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Bulletin SAF 1898


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Pierre gravée de Kermaria, en Pont-l’Abbé (Finistère)

P. du Chatellier

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XXIII.
PIERRE GRAVEE DE KERMARIA
En PONT-L'ABBÉ (Finistère)

Le 30 avril 1895, en défrichant un terrain, jusque-là resté
l'Ouest des édifices de Kermaria,
inculte; on découvrit, à
sur le sommet du coteau dominant, au Nord-Ouest, l'estuaire
qui forme aujourd'hui le. port de Pont-l'Abbé, une borne en
forme de pyramide, à base et à sommet arrondis, dont les
portent des sculptures. L'inventeur m'ayant
quatre faces
fait prévenir de sa découverte, je me rendis immédiate­
ment sur les lieux, et, après en avoir fait l'acquisition, je
la fis transporter chez moi, où elle fait aujourd'hui partie de
mes collections.
petit monument a 83 centimètres de
L'ensemble de ce
hauteur totale et 0 m. 70 de largeur à la base, la partie
, sculptée ayant 0 m. 50 de hau~.
Les sculptures forment, sur chaque face, un table.au
limité, en haut et en bas, par une bande sculptée qui entoure

sans solution de continuité .
le monument
sur ce monument je lus
Des sculptures qui se trouvent
facilement celles des deux faces 1 et II, ainsi que celles qu i
et en bas. Mais je restais indécis sur
l'entourent au sommet
l'interprétation des signes sculptés sur les deux autres

faces .

Je pris le parti de photographier ses quatre faces séparé-
ment et d'en envoyer des épreuves à Messieurs Alexandl'e
Bertrand et Salomon Reinach. Ils me répondirent qu'ils ne
doutaient pas que le monument fut Gaulois et d'un g'rand

Interet ..

Je n'en doutais pas non plus, mais je n'apprenais rien sur
les signes reproduits sur ses faces III et IV. .
A la session du Congrès de la Société française d'archéo­
à Morlaix en 1896, je produisis mes photo­
logie, tenue
et je lus une courte note expliquant les sculptures
graphies
gravées sur les faces 1 et II et celles limitant les tableaux
(1). Je fis appel à la perspi­
sculptés en dessus et en dessous
cacité de nos collègues au sujet des signes représentés sur
les faces III et IV. Mon appel resta malheureusement sans
écho. Force me. fut d'attendre encore avant de livrer mon
à la publicité.
monument
Enfin cette année, dans le courant de l'été, j'eus la bonne
J-F. Hewitt, ancien
fortune d'avoir la visite de Monsieur
gouverneur .dans l'Inde, où il a passé la plus grande partie
de sa vie, s'attachant à étudier les monuments anciens du
il a vécu, et la religion Hindoue qui n'a plus de
pays où
mystères pour lui. En apercevant mon petit monument,
dressé dans le vestibule de mon habitation, il me dit que sa
rencontre ici était d'or pour lui .
A son retour à Bruxelles. où il habite une partie de
l'année, M. Hewitt m'envoya une très savante brochure
extraite du bulletin de la Société d'anthropologie de cette
intitulée: L'histoire et les migrations de la croix et du
• ville,
sû-astika ».
Depuis il m'a demandé des photographies du monument
à loisir il m'a éCrit
de Kermaria. Après les avoir étudiées
une très intéressante lettre, dans laquelle, ainsi que vous le .

verrez plus bas, il me donne l'interprétation des signes
sur les faces III et IV.
gravés
Mais, avant d'étudier les sculptures de notre monument,
disons quelques mots du milieu dans lequel il a été trouvé .

(1) Cette note n'a pas été publiée.
DU FINISTERE '
Hôte •

Il a été exhumé à cent mètres à l'Ouest des édifices de

Kermaria, dans un terrain inculte. n était placé à peu près
au centre d'une sorte de chaussée de deux à trois mètres de
large, empierrée de petites pierres non taillées, se prolon-

geant sur une vingtaine de mètres suivant une ligne Est­
Ouest. Le monument était renversé, la face 1 contre terre,
si bien que relevé cette face regardait le soleil levant .
A cent mètres à l'Ouest du monument, on voit un petit
tumulus de dix mètres de diamètre sur un mètre de hauteur.
L'ayant ouvert en 1896, nous avons rencontré au' centre un

