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Bulletin SAF 1898


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Les anciennes corporations brestoises. Les charpentiers et les calfats de marine. La confrérie Saint-Elme

Docteur A. Corre

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XXI.
LES ANCIENNES CORPORATIONS BRESTOISES

Les Ullaiopentie.os et les Ualfats de
La Uonboé.oie de Saint-ElJlle .
Ecrire l'histoire des charpentiers de marine. dans un de
grands ports, entrainerait à faire celle de l'architecture
nos
navale tout entière: et je ne saurais même esquisser un pareil
tableau, sans m'écarter du but que je me suis imposé. Je
serai néanmoins forcé, au sujet de cette catégorie profession­
nelle: d'entrer dans quelques détails généraux.
Il n'y eût. pas d'abord de distinction précise tmtre les
marines marchande et militaire. Lorsque celle-ci commença
s'organiser, le Hoi prit ses capitaines « entretenus ) parmi
les hommes qui s'étaient distingués au cours de navigations
commerciales ou de course; de même, lorsqu'il voulut avoir
.il tira des constructeurs de la corporation des
des arsenaux,
charpentiers et il attacha à son service les maîtres les plus
l'art, en France et à l'étranger.
réputés dans
Mais,de très bonne heure,on sentit la nécessité d'assurer, .
pour la sécurité de la navigation et des intérêts commerciaux,
des règles dans la construction des navires, de former une

corporation capable de les appliquer et de les conserver avec
et de soin que par le passé. A des époques
plus d'intelligence

très surchargé cc dans les hauts», très
où le navire était
alourdi par de puissantes mâtures, sans protection sur ses
par l'absence de doublage, il fatiguait beaucoup à la
flancs
mer; ses membrures se disloquaient trop aisément à la suite
d'une tempête; il se laissait pénétrer par l'eau jusqu'à som- ,
brer ou de manière à compromettre la cargaison et les

vivres, en même temps que la santé des équipages; ses bois
pourrissaient vite et trop tôt il devenait hors d'usage. On
songea donc à avoir d'excellents ()uvriers techniques, et pour
la charpenterie et pour le calfatage, les uns destinés aux tra-
vaux de la construction, les autres aux travaux plus humbles,
exté ..
mais peut être non moins minutieux, de la prote.ction
rieure, au moyen d'un enduit de goudron.
(1) s'est occupée de bien déterminer
L'ordonnance de 1584
les obligations et la situation de ces catégories :
« Art., 96. Pour obvier E\UX inconvéniens q.ue jeunes calfa­
aura en chacun port m-aîtrise
teurs apportent aux navires, y
de charpenterie et calfaterie'.Nuln'ypourra estre faic(maistre,
qu'il n'y ait esté apprenty trois ans, et faict chef d'œuvre en
présence des maistres et gardes,' lesquels y seront establis
par l'admiraI ou son commis, ès lieux où luy ne son lieute­
nant ne pourroient vacquer présens, lesdits maistres et
apprentis feront le serment accoustumé : et ne pourront les
a,ux rpor~es
apprentifs besongner aux fonds des navires, ains
œuvres et tillac. Quand les fonds se prendront,' l'un des
gardes du mestier y sera tenu d'assister, et comme le, calfat

(calfatage) se fera, le descouvrira pour voir s'il y a faute. Car
s'il s'yen trouve par après, sera puny corporellement: veu
que soubs leur fiance tant de gens hasardent leur vie. Et sera
tenu le propriétaire payer ledit garde de son salaire, à raison
de sept sols tournois pour marée (2), ou autre somme qui
sera arbitrée, présens les eschevins, bourgeois ou autres

cognoissans, que l'admiraI y mettra. . '
« Art. 97. Pour retrancher le salaire de ces gens, voulons
qu'ils soient retranchez par l'admiraI ou son commis, présens

(1) La conférence des o1'donnances royaux par P. Guenoys et L. Charondas '
Le Caron, p. 14·5.
(2) L~ navire étant supposé Il abattu en carène» pour le calfatage, opé­
ration qui s'exécutait sur des cales ou des lieux que la marée haute recou~
vrail : de là, l'appréciation de la ,durée du trav'ail et des visites par marée •
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXV. (Mémoires). 18

les ' susdits, ou que l'ancien règlement (pour les salaires) soit
gardé (1) scavoir : '
« Au maistre charpentier, calfateur, conduisant l'ouvrage,

15 janvier jusques au 15 d'octobre par chacun
depuis le
jour 10 sols tournois, et s'ils besongnent aux marées, pour

chacune, 6 sols.
« A chacun des autres charpentiers et calfateurs 7 sols
par jour et pour marée 4 sols 6 deniers tournois.
« A chacun apprenty par chacun jour 3 sols tournois.

« Etdepuis le 15 octobre jusques au 15 janvier, au maistre
conduisant l'œuvre 8 sols par jour et pour marée 6 sols.
« A chacun desdits maistres charpentiers 6 sols 6 deniers
par jour, et par marée 4 sols, avec défense d'en prendre ou
taxe: sur peine de 33 escus un
donner davantage que la
tiers d'amende applicable moitié à l'accusateur, moitié à
qui il appartiendra et à tenir prison jusques à plein payement,
sans préjudice d 'iceluy. »
nonobstant appel et
, Art. 98. Les charpentiers peuvent prendre les copeaux
provenant de la construction et du radoub des navires .

La rareté des sujets capables d'entreprendre les métiers
charpentier et de calfat, la difficulté de les maintenir trop
êtroiterpent séparés dans le plus grand nombre des localités,
celle de les assujettir à un apprentis.sage régulier, avec des
maîtres eux-mêmes formés, pour la plupart, par routine, et
dépourvus de connaissances théoriques réductibles en

