Quimper le mandement

({ pour aussy lever sur les contribuables aux fouages de Carhaix
le dix-huictiesme d'un fouage en entier, montant à qtiatorse sols
feux, pour le paiement et appointement des officiers '
huit deniers par
du milice et la double paye des sergents qui sont en là province,
comme aussy des deux sols par jour pour chacun des soldàts de
cette ville et dix-huit livres dix. sols pour l'habillement et'armement
de. chacun soldat conformement aux. règlements du 29' novembre

1688 et 2' octobre dernier ». .

Le syndic requiert la nomination d'asséeurs et de collec­
teurs

« pour la cueillette de ces deniers,mesme pour la res.titution
de ceux advenus par led. sieur sindic aux soldats de cette ville .
despuis le 1"' jour de janvier derni~r suivant les quittances qu'il
mettera entre les mains de messieurs les esguailleitrs ».
5 février 1692. - Nouveau mandement daté du 1 de ce

mois pour levée de taillées cc pour garnisons entrètenantes
et places fortes de cette province'. »

28 juillet 1692. - « Ce jour (a près le dé part de la poste), la
veuve du sieur du Ménez de Kerdelleau, ancien miseurde Carhaix,
proteste pour ' répondre et déduire les raisons pour lesquelles la
communauté a été dadvis de faire loger une nuict par estapes un
officier du régiment de Lenoncourt en la maison de ladite demoiselle •
« La communaulté ce dellibérant sur lad remontrance est dadvis
que led. sieur sindic infforme monseigneur 'le marqnis de Kointel
que les raisons pour lesquelles on a donné son logement à la veuve
dud. sieur de Kerdelleau sont en premier lieu parce que sur sa
démission elle a faict pourvoir par M. le genneral Dondel Ir, sieur -,.
de pennanguer Le Disez en 'lad. charge et en tous les honneurs,
gages et privilèges y attribués, lequel dit Disez a esté sur ledit
titre exempté de logement; en second lieu, que lad. veuve a re-

noncé à la communauté de son mary. pendant laquelle lad. chargo
a esté acquise, et en troisième lieu quelle est femme marchande
et act1.œllement faisante commerce de marchandise de draps de
layne et de soye
« Et que bien loin que lad. commnnaulté ayant en cella faite par
vengerice, on ne la fait que par l'obéissance aux ordres du Roy par
la nécessité de loger le nombre de cinq cents hommes dnd. régi­
ment de Lenoncourt .... , déclarant ce néanltmoins se référer à lad­
'venir à tout ce quil plaira à mond. seigneur de Nointel en ordon-
ner. »

Jeudy 7' aoust 1698. « Le sindic réclame le remboursement

de la somme de « vingt et six livres seize sols quil auroit payé

aUx « soldats de millice dud. Carhaix pendant qllils y ont estés en

quartier dhyver dernier, suivant les quittances quil présente.»

17' novembre 1692. « Le sindic expose que la veille il a reçu
ordre du marquis de Nointel ponr préparer des logements à cin­
quante dragons du régiment de Silly pour y prendre leurs quartiers
d'hiver. Le commissaire des guerres, mons' Chenaye, a bien expli-

qué que, pour çlécharger l'habitant, il y auroit à leur fournir, dans
les maisons disponibles, que le lit et les écuries. Il requiert en
conséquence que l'on nomme « des personnes intelligentes n, pour
choisir les maisons qui aideront à faire 'les achats de foins et -
d'a voines, pour désigner les habitants qui fourniront les lits et

meubles nécessaires, etc. »
La eommunauté est d'avis « que l'on se ' serve du presbitaire
dud. Carhaix comme. estant actnellement vide, sauff au cas qui!
arrive un viquaire cy apprès a estre pourveu pour son indemnité
ou logement ainsy qui! appartiendera, et que Ion se serve des
escuries de François MéiTel et de Jacques Biron. Il sera fait un estat
des personnes qui f0l:1rniront les lits jusques il la concurance de
vingt et six, parceque le 'lieur siodic en fera aussy faire estat pour
en charger lofficier et les rp.ndre de la mesme manière et au mesme
estat, comme aussy de ce qui se trouvera dans led. presbitaire (1)

(1) Déli bération du 6 novembre 16J3 : « le procureur terrien de la pa­
roisse de Plougner-Carhaix !'equiel't la communauLé de contribue!' aux
réparations demandées par le Sr viquail'e au subject de son presbitaire. "

et pour faire l'estat concernant le fournissement desdits lits, a
nommé MO' Thomas Esmarc, Yves Nozac'h et Ollivier Renet. »
« En second lieu le syndic remontre « qu'il ne lui est pdS possible .
les villageois des environs de cette ville de voetturer les
dobliger
malades et bagages des trouppes qui passent par cette ville quoique
les officiers fassent offre de les payer suivant les reiglements et
comme il aura ce jour en cette ville dixcompag'nies de milices du
régiment de Lenoncourt qui obligeront le sindic de leur fournir
cinq ou six ch a rettes', il supplie M" de la com munaulté de délibérer
de quelle manière on poursuivera lesd. villageois de faire lesd.
voëstures en payant
- ( La communaulté est dadvis d'envoyer des garnisons chez les
villageois qui reffuseront de fournir les charettes et harnois néces­
... œultres qtâ ont fournis les dernières années ».
saires
22 novembre 1692. Un oflicierdedragonsestvenuexprès
visiter les logements dans la maison destinée à cette fin, (( il
a trouvé qu'il y avoit trop de lits dans chaque chambre,
alors qu'il n'y fallait pas plus de trois lits aveq paillasces,
couettes de pleumes, traversins, des draps et couvertures )).
Il a réclamé de plus une maison pour loger le commandant,
ses officiers et équipages, et un « magasin pour mettre les
fourages et de plus de payer vingt et cinq livres: pour le droict
d'entrée de lad. compaignieet pareille somme pour lasortie ».
« La Communauté décide que le lieutenant colonel soit logé chez
la demoiselle de Villandré et ses domestiques dans la cuisine et le
Cabinet y joignant, et le reste dans une chambre chez le sieur
et le lieutenant et Cornet (1) de lad. compajgnie chez la
Cheneau,
demoiselle Dieulaogard, le maréchal des logis chez le sieur de Poul­
riou. pour le logement des dragons une chambre à trois lits chez
Mademoiselle Mesguen, dans celle de Louis Fontenay, une chambre
le ùevant et la cuisine en-dessous, le mag:asin · de fourages est
sur
chez Jan Le Roy. Les lits qui sont sùpernumérairs au pres­
indiqué
et 00 nommera
bytaire seront transportés dans lesd. maisons,
(t) Lisez Cornette.
BULLETIN ARCHÉLO. DU FINISTÈRE.- TOME XXV. (Mémoires). 25

d'autres habitants pour fournir d'autres lits : trois habitants sont
La commtlnaulté nomme
nommés pour visiter et faire placer ces lits.
la somme du droit de 50
de plus des égailleurs et collecteurs pour
livres pour entrée et sortie, et marque que les chevaux et équipages

du sieur collonnel seront logés dans lescurie de la maison des
la rue des Augustins ».
Lavenal au hault de

g feburier 1693. Demande par le Sr Rison, fermier des
devoirs, du remboursement d'une somme de 3,514 livres,
avances fuites, etc.
( La communanlté ce délibérant n'ayant pas de fonds pour le
payement et le remboursement' de la somme deubz aud S' Rizon,
Roy et de mond. seigneur de Nointel
consent sous le bon plaisir du
que les articles mentionnés en larrest du conseil du 22' juin
temps de trois ans seullement,
1681, soint retraicts pour le
à la charge de conestoble
scavoir les deux cents livres attribuées
laprésent vacante demeure retranché, que la somme de 200 livres

attribué au médecin par arrest du conseil du 14° avril 1688 sont

réduits à 100 livres, que la somme de 33 livres adjugé au gref-
fier sera rédttite à 15 livres et celle de 30 livres pour le sonneur
de cloches sera retranché pour ledit temps parceque le herau sera
.obligé de sonner la campa'l'te po~tr les assemblées (luquel sera payé
la somme de 30 livres sur celle de 36 livres; la somme de 55 livres

,pour lorloger sera réduite à 30 livres,. la somme de 50 livres
pour lorganiste attend1t quil ny en a pas, a présent retranché
sOltff' à la rétablir par cy apprès quand il sen trouvera, et guon
sescera de faire les parés pendant lesd,. trois ans, pour lesquels
estoit atribué la somme de centz livres par an. »
1 el' mars 1693. " La communauté vote que sur la somme'
de 36 livres qui est demeuré entre les mains des collecteurs
il sera pris 18 liv. 10 s. pour être employé à larmement et
habillement d'lin soldat de milice d'augmentation.

21 mars 1693.
La communauté nomme des asséeurs et
collecteurs à l'occasion d'un mandement:
« Pour faire asseoire sur les habitans contribuables aux fouages
la somme de 61 sols 11 deniers sur chacun des feux pour la levée
des garnisons et entretiens des places fortes de cette province pen­
dant lannée présante, et en outre 8 deniers pour li vre de lad. levée,
scavoir 2 deniers pour le recepveur gennera et 6 deniers de droits
de quittance. »
10 décembre. La communauté enregistre un arrêt des
états de Vannes dressé par les commissaires du Roi:
« Ordonnant qu'il ne sera fait à lavenir aucunes députations
. pour le" communaultés de ladite province, hors la ville de leur
rasidamce vers les personnes constituées en dignités, soit pour les
affaires des communaultés ou pour leur rendre des civilités,
mesme pour leurs réceptions à leur passage dans lesdites villes,
qu'ils n'en ayent receü une permission expresse par escrit, etc. »

16 décembre 1692. La veille, le syndic a reçu la visite
de l'inspecteur général de la marine: il exige l'érection d'un
corps de garde, des guérittes et des lits de camp avec des
paillasses, pour deux compagnies de marine: le temps pres-

sant, le corps de ville invite le syndic à s'entendre avec les
officiers, à chercher une maison et à convenir des conditions
avec le propriétaire.
21' décembre 1693. - « M. de Cartaigny (1) deputté par Sa Majesté
pour la police des troupes de marrinnes », a choisi pour corps de
garde les deux boutiques « appartenant 'au sieur Drégan sur la place
principale de cette ville l). Il réclame quon y fasse faire une che-
minée, des lits de camp, deux guérittes et un ratelier." ,
La communauté est d'avis que, pour les boutiques desti­
nées pour le corps de garde: il soit payé au Sr Drégan sept
livres par mots; la cheminée sera faite par Hervé FravaI,
maçori, pour 30 livres, à lui d~ fournir pierre, bois et tous
(1) Le nom est. ainsi orthographié; est-ce de Kertanguy qu'il faut lire?