formé de quatre dalles posées de champ en terre,
coffre,
recouvert d'une cinquième dalle affleurant à la surface du
sol environnant. Ce coffre, mesurant intérieurement 1 m. 40
de long sur 0 m. 78 de large et 0 m. 40 de profondeur, était
sans dallage au fond. Il ne renfermait que des restes inci­
nérés et quelques éclats de' silex sans caractère.
400 mètres à l'Est de Kermaria on voit, sur les terres
de Kerséoc, au sud de la route de Combrit à Pont-l'Abbé,
plusieurs tumulus, qui ont malheureusement été explorés
à une époque inconnue. Toutefois quelques fragments de
la structure de ces monuments me font penser
poterie' et
qu'ils remontent à l'époque du bronze. A cent mètres de
remarque des ' traces de retranchements
ces tumulus on
et d'habitations qui semblent indiquer qu'il y a eu là urt
centre de population assez important.
Un peu plus loin, toujours au Sud de la route de Combrit,
dans le bois de Kerlouarn, on voit également des traces
de retranchements et d'habitations, ainsi qu'au Sud-Ouest
de Kergus. .
tout le coteau , sur le sommet duquel
Comme on le voit,
a été recueilli le monument de Kermaria , a été occupé, '
à une époque des plus reculées, par des populations très
denses.

Ceci dit, décrivons les sculptures gravées sur notre
monument.
Voici ce que je dis en 1896 au Congrès de Morlaix sur
les gravures relevées sur ses faces 1 et II.
Face 1.. Des cartouches qui décorent ses quatre faces,
celui de la face 1 nous montre un ornement bien connu, le
sû-astika (1). C'était, chez les peuplades primitives, un signe
favorable que l'on trouve un peu partout dans le monde

connu des anciens; en Angleterre, en Gaule, en Italie, dans
la vallée du Danube, en Scandinavie, en Grèce,en Asie, dans
l'Inde enfin où il joue un rôle considérable, comme nous
la plus lointaine antiquité et encore
allons le voir, dans
aujourd'hui. Toutefois c'est la première fois que le sû-astika,
suit la traînée de l'Inde jusqu'en Gaule par la vallée
dont on
du Danube (2), se trouve sur un monument jusqu'au fond de
la Gaule Armoricaine. A ce titre déjà la pierre gravée de
Kermaria a une importance considérable. . .
Le sû-astika, avec ses crochets ' tournés de gauche à
droite, porte dans la religion Hindoue le nom de sû-astika
et lorsqu'il a ses crochets tournés de droite à gauche,
mâle
sur . la face 1 de notre monument, le nom de
comme
sû-astika femelle. Dans ce cas quelques-uns l'appellent
aussi sauvastika. '
Edward Thomas dit en parlant du sll-astika
Monsieur
« Autant que j'ai pu suivre et ratta­
mâle et du sauvastika :
cher les unes aux autres les manifestations diverses de cet
emblème, toutes et chacune s'expliquent comme une concep­
primitive- des mouvements solaires: »
tion
Le sû-astika, avec ses crochets tournés à droite, était un
vieil emblème chez les populations Aryennes, un symbole
(1) On écrit également swastika. Dans le beau livre dernièrement publié
par M. Al. Bertrand, La ,"eligion des Gaulois, les Druides et le Druidisme,
on trouve trois chapitres consacrés au swastika ou croix gammée.
(2) Roule suivie par les populations primitives qui ont émigré d'Orient en
Occident jusqu'au fond de l'Armorique, emportant avec elles les croyances
les sculptures gravées sur le monument de Kermaria .
représentées par

de la lumière, de la vie, de la santé, de la richesse. Il était
le symbole du soleil du printemps, par opposition au soleil
par le sauvastika.
d'automne représenté
Dans son travail sur le sû-astika, M. Hewitt nous apprend
que les marchands de l'Ouest des Indes tracent, encore
aujourd'hui, au commencement de leurs lettres et de leurs
factures, le signe du sû-astika mâle, l'oiseau solaire qui
nord au sud, entre le solstice d'été
chaque année voyage du
. et le solstice d'hiver.
. Le sû-astika qui est peint ' en rouge comme la ligne de
Vasu ou de Vishnu, est, nous dit M. Hewitt, le signe du Dieu
Gan-esh, le Seigneur (iska) du pays (gan), qui est aussi le
. Dieu du nuage pluvieux de la mousson.
Ces mêmes gens emploient aussi le sû-astika femelle,
la rouleur du Dieu Nila, qui est le roi
peint en bleu foncé,
du Sud dans le Mahâbhârala. On le retrouve à la fin de leurs
livres de comptes, comme le signe de la déesse du temps
la nuit.
(Kala) appelée Kali, la déesse noire de