(1) Sans p!lrler des coulumes locales, il y avait eu des règlements con-
cernant la marine, promulgués en 1517 et 1543. La Bretagne, d'après le
contrat de 'réunion à la France, conserva ses privilèges; la charge d'amiral
de Bretagne fut maintenue, non toujours sans restrictions ou contestations,
de fait, seulement lucratiye et honorifique, annexée à celle de gomer­
neur de la province. Dans l'admi nistration des affaires maritimes, la Bre-

tagne subit nécessairement l'influence des règlementations générales. Sous
Louis XIV, malgré l'octroi d'u ne ordonnance spéciale, f:'es juridictions
d'amirauté basèrent leur exercice su r celle' de 1681 Bien en tend u, la
marine militaire, dès qu'elle reçut un commencement d'organisation, releva
des règlements communs à tout le royaume. . ,

principes, l'obligation d'une initiation par une longuè
pratique à bord des vaisseaux et le danger de confier des
guère
travaux de fond à des novices, firent qu'on ne tint
la main à l'exécution des ordonnances et règlements concer­
nant la maitrise et l'apprentissage de ces métiers. (Vallin) (1)
On évita avec soin toute mesure de gêne ou de contrainte,
qui eut écarté d'utiles professions des individus que l'on
Par ordonnance de 1629,
cherchait plutôt à encourager.
« de gager 50 maîtres char­
Louis XIII manifeste l'intention
pentiers, pour . être employés à la construction des vaisseaux
et à visiter les fonds des navires qui étoient en mer.... »
Sous Louis XIV, Colbert ordonne aux intendants des ports
de rechercher les sujets les plus capables dans chaque
attacher au service du Roi; 12 char­
spécialité, afin de les
pentiers doivent être « entretenus » dans le port de Brest. (2)
C'est alors que la marine s'organise définitivement. Celle
de guerre, dont H.ichelieu a ébauché la création, prend corps
par la codification d'une importante
'et reçoit une base solide
série de règlements, dans l'ordonnance de 1689; celle du
commerce a déjà reçu la sienne par l'ordonnance du mois
d'août 1681.

Personne n'ignore ce que fut le navire de guerre d'au­
trefois. L'architecture navale atteint, sous Louis XIV,
l'apogée du grandiose -et du beau; la citadelle flottante est
non seulement une œuvre d'admirables dispositions pour

d'art-; charpentiers et
l'attaque, mais encore une œuvre
sculptéurs ont rivalisé de savoir, d'ingéniosité, d'audace ou
d'imagination heureuses, pour lui donner, malgré son aspect
et de l'esthétique
formidable, les caractères de la richesse
la plus raffinée. Ceux-là qui élèvent sur les cales et livrent
(1) Vallin, Nouveau commentaire à l'01'clonn~mce de la mCt1'ine de 168'1.
La Rochelle, 1766, I. 58~-590. _
2) Leval, Histoire de Bl'est, II. 155-156. /

à l'Océan de si merveilleux monuments sont de simples
. ouvriers, du moins ne sont-ils pas distingués d'entre les
autres classes d'artisans. Un Puget travaille à Toulon
comme sculpteur du Roi, dans l'arsenal; à Brest, les Hubac:

Pangalo, les Hélie, maîtres charpentiers du Roi, dirigent
les
les constructions. Il a fallu presque improviser cet important

service. Le jeune Hubac (Etienne), fils de Laurent, « maistre
de la charpenterie du Roy», sous Mazarin, a été envoyé en
Hollande et en Angleterre pour y étudier (( les différentes
constructions de vaisseaux» (1), Blaise Pangalo a été appelé
l'étranger (il est d'origine italienne) (2). Et la théorie

commence à s'enseigner en même temps que la pratique.
En 1680 (3), Colbert fait allouer des fonds, à Brest: « pour
l'établissement d'une école où serait enseigné la théorie de
la construction, sur le même plan que celles où se donnaient
d'hydrographie; un charpentier
les leçons de canonnage et
devait, moyennant une· gratification annuelle, expliquer cette
théorie aux officiers de marine» (4). .
Les maîtres charpentiers ent.retenus jouissent toutefois
d'une considération particulière. Mais d'ordinaire, chez les
est surtout la résultante de l'expérience
meilleurs, le savoir
. et de la routine. Ce ne sera pas d'eux que viendront les
progrès, ni les formules écrites de l'art des constructions.
Un jésuite, le P. Lhoste, donnera le premier traité de cons­
truction navale. Les perfectionnements, les transformations
seront amenés sous l'inspiration d'officiers ou d'ingénieurs,

(1) Levot, Histoire de B1'est, I. '131. .
(2) Kerneïs, Bulletin de la Société académique de Brest, 2" s., XIII.
(3) Levot, 1. c. 159 .
(4) Quelques années plus tard, un sieur Gobert, qu'on trouve désigné
la correspondance du secrétaire d'Etat à la marine, avec l'intendant
dans
du département cie Brest, sous les noms cie maître et d'ingéniem-construc­
les mélhodes de construc
• teur, imagine d'importantes améliorations dans
tion,de radoub, etc.; il propose l'usage cie (( courbes de fer. (1701); mais
le ministre se dit informé qu'elles ont été « inventées et employées avan t
». Archives de l'ancienne intendance de la marine.
lui

qui ne prendront pas de si tôt une place spéciale dans les
va rendre les bâtiments
arsenaux. Le chevalier Renau, qui
de combat moins citadelles et plus navir~s aptes à la mobilité,
par la suppression des châteaux de poupe et de proue,
à bombes, dès que ses travaux ont
inventer les galiotes
sur lui l'attention, accomplit sa carrière dans les
appelé
rangs des officiers de vaisseau (1 ). Ceux-ci sortent de l'espèce
de servage dans lequel les maintenaient les maîtres char-
pentiers, lorsqu'il s'agissait de questions de construction (2),
(1) Voir Lapeyrouse-Bonfils, Hist. de la mal'ine française, II, p. 169-181.
;2) Vl'aiment, ils avaient bien quelque raison de se montrer fiers d'eux­
mêmes, ces maîtres, devant la contemplation de leurs œuvres. Le navire,
le vaisseau majestueux de la première époque de Louis XIV, est peut-être
le plus étonnant spécimen du travail humain. Qu'on réfléchi::;se à ce qu'il
fallu de science et d'art, l'une sans doute aussi étrangère aux recherches
de cabinet que l'aulre aux initiations des écoles, de précision dans la main
de talent dans l'harmonisation de l'ensemble, pour accomplir une
d'œuvre,
de ces nierveilleuses et terribles machines, lançan t déjà avec leur artillerie,
plus de fer que les vaisseaux de Louis XVI (Guérin). Il y a là un assem­
b:age de cenlaines et de centaines de pièces de bois, courbes, coudées,
es, qui se réunissent, se croisent, s'arqucboutent, dans tous les sens,
droit
les formes, au tout l'aspect d'un gigantesque
impriment aux parties toutes
bloc. Ces pièces, pour la plupart si petites, ont produit comme un monstre.
d@s forces,
Et quelles admirables disposilions pour l'excellente adaptation
les rl~sistances ! La coque doit luller contre les
leur association dans
vagues déchaînées; la mâtUl'e ~outenir l'énorme effort des vents les plus
impétueux; les ponts supporter une artillerie considérable, et, aux heures