les matériaux; et de « rétablir la couverture », les lits' de
camp par Jean Le Masson: menuisier, pour 10 livres, « à
charge de fournir les boissages nécessaires Il; le . marché
ayant été fait au rabais.
23 décembre 1693. Le syndic a reçu un mandement de
M. de Nointel, en date du 12 novembre.
« Pour lever sur les contribuables aux fouage, un soult huit
deniers par jour pour la part et portion que Ion doit pour le soult
par jour ordonné pour chaque plasce dofficier cavallier et dragons
estant en quartier èn cette province, comme aussy pour fournir aux
douze compaignies de cavallerie et douze autres de dragons, de dix
jours en dix jours et par ad vence la quantité d'une ration et demy
de fourage par jour à raison de quinze livres de foins et de cinq
lIvres de pailles, et de dix huit livres de foins sans pailles au chois
de ceux qui en feront la fourniture, et des deux tiers d'un bois­
seau advoine par ration dont les vingt et quattre boisseaux font le
septier mesure de parris, dont sera remboursé sur le pieds de cinq
sols par chaque ration entière par le trésorier de lextraordinaire
des guerres, et le surplus du prix à quoy se montera lad. ration et
demy imposé sur les contribuables aux fouages de cette ville par
jour pendant centz cinquante jours dud qu.artier dhyver, et sera
led. un sols huit deniers remis entre les mains du S" de Chanri-
pauIt, recepveur des fouages de cette esvéché de dix jours en dix
jours et par advance, le tout suivant et conformément à l'ordon­
nance ». Notification est faite d'un autre mandement du 16 décembre,
mettant au compte des ' mêmes contribuables aux fouages « la
somme de quatorze ·sols huit deniers pour le payement et appoînte­
ments des officiers des trois régiments de milice de cette province
et la double paye des sergents, conformément aux raiglements du
Roy du 29 novembre 1688» et de plus de la « somme de dix
huit livres dix sols que cette paroisse doit fournir pour leur habille-
ment et entretiens outre le soult pour livres pour les taxations attri-
bué~ par ledit du mois de janvier dernier. »
9" janvier 1694. « De la part du s' sindic a esté remontré que
Jan Le Nez et Jan Petit, collecteurs des deniers et taillées imposées
sur les contribuables aux fouages dud. Carhaix veinrent hier au

SOIr dire aud. sr sindic que le sr de Champripault auroit refusé de
recepvoir d'eux le contenus aux rolles qui leurs auroient esté remis
entre mains faute de payer aussy le terme du mois de septembrp,
dernier et pour ce aurait voulltt emprisonner lesd. sieurs, Petit
et Jan Durand, leurs consorts, qui e"t demeuré en otage aud.
Quimper, attendant le payement dud. terme de septembre aveq
les intérest jusques à entier sollection du,d terme ».
Le syndic déclare qu'il « n'a pas été resaisi du mandement relatif
à la levée de septembre et réclame que l'on nomme en conséquence
des asséeurs et des collecteurs. )}
La communauté choisit à cet effet des asséeurs et des col-
lecteurs, mais stoïquement ne marque aucune préoccupation
du sort du pauvre « otage )) qui se morfondait dans une
pénible attente à Quimper-Corentin.
Les impositions s'accumulaient et à peine avait-on le temps
de les enregistrer qu'il fallait les effectuer: à Carhaix, on se
fatiguait et on opposait une dose considérable de force d'inertie
aux réquisitions répétées qui y parvenaient chaque semaine,
si bien que le « héro J) avait beau clamer et la campane faire
entendre les appels les plus pressants, la communauté ne
pouvait délibérer par défaut de délibérants .
. On reçoit signification de nouvelles contributions à lever au
sujet de l'augmentation d'un quart des deniers d'octroi de la
communauté (l pour faire l'acquit de la finance des taxes
faittes pour les charges -de pr du Roy et greffier de lad.
communauté suivant larrest du conseil du 22 may dernier. »
On convoque la communauté le 27 juillet 1692. Or, à
cette assemblée nous trouvons le sénéchal, le bailli, le
sindic, le procureur du Hoi et le greffier, lesquels rédigent
la protestation suivante:
« Nous nous sommes trouvés en la maison de ville publique dud.
Carhaix, et attendus que leb habittans de ' cette ville ce sont point
trouvés à la communanlté après avoir esté advertis par plusieurs
ois par le héros et par le son de la campane à la manière accous-

tumée, nous déclaro:Qs nous retiré à leurs périls et fortunnes et
prions led. sieur sindic d'envoyer la présente dellibération à mon-
le marquis de Nointel affein de le suplier très humblement
seigneur
de faire un règlement pour obliger les habitans de cette ville de se
trouver aux assemblées de lad. communaulté lorsquil sagira des
affaires du Roy et de lad. communauté. »
Aux assemblées de ville, à Carhaix, on ne fut ni plus fidèle
ni plus exact, et l'on entendit bien souvent encore le syndic

semoncer les absents plus nombreux, hélas! que les présents
aux délibérations de la communauté. .
Pour les logements militaires, la ville trouva . d'autres
difficultés de la part de récalcitrants prétendant être
exemptés de cette charge. En tête de ces protestataires nous
trouvons la dame de Kerellan et Claude Le Goacoin , caba­
retier . Ils en avaient référé à l'Intendant, et la communauté,
comme on peut le voir plus haut, avait décliné toute respon­
leur imposition, rejetant la faute, s'il y en avait,
sabilité dans
sur les asséeurs et collecteurs. Dans l'assemblée du samedi .
27 février 1694, après d'amères remontrances et instances
désespérées sur le paiement des contributions à lever, le
sél"\échal entretient la COm]nllOauté :
• « Qu'il y a des particuliers qui prétandent avoir des exemptions
.sans les avoir fait connoistre. Mondit S' le sénéchal a interpellé la
communaulté de se dellibérer sur lesd. prétendues exemptions,
pour le moulin a tan du petit Carhaix audelà de lafféage-
scavoir
ment qlly se paie annuellement au Roy, le four à ban de cette
ville, sur l'excédant de l'afféagement quy se paye annuellement au
Roy; comme aussy 1\1' le lieutenant de cette ville publie partout
des exemptions et que les maisons nobles ne doivent pas estre
quil a
comprises dans lad. répartition: scavoir celle ou il demeure sittué
de cette ville consistant dans un grand corps de logis
au millieu
à la demoiselle de KereUan pour la somme
dont partie est affermée
de cenis livres, court, jardin, collombier ; une petite maison en
despendant affermée à M' Guillaume Fontaine pour la somme de

trente livres et une forge affermée à Jan Petit pour la somme de
quinze livres, plus autre maison sittuée proche la porte Motreff
bastie joignant una antienne tourelle de guéritte de la ville affermée
à Clœude le Goacoin pour la somme de cents vingt et trois livres.
Le sénéchal requiert que la communauté délibère immé- .
diatement à ses risques et périls et se retire dans la chambre
du conseil. La communauté s'engage à faire agir conformé-

ment aux instructions reçues. Qu'en advint-il? Le registre
des délibérations s'arrête précisément là. En tous cas, nous
voyons plus tard encorela famille Claude Le Goacoin regimber
et refuser de soumettre cette contribution et cela, sans trop
s'inquiéter des formes, comme on pourra le voir. Le 24 mai
1701 (1), Thomas Emarc,syndic de Carhaix,donne un billet à
deux soldats de la compagnie de Berry pour aller loger chez

le « gendre de Claude Le Goacoin ». La femme G oacoin en
prit une telle colère qu'elle pénètre en ouragan dans l~cabi­
net du syndic « sans avoir esgard au respect qu'eUe lui
debvoit ». Elle demande, avec furie, au syndic pourquoi on
avait imposé des gens de guerre à son. gendre, et le syndic

de répondre, avec douceur, que c'était l'ordre du Roi. Cette
femme alors de protester « quil avoit ment y , quil faisoit cella .
par s~m caprice, quil estoit un coquin, etc ». Cette créature
acariâtre menace le syndic de son mari « qui l'auroit repassé»
« et quil auroit su quel emploi faire de sa fourche Jl. On dit que
la nuit porte conseil: quoiqu'il en soit, le lendemain matin
trouvant la dame du syndic sortant de la messe, elle l'in­
sulte avec la dernière vivacité, « la menaçant même de mort ».
Thomas Emarc requiert du bailli Ch.Olymand de Kernéguez
un châtiment sévère: Après le permis d'informer de ce der-
nier, nous trouvons la mention suivante: « Je déclare me
désister de ma plainte et information parce qu'elle ma lait des
excuses. Signé: EMARC, syndic.

(1) Plainte du 25 mai 1701.

Que s'était-il donc passé?
Nous découvrons au dos de la plainte du syndic de
Carhaix, les annotations suivantes qui ont aussi leur élo­
quence et qui en disent assez long dans leur concision.
« Claude me doit · pour laccomodemeat et fraix 21 liv. ce

31 may 1701, ayant payé 10 liv. à Emarc pour laccomodement et
la prison de la femme dud. Goacoing payé fors cinquante trois
sols. - Le 13 aoust·1702 .

Le service militaire féodal était depuis longtemps tombé
en désuétude: seuls le ban et l'arrière-ban qui ap·pelaient les
nobles et les possesseurs de fiefs à servir le Roi en temps de
guerre furent conservés jusqu'à la fin du XVIle siècle.
Comme le dit un historien (1) « l'époque de la Chevalerie
s'est terminée par la comédie que donnaient les le'/Jées de l'ar-
rière-ban ».
Dès le XVIe siècle, on dit des possesseurs de fiefs de
l'arrière-ban qui s'équipent eux-mêmes et que le Roi appelait

sous les drapeaux pour un temps déterminé: (( c'est pauvre
chose» ; (2) cent ans plus ~ard, Vauban les appelle (( les plus

méchantes troupes du monde ». (( Si quelques-uns de ces
gentilshommes ont du courage et de la bonne volonté, la
plupart sont pauvres et mal montés. En 1693, ceux de l'ne­
de-France se rendent à la Hougue· soit sur des bidets, soit
par le messager. » C'est chose honteuse, écrit Matignon,
« que le mauvais état des compagnies. ·C'était qui d'ailleurs
« s'excusera et fera valoit' ses privilèges ou sa misère pour ne
(( point partir, et ceux qui partent, de quelle vanité, de quelle
(( indiscipline, de quelle inexpérience ne font-ils pas preuve?
. (( Susceptibles, querelleurs, tapageurs, ils savent mieux déli-
Les soldats ·par Alb.
(1) La vie militaire sous l'ancien régime. -
Babeau.
(2) Commentaires de La Noue.