Ils honorent les sû-astika comme les emblêmes du soleil
solsticial et croient que le sû-astika mâle, symbole des
pluies du solstice d'été, porte bonheur.
D'après M. Hewitt, le sû-astika tire son origine de la
Saint-André ou croix de l'oiseau volant, l'oiseau
croix de
mère de la mythologie indienne. Le nom du signe indique
et les coutumes attachées à ses deux
son origine indienne,
formes dans les Indes prouvent qu'il représente la course
Ciel.
annuelle du soleil dans le
Dans la mythologie Hindoue, Astika est le Dieu qui vint
en aide à Janemejaya, fils de Parikshit, dont le nom signifie
« le soleil qlli fait le tour du Ciel », quand il sacrifia les
est
Dieux serpents, les Nagas. L'histoire de ce sacrifice
dans le poème épique des Hindous, le Mahâbhârata. Il y est
raconté comment Astika obtint la vie du serpent Takshaka,
le frère de sa mère, dont la morsure avait tué Parikshit. Ce

dernier était le Dieu soleil gouvernant l'année de l'étoile à
huit rayons (1).
Les deux formes du sû-astika sont une méthode mythique
pour exprimer que les adorateurs de l'Astika, le voyageur
qui parcourt le Ciel à travers les étoiles, marquant, d'après
les astronomes des Indes et de Babylone, les points des
solstices et des équinoxes, commençaient leur année au
solstice d'été, c'est-à-dire quand le soleil, comme les pointes
du sû-astika mâle, tourne vers le Sud, et, d'autre part, qu'ils
ont substitué cette manière de compter le temps à celle des
anciens adorateurs du soleil, étoile du jour, dont l'année

commençait au solstice d'hiver. quand le soleil, comme les
pointes du sû·astika femelle, tourne vers le Nord.
L'exactitude de cette interprétation, dit M. Hewitt, appa-
raît clairement dans l'histoire du Su, mot qui en sanscrit
signifie sève de la vie. .
Face IL Les sculptures de cette face, ainsi que je l'ai
dit au Congrès de Morlaix, sontla représentation de l'Astika.
Les lignes qui forment le carré indiquent les quatre saisons
de l'année solaire, et les huit rayons à l'intérieur marquent
les huit points de la boussole autour desquels le soleil par­
court annuellement la voie indiquée par les étoiles, qu'il
rencontre aux solstices et aux équinoxes.
Ce signe, me dit M. Hewitt, qui se range à mon inter­
. prétation: est le signe dessiné sur la terre par la charrue
sacrée, signe au-dessus duquel fut bâti l'autel du Dieu du
soleil, l'Oiseau Su.
Ayant donné, dès 1896, ainsi que je viens de le dire,
l'interprétation des signes gravés sur les faces 1 et II de la
pierre de Kermaria, je cède la parole à Monsieur Hewitt
qui est versé, comme personne, dans la connaissance des
mystères de la religion Hindoue, qu'il a étudiée sur place,
'(1) Mahâbhârata adé (Astika), traduction de Pratab chandra Roy .

vivant au milieu des tribus· de l'Inde les plus retirées, chez
lesquelles sont encore conservées les traditions primitives.
reproduire ici la
Je crois ne pouvoir :mieux faire que de
lettre qu'il m'a écrite, le 14 septembre dernier, ayant sous
photographies des quatre faces du monument
les yeux .les
lettre:
de Kermaria. Voici cette
Bruxelles, 14 septembre 1898.
« Cher Monsieur, en rentrant hier au soir d'un voyage, j'ai
trouvé votre lettre du 6 septembre dont je vous remercie beaucoup.
les photographies de la pierre de votre
J'ai soigneusement examiné
vestibule et je suis convaincu que cette pierre est une reproduction
d'un ancien autel phallique des Indes qu'on adore encore aujour­
d'hui sous le nom de Linga.
« Ce Linga est une reproduction dans la mythologie indienne du
dieu Lamga des AI{kadiens de la Mé50potamie, le dieu Lamek des
Hébreux, mari des deux épouses Adah et Zillah de la Genèse. Ces
. noms reproduisent les mots Assyriens « edu ») et « toillu », l'obscu­
et l'ombre. Ils signifient la nuit et l'aube; et c( toillu ») (l'aube)
rité
formé des deux mots Akkadiens « toir ») le serpent et « lu »)
est
race. Ainsi la mère de l'aube du matin primitif était née de la race
du serpent, les Nagas, les anciens rois Gonds des Indes. Et le mot
Nagarl. que les Nagas ont adopté comme le nom de leur père (un
mot signifiant « une cité ») et c( la charrue ») dans la langue des
Gonds) est aussi, comme le D' Sayce l'a prouvé, une forme dialec­
tique de Lamga ou Linga.
« Cet autel du Linga est plus ancien que celà dans la forme d'une
femme et l'autel de l'oiseau volant que j'ai décrit dans mon étude
sur le sû-astika. Dans les instructions données pour le faire, par
le varâka-mihira, on est commandé de prendre une pierre aussi
longue que l'image que l'on veut faire. Qnla divise eu trois parties:
la première, le 'sommet, doit être ronde. La seconde aura huit, et
Cette forme du Linga divisée en trois
la troisième quatre côtés.
parties est déduite d'une forme plus ancienne, dans laquelle le
Linga avait deux parties, le bout rond et la base quadrangulaire.
« C'est cette forme qui est reproduite dans votre pierre. Le

sommet rond, marqué avec le signe X, est le bout du membre
viril du dieu créateur, nomme Narata, ou le dieu homme (Nara) .