de combat, la mer, le vent, les ébr~nlements de la poudre, les chocs des
projectiles s'un issent dans une infemale action poUl' disloquer la masse!
Quel respect mérite pourtant une routine qui a pu enfanter de pareilles
choses! Il Y avait bien d'ailleurs des maîtres à l'intuition géniale et
cloués pour aider au progrès. Toutefois, il est certain que le plus grand
même parmi les plus intelligents, en raison de leur éducation
nombre,
exc:lusivement ouvrière et limitée à la construction, étaient incapables
trop
d'en tl'aîner l'arch itecture navale en des voies fertiles de transformations
utiles. Ils ne connaissaient guère la navigation, qui apporte la connaissance
des conditionS' à réaliser pour l'obtention de la plus grande vitesse, non
plus la science de l'artillerie, qui exige des combinaisons particulières dans
les dispositions des navires de combat, moins encore la tactique, et n'ayant
à se servir de3 instruments qu'ils livraient, à. les juger dans l'action
point
sa tion , ils eussent laissé la marine dans une sorte de stagnation,
et l'utili
si la direction ne fut venue J'hommes doués à la fois de connaissances
théoriques et d'expérience complexe.

et, par l'ordonnance du 15 avril 1689, un conseil de marine,
arsenaux du Roi, ' des plus éminents per­
composé, dans les
sonnages de l'épée e~ de la plume, d'un inspecteur des cons­
( expérimentés capitaines ou commissaires )),
tructions, d'
dirige et surveille la corporation; il approuve ou modifie les
devis que lui soumettent les maîtres charpentiers, ordonne
mesures nécessaires pour les mises en chantier, apporte
les
une attention vigilante à l'exécution des travaux. On établit
des types de vaisseaux, dont les proportions et les disposi­
sont arrêtées avec précision. L'inspecteur « apprend
tions
aux charpentiers la manière d'en faire les plans et profil,
avant que d'en commencer la construction, afin de se corriger
des défauts qui ont été trouvés dans ceux qui ont été cy-devant
règles certaines ... (1))) Il reçoit
faits et de pouvoir fixer des
les nouveaux projets que « les officiers et autres )) proposent,
et « en envoie avis )), surveille les radoubs, assiste aux récep-
tions des bois, etc. .
maîtres-charpentiers constructeurs, il y a
Au-dessus des
une direction, émanant d'hommes techniques,
désormais
marins ou savants; mais il ~'y aura un corps d'ingénieurs-
constructeurs qu'à partir de 1765 (ordonnance du 25 mars).
guerre, s'il perd de son aspect imposant,
Le navire de
acquiert en qualités nautiques (2). La frégate, moins coû-
(1 ) On construisait très vite autrefois et l'on est surpris cIe la célérité
avec laquelle nos chantiers réparent les pertes cIes plus grancles unités cIe
combat, à la suite de cIésastres comme celui cIe La Hougue. Sous Seignelay,
« on vit construire, caréner, gréer, mâter et meltr,e à la voile en 9 heures
de temps, à Toulon, une frégate cIe 40 canons". iGuérin, Histoire de la
• Mm'ine, III, 496). Mais, sans cIonner comme un exemple ce tour cIe force •
évidemment préparé pour complaire à un ministre dont on connaissait
l'activité fiévreuse, je rappellerai qu'il était fréquent cI'assister, clans nos
ports, à la mise en chantier Et à l'armement complet d'un vaisseau dans
le cours d'une seu'le année, sur-lout quand les travaux s'efféctuaient sous
l'œil d'un capitaine vigilant, tel qu'un Duguay-Trouin. Cette rapidilé
avait ses inconvénients. L'on est frapl)(3 du nombre de vaisseaux man­
qués », qu'il faut modifier après coup et (1 souffler ", mentionnés dans les
correspondances' officielles, à l'époque de Louis XIV .
(2) Certains perfectionnements sont très tardifs: le doublage en cu ivre
chez nous que sous le règne dc Lou is XVI, "el' la fin de
n'est appliqué
la guerre d'Amérique et par imitation de la pratique anglaise .

teuse que le vaisseau, plus apte à la guerre de croisière,
aux évolutions rapides, gagne sur le vaisseau un terrain que
lui a fatalement fait perdre, sous Louis XV, l'abandon du
système des grandes flottes. Celui-ci, néanmoins, continue
à occuper la place d'honneur et il reparaîtra plus tard en
belle et honorable ligne. (1)
Entre temps, l'art du constructeur s'enrichit de traités,
parmi lesquels il convient de signaler les Elémens de l'm"chi­
lecture navale de Duhamel du Monceau, ' membre de l'Aca­
démie des sciences, 1758;. le Traité sur la construction des
'paisseaux de du Maitz de Goimpy, capitaine de vaisseau,
membre de l'Académie royale de marine, 1776.
Les charpentiers sont bien ramenés au niveau de l'ouvrier;
mais ils restelÙ des ouvriers d'élite) avec des maîtres expé­
rimentés sur les -moindres détails de la main-d'œuvre, très

considérés, et en réalité les intermédiaires obligés entre la .
tête, d'où sort la cO'nception, d'où émane l'ordre, et les bras
qui exécutent.

Cl) Dans un compterendu des ilfémoiTes pOU?' l'histoiTe des sciences et
des beaux aTts (Journal de Trévoux, juillet 1748), relatif à l'Essai sw' la
llWl'ine des anciens, de Deslandes, on trouve sous la rubrique Le P01't d'un
vaisseau, quelques lignes qui donnent une .idée curieuse du bâtiment .de
guerre, vers le milieu du XVIIIe siècle.
({ Lorsqu'un vaisseau est achevé de construire sur le chantier, on le
lan ce à la mer. Le poids de ce navire, dénué de tous agrès et apparaux
(supposons que c'est une frégate de 26 canons, pagne), pèse !lIG .OOO livres (4160 quintaux) ou 210 tonneaux. Les agrès et
apparaux, c'est-à-dire la mâture complète, les cordages en général, les
poulies, voiles, ancres, les canons, boulets, affûts garnis, la poudre, la
chaloupe, le canot, les cuisines, fours et potagers, les vivres en général,
avec 4U tonneaux d'eau, le poids des hommes qui formént l'équipage, avec
leurs h,mJes et effets embarqués, tout cela mis ensemble pèsera environ
374-.0lh) livres uu 187 tonneaux. Les deux poids, celui du corps du vaisseau
et celu i tant des agrès que des apparaux, ne sont pas ce qu'on entend par
le port d'un navire. Comme le soldat romain ne se croyait pas chargé d'un
poids étranger, lorsqu'il ne portait que son casque, son bouclier et ses
auLres armes o[(enslves et défensives, c'était, selon lui, autant de membres
aLtachés à son corps; ainsi le vaisseau de guerre qui n'a que 'son artil­
lerie, ses "oiles, ses mâts, ses munitions de guerre et de bouche, et qui
sort du port, prêt à comballre et le feu à la main, n'est pas censé être
cbargé; mais la frégate de 20 canons peut encore embarquer 250 tonneaux
outre tout ce qu'on a dit. Ce sont ces 250 tonneaux, pesant 500.000 livres
(5U OO quintaux), qui déterminent le port de ce bâtiment. »