« bérer qu'obéir, parader ou se dérober que combattre. » On
se garde bien de les mettre sérieusement en ligne dans la Cam­
pagne de 1674, et selon l'expression d'un des leurs (1) « on
« se contente de les montrer à l'ennemi comme des marion-

« nettes ».

Le noble ne joue plus de rôle dans l'armée que lorsqu'il
est enregimenté et qu'il porte l'épaulette d'officier. (2)
Aussj, il nous semble que la convocation du ban et de
l'arrière-ban, en 1691, ne dut pas troubler excessivement les
esprits: l'armée déjà devient plus militaire en même temps
que la nation devient moins guerrière. Il s'établit une grande
différence entre le civil et le soldat; et cette différence en
s'accusant ne fait plus prendre au sérieux ces débris, survi­
vants de la grande époque féodale, ces guerriers intermitteqts
dont le service dure à peine un trimestre. Nous lisons aux
délibérations de la communauté de Carhaix (Assemblée du
29 mars 1691) :

« Mond. sieur le sénéchal ayant le jour de hier receu les ordres
du Roy pour la convocation du bHn et arrierban et d'une lettre de
Sa Majesté sur ce subject aveq un aultre lettre de Monsieur le maré­
14' de ce mois; pour lequel subject, il a fait assem- ..
chal Destrés du
bler la communaulté de cette ville affin de faire lire lassemblée de
Nantes, les déclarations et règlements du feü roy Louis traize des
1635 et 1639, la déclaration du Roy du 3' feburier dernier,
années
la lettre de Sa Majesté du inesme jour, pour advertir tous ceux qui
de se thenir incessamment prestz
sont subjects audit ban et arrierban
au jour et lieux qui leur seront dessinées à ce mettre en armes,
esquipés sellon qui sont thenus pour le service de Sa
montés et
Majesté .conformémént aux susd. ordonnances, attendus mesme que
la plus part des habitants de cette ville tant à raison de leur qualité

(1) Claude Joly. '
• (2) Cf. op. cil. p. 23-24 .

personnelle que des fieffs et terres nobles quils poscèdent sont
de servir tant led. ba.n et l'arrierban conformément à linten­
obligés
de Sa Majesté. »
tion
. Aux archives départementales nous avons trouvé la décla-

ration suivante, adressée par Guillaume de Gouzillon au

sénéchal de Carhaix. .' -

Cette pièce nous a paru intéressante à conserver en ce

qu'elle reproduit les états de service d'un officier cornette de
territ6r.iale à cette époque. .

« Je soubs signe Guillaume Gouzillon, escuyer, sieur de Kervern,
de la compagnie colonnelle des gentils homm8s de lévesché
cornette
de Tréguier. Lorsque les officiers furent levés ie demeurois au
manoir de Kermeno, parouesse de Plougouver audit évesché de
TrégUIer, et avoir servy tout lesté de lan mil six centz septente six,
Nostre cartier estant en la ille de Lesneven, et au moys doctobre
mil six èeniz quatre vingt huict nous pasames en reveue à Morlaix
devant Monsieur le marquis de La Coste, lieutenant du Roy, autre
fismes à Belisle, le traiziesme avril mil six centz
reveue que nous

quatre vingt neuf devant Monsieur de Carsaûson, lieutenant-colonel
et aultres reveues du cinquiesme juin mil six centz
du régiment,
quatre vingt dix à la ville de Guingamp devant Monsieur le mar-
de La Coste, lieutenant du Roy. Et je demeure apprésant au
quis
lieu noble de la Garenne-Keranflech, paroisse de Pistivien, évesché
de Cornouaille, soubz le ressort de la cour de Carhaix, déclare pos­
séder le lieu noble · de la Garenne et en jouir par main pouvant
la somme de' deux centz livres par chacun an, charges
valloir
rabattues. Laquelle déclaration j'affirme véritable pour estre fourny
, à Monsieur le sénéchal premier juge audit siège de Carhaix pour
Roy et ceux de mondit sieur le sénéchal com­
obéir aux ordres du
ce vingtiesme avril mil six centz quatre vingt douze.
missaire,
(( Guillaume GOUZILLON, escuyer. 1)

et rébellions à l'o(!easÎon
Les h'a
de la Iniliee.

ons. -
Les

lUal"audeUl"S et (léserteurs .

Les Cahiers de 1789 enregistrent, dans tous les termes
possibles', le sentiment unanime 'de répulsion qu'inspirait
partout le service de la milice, ce service militaire singuliè­
rement restreint et limité~ surtout si on le 'compare de bonne
foi à celui qui n'a cessé d'être exigé en France, depuis 1793.

Le cahier d'Avron, dans la sénéchaussée d'Aix (archil es
padementaires. T. III. 7) déclare : « Il est injuste de forcer
«( malgré lui, un homme à embrasser un état périlleux ».
C'était le sentiment général alors, de ces populations de
France, qui par suite d'une évolution socialeqn'il serait fort
difficile d'analyser, donnent à l'armée se~ enfants et, sans
marchander, les plus belles armées de leur existence, non pas
avec résignation mais avec le sentiment d'un devoir à accom­
plir dans tout ce qu'il a de noble et d'impératif, de raison-
nable et d'inévitable. '
Le service de la milice, somme toute, et c'est là qu'on
comprend moins les résistances, était assez peu pénible. Il
était plus nominal que réel en temps de paix. Son organisa­
tion, variant selon les temps, ne fut qu'une sorte de réserve
territoriale pour l'armée; troupes sur lesquelles on pouvait
compter pour former de gros bataillons lorsqu'on les, aurait.
à l'heure du combat,encadrées dans des régiments composés
de ces soldats de métier et de vocation qui, au jour où tout
semblait perdu, sauvaient l'honneur du drapeau et les desti­
nées de la France .

Les miliciens, en temps de guerre, étaient envoyés dans
les places fortes: en temps de paix; ils étaient astreints à
des revues périodiques de peu de durée, qui ne nuisaient- en
rien aux travaux des champs. Laissés dans leurs foyers, ils
ne pouvaient quitter leur paroisse pour plus de deux ou trois
jours sans permission, ' ni se marier sans autorisation de
l'intendant: en revanche, combien de contrevenants!
C'est Louvois qui,en 1688, établit les milices: le recrute-
ment eut lieu d'abord par voie d'élection, et les habitants
réunis en assemblée générale étaient appelés à désigner
ceux qui devaient en faire partie, « en la forme usitée pour la
nomination des collecteurs ». Le rec,ensement . de tous les
célibataires de la paroisse dont la taille atteignait au moins
cinq pieds de hauteur, était fait d'une façon sommaire et
était lu, au sortir de la grand'messe, par le syndic ou le mar-
guillier. 1
L'élection était un hommage rendu au principe d'après
lequel les communautés pourvoyaient elles-mêmes à l'acquit-
tement des charges qui leur étaient imposées :pourvu qu'elles
payassent, on leur laissait le choix du mode de solution
et de payement.
Cette méthode ne put se maintenir: les' nominations don­
naient lieu à tant de brigues, de marchés et d'abus d'influen-
ces, que pour les faire cesser, trois ans après l'établissement
de la milice, le tirage au sort dut être substitué à l'élection.
Ce tirage au sort qui semblait devoir sauvegarder les dehors
d'une certaine impartialité, rencontrq encore les mêmes
fraudes: les exemptions nombreuses, mal jnstifiées, parfois
d'une iniquité criante que nous allons énumér"er.

Nous trouvons d'abord le milicien « victime du sort», cher-
chant à corriger sa mauvaise chance par des moyens abraca-
dabrants : par substitution d'un autre en son lieu et place, par
exemple. .

Le 24 mai 1701, Alain Chevance avec son fils Henri, de la
paroisse de Bothoa, requiert plaintivement du bailli de .
Carhaix ( la protection et sauvegarde du Roy ~t de la Jus­
tice »), contre ]es vengeances et rancunes d'une famille
influente de cette paroisse de Bothoa, dont les membres et
alliés en sont venus à des voies de fait très graves contre
les suppliants, au sortir de la messe matinale, le dimanche
précédent, à Saint-Eloy. D'où venait cet acharnement '? -
Hervé Le Bihan était un des soldats de milice désignés par
le sort: c'est contre lui, ses deux frères et une demi-douz aine
de cousins ou cousines, que la plainte est adressée.
c( Les jeunes gents de la paroisse de Bothoa, ayant esté obligé de
tirer au sort devant vous (le bailly) pour fournir le nombre de soldats
de mellice a quoy elle a esté fixé , le sort seroi.t arrivé à Hervé Le
Bihan en son absance, et lequel ayant esté mandé pour prendre
le billet de son engagement pour laq . mellice et recevoir sa solde,
leq. Hervé I.e Bihan voullant user de surprise au lieu de se
trouver en personne fit venir devant VOltS ledit A Zain quy se
faux nomma ledit Her vé Le Bihan à qlly le sort est arri1;é :
n'estant de hauteur pO'Llr le service de Sa Maiesté, (1) .et
lequel
mesme estant informé de la surprise que ron a ,'oullu vous 'faire
vous renvoyate. lequel Allain Le Biban et avés maintenu led Hervé
de servir. »
pour soldat estant capable
La famille Le Bihan soupçonne vt'>hémentement les Che­
vance de la dénonciation: le bailli, Charles Olymant de
Kernég'uez, certainement au courant de cette tentative faite
pour le berner, devait être fort bien disposé à écouter la
prière des pl'aignants réclamant une « punition ~iemplaire
« attendu que sy lesd. soldats de mellice et leurs parants
c\ seroient tollérés à faire de pareille assassinats et désain
« préméditté, ils tiendroient tout le peuple en subiection 1 »

(1) Ce doit être apparemment un courtaud. loin d'atteindre la taille de
cinq pieds au minimum exigés pour avoir l'hon neur d'être admis au service
du Roi.