Ce dieu est le mari de l'oiseau, mère du ')oleil, créant la vie dans
le cours de l'année de deux saisons marquées par les solstices
d'hiver et d'été .
. « Sur les quatre faces sont dessinés :

« I. Le sû-astika femelle.

« II. Le signe de l'Astika à huit rayons.

« IlL Sur cette face sont représentés les quatre feuilles de
l'arbre sacré Palàska, né de la plumé de l'oiseau mèrwtombant sur
la terre avec le sang de la blessure faite par la flèche du dieu
Krïshana" le dieu de l'arc-en-ciel. Ce dessin marque les solstices
annuels du sol eil. '
« IV. - Le dessin de. cette face n'est pns aussi clair que les
autres; mais il représente, certainement, la croix de Saint-Georges,
le dieu de la charrue, le dieu laboureur de la terre, et le dieu de
l'année des équinoxes. Je crois qlle le pillier de la croix donne la
tige de l'arbre mère de la vie. Sur le côté droit on voit une branche
de cet arbre avec ses fruits ronds. La face IV étant à côté de la.
face III, celle des feuilles de l'arbre, sa position fortifie cette il1~er­
prétation. Le dessin sur le côté gauche de cette face est moins
clair. »
Comme nous l'avons dit plus haut, le sommet du monu-
est entouré d'un dessin continue, sorte de grecqu8
ment
dans laquelle on retrouve sans peine les lignes du sû-astika
femelle.
sur les quatre faces
Au-dessous des cartouches gravés
on voit un dessin continu, dans lequel on reconnaît facile­
signe symbolique en forme de S, si commun dans
ment le
à l'époque du bronze. Monsieur Hewitt y
l'ornementation
voit le serpent père, sous la forme du sû-astiska mâle, et
sa lettre du 14 septembre dernier: « Ce système
ajoute, dans
« de dessins complète le tableau de la descente de la race
« humaine de l'arbre mère fécondé par l'oiseau soleil

Cl régnant ·sur la terre; la terre est l'autel de Dieu selon les
« Brâhmanes. Cette terre est décrite par l'astika à huit
« rayons. Le soleil mère et père, l'astika de l'oiseau Su, sont
« marqués dessus et 'dessouspar les dessins des bordures
« où l'on trouve le scl-astika femelle au sommet et le su-astika

« mâle au-d8ssous. »

.« Si mon interprétation ~st c.orrecte, voùs avez dans cette
« pierre, ajouté ' M . . HewiH, une histoire merveilleuse des

« religion~ pri~itives. du monde.» . .
Monsieur Hewitt nl'a prié de. l'autoriser à publier le
monument de Kermaria .par la lettre q.Ui ·sl~ .it: .

Bruxelles, 15 septembre 1898 .

« Cher M .onsie,ur., '\'lon:-;ieur le S~crétaire de la Société d'anthro-
pologie de .J;lnlXelles. m'.a prié de .décrir.e, dans le bulletin de la

Société, . votre pierre merveilleuse, ,dont yous ·avez bien voulu

m'envoyer des . photogrÇlphies. ·Pouvez-vous avoir la bonté d'auto-

riser la · Société · à publier des gravures de vo,s .photographies avec
t l', ., l , .. _ . J \
une communication.,de · ll1Qi. .. '. ',' . ' .'
« Agréez, cher. M.onsieur., ma considération très .distinguée.. .
« J.-F. HEWITT. )

. Tenant à ce que le . 1I)onument de Kerm:aria 'paraisse tout
. d'·abord dans notre hulletin, ' j'~i youlu ' gès aujpu.rd'hui,
Messieurs', . V ,ous· lire : ce . ~émoire, après q\loi j'au~oriserai
M. Hewitt, que je remercie ici de la communicati,on qu'il

a. bieI1 v~ulu rp,e: fa.i.r.e à son· sujet, .à le publier ain-si qu'il le
demand.e .. " La vulg~risat~o.n . de ,la porn.e de Kermaria, dq~t
l'intéfêt n'échappera à pe~sonQ.e, 'I?-e peut, en ' effet, que

pr:o~t-er :à .nos étude~. : :.'/ . . .

P. DU CHATELLIER .
Kernuz, septembre 1898.

FACE 1.

Pierre gravée de Kermaria .

FACE II .

Pierre gravée de Kermaria .

FACE" III.

Pierre gravée de Kermaria .

FACE IV .

Pierre
gravee
de Kermaria.