Quant aux calfats, ils n'ont jamais été que des artisans.
Leur travail est ingrat; il n' ~st point des plus propres, et -
l'homme qui s'y livre porte ses noires traces à ses mains,
sur ses vêtements. Mais combien utiles sont leurs services,

surtout à l'époque où l'on ignore le doublage métallique!
Entre ces deux catégories vivent les perceu.rs, qui achèvent -
l'œuvre du charpentier et préparent celle des calfats; ils
creusent les trous de chevillage, qui doivent assurer la soli­
et que les calfats auront mission de
dité des assemblages
à grands coups de maillet, en même temps qu'ils
remplir,
s'occuperont de bourrer « les joints », d'étoupe goudronnée.
A terre, dans les arsenaux, les maîtres de ces professions
jouissent d'une situation relativement très enviable (ordon­

nance de 1689, liv. 12, tit. 9). Les deux premières catégories
fournissent un personnel embarquari.t qui, à bord, a l'assimi-
. lation des officiers mariniers (ib., liv. 1, tit. 17).
Un arsenal comme celui de Brest assûrait l'existence de
nombreuses familles. Les salaires, dans chaque profession,
étaient généralement plus forts que dans la ville, et l'autorité

se montrait soucieuse de l'amélioration matérielle et morale
En 1785, il Y eut, même
de ses plus humbles auxiliaires.
la marine, une tentative pour une mise à l'entreprise
dans
à accorder de préférence à des associations
des travaux,

d'ouvriers \ 1).
(1) On jugera de l'importance des travaux à exécuter dans l'arsenal de
Brest, d'après cette liste du personnel ouvrier qui s'y trouvait employé
vers 1784, (L'Espion anglais, VlIf, 187): .
Charpentiers, contre-maîtres, ou- Officiers mariniers et matelots 893
vriers et apprentis ...... , 2004 A vironniers . . . . . . . . . . . . . . . . 19

Poulieurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Perceurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Voiliers .. ................. .
Journaliers .............. . 654 232
Armuriers ................ .
Sculpteurs ............... . 10.6

Menuisiers. . . . . . .. . ..... . Tonneliers 169
Cord iers .. ................ .
Etoupiers 921
u magaslt1 genera ....... . 69
de couleurs ..... . 80
Broyeurs
622 la fatigue ....... "
Forçats a
Calfa ts
En tout 7.267 individus.
Forgerons 25'1

Les charpentiers, perceurs et calfats de l'arsenal forment
aristocratie dans leurs professions respectives.
comme une
Mais la marine march{lnde a les siens, aussi fort estimés.
: Colbert, qui n'avait jamais perdu de vue les intérêts
supérieurs du éommerce, l'une des fertiles mamelles de la
France, selon l'heureuse expression de Sully, n'avait eu
garde d'oublier de réglementer avec minutie la marine
destinée à les représenter et à les soutenir, à l'occasion, par
les expéditions lointaines de négoce ou par celles de course.
L'ordonnance de 1681 avait même précédé la codification
des ordonnances, règlements et instructions, sortis de
l'inspiration de l'illustre ministre, et relatifs à la marine
militaire.
Dans cette ordonnance du mois d'août 1681, la construction
et le radoub des navires particuliers sont l'objet de prescrip­
tions impqrtantes et les obligations des hommes chargés de
leur exécution sont nettement tracées. On peut dire que le
titre 9 du livre 2 est un equivalent de statuts généraux pour
les ouvriers de la construction:

« Art. 1 • Les métiers de charpentier, calfateur et perceur

de navires, pourront être ci-après exercés par une même
personne, nonobstant tous règlemens ou statuts contraires . .
« Art. 2. En chaque port, ceux qui exerceront les métiers
de charpentiers et calfa teurs, s'assembleront annuellement
pour élire deux jurés ou prud'hommes.
« Art. 3. Les jurés ou prud'hommes feront de jour à
autre visite des ouvrages et rapports à justice des abus et
mal-façons qu'ils reconnoitront dans les constructions,

radoub et calfat (calfatage) des bâtimells .
« Art. 4. Ceux qui auront deux ou plusieurs apprentifs,
dans lès lieux où il y aura des enfants renfermés, seront

tenus d'en prendre un de l'hôpital, auquel les directeurs
fouri1iront les outils, nourriture et vêtements nécessaires. (1)
« Art. 5. L'apprentif tiré de l'hôpi.tal sera tenu,après deux
années d'apprentissage, de servir son maître pendant un an,
en qualité de compagnon, sans autre salaire que la nouri'i­
ture.
« Art. 6. Les apprentifs ne seront tenus de prêter aucun
serment en justice, pour entrer en apprentissage, de payer
aucun droit, ni de faire aucun banquet (2) ; faisons défenses
d'en exiger d'eux, à peine d'amende arbitraire et de restitu­
tion du quadruple. »
('1) Vincent de Paul avait créé une œuvre admirable pour le sauvetage
de l'enfance abandonnée. Mais il fallait utiliser cette trisle population
recueillie dans les asiles hospitaliers et sans cesse grandissante, en même
temps lui trouver une direcLion moralisatrice par le travail. On songea
à envoyer dans les ports un certain nombre de ces malheureux enfants
pour y être, les uns embarqués comme mousses à bord des vaisseaux du
Roi, les autres employés dans l'arsenal en qualité d'apprentis de divers
La correspondance des ministres avec les intendants prouve qu'on
métiers.
ne se désintéressait point, en haut lieu, du sort de ces pauvres épaves. En
1G91, 1694, elc., des bandes d'enfauts (100, 120) sont dirigées de l'hôpital
général de Paris sur Brest; l'intendant se plaint de leur faible constitution;
le ministre s'inquiète de savoir ce que sont devenus « les mousses, s'ils se
font à la mer, s'il en meurt beaucoup. ») Arch. de l'ane. inte1id. de la
marine de Brest. .
(2) Il était d'usage, dans un grand nombre de corporations, d'exiger des
nouveaux admis des sommes plus ou moins fortes, pour payer les frais
d'agapes confraternelles. Cela était devenu un abus, surtout en Bretagne,
où ces agapes dégénéraient en beuveries crapuleuses. L'on eut grand peine
à détru ire la coutume. En 17jO, il Y eut à cet égard un arrêt du parle­
ment de Rennes, rendu sur les remontrances du procureur généra! du Roi.
La Cour estime qu'on exige des aspirants à la maîtrise de trop gros pré­
« que d'ailleurs ces dépenses, qui occasionnent la debauche et
lèvements;
l'ivrognerie, mettent souvent les aspirants hors d'état de profiter de la
maîtrise à laquelle ils ont été admis, par l'impossibilité où ils sont même
de se pourvoir d'outils propres à la profession qu'ils embrassent. .. »' Elle
" fait expresses inhibitions et défenses, à tous jurés et préYoLs des différen tes
communautés et corps de métiers de la province d'exiger des aspirants à
la maîtrise aucunes sommes d'argent pour être employées aux repas et
de réceptions. .. 1)
festins