D'autre part, une plainte fort bien détaillée nous informe
qu'à Plouyé, en 1693, un procureur terrien un peu industrieux
pouvait se faire des revenus au moyen d'exemptions dolosives,
s'il s'entendait à favoriser ce jeu de passe~passe et de
passe-droit, où il pouvait penser que l'on n'aurait vu , que
du feu. La plainte ' de Maurice Le Dantec et de sa femme
jette un jour peu édifiant sur le train de la vie municipale à
Plouyé.
« A Monsieur de Pomereu, intendant de la province
de Bretagne,
« Vous remontre très humblement Maurice Le Dantec et Cathe-
rine Le Liehon, sa femme, pauvres ménagers et paroissiens de
Plouyé.
« Quils sont obligés davoir recours à vostre justice pour tacher de

se rédimer de l'oppression que leurs fait Guillaume Riou, procureur
de laditte paroisse.
terrien
« Lequt·l par ladvis des parroissiens (en aparlmse) prit le nommé
Jean Le Louarn fils d'un des riches paisants de la parroisse pour le

rendre en qualité de soldat à son capitaine dans la ville de Carhaix,
il arri va questant rendu aux fauxbourgs de laditte vi Ile, il le
mais
laissa s'esvader en fabueur de la somme de soixante dix escus en
sorte que depuis on ne la veu dans le quanton,
« Que le dimanche suivant ayant supposé et dit auxdits parroissiens
Le Louarn luy avoit esté hosté à lentrée dudit Carhaix par
que ledit
des gens iuconnus, il nomma en son lieu et place pour soldat le
nommé Louis Le Caro lun des cinq gar(;ons en tous capable de ser-
vir, du plus opulant habitant de laditte pa,rroisse, et cela prosnalle-
fust trouvé capable et agréé par le gennéral de laditte
ment, qui
rnais parceque le père de Caro finança aussy une somme
parroisse,
Riou et à de'ttx Oit trois autres habi-
considérable d'argent audit
tants de laditte paroisse, ses partisants, cette nomination dudit
Caro quoyque publicque et nottoire à tous les parroissiens na point
eu deffect.
« Ce Caro ayant esté ainsy excusé par la faveur de sa bouree,
Riou prit et arresta dans le cimetiere dudit Plouïé le mardy
lequel

douziesme de décembre dernier Jour de feste à l'heure de la grande
messe le nommé Guillaume Cam aussy fils d'un riche habitant ' de
laditte parroisse, disant quil le faisoit de lordre dl1 geiméral de lad.
parroisse parce qu'il avoit esté trouvé plus capable de servir en
quallitté de . soldat pour laditte parroisse que ledit Le Louarnet
Caro quy avoient esté cotés cy devant nommés, mais parceque
aussy ledit Cam finança audit Riou et à ceux de sa cabale, ce quils
voullurent exiger de Iuy d'argent, on ne l'a pas non plus obligé ,de
servir ou ny de se présenter non plus pour estre enroBé.
Ce n'est pas là tout, car ledit, Riou, procureur terrien et les
de sa cabale et de son party au nombre de trois , apprès
autres
avoir ainsy voilés trois familles de laditte parroisse dans le particu-
il a bien voulu exercer une autre voIlerie sut' tous les parrois­
lier,
siens dudit Plouïé en gennéral parceqlle sous prétexte des fraits
. quilluy avoit convenu faire et advances, se disoit il, pour la nomi-
nation desd; Louarn, Caro et Cain, et fournir à ce qn'il falldit au
soldat, comme chemises, souliers, habit, chapeau et autres neces­
,sités, il avoit de son auttorité privée et au moyen de ses cabalistes
assis une cottisation par forme de taillée sur le gennéral de la par-
roisse de la somme de cinquante cinq escus qu'il a réaument et de
fait touché et qu'estant un fait publicq et une contravention for­
melle à vos ordres, mérite d'estre réprimé afin que pareils abus
soient supprimés pour l'advenir de cette paroisse et autres voisines »
c( Apprès quoy ledit Riou se rendit dans la demeure des suplia,nts
la soirée dudit jour à mimûct accompagné de quattre de ses caba­
listes et prirent Jean Le Dantec, leur fils, dans son lit et le menèrent
au bourg dudit Plouié, et le lendemain le ' menèrent à
avec eux
Carhaix et le constituèrent prisonnier aux prisons dudit C::Il'haix 'Où
il est. depuis et prétendent ly retenir pour lobliger de marcher en
qualité de soldat pour laditte paroisse la campaigne prochaine.
« C'est de la prise et de lemprisonnement de leur fils et du pro­
Riou et de ceux de sa caballe, ses com­
cédé hardy et violent dudit
plices, quest le subject de plainte des pauvres supliants. Lesquels
estants aelgés chacun deux de soixante-cinq ans, et partant inca­
pables de se gaigner seroient sur la fin de leurs jours réduits à la
mandicité si les malversations dudit Riou en ceste rencontre estoient

.toIlérées. Car il ny a,,-t,roit point de justice que plus de vingt
de laditte paroisse plus riches et que dans chacune delles
familles
il y a pour le moins trois quattre et )"-t,sql/es à cincq garçons, tous
capables de servir, d'entre ltsquels sont lesdits Louarn, Cara ~t
Cam soient excusés PARCE QU'ILS SONT RICHES ET QU'ILS ONT FINANCÉ
ce quoy leur a demandés ce que ce soit, »
A Spézet en 1700, on est tout aussi hardi et ingénieux :
on ne songe pas pour sauver le milicien à rayer son nom de
la liste des vivants; on se contente de le rajeunir de deux ans
en lui fabriquant, de toutes pièces, un acte baptistaire carres·
pondant à l'âge qu'on désirait présenter au bailli pour in­
firmer la décision du sort. Messire Jean Heydon, l'intrépide
recteur de Spéz.et, se charge lui· même de nous narrer la
chose par le. menu, dans la plainte qui suit aux juges de
Carhaix.
Plainte du 8' novembre 1700 de noble et discret messire Jan
de la paroisse de Spéhet, disant que le danger con­
Heydon recteur
tinuel ou il se trouve de délivrer journelement des extraits depuis
. deux registres dans lesquels sont compris les cahiers baptistaires
de la paroisse pour les années 1671, 72, 73, 74, l'obligent de veiller ·
à sa sœureté pour obvier à la délivrance des quelques faux extraits
se trouvent confusément remplis surtout au
dont lesdits registres
folio 44· recto du cahier de 1673, où il se trouve un extrait baptis-
tère pertinement faux et malicieusement fabriqué en faveur d'Yves
Morvan tlIs Robert ei de Catherine Pasquet, le tout en veu d'obvier
à la nomination dud. Morvan choisi pour la mil'ice dans la mesme
parois.'ie et cela par l'autorité et le ministère de M" Xtle Boulic
cy-devant curé de la 1l18Sll1e paroisse (-t de Marie Trédien greffière
de Spéhet laquelle a soU'Scrite et signée ledit extrait et...Jaict datter et
du saize may 1673 quoique par le cahier baptistère de 1671,
relater
folio 41 recto, il se trouve un autre extraiet du baptistère dudit
Yves Morvan en datte du 5 mars 16'72 signé des meSll1es Boulic
et Trédien.
Ce projet de faltise se trouve entierrement vérifié par la veu des
deux registres dans l'un lesquels led. Yves Morvan était en aage

requi~ par la déclaration du Roy de servir dans ses troupes de mi­
lice au lieu que dans lautr~ registre de 1673, n se trou voit moins
et hors de danger d'estre soldat.
aagé dun an

Le suppliant ne veut pas entrer comme partie dans une poursuite;
ce qu'il réclame c'est qu'on lui permette de déposer au greffe du
siège, ses registres pour quils y soient « vérifiés,certés et examInés
sauf l'intervention de M. le procureur du Roy ponr l'intérest
») ; donc il se déclare désaisi de ces documents .
public
Sur ordonnance du sénéchal, Jean Raguideau, le procureur
général donne acte, le même jour sauf à prendre telles conclusions
qu'il appartiendrait, mais l'affaire fut évoquée au parlement, et en
voici les motifs.
Les intéressés, accusés du faux, maistres Pierre et René Jonniaux
et la femme du premier, Marie Trédien ont caballé, entrepris si bien
le recteur de Spézet, que le dimanche, veille de la Toussainet
dernière ils l'ont empêché de remplir ses fonctions curiales; ils ont
suscité de faux témoins qui ont été démentis. Malgré tout à Carhaix
aucune suite n'est donnée à l'affaire .
« Comme led. René J onneaux lun desdits accusés tant de crimes
cy-dessus que de l'effloration d'une pauvre mineure de la mesme
paroisse, a toujours esté {ortement {avorisé de la protection
ordinaire de la famille dud. substitut, le suppliant ne peut .

espérer d'agrément en la Jltridiction royalle de Carhaix, mais
un excès de (aveur pour lesd aCGltsés, il réclame avec
plustost
instance l'autorité souveraine de la Cour. ») Il supplie donG le Par­
lement de Rennes d'évoquer ces diverses causes devant sa Cour
« et en conséquence faire commandement au greffier dud. Carhaix
de rendre incessament au greffe criminel de la Cour tant lesdites
plaintes, informations en conséquence que toutes les charges résul­
tantes desdites instances, mesme la requeste et les registres baptis­
maux y attachez et déposez au greffe dud . Carhaix et tout ce qui a
esté mis et observé tant de la part dud. suppliant qtle de celle de
Marguerite Bosser, fille mineure, pour sur la plainte de tout estre .
réglé et ordonné ce quil appartiendra. »)
Satisfaction fut donnée au recteur de Spézetet le com­
mandement de la Cour fut notifié au greffier messire Jacques .
BULLETIN ARCHÉLO. DU FINISTÈRE. . TOME V. Mémoires). 26
DU FINISTERE

Larcher, sieur de Kerincuff et son commis Me Jean Jourand
Et l'on vit bien qu'il y avait des juges ailleurs qu'à Berlin!
Dans cette collection variée de guerriers malgré eux vou­
lantse soustraire au service de Mars et de Bellonne, nous trou­
vons le milicien qui, désespérant de se faire porter ( décédé »
sur les registres du bailli, tente du moins de se faire pÇlsser
pour B;gonisant et près de rendre le dernier souffie. La
scène, assez macabre, ,du reste, se passe à Brasparts, en
1701, et ,est empruntée au Cahier des Délibérations d-u gé­
néral (1700-1735), ainsi qu'on peut le lire, à la date du 31
juillet 1700.
« Assemblée en la chapelle Sainte-Barre, lieu ordinaire des déli-
...... a été délibéré qu'attendu que le nommé Jacob Le
bérations
Paoule', p'remier nommé des trois 'soldats sur lequels le sort eSt
tombé (à l'endroit de la dernière convocation faite de la jeunesse de
la paroisse en la ville du Faou) a voulu donner à croire être dé-
tenu de maladie depuis que le sort lui est tombé, s'étant même
fait administrer les Saints-Sacrements, Eucharistie et extrême­
onction,' quoique par le bruit commun et relation de la plus part
des habittants et de ses plus proche voisins, on dit que sa prétendue
maladi'e est simulée et feinte, sera visité de jour et d'h~ure à autre
à la diligence et frais de son père et autres proches, par médecin
ou chirugien non suspect, ce quil sera tenu de faire tous les vingt
son dit père sera appréhendé au corps. »)
quatre heures, au défaut
Le 8 septembre, à l'assemblée du général, il fut déclaré
que « la fraude et feintise » étaient dûment constatées.
Les hommes assujettis au tirage recouraient enfin à la
mutilation: cette opération était difficilc à constater, et nous
avouons qu'au cours de nos recherches nous n'avons pas
trouvé trace d'informations criminelles à ce sujet. La fraude
pouvait se dissimuler si bien, sous les apparences d'un acci-
dent fortuit, que les présomptions n'osaient s'y arrêter.
Le moyen le plus élémentaire de se soustraire à la milice,
somme toute, la fuite pure et simple, dans une mai-
c'était:

son amie où on trouvait hospitalité et grande pitié, et où l'on
était disposé à repousser, au profit du fuya1'd, la force par

la force, comme l'indiquent les scènes tumultueuses que nous
rapportons ci-après, avec les circonstances de dépenses faites •
pour s'emparer des miliciens récalcitrants.
Un cahie1' d'informations faites par le bailli de Carhaix au
sujet de la dépense dans les paroisses de Duault, Plus­
la Feuillée et Plourarch, par des
quellec, Plouyé, Trébivan,
dragons envoyés en garnisons dans lesd. paroisses pour
faire fournir des soldats de milice, nous édifiera au sujet de
ces expéditions dispendieuses et coûteuses pour ceux qui
avaient à en solder les frais.
- Guillaume Jannou, hoste débitant vin au bourg de
Duault, vers minuit et demie, le 4 avril 1696, vit arriver chez
lui deux dragons, de la compagnie de Saint Joary, au régi­
ment d'Asfeld, en quartier à Callac. Ils font chercher le pro­
cureur terrien qui arriva en compagnie d'un Me Joachim Le
Lagot ; ces derniers furent surpris par le point dujour, tenant
tête aux deux dragons,le verre en main. Pendant leur quatre
jours de garnisons, ils burent cc nuit et jour », en société
d'autres dragçms de Callac venus les voir; le 14 avril, deux
autres dragons arri vent en garnison et firent dîner avec eux
sept des notables «( du nombre des douze hommes nommés
pour faire les affaires de la paroisse )) ! Ils réclamèrent qu'on
leur fournit «( des confitures sèches. la meilleure viande et
le meilleur poisson qu'il y avoit dans le païs )). Ils exigèrent
de plus douze livres en argent, ce qui porta la dépense à la
somme de cent scixante dix livres quatorze sols! ))
A Trébivan, deux dragons se présentent, le 4 avril, chez
Joseph-Michel Thépault, hôtellier: ils déclarent venir en
garnison au sujet de la milice et demandent à boire et à man- .

ger. On leur refuse en demandant leur ordre de service.
Alors ils conduisent la femme de Thépault au presbytère
où on trouve le lieutenant de la compagnie et le maréchal des 0
logis attablé avec le rectenr qui expliquent que ces garnis­
saires doivent vivre à discrétion: On fait chercher le procu'"
reur terrien qui tremble peu rassuré sur le compte de la
discrétion de ces militaires : il recommande toutefois la plus
grande libéràlité à leur égard et prend même part à leurs
libations.
Le pauvre hôte fait s'assembler « les douze hom­
mes chargés dès affaires de la paroisse » et tout per­
plexe, leur demande s'il serait payé: les paysans boivent
avec les dragons jusqu'à trois et quatre verres de vin coup­
sur-coup, avec « les principaux de la paroisse)) ,si bien que la
note à payer présentée par l'hôtelier de Trébivan monte à
la somme de cent quarante deux livres trente sols, dont le
procureur terrien a payé une partie: cela pour treize jours
d'une hospitalité qui coutait peu aux dragons, mais dont ils
faisaient part large et généreuse à leurs compagnons d'armes
du Faouet qui venaient les voir à leurs moments perdus.
S'il faut en croire Louise L 'Olivier, hôtesse, l'orgie prit
de plus formidables proportions à Plourach. Le dimanche 0
soir, 8 avril, les quatre dragons en garnison à Plourach, de
la compegnie de Sailly, logés éhez Thomas, autre hôtellier
au bourg, vinrent prendre chez Louise L'Olivier treize bou­
teilles de vin, les dix ou onze dragons qui se trouvaient
chez Thomas étaient accompagnés du chirugien-major; ils
prirent d'une part 37 et d'une autre 38 pintes de vin, et 20

sols de tabac. Le 30 avril, le sr Hémy lieutenant de la com-
pagnie arrivé au bourg avec plusieurs dragons réquisitionne
58 bouteilles de vin et à diner pour « deux meneurs 0 de
« litières qui esto.ient allés quérir les dragons blessés et de
« l'avoine pour les chevaux. ») , Le sr o Rémymepaçait . de

retourner à Carhaix et de revenir à Plourach « avec mil
çlragons ». Ayant avisé dans le placitre une jument pleine
appartenant à l'hôtbsse, il s'en empara pour renvoyer chez
Thomas, « pour sûreté des quarante sols qu'il disoit être dû
_ par jour à chacun desd. dragons ». La jument maltraitée fit
une perte: la note à payer fut en tout de soixante six li'vres
dix sept sols. »
A Plouyé, la garnison séjourne douze jours « beuvant et
mangeant continuellement » : Jeanne Le Cours fut forcée de
leur donner en argent, en quatre différentes fois, la somme
de trente quatre livres sept sols, « et ont beu et mangé chez
elle pOUl' cent douze livres dix neuf sols», ce quiJait un
total de cent quarante sept livres six sols.
Le procureur terrien, le fabrique et les membres du corps
politique ont bu et mangé une ou deux fois' avec les dragons,
elle cite leurs noms de façon qu'on puisse avoir recours sur
eux pour une somme à déduire et payable par eux, évaluée à
trente livres: . .
A Plusquellec, l'hôtelier Jean Rivoal trouve chez les dra­
gons de Saint-Joary (du quartier de Callac), pendant leurs
six jours de garnison', et la même voracité et la même soif
inextinguible: aidés' de leurs camarades venant les voir de
Callac, ils font une dépense de quatre vingt dix huit livres
six sols .
. Dans les Informations, nous voyons intervenir Francoise
Lanhen (?) hôtesse de Plourach qui a hébergé quatre dragons
pendant dix jours : bombance' comme ailleurs avec visite des
autres dragons de Carhaix et de Callac. Deux des soldats
ayantétéblessés, il fallut traiter les chirugiensde la compagnie
de Sailly et de celle de Saint-J oary, Montfort, chirugien de
Carhaix et « le nommé La Sonde se disant aussy chirugien
dud. Callac. » La note à payer se monte à cent dix neuf
li vres dix sols six deniers, mais l'hôtesse a soin de déclarer

que le « vin ayant manqué chez elle lesd. dragons en allaient
prendre chez Louise Lollivier aussy hostesse aud. bourg de
Plourach. »
Cette dépense de cent dix neuf livres dix sols dix deniers,
jointe à celle faite chez Louise L'Ollivier, de soixante six
livres dix sept sols, fournit un total de cent quatre vingt six
livres sept sols dix deniers! .
A La Feuillée, en avril, deux dragons de la compagnie de
Sailly, c( nommés Saint-Louis et La Fontaine » se présentent

chez l'hôte Jean Le Dantec: par la déposition de ce dernier
on verra que l'accueil fait aux dragons n'emprunta rien du
d'une calamité publique. Il semble qu'il était
caractère
facile de s'entendre. Si le soldat recherché
toujours
met une certaine coquetterie à se laisser désirer, aussitôt
trouvé, il se montre de bonne composition: après les salu-
tations usitées en bonne compagnie, il présente sa mère, sa
belle-sœur, ses cousines, se confondant en excuses, sur la
modicité d'une hospitalité qui se ressentait des ingratitudes
de l'endroit et aussi de la disfance des Montagnes d'Arhées
à Versailles .
Les dragons déclarent à l'hôtelier « quils étoient venus
tenir garnison, faute aux paroissiens de la Feuillée d'avoir
fourny un soldat de milice, et demandent à boire et à manger

et à luy faire parler au procureur terrien, et le lendemain
matin, le procureur terrien, nommé Salomon Le Bronnec:
François Bothorel, fabrique, arrivèrent avec lesd. dragons
et demeurèrent avec eux en compagnie de Gilles Tourtois,
et après avoir des jeu né, allèrent tous de compagnie chercher
le soldat de milice, nommé Alain, et l'ayant pris ils retour­
nèrent tous chez le diposant (le débitant) et beurent conti­
amenèrent ledit
nuellement jusques au samedy matin quils
soldat à Carhaix. L) hôte de la Feuillée cc dit que la mère
. dud. soldat venoit tous les jours voir son fils, laquelle beuvoit

et mangeait toutes les fois quelle y venait et .fut accompagnée
deux ou trois fois de deux cousines aud. soldat et de sa belle­
sœur, lesquelles se mettaient aussy à tal;le et mangeoient avec
lesd dragons. Et nous a encore dit qu'Alain Le Fullou,
Barnabé Mével, le nommé Grall, de Kerbron, Mre Henry
Hamon, Louis Teurtroy, et Mre Jan Pezron, ont aussy beu
dragons, aussy bien que Noël. Mével
bien souvent avec lesd.
.et Henry Pichon, de manière que la dépense qui a esté laite
chez luy se monte à soixante q'uinze livres trois sols. ))
Nous avons parlé plus hau t de l'expédition des dragons à
Plourach : elle fut tragique et les soldats de Sailly eurent à
y subir une véritable escarmouche, ainsi qu'il ressort de
l'interrogatoire fait par le sénéchal, le 8 avril 1696, en la
maison de Georges Thomas, hôtellier au bourg de Plourach.
Le 6 de ce mois, vers huit heures du matin, le procureur
syndic de cette paroisse accompagné d'un notaire et de cinq
paysans prièrent le premier brigadier de la compagnie de
venir avec eux arrêter le soldat de milice nommé pour leur
paroisse: celui-ci prit trois dragons pour escorte. Arrivés
au domicile du réfractaire, ils trouvèrent portes closes. Alors
le procureur terrien et ses témoins les conduisirent à Res­
taubic, où il y avait d'après eux (( des bœufs appartenant
aud. soldat de milice ou à ses parents et l'un des paysans qui
accompagnaient le procureur entra dans l'escurie et des tacha /
quatre bœuffs qu'ils sont estants mis en debvoir de les con­
duire aHd. bourg ». Al' entrée d'un carrefour, les dragons
reconnaissent un des députés qui (( avoient beu avec eux le
soir précédent »). Une trentaine d'hommes et de femmes l'ac­
compagnaient armés de fourches de fer, de tranches, de
précipitent sur un
faucilles, de fléaux, etc. : les femmes se
des dragons, Joachim Noël, et une grêle de pierres accable
l'escorte de toute part. Noël reçoit nn coup de faucille à la
main. Deux paysans embusqués derrière un fossé portaient

