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Bulletin SAF 1898


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Le culte du soleil. La génération par le feu (Folklore du Cap-Sizun et de l’île de Sein)

M. Le Carguet

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XXVI .

LE CULTE DU SOLEIL

LA GENE AT I ON PA
LE FEU
(Falck-lare du Gap-Sizun et de i'i1e-de-Sein.)
Les feux de la Saint-Jean ramènent, chaque année, le sou-
venir et la parodie de pratiques anciennes dont le sens primi-
tif s'est effacé et le mode altéré.
Dans le Cap-Sizun, qui a vécu longtemps isolé, presque
sans relations avec le reste de la contrée, vivant d'une
existence propre, les' ·tites primitifs se sont perpétués avec
moins d'altérations ou de'-transformations que partout ailleurs.

Souvent, autour des feux de la St-J:ean, lorsque le bûcher
était près de s'éteindre et la foule retirée, nous avons .
remarqué des personnes âgées survenir, apportant cha­
cune sa brindille de bois, attiser à nouveau le feu, et,
pleines de recueillement, se livrer à des cérémonies toutes
différentes des farces usuelles qui venaient de se passer .
Nous avons observé, interrogé ces personnes; nous avons
prolongé notre enquête durant plusieurs années, et avons
pu reconstituer en partie ces rites, tels qu'ils se pratiquaient
dans l'ancien temps.
Voici le résultat de nos recherches:
. Le bûcher était entouré d'un cercle de neufpierres, appelé
Kelc' han tân, le cercle du feu.
On l'allumait en neuf endroits différents, en commençant
par l'Orient.
Aussitôt que la flamme s'élevait, des jeunes gens, arm'és
de torches ou de tisons pris au bûcher, alternant avec des
jeunes filles, les cheveux épars sur le dos, et tenant à la main
une tige verte d'orpin (Sedum latifolium), défilaient pro-

cessionnellement, devant le foyer, en faisant trois fois neuf
tours. Nous n'avons pu déterminer, avec certitude; le côté
par lequel commençaient les circonvolutions .
Les j~unes filles inclinaient, au-dessus du feu, les tiges
qu'elles avaient à la ,main, tandis que les jeunes gens agi­
taient, au-dessus de ces tiges, leurs torches enflammées, en
décrivant des séries de trois cercles .

Le dernier des tours achevé, la procession s'arrêtait. Les
jeunes gens franchissaient, en sautant, trois fois, 'le foyer;

puis, s'emparant des jeunes filles, les balançaient neuf fois,
au-dessus du feu, en faisant l'invocation: (( an naD J, ..
. an naD 1... an naD !... » .
Les jeunes gens se répandaient ensuite à travers la cam­
pagne, décrivant, avec leurs torches, des cercles de feu, en
crIan ,a tous es ec lOS: (( an naD .. an naD '" an naD ... »
pour indiquer que le rite mystérieux était accompli .

Les jeunes filles, au contraire, entraient chez elles, pour
accrocher, aux poutres, les tiges qui avaient été passées au
feu, et qui devaient, comme conséquence de ce fait, sans terre,
sans eau, suspendues en l'air, croître, fleurir et fructifier.
A l'Ile-de-Sein, on allumait trois feux. La procession des
torches se faisait au déchal de la mer, à l'extrémité Est de
l'île, en inclinant toujours la flamme vers l'orient. Ces feux
. exerçaient une influence sur les éléments: ils ramenaient
le calme sur la mer et dans l'air, pendant leur durée .
Le lendemain des feux de la Saint-Jean, tout travail était
interdit aux jeunes filles, même le travail de la maison. .
Ces cérémonies sont les restes du culte du soleil, ou la
génération par le feu. .
' Le bûcher, tânTAD, le feu PÈRE, entouré d'un cercle de neuf
pierres et s'allumant à l'est, du côté où le soleil se lève, c'est
l'emblême de l'astre qui ranime la nature, donne le germe

de la vie.

La plante verte qui a reçu, par le feu, ce germe, est l'image
de la terre, de la nature, fécondée par le soleil.
An nao, les neuf, c'est le nombre. des mois que l'enfant est
porté dans le sein de sa mère; l'espace de temps que la
graine, confiée à la terre, met à germer, croître et fructifier.
C'est aussi ]e nombre des degrés qui constituent la famille
indo-européenne, (i ) comme le nombre trois, indiquant celui
des degrés de parenté en ligne directe (2), est la base de
cette famille.
Une autre cérémonie qui se pratiquait anciennement à
l'extrême pointe du Raz rappelle également ce mythe.
. Après qu'une lande était défrichée et que la terre avait
. reçu, pour la première fois, la semence, les laboureurs, avant
de quitter le champ, réunissaient, en faisceaux, leurs ins­
truments, les manches fichés en terre. L'un d'eux se hissait
sur les fers, et debout, tourné vers l'orient, prononçait les

mots magIques: « an naD ... an naD .... an nao. ... », qUI
devaient attirer la fécondation sur le champ.
ActueJlement, l'herbe de la Saint-Jean passe pour possé­
der des propriétés merveilleuses : .
Sortie de la flamme du bûcher, on la pose toute t'umante,
sur la figure, pour donner la clarté aux yeux, fortifier la vue.
C'est un signe de vie dans la maison où elle croît; un
signe de mort, avant la fin de l'année, là où elle se flétrit,
ou tombe.
Lumière et vie! toujours l'ancien culte du soleil.
H. LE CARGUET.
(1) Trois en ligne directe ascendante, trois en ligne directe descendan te,
en ligne colla téra le.
trois
de Jubainville, d'après Leist. Revues des traditions popu
(D'Arbois
laires 1898 - p. 292).
('2) Père, grand'père, bisaïeul.
id - p. 289) .