Là où les charpentiers et calfats ne sont pas en maîtrise,
le travail des ouvriers forains, c'est-à-dire des ouvriers
étrangers à la localité, est autorisé au gré des armateurs,
propriétaires, capitaines ou patrons de navires, mais à la
condition que « l'ouvrag~ soit visité par les jurés du lieu. »
La corporation, en effet, n'est point partout organisée en

maîtrise, qui lui confère des droits exclusifs; mais dans les
villes maritimes où elle ne l'est pas~ comme à Brest, elle se
règle, jusqu'à un point, sur les habitudes observées dans les
ports où elle possède maîtrise. Dans tous les cas, elle relève
de la juridiction d'amirauté.
On peut regarder comme un modèle de statuts,le Règlement
pour les calfats de Marseille, du 23 novembre 1726 (1). Il fut .
certainement inspiré par des traditions en vigueur depuis
une époque beaucoup plus rcculée et qui, sans doute, furent
importées à Brest par des ouvriers des ports du Levant. Le
Ponant, à l'époque de la création et de l'organisation de ses
grands arsenaux, emprunta maintes fois des charpentiers­
constructeurs et des calfats à la marine marchande du Levant,
et, sur les rôles d'équipages des navires armés en course, à
Brest, au temps de Louis XIV, il est fréquent de relever des
noms de maîtres de ces professions, originaires de Marseille
et de Toulon. La corporation brestoise, si elle ne fut point
organisée en maîtrise, paraît bien s'être dirigée d'après des
coutumes en honneur sur le littoral méditerrané3n, et ce qui
prouve c'est son adoption de saint Elme pour patron. On
sait que ce saint (2), évêque de Formies, martyrisé sous
comptait (et compte encore) de fervents dévôts
Dioclétien,
parmi les équipages des bâtiments français et italiens de
la Méditerranée; les phénomènes lumineux observés au
COl,rs d'états atmosphériques', précurseurs des orages,

(1) Il est annexé au Nouveau commentaire sur l'ordonnance de la rnahne
de 1681 par M** *, avocat au Parlement, Marseille-Paris, 1780, l 389.
(2) Saint Elmc sct'ait une corruption italicnne de saint Erasme .

étaient regardés comme des avertissements donnés par le
dangers
saint à ses fidèles; aussi l'invoquait-on contre les
de la mer.
membres de la corporation à
Assez nombreux étaient les
Brest. Le commerce maritime, de cabotage et même de long­
cours, avait pris de bonne heure, dans notre ville, un déve­
loppement important. Aux époques de course, ses opérations
prenaient encore plus d'activité en se transformant. La
besogne ne manquait point pour les charpentiers et les
l'arsenal du Roi. L'avant-port, compris
calfats, en dehors de
entre l'embouchure de la Penfeld et la cale de l'ancienne
intendanc~ (elle répondait à peu près à l'endroit ou débouche
actuellement la porte principale, au bas de la grande rue),
regorgeait de bâtiments particuliers (1). Les gros navires de
port de
course étaient bien construits et radoubés dans le
guerre, sur l'autorisation formelle du roi. Mais il restait
assez de travaux à accomplir, avec les constructions et les
radoubs des bâtiments de petit et moyen tonnage, pour
occuper un grand nombre de bras. Ces travaux s'effectuaient

presque exclusivement du côté de Recouvrance: sur la·grève
de Laninon, il y avait des chantiers où l'on construisait
jusqu'à des frégates, et, tout contre le quai, non loin de la
chapelle de Notre-Dame (2), dans un endroit largement

découvert à basse marée, était la Fosse, ou, par monopole,
juré recevait les navires à visiter, à réparer,
le maître calfat
à radouber. Pittoresque était ce petit point de la cité, que le
voisinage d'un marché et celui de la cale du passage (3)
('1) Ce qui était une gêne pour les mouvements du port de guerre. Aussi
proposé de créer un port marchand sous le Château, vers
Vauban avait-il
le lieu de :eorstrein, idée qui ne fut reprise et réalisée que sous Napoléon III'
(2) La chapelle de NoLre-I1ame, très anciennement fondée par un seigneur
du Chatel, sous le vocable de Sainte-Catherine et contiguë à un petit
hôpital, à l'origine. Recou vrance's'a ppela d'abord le bourg Sain te Ca thel'ine
Levot, Histoire de Ures t, 1. 317 et suiv.
(3) La communication entre Brest et Recouvrance se faisait autrefois
par bateaux. Le pont-toumant, comme le port de commerce, date du règne
de Napoléon III.