,cqaC\lp l.J.!1 fusil. Un qutre dragon Jean Le Quellec, tomba
. frappé mortell~m~nt.
La lutte avait été acharnée et les pièües à conviction remises
à la justice donneront à le comprendre: c'était cc un sabre
sans foureau dont le bout est cassé, et sa poignée faussée et
tout rem ply de terre, un fusil dont la crosse est détachée du
canon, le reste du fusil tout cassé, plus un autre canon de
fusil dont toute la crosse est emportée et partie des fers et le
canon cassé. Et un autre bout de fusil cassé presque par la
moytié sans crosse, toutes lesquelles armes avons fait dépo­
ser au greffe, etc. »
Un procès-verbal de rébellion, déposé entre les mains du
sénéchal par Me Philippe Estienne, huissier audiencier, le 6
mai 1696, nous fournit le même tableau de résistance et de
sHllyag~rie : 1;1 sc~n~ se passe dans la trève de Lanriven, en
tH paroisse de Bothoa,
Aux fins de l'ordre à lui donné par le bailly subdélégué de M. de
Nointel, commissaire du Roi, de se transporter avec Joseph
Leguyader, trésorier fabrique et procureur Terrien de la trève de
Lanriven, paroisse de Bothoa, pour prendre et arrêter « les nommés
(;lHlrles Lecoller, Jan Le Pennerou, Rolland Le Magorou, entiens
soldats désert.eurs, a scavoir depx d'entre eux ou, à leur deffaut,
deu4 de leurs proches parents ». M' Philippe Estienne, s'acquit':
, tant de sa commission, se saisit de la personne, de Claude Le
Magorou, frère de Rolland, le déserteur, voyant que toutes les
perquisitions étaient inutiles. Il sê mettait en devoir de conduire sa
capture, ( lorsqu'il entendit crier de force de toutte part que grand
« amas et affiuance de femmes, filles ou garsons faisait retantir et
les habitants de tous les villages circonvoisins
( saperceut que tous
ven oient à la traverse des champs et des chemins fondre tant sur
luy que sur ses assistants, et le procureur terien et le siem du
'Tertre, les uns armés de fourches, les autres darmes offansives et
alltres instruments lesquels ayant entouré le supplyant de tout
cotté et surtout Henry Magorou frèr.e dud. Claude, Yves Sira' saisy

d'une palle, Yves Danniel et son valet et poil blond (sic) saisy dune
fossille, Rolland Le Pouppon, Jean Le Rom, François Jolly, filleur de
laine, la bellA-fille de Guillaume Le Meur, la servante duq. YVf\S
Daniel, soutenue de son maistre, Marc Le Poupon et autres des
nomées et accusez auq. procès-verbal, aurùierlt maltraité de coup
et assasigné en l'endroit sans que la. prudance de vostre sitplyant
trolia le secret de s'en mettre à couvert .... Et comme cest attantat

aux ordres de Sa Majesté, ce mérite pu~ition exemplaire ".
Aux portes mêmes de Carhaix, en Plouguer, nous voyons
en 1691 la même rébellion, et c'est le sénéchallui-mème,
après le procureur terrien de Carnoët qui constate les déser­
tions croissantes des élus de la milice.
La paroisse de Carnoët avait bien désigné Jean J.J~ Razer,
pour soldat de la milice : il ne parut point à la revue passée
par le Sr de Plainville, commissaire des gu~rres de 1;1 pro­
vince; le proc~reur terrien sur réquisition. répond n'en pou ...
voir fournir d'autres « attandu qu'aussy tost qu'ils sont norn-
<ç més ils se cachent et reffugient dans les paroisse$ voisine$
« comme a fait led. Razer en la maison dud. Jacqugt " »), au.
village de la Villeneuve, paroisse de Plouguer-Carlwix, Le .
jour-même de la revue, 15 mars 1691, Jacques Abiven, nom­
mé Basseoille, sergent au régiment de Carman, de la compa­
gnie du Sr de Boisglé, prend avec lui cinq soldats et $e pré­
sente à la Villeneuve, ver.s quatre heures de l'après-midi.
Là on s'empare de Razer « qui est un jeune gal~çon fort bien
« fait et capable de porter les armes )). Une fois en route, l~
réfractaire crie à la force: les habitants aooourent, s'élancent
sur les soldats, les menacent de leurs fourches et de leurs
pelles, si bien que le sergent et ses camarades durent lâcher
leur capture pour SHuver leur vie, lapidés qu'ils étaient par
~ne gr.èle de pi~rres lancées sur eux' aVeC aycompagnement
d'imprécations de la plus grande violence.

, M. le-chanoine Peyron, vice président de la Société archéo-
logique du Finistère, veut bien me communiquer un docu-

ment conservé au presbytère de Sainte-Croix à 'Quimperlé.
Cette pièce curieuse en elle-même et dans sa rédaction est
précieuse, en tant qu'elle est un démenti de plus à cette asser­
tion de savants dont la compétence n'est guère contestée,
prétendant que le remplacement, la substitution n'existait pas
sous le régime de la milice provinciale (1). Or ,le cas que nous
présentons ici est, bel et bien, un cas de remplacement agréé
par le capitaine de milice et souscrit par toute une paroisse.
Le premier avril 1696, deux notaires, à requête de Jean
Le Calvez procureur terrien de la paroisse de Tréméven,
arrivent au chef-lieu de cette communauté « en lendroit du '
'poste communion de la grande messe célébrée par Mr le R r
de Tréméven ». Avec Yves Tamic, fabrique, se trouvèrent
assemblés nombre de paroissiens « faisant le corps politique
'et la plus saine maire voix d'icelle paroisse » : vingt cinq
d'entre eux sont désignés par leurs noms. .
Le procureur terrien remontre :
Que le Roy ayant par ses édits ordoné que lad. paroisse de Tré­
pendan~ la guerre,
méven eut fourni un soldat pour son service
ce quelle a faict tous les ans depuis le comencement des guerres;
mais come le nomé Le Dréa'l.t qui étoit allé' à la campag'l.le der-
nière au serrice SOU!) le comandement du sr Chefdubois capitaine
de milices au régiment de Guébriant n'est revenu de retour de lad
c'est pourquoy led. ST de Chefdubois de lordre de S. M.
campagne,
auroit ordoné auxd , paroissiens de fournir incessament un soldat
en leur acquit la campagne présente Ainsi led. pro­
pour faire
·cureur terrien ayant trouvé le nomé Alain Vasselain de ' la rue du
(1) Tocqueville et Boutaric ont affirmé d'une manière absolue que le
remplacement était interdit dans les milices.
(L'ancien régime p 120). (Insfitutions militaires p 464).

Gorréquer dud. Quimperlé présant en personne, qui s'est uolontier
offert d'aller pour lesd. paroissiens au service du Roy pour le
temps de trois ans en fa veur de 48 livres par an, lequel Vasselin
a esté mesme agréé par led. S' Capitaine.
Partant led Jan Le Calvez a requis lesd. paroissiens de délibérer
ce touchant ou de nomer lun dentre eux pOll,r aller audit ser vice.
ou bien de troul~er qnelqnes autres personnes capables qui veuille
y aller à meilleur marché.
Sur quoy tous les habitants ce délibérant ont unanimement
demeuré d'accord avec led. Alain Vasselin, des conditions qui suit:
Vasselin promet et s'oblige par corps et sur le
Scavoir 'que led.
gage et vente de tous ses biens daller au service de Sa Majesté
pour lesd. parois.çiens de Tréméven sous le comandement du
S' de Chefdubois ou tel autre qui sera en sa place et aux endroits
et lieux où requis sera, pendant trois ans consécutifs à comencer
la prochaine campagne. Pourquoi faire le général des paroissiens
de Tréméven promettent de payer aud. Vasselin lasome de 48liDres
et campagne qui sera payable le jour ou celui qui
par chacun an
et pendant trois ans à comencer cette
prendera ladite campagne,

année, et pourra outre led. Vasselin faire deux questes par an:
l'une .de bled et l'autre de viande parmi lesd. paroissiens ou chacun
sa volonté durand lesd. trois ans. Et au cas où par
lui donnera
led: Vasselin revient de larmée estropié dans 'Un état à ne
malheur
pouvoir gagner sa vie, dans cette occasion pourra led. soldat faire
encore une qneste par an dans lad. paroisse pendant quit sera
estropié de ta sorte et outre aura led. soldat les deux solds par
jour durant le quartier dhiver les années quit fera campagne.
A tout ce que devant faire, fournir, tenir et accomplir se sont
Alain Vas~elin, a signé, mais tous les aûtres
lesdites parties obligés.
à la . réserve du S' recteur affirmant ne savoir
ci-devant només
et daulant que lad. paroisse de Tréméüen est une petite
signer,
1Jaroisse champestre, nous n'avons pas pu trOl/ver de prudhom­
mes po'/.(,r signer à leur req uete ».
Alain Vasselin, de la rue du Gorréquer à Quimperlé,
contracte donc un engagement volontaire et se soumet à
une véritable adjudication; mais bien avisé, pour qu'il n'y

ait pas mécompte, 'il prévoit toutes éventualités possibles, et il
pose, ea conséquence, les conditions précitées; lesquelles
acceptées, Sa Majesté n'aura de plus fidèle milicien que lC le
soldat de Tréméven ». D'ailleurs, au moment du tirage le
milicien recevait d'ordinaire de la communauté ou de ses

camarades une somme d'argent qu'en certains pays on appe-
lait convention. Cette indemnité qui avait pour objet de con­
soler le jeune homme sur les rigueurs du sort, fut tour-à­
tour interdite et tolérée par l'administration. (i)

La chanson gauloise et le roman plus ou moins historique,
nous ont familiarisés avec le recruteur du Quai de la Ferraille
ou d'ailleurs; avec le racoleur plus ou moins délicat, avee le
soldat maraudeur et le déseI'teur de l'armée du bon vieux
temps. .
En . l'absence d'actes authentiques œengagements, il ne

pous reste comm0 source d'informations que les pièces de
procédures criminelles et d'enquêtes sur des tentatives de vol
et de violence' que le roi réprouvait et que les intendants
recherchaient avec passablement de diligence: ce sont des
faits exceptionnels, contrariant ce qui était l'état normal et
régulier de la société et des individus, et ces actes se
présentent en relief par là même, justement qu'ils ne se
produisent pas tous les jours. C'est ainsi que l'on doit

considérer les faits que nous rapportons plus bas touchant
leracolement sous Louis XIV .
En 1692, comme il l'explique dans sa plainte lx M. de Nointel,
cc le lundv troisiesme du mois de novembre, Jean Le Floch fust en
« la ville de Carhaix, à la foire de la Toussaint et pour y acheter des
« bestiaux;. dont il faict commerce. Peu de temps apprès son arrivée
« en la ditte ville, il fut abordé de quatre ou cinq soldats qui y sont
. (1) Babeau, la vie rurule p. ~93.

« en gardier dhyver de la compagnie dont le sr de la Gondinière
« est lieutenant Ils furent saisirent led. suppliant au corps et le
« constituèrent prisonnier aux pri.sons dud. Carhaix où il est
« depuis destenu, et pour prétexter à cette violence ils disoient que
« le suppliant estoit engagé au service du Roy, ce qui est soubz
« correction, ledit Le Fl e, ch contestant formellement avoir ,jamais
« donné son consentement à aucnn engagement, ny avoir parlé
« ny en aucune société avec lesdits soldat.':; en ouCttne manière que
« ce soit ... Ce qui oblige le pauvre suppliant d'avoir recours à vos­

« tore auttorité pour loster de la llaptivité où il est réduict qlti est un
« attentat aux ordres du, Roy qui fait deffense à tous officiers
« de prendre aucun de ses subjects pal' force pour son , service.ld
Le pauvre villageois supplie le sr de la Gondinière de lui
faire ouvrir les portes de la prison: il lui fait sommation
par un notaire royal: le lieutenant n'en fait nul cas; Enfin, le '
bai.11i de Carhaix reçoit de l'intendant, ordre d'enquêter.
Trois témoins comparaissent et attestent aussi vrai, que .

le pauvre Floch avait reçu des coups de baguettes sur la
tête, de la part des cinq soldats au 'marché au blé noir, que

jamais il n'avait été question de son engagenient au service, du
roi et du Sr de La Gondinière: capitaine d'unecornpagnie fran­

che de la marine. Sans compter le greffier, dans cette informa .
tionil y avait Alain Floch, trois témoins assignés; et le bailli: '
sur ces cinq, certes, ce n'était pas le bailli 'qui en était le
moins convaincu !
L'intendant de Bretagne du reste, comme tous les inten­
dants des autres provinces, avait une terrible expérience de
ces racolements violents qui rappelaient le système d'enrô­
lement de la presse, jadis employé largement dans la vieille
Angleterre et dont on avait fait une institution. Aussi ne
dût-il pas être surpris à la lecture de la plainte suivante à
lui adressée, vers avril 1693, par deux pauvres diables de
Poullaouen auxquels survint la triste aventure qu'ils racontent
par le ministère de Me Berthelot. '

A monsieur le marquis de Nointel, vous remontrent très humble-
ment Jan Carrer et Jan Pol, hommes mariés et pauvres laboureurs
de la paroisse de Poulaoüen, prés Carhaix, que le mardy quatrièsme
mars dernier, estant allés à la fOir,e de Scrignac, leq. Carel pour
vendre un ûheval et leq. Pol pour achepter des bœufs, le nommé
Revol, soldat de milice de la paroisse de Berien, s'est déguisé sous
un habit de païsan, fut avec le nommé Pierre Bothorel marchander
led. cheval et, le prix fait à 18 livres, ce soldat di st à Carer de le
suyvre dans l'hostellerye pour recevoir son argent. Y allant, ils
firent rencontre dnq Pol, quils menèrent avec eux; après avoir

tous montés dans une chambre de lad. hostellerye, ce soldat déguisé
fist au moment monter le sieur de Kermélec, officier de milice,
avec quatre soldats, lesquels mirent l'épée à la main et se saisirent
desq. Carer et Pol disant qu'ils vouloient les faire marcher au
service du roy, quoyque la paroisse de Poulaoüen ayt fourny ses
soldats et que leq. sieur de Kermélec ne soit point officier de ce
quartier là, et après les avoir liés ensemble d'une manière ]a plus
cruelle qui ayt jamais esté, ayant les bras et les mains liées par
derrière en des gesnes extraordinaires. On les fist sortir dans cet
estat de lad. hostellerye escortés tant duq. sieur de Kermélec que
du sieur Lanurien, son frère, du sieur Chevallier de Kermur, des
- soldats et autres qui avoient les uns le pistolet à la main et les
autres l'épée et furent conduits chez leq. sieur de Lanurien père,
où ils restèrent toute la nuit sans estre déliés, sans boire ny manger.
Le Lendemain 5' duq. mois leq sieur de Kermélec et deux soldats
les conduisirent ~ Morlaix liés et garottés sur des chevaux chez
le S' du Runiou auq. on les rendit pour les envoier au sieur de Coa-
damour son frère capitaine au régiment de Picardie. .
Le 6, led. sieur du Runiou et ses gens les menèrent a Guingampt,
le 7, led. Carer s'échapa dud. Guingampt, et Pol faisant ses com:­
plaint~s, et se désespérant, il y eut un cavallier se disant capittaine
qui luy demanda ce quil avoit et luy ayant compté la chose, il luy
dist que cela estait contre lintention du Roy, .et qu'il n'entendoi t
pas quon prist SfS gens par torce, si bien que parlant au sieur du
Runiou, on lui dist pour toute response quil failloit quil mar-
chast ou quil eu st donné de l'argent de mànière pour acquérir sa
liberté il fut obligé de consentir à un acte de 60 livres payable dans

quin~e jOUl'S à Morlaix chez Madame du Runiou sans sçavOlr au
profit de qui il sobligeoit, et croit que ce fut led. sieur du Runiou
au moyen de quoy led. sieur du Runiou luy
qui signa pour luy,

donna un biUet de congé qu'il référa fait à Chastelaudren quoyque
ce fut à Guimgampt, lequel ayant fait lire il se trouva qu'il ne por­
tait congé que jusqu'au jour de Saint-Michel prochain, mais de
retourner pour le faire changer, il n'osa de crainte d'essuyer encore
violenCès, et comme on les menace encore de les faire
quelques
marcher, ils ont recours à vous, Monseigneur, et su plient vostre
Grandeur de les délivrer de toutes ces persécutions, vous priant de
considérer. qu'il Ee commet unp, infinité de pareilles actions dans
la lias e-Bretagne par les foires et marchés si bwn que s'il n'y est
remédié il n'y aura plus de liberté publique, et le commerce '
demeurera entièrement r'uiné.
Les suppliants réclament protection et justice .et en ce cas, ils
se déclarent à l'in tendant : « obligés de prie r pour sa santé et
prD."ipente. »
Signé: BERTHELOT, Procureur.
Le recrutement trouvait une clientèle moins grincheuse
et mieux préparée à ses avances, même à Carhaix.
Nicolas Marion est détenu aux prisons de la ville: pour
quelque coup de tête, sans doute, car rien n'indique le
crime, le délit ou la contravention qui le prive du grand
air et du soleil du bon Dieu. Dans sa supplique à M. le
sénéchal, il se pose en victime ' de la malveillance: on a
enquêté, mais il proteste avec fierté qu' « il l)e s'est point
« trouvé de preuves de ses mauvaises vyes; «( néantmointz, .
« toujours détenu », il apprend « qu'il y a un capitaine de
« la part de Sa Maiesté pour leDer des soldats de ceste pro­
« vince pour le sous tien de ses armes ». Notre paladin Car­
haisien se sent transporté d'une noble ardeur pour uue telle
cause et le déclare au sénéchal: «( Il désire aussy soubz le bon
plaisir, (c , de vostre justice estre enrolléaunombre de l''lmdeux ...
« En ordonnant luy (aire ouverture des prisons ou il est
« debtenu, comme dit-il, et ferez bien ».. .

La pétition est communiquée au procureui' du Roy et ses .
conclusions sont favorables: « Veu la requeste cydessus je
« cotlSehs pOUl' le Roy que les portes des prisons soient
« oùvertes audit Nicolas Marion, obser'vant ses offres .et les
c( effectuant et payan,t la dépense à la geolle. » .

Faict et conclut à Carhaix) ce jour 2g mars 1672.
Philippe-Emmanuel OLYMANT, pr du Roy.
La suppliquê est signée par Marion d'une écriturë fort
belle et expérimentee, de l'écriture d'un notaire qui écrit
bien. Il ne fut pas besoin d'un Homère ou d'un Virgile pour
chanter les exploits du jeune engagé; à peine deux ans
après, il, son tour il mettait les gens en prison et on le vovait
général et d'armes de la juridiction de Carhaix. Sa carrière
militaire fut donc courte, supposé qu'eUe eùt été bien écla­
tante.
t'est un devoir de ne pas: oublier que c'est à Louis XIV
qUe r'èvient l'hoIineLlI' de mettré un tet'me, ou du moins de
le tenter, aux exactions des troupes dans les .campagnes.
, cc Si le càpitaine vole le soldat, disait d'Assoucy; cela s'ap-

cc pelaît le tour du bâton; le soldat volé par le càpitaihe
(c vole le paysan, et ce vol s'appélle vivre sur le bonhommé;
il le pay'san volé prénd tout ce qu'il rencontre dans son dé ..
« sespoir, et ce vol s'appelle dfOit de représailles »
Mauvaise aventure ' pOLlr le pays où ëantonnalent des dra-
gons ! . Rien de moins rassurant que la rencontre d'un de
lElurs régiments. Ils, faIsaient métier de détrousser et de déva"
liser les voyag~urs. On se félicitait lorsqu'ils ne s'attaqLlaient
qu'aux basses'-cours ' et ne tordaient le cou qu'aux poulets.
Dàns ce pàys de Carhaix, pays de maraude s'il en fut alors, .
on n'avait pas lieu de s'étonner de ces faits et gestes de ces
dragons entreprenant la capture de bœufs ou de porcs;
c'était entrer dans les coutumes du pays tel que nous le
représentent les pièces d'archives .