rendaient encore plus animé. A la chapelle on allait souvent
prier pour les marins absents, ·et, au retour des périlleux
voyages, plus d'un, qui croyait avoir échappé aux. naufrages
ou au feu de l'ennemi, grâce à de puissantes interventions
célestes venait déposer un ex-voto ou faire brûler un cierge
béni. De pauvres échopes, adossées contre les murs,
servaient d'abri à des gens, exerç.ant d'humbles métiers à
l'usage des matelots. Sur le quai, des amas de bois, presque
toujours, quelque chaloupe ou quelque minuscule navire en
construction; en contre-bas, sur la Fosse des bâtiments
abattus en carène. Une âcre fumée, l'odeur du goudron,
mille bruits dans l'air. Auprès d'une immense cuve, placée
sur un Îourneau un homme agite avec une longue cuillère
de bois la braie boUillante, que d'autres vont porter aux
calfateurs: c'est le bouilleur de brai. Les calfats, en ligne
serrée sur le flanc des navires, ici font résonner en cadence
les lourds maillets de bois qui forcent le ciseau à enfoncer
l'étoupe dans les jointures; là promènent sur les parties
achevées un long balai trempé dans la braie liquide; les uns
et les autres exécutent leur besogne avec une attention
minutieuse, presque avec amour, et c'est peut-être à .
l'extrême soin qu'ils apportaient dans leur tâche, commè si
le navire était pour eux une sorte de chose précieuse. qu'ils
durent l'ironique épithète de bijoutiers, dans l'ancienne
marine (et combien elle contrastait avec leur tenue débraillée,
malpropre, telle que l'imposait d'ailleurs la nature de
l'occupation, rude et fatigante, toute imprégnante de
matière noire et poisseuse). Mais voici qu'on crie, que l'on
vocifère: on s'insulte, on se bat. C'est un maître charpentier
jaloux, qui arrêté devant le « travail » d'un confrère, plus
heureux que lui en clientèl~J n'a pas assez ménagé ses
critiques: sournoisement, puis d'une façon très agressive,
il a « débiné » l'œuvre; il Y a eu verte riposte, et puis échange
de coups, bientôt interrompu par l'arrivée d'un sergent de

police de la juridiction de l'amirauté, «( garde de quai »_
Les disputes et les rixes ne manquent pas dans cette plac.e
où s'entrGcroisent et se heurtent tant de gens au caractère
brutal. Les contestations n'ont plus, entre personnages
bien posés, surtout à propos de la visite des navires. Cette
formalité, à la suite denombreux sinistres, en grande partie
dus à la cupidité des armateurs ou à la négligence des
capitaines, ,est devenue rigoureuse, à l'époque de Louis XVI

et elle soulève, entre les intéressés et les maîtres
-charpentiers-calfats jurés, plus d'une difficulté qui donne
lieu à procédures.
Dans la corporation, les salai l'es sont relativement élevés.
Il est facile de les établir d'après les notes d'armements et de
radoubs qu'on rencontre en grand nombre dans les dossiers
du greffe de l'amirauté. Vers le milieu du XVIIIe siècle, la
journée est de 26, 28 et 30 sous, parfois même de 40, pour
les ouvriers et les maîtres; des apprentis et des journaliers
touchent 15 et 20 sous. Il va sans dire que les travaux entre­
pris à forfait o.u à prix débattus par les maîtres peuvent lenr
rapporter des bénéfices variables, en dehors de la main
d'œuvre proprement dite. -
Embarqu~s (1), les charpentiers et les calfats ont des
sa:laires fixes, généralement un peu moindre, mais en réalité
ils gagnent davantage, parce qu'ils ont droit à la ration de­
mer et n'ont pas à se préoccuper du logement (à moins
qu'ils ne laissent derrière eux de la famille); de plus, en
temps de .guerre, ils ont droit à une part, une part et demie;
sur les prises.
Sous Louis XIV, les salaires de ces professions, à la mer,
à bord des navires particuliers: sont ordinairement de 15,
27, 33 livres par mois; mais .- on .relève des taux plus élevés

. (1) Le règlement pour les calfats de l\farsp-ille (art. 3j) oblige les ouvriers
de la corporation à se faire emegislrer au bureau des classes et à produire
certificat de cet enregistrement au grefIe de i'amiL'auté.

et presque toujours en faveur de charpentiers (à bord de la
frégate le Saint-Hubert, de la compagnie royale de Saint­
Domingue, 1707, deux charpentiers touchent 45 et 47 livres,
un calfat 24 livres; à bord du vaisseau le /J'Jaure, armé pour
la côte de Guinée et Bueynos-Ayres, 1710, un maître
charpentier et .un maître calfat touchent 38 livres).
Sous Louis XV, les salaires semblent plus oscillants. A

bord de l'Angélique, allant de Brest aux îles françaises
d'Amérique, 1718, le maître charpentier reçoit 30 livres par
mois, le maître calfat 21 livres; sur l'A chille, de la com-

pagnie des Indes occidentales, 1721, je ne trouve indiqué
que le salaire d'un aide-charpentier, 25 livres, et celui d'un
2 màître calfat, 30 livres. Mais avec la guerre, les salaires
montent : sur la frégate de course la Gélinotte, 1761, un
maître charpentier a 72 livres par mois (c'est le plus fort
salaire attribué aux officiers mariniers) l un calfat seulement
36 livres '; sur une feuille de salaires payés pour des travaux
exécutés à bord pendant une relâche, je trouve des journées
de calfat à 1 liv. 10, et de maître calfat à 3 livres; de plus,
sur une petite note de travaux de calfatage, le maître a
, porté, en sus des journées, une gratification de 6 livres
« pour le rat (petit cierge) au profit do saint Telme (saint
Elme) », le patron de la confrérie.
Sous Louis XVI, à bord de l'Emile, de Nantes, chargé à
Brest pour le compte du Roi, à destination de Rochefort,
1780, un charpentier touche par mois 50 livres, un calfat
45 livres; sùr le petit corsaire la Marquise d'Aubeterre;
1779, le maître charpentier ne reçoit que 30 livres (mais il
a part de prises). .
Les salaires étant déterminés par des actes d'engagement
. volontairement so.uscrits, n'ont rien de fixe. Us varient aux
div!3rses époques, selon la générosité des armateurs, la
concurrence des emplois dans les professions. les circons­
tances de paix ou de guerre, la nature ' et la durée des

voyages: la participation ' ou la non participation aux profits
En somme, ils se maintiennent
de certaines expéditions, etc.
surtout pour les charpentiers'. C'est que le
assez élevés,
charpentier prend à bord d'un navire une grosse importance:
sur lui ropose, dans une large mesure, la conservation du
navire; à lui de parer aux avaries graves survenues dans
la mâture par accidents de mer ou de combat,
les bois ou
d'entretenir en bon état les embarcations; dans les heures
critiques, il reste dans les bas, et, avec le maître calfat, '

visite attentivement les parois au-dessous de la flotaison,

pour boucher les voies d'eau. A terre, il établit des bara-
quements temporaires: soit que le capitaine ait jugé à
propos d8 donner aux hommes malades ou convalescents
rafraichissement préférables à ceux du bord,
des moyens de
à organiser un trafic' d'échanges ou des cha,sses
soit qu'il ait
équipages des bâtiments destinés aux îles d'Amérique.
(les
viennent souvent chasser le bœuf sauvage, sur la côte ferme,
et y préparer des salaisons, qui seront vendues pour la
nourriture des nègres esclaves; à Terre-Neuve, ils s'insta-