Un seul fait, mais souvent reproduit, nous édifiera à ce
sujet. En 1674, Me Jean-Denis Voisin raconte quc,le 22 mars,
qui était un mercredi, il arrivait au Tymeur pour relever des
dègàts commis par gens du quartier. Il se trouve nez à nez avec
. neuf bêtes à cornes: suivant la . coutume usitée, il veut leur
faire faire route « pour les emparquer »; mais voici comment
on récompense sa bonne intention : vingt-cinq' paysans, ·
«. tant hommes que femmes » l de fondre sur lui, « lesquels
« lui ayant demandé ce quils vouloient, ils Illy répondirent
« quils vouloient Iuy donner une pièce d'argant affin quil ·
« lessàt aller lesd. bestiaux et non pas en donner cognois­
« sance de la prise quils en avoient faict au chasteau du
« 'l'hymeur ). Il refuse et il va s'en dire qu'il fut grièvement
maltraité et puni de s'occuper des affaires qui ne le regar-
daient pas. .
Dans une information faite par le sénéchal (22 mai 1693),
nous trouvons relatés les sinistres exploits de dragons, en la
trêve de Locarn, paroisse de Duault.
Anne Conan, veuve de Jean Coz, 68 ans, dépose:
« Que le mercredy avant le mardy gras dernier, environ deux
heures de nuit, estant en sa demeure avec Anne NédeIlec, sa petite
fille âgée d'environ quinze ans, arrivèrent six dragons, deux des-
quels entrent en sa maison apprès avoir détaché la porte par force
et violence de sa sitüation ordinnaire et les quatre autres demeu­
rèrent aux environs ; du nombre desquels le témoin ne connaît

que le nommé Landrévet dit La Pl'Umme, qui luy a esté ce jour
représenté aux prisons de cette ville, et quelle a reconnu pour un
desdits dragons. Et nous a dit que les dragons qui entrèrent en
sadite demeure enfoncèrent son armoir et en emportèrent tout ce
,quy se trouve dedans, tant linges, hardes que papiers et une pièce
de toille de chanvre destouppe de trante aulnes. Ce que lad. Nédel­
lec ayant remarqué et s'estant mis il crier, l'un des dragons lui jeta
une de ses chemises, et lad . témoin voyante aussi que lesd. dragons
pillaient sa maison cria il la force, et lad. Nédellec s'estant eschappée

aila chercher Marie Jouan, demeurante au villagè de Penchoat (et
autres femmes), de plus elle entendit plusieurs fois 'audit' Landrévet
Nédellec et les autrbs femmes qui se trou­
quil fallait violer lad.
voient, et pendant la nuit lesd, dragons mangeoient tout oe quils
en cette maison, faisants cuire du lart, buvant pres­
trouvoient
de cidre, et laissant couler le surplus en empor­
que une barrique
coste de lart, deux gros plotons de gresse quon appelle
tants deux
de loing et tout ce quils trouvoient à leur bien séance, voutu ent
mesme amener les bestia1l;x ...•. et se retirèrent en le point du
le ,o;aint nom de Dieu et battirent
jour, jurant excécrablement
cruellement la déposante. Dit de plus quelle s'adressa au sieur
du Gage, lequel escrivit au sieur de Sailly, lieutenant-colonel dudit
régimant, lequel luy promis de la faire payer et croit en sa cons-
la perte quelle a faite peut montf-)r il la somme de cent
cience que
vingt livres, sans comprendre la perte de ses papiers .... ' Adjoint
quon la voulu forcer de donner une déclaration comment eU '
avait esté satisfaite, ce quelle eu garde de (aire, n'ayant jamais

nen reçu. Ii
Les autres dépositions ne font que confirmer ce qu'avait
dit Anna Conan : un d'eux confronté avec le dragon « a
reconnu Landrévet pour estre celuy des dragons qui parloit
breton. »
D'autres charges sont relevées contre ce type du méchant

maraudeur: délit de grivellerie chez les hôtes de Carhaix, ·
et attaque à mair:t armée avec complicité du « soldat de Mo-
treff », et d'un autre de même acabit, contre des charretiers
transportant du vin de la ville de Quimperlé.
En terminant cette étude de mœurs, nous présentons un
échantillon du Déserteur, de èe fameux déserteur mis tant de
fois au théâtre, autant de fois peut-être qu'il fut mis en prison
par la maréchaussée.
Antoine Ferrouillat est un type très suggestif du Déserteur
de l'ancien régime. Le 10 janvier, 1700 il se trouve, à sa
grande surprise, é'croué ' aux prisons de Carhaix. Natif de

Saint-Antoine, diocèse de Vienne ' en Dauphiné, âgé de vingt
neuf ans. sergent de marine en même temps que « peintri
en toiles en f01~me d'indienne », au cours de son odyssée, il
originaire du
rencontre à Saint-Malo, Gilette Marchand,
diocèse de Saint-Brieuc qui l'accompagna. A Morlaix, ils
trouvent une jeune fille, Marie Guyonic et lui proposent de
montrer le procédé de peintures d'indiennes; celle-ci qui
lui
avait perdu son père depuis dix ans, accepte, entre dans ce
suit à Landerneau, puis à Carhaix. Subor-
faux ménage et le
née par Antoine Ferrouillat, elle exige le mariage: il refuse,
s'opiniâtre à refuser, puis, après des réflexions, sans doute
aussi mûres qu'elles avaient été longues, il demande la main
qui lui avait donné des fers et il est délivré en même temps
et de sa captivité et de la vie commune avec Gilette Mar-
chand. Le mariage se fit le 28 juin par le ministère du Rec-
teur de Saint-Quigeau en la chapelle estant audit auditoire',
c'est-à-dire dans la chapelle St-Yves.
comparut pour la première fois devant
Lorsque Ferrouillat
juge, après avoir décliné sa profession « de peintre
de toiles en forme d'indienne » il ajouta avec assurance sa
qualité de « sergent de la compagnie de Marine du sieur Che-
"lJalier de Langeron », et étant depuis trois mois en cette
juge lui fit observer avec surprise que s'il était ser­
ville. Le
gent de marine il devait être au service. Le prévenu lui donna

sans hésiter cette réponse ~( q'u'il est des amis du chevalier
« Langeron son capitaine et son frère l.'abbé, quy luy permet
« daller ou bon luy semblera )). Le juge dut sentir croître
d'apprendre que le chevalier et son frère
son étonnement
l'abbé étaient si faciles dans le choix de leurs amis .
On pourra lire avec intérêt l'inventaire des meubles
meublants et professionnels de ce trio nomade (1).
(1) Deux linceuls servant de rideaux, et deux autres linceuls le tout en
toile de lin, avec une couvel'ture de lei ne blanche, deux oreillers de plumes

En compulsant ces documents rétropectifs, en constatant
les terreurs qui s'emparaient du milicien lorsqu'il se trou-

vait, faible et ignorant, en présence de cet inconnu
insondable où le sort le précipitait, nous revenait à la
mémoire une lettre fameuse de la trop spirituelle marquise
de Sévigné.
« C'est une étrange chose que de voir mettre le chapeaù à
«( des gens qui n'oat jamais eu que des bonnets bleus sur la
c( tête; ils ne peuvent comprendre l'exercice ni ce qu'on leur
CI. défend: quand ils avoient leur mousquet sur l'épaule, et que
« M. de Chaulnes paraissait, s'ils voulaient le saluer l'arme
« tombait d'un côté et le chapeau de l'autre; on leur a dit
« qu~il ne fallait point saluer; le moment daprès, quand ils
CI. étaient désarmés, s'ils voyaient passer M. de Chaulnes,

avec lem sur d'orillier toile de lin avec un petit traversin de, plumes
couvert de coutil, pins une pailla che avec un linceul toile d'estoupe et une
demy cataloigne de leine, un vaissillier à 4 planches y ayànt un plaet., une
assielte, une petite mazarine et deux port.e placts, :3 quilliers et deux
fourchettes le tout dcstain, un petit chandelier de cuivre, une tasse de vene
et deux bouteilles aussy de venes, et une petite flolle, plus deux tables et
deux chézes de (lovaJ'{jat) et deux tabl1:cs ('aits de planches pOUT l1'availler à
la teinture, une petite tasse d'estain, une perre de souliers et une perre de
batz de leine bleuITe usage de filles, un trepier, .une grille, une pelle n feu
le tout de fer, un petit soumet, deux bigotes de farine de seigle en deux
pochons, 4 rasoil's, un cadenat, deux perres d'heures dont lun est gal'ny
d'argent, un estamy de crin et un plaet de terre, deux Jobelines lun de
camelot, l'autre de mousseline noire, denx cf'avattes de mousseline, six
coerIes, deux bonne~s de nuit â home dont l'un est picqué, 2 mouchoirs de
filles. 3 manchettes, un tablier à fill e de toille ra yé hleuH, autre tablier
destamine. deux veste:-i à home dont lun noir et l'autre blanche sans man- '
noi sette ayant ses manches une qullotte hleuHrée
ehes, autre veste couleur
un corset, un poillon de cuivl'e, 21 picsses de (molz.et%) de bois ]JOUT im]J1'i-
mer la toille. un pelit coffre bahut dans lequel il y a soixante et dix huit
escheux de fil de lin desli6 y comprins celuy qui est sur le dévidoué et
de mesme Hl plus un autr pelit paquet de Iil de lin
trois fuseanx chargés
y ayant !l escheux fil de lI1orlaix . un hassin d'airain de deux sceaux, ~
, buyes à eau, une demie pochée de cherbon, un pistouet avec so placque.
De plus ayant fait ouverture d'un gt'and coUre hahut estant dans ladite
chambre y ayant remarqué un mirouCl' et plusieurs autres nippes l'on fermé ,
à clet! •.

« ils enfonçaient leurs chapeaux avec leurs deux mains et
« se gardaient bien de saluer. On leur a dit que lorsquils
« sont dans les rangs, ils ne doivent aller ni à droite ni
(( à gauche; ils se laissent rouer, l'autre jour, par le carosse
(( de madame de Chaulnes, sans vouloir se retirer d'un seul
(( pas, quoiqu'on put dire. Enfin, ma fille, nos Bas-Bretons sont
« étranges, et je ne sais com'ment taisait Ber trand Duguesclin,
« pour les avoir rendus, en son temps, les meilleurs soldats de
« France. »
Le Bas-Breton, impressionnable par tempérament, ne
tremble devant le péril que lorsqu'il ne voit pas en face: si
au commencement de l'action, il hésite, c'est qu'il est le
jouet d'une illusion d'optique, qui peut le troubler momenta­
nément, mais qui disparaît lorsqu'il a touché le danger, qu'il
s'en est rendu compte, qu'il l'a mesuré. La mort ne l'épou.,.
vante pas: il est familiarisé avec elle: il n'appréhende que
l'inconnu et ses surprises. Disons-le avec une patriotique
fierté, dans ce milicien trembleur, dans ce paysan dupé par
un recruteur peu scrupuleux, pris de force même, il y avait
un soldat, un brave soldat: il suffisait de l'en tirer par une
expérience et une éducation vraiment militaires. Assoupli,
dressé, entraîné par la manœuvre et par la discipline, atta­
ché à ses chefs qui n'étaient pas des soudards, il devient ce
soldat patient, obstiné, plein d'endurance qui avance toù­
jours et ne recule jamais quand il a devant les yeux l'exem­
ple d'un La Tour-d'Auvergne ou d'un général Lambert, deux .
glorieux fils de la ville de Carhaix, ou lorsqu'il a la bonne
fortune de suivre un Duguesclin.
La marquise de Sévigné n'était pas bretonne: mais nous,
nous savons bien ~Ol1unent faisait Bertrand Duguesclin pour
al)oir rendu, en son temps, les Bas-Bretons les nteilleurs
soldats de France !
Abbé ANTOINE FAVE .