lent sur le rivage pendant une partie de la saison de pêche).
charpentiers apportent avec eux les outils de leur
Les
profession. L'armement ne leur fournit que les matières
nécessaires à l'exécution de leurs travaux. Ils sont plus
encombrés, dans l'étroit espace qu'on leur accorde, par leur
outillage, que par les objets de reconfort, le linge et les
On ne songe guère au bien être, alors, ni même
vêtements.
aux plus strictes exigences de l'hygiène individuelle. On ne ,
lira pas sans intérêt, à ce propos, rinventaire des effets d'un
aide-charpentier, décédé à bord de l'Achille (1722) :
« Une espèce de pied de Roy (sic), 2 plombs, 1 tenaille,
herminette, 32 fers de verlope, 10 vrilles, 7 couteaux ou
ciseaux à fl'Oid, 1 valet d'établis, 7 tarières, 2 gouges, 2
équerres, 1 bec d'âne, 3 rabots, 2 compas, 2 scies montées,
scie.... -
1 fer de

« 6 mains de papier, 1 écritoire: 1 canif, 1 tabatière, 1
bouteille, 1 peigne, 2 perruques vieilles, 1 habit, 3 culottes
d'étoffe de fil, 2 paires de bas, 2 camisoles, 2 chemises,
1 sac, 1 pistolet façon espagnole, un coffre ...
« Un billet de 15 livres. »
Le billet est une dette à acquitter à un camarade. Le
coffre, les effets: les outils ont été vendus 62 liv. 11 s.

Quelques détails ne seront pas déplacés, ici, sur les prix
de revient des constructions et des radoubs.
Aux périodes' de course, quand elles étaient heureuses,
les travaux de construction allaient moins, sur les chantiers
marchands, que ceux de radoubs; car les armateurs trou-
vaient à acheter d'excellents bâtiments pris sur l'ennemi,

. tout installés et pourvus du matériel approprié, pour des
sommes très inférieures à celles qu'eut exigé une cons­
truction .

Un. navire de course, de moyenne force, ne coûtait pas
cependant des prix très élevés: vers la fin du règne de Louis
XIV. .
On en peut juger par l'état suivant, relatif à une petite
frégate construite à Laninon, en 1711, état qui a été soumi~
à. l'appréciation d'un expert, « le St' Hubac, constructeur
des vaisseaux du Roy, entretenu à Brest J).
Proportion d'une frégate de 10 à 12 canons
(la Comtesse d~
l' Harteloire) :
Longueur de l'étrave à l'étambot, 59 pieds; largeur de dehors
en dehors, 16 pieds; hauteur du creux à ligne droite, 8 pieds •
Estat de la depence à qlloy pourra monter la dite frégate,
scavOlr :
• Bois, 1800 pieds cubes (de divers fournisseurs) :
707 pieds 2/3 de bois cubes, 635 à 24 sols, cy....... 7621.

72 à 16 sols, cy.. ... . . • 58
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE • . TO:\IE XXV. (Mémllires).

942 pieds 1/ 2 à 16 s. le pied cube.. . . .. . ......... .
37 pieds 1/ 3 à 24 ~., cy .......................... .
3 pieds 1/ 2 à 16 s , cy.. .. .. .. . . . .. .. .. . .. . .. .. ... .
27 pieds 1,12 à 16 s .............................. .
3 pieds 1/2 à 18 s ............................... .
79 pieds à 18 s ................................... '.

250 planches de sapin pour couvrir la chambre, border
entre les sabords et pour la menuiserie, à 75 1. le .
cent, cy.. .... ....... ........... .... .... ...... 187 10
43 esparres pour acorer et chafauder (échaffauder) il

S" plece ........................... " ......... .
1500 greuables ou chevilles de bois, à 25 l. le m' (le

111illier), cy ..... , ." ........................ .
Fer en cheville et doux de tou11e 80rte, 5 s. la livre ..
1500 livres d'étoupes ....... , .................... .

400 livres de bray gras à 27l. le quintal (de 100 l.), cy.

Journées de calfats et choffeurs de bray, cy. , . .. .,.
Journées de charpentiers et perseurs .............. .
Gardien et journalliers pour charroyer les bois ..... . 140
Sciage des bois, cy .............. " .............. 200

enlllserle .................................... .. .

Sculpture, cy ... ................................ .

Peinture, fasson compri~e ........................ .
Masture, fasson comprise, cy .............. , ...... .
10 affûts (de canon) à 7 1. pièce, cy :. . . . . . .. . .... . 70 60
2 pompes garnies de leur chopine et bringueballe ... . 16 70
Gratiffication au constructeur de· la frégate ......... . 300
Total du corps de la frégate preste à recevoir
ses agrés.. . . . . . . . . . . .. ............... 54371. 15 s.

Sous Louis XVI, les prix de construction ou d'achat ont
sensiblement augmenté .

. Un côtre de course, la iJla1"q'uise d'A ubetefre, c( la coque,
c;onstruction et percé à 16 canons, ayant 72 pieds de long,

17 pieds 8 pouces de bau, 8 pieds 6 pouces de creux, sori
pont de bout en bout » revient à 9500 livres (1779).
Un navire de même type; pris sur les Anglais, en 1781,
Spy (devenu le Basilic), n'a pourtant été vendu, avec c( ses
agrés, uslenciles et apparaux »), que 5750 livres. Mais un

autre, le Hawk, est ach.eté à des armateurs de Dunkerque
par Madame Bertrand Keranguen, qui, à Brest, dirige une'
maison de négoce et arme en course (1), pour la somme de
10.800 livres (il s'appellera désormais le La Motte-Piquet).

. Les devis de construction, les travaux de construction et

de radoub sont soumis à l'examen de maîtres-jurés, d'autre
part appelés à visiter les navires en partance, pour s'assurer
qu'ils sont bien en état d'entreprendre une navigation, aus'si
à donner leur avis dans les questions d'avaries que le
tribunal d'amirauté a à juger.
Le maître calfat juré a le monopole exclusif des travaux
de réparation et de radoub exécutés à la Fosse.
On eonçoit que de telles fonctions soient recherchées, et

pour le relief qu'elles confèrent aux individus, et pour les
profits qu'elles leur assurent. Mais elles réclament des garan­
ties d'expérience, d'apLitudes et d'honorabilité certaines .
Les maîtres j llrés sont cc reçus », après enquête, par les
juges de l'amirauté.
Le maître calfat juré de la Fosse, à Brest, au moment de
est le St· Rohan. Sur sa requête, appuyée de
la Hévolution,
nombreux certificats, il a été nommé à ces fonctions, par
jugement du tribunal d'amirauté du 2 août 1777, ainsi
conçu:
« Vu par nous, Jérôme-Toussaint Guibert de la Salle, la requête
J~)an-Mnrie Rohan, de Recouvrance, maître calfat,
nous présentée par

(1) Son mari est sous-lieutenant de vaisseau, lors cie la
ccéation de C~

grade.

fendante à ce qu'il nous plût, y ay:;lnt égard, et aux attestations
à icelle, le commettre et recevoir
d'intelligence et capacité d'attache
en qualité de maître calfat et prépo?é aux ca rennes et radoubs des
bàtiments de commerce à la Fosse et lieu destiné au port aux

dites opérations; certifieat de service et de eapaciLé dudit Rohnn ,
du 11' septembre 1763, en qualité de calfat sur la prame' la
Cristine, signé Montigny, ~ieutenant des vaisseaux du Roi et
de service du 8' nov.
commandant ladite prame; autre certificat
1765, en qualité d'aide-calfat sur la Terpsicore, commandée par
M. de Marchanville, capitaine de vaissean, signé comte de ROqllC­
feuiUe et Hocquart, intendant (1); ~1Utre certificat de serviee et
capacité du 10' mai 1766, en qualité de second calfat sur la
Terpsicore" signé Marchanville, commandant ladite frégaLe ; autre ...
du 23' juillet 1767, en qualité d'aide-calfat sur la, fllltte la Ugère,
commandée par M. le chevalier des Roches, capitaine de vaisseau,
signé comte de Roquefeuille et HocqU'lrt, intendant; autre .... du
12° juillet 1769, sur l'Aurore, commandée par M. le ebevalier de
Ternay, capitaine de vajsseau, en qualité d'aide-ealfat, signé comte
de Roquefeuille et de Clugny, intendant.(2) ; autre en ladite qualité
du 30 juillet 1769, signé le chevalier de Ternay, comméllldant ladite
corvette l'A'1.('rore; autre .... du 6' noust 1771, en qualité d'aicle­
ealfat sur le Rossignol, commandé par M. de la Brisolière, limIte­
nant de vaisseau, signé comte de Roquefeuille et de Clugny, inten­
dant; autre.... du mois de mai 1771, signé le chevalier de la
Brisolière, commandant ladite corvette le ROlisignol; autre .... du
29' mai 1772, en qualité d'aide-calfat.sur la Folle, commandée par
M. Daché (d'Aché), lieutenant de vaisseau, signé comte de Roque­
feuille et Ruis Embito, intendant (3); autre.... du 1" juin 1772,
de Pontévez, officier de laditte frégatte la Folle;
signé le chevalier
autre .... du 24' mai 1773, en qualité de second calfat sur le Vail­
lant, commandé par M. de la nrisolière, lieutenant de vaisseau,

(1) Aymard-Joseph de Roquefeuil, commandant de la marine; Hocquart
de Ghamperny, intendant de la marine, à Brest.
(:2) GubIes de Glugny, baron de 'Nu is, qui a remplacé M. HOCqUlll't.
(:1) Intendrml à Brest depuis le mois de décembre 1 no, d'après M.
G:uichon de Granclpont, les Intendants de l.'l marine an pOI·t de nrest,
Brest, 1890.

sigué comte de Roquefeuille et Ruis Emuito; [lutre .... du '2.7' mal
1ï73, signé le chevalier de Biré, officier de ladittc flutte le Vaillant;
auU·e.... du 2< septembre 1774, signé comle de Roquefeuille et

Ruis Ell1bito, en qualité de second calfat sur l'Amphitrite, com-
mandé par M. de Réa l, capitaine de vrtisseau, signé com te de
Breugnon (1) et Ruis Embito, intendant; autre .... du 8 septembre
lilt, signé le ehevalierde Rértl, commandrtnt laditle flntf.e l'Am­
phitrite; autre .... du 10' octobre 1776, en qlu,lité de m' cdlfat
sur le vaissenu le Zodiaque, commandé par M. du Chaffaut, chef
d'escadre, signé comte d'Orvilliers (2) et Ruis Embito, intendant;
antre .. .. du 1" décembre 1776, en laditte qualité de m' calfat sur
vaissertu le ~odiaque, :-igné Hector; major de la mari ne et
ledit
des armées navales au dépul'Ienlent de Brest; -- eonsentement et
rtpprobation du 8 juillet dernier, de 1\1. le comte du Chaffaut, lieu­
tenant général des al'mées navales, commandant actuellement
l'escadre et le vnisseall I(~ Jfagnifique, où servo it ledit Rohan cn
qualité de m' calfat, à ce que ce dernier soit employé et conffirmé
dans ·l'état de ca lfat juré de la Fos~e; · autre consentement et
nlJprobation aussi du 8 juillet dernier, de M. de Briqueville, briga­
dier des armées navales et chef des constructions des vaisseaux du
- . notre ordonnance de soit communiqué au
Roi en ee port;
proeureur du Ro i, les conclusions de ce dernier, le tout considéré,
« Nons, lieutenant général (ail siège de l'amirauté de Brest),
Faisant droit sur ladite requête, sous le !Jon plaisir de son Altesse
Sérénissime Mgr l'amiral de France (3), ayant égard aux dits certi-
fIcats de service et capacité du suppliaut, qui resteront déposés en
IJotre greffe , et au consentement cie l'avocat et procureur du Roi,
ayons reçu et recevons, commis et proposons ledit Jean-Marie
Roh[l n, [lour maître calfat de la Fosse en ce port, à l'effet de faire
et roumi!' ;'t tous maîtres, capitaines et patrons des bâtiments parti­
culiers, tous les secours et ouvrages clont ils auront besoin pour
leurs rndoubs et carennes, dont il répondra personnellement, parce
qu'il se conformera ~ la police du port du Roi, pour tout ce qui est ·
(.) COInll1tlndnol cie la marin e.
(i ) C/l mmandnnt de la mtll'ine.
(,) L(Jui s-Jean-Ma l'ie cie Buurbon, clue cie Penthièvre, en mêllle Lemps
go uverneur eL lieutenant gL'néral pour le Hui en Bretagne.

relatif à la sûreté de ses vaisseaux ct au bien du service; et à '
l'égard des contestations qui pourroient s'élever pour faits de
radoubs et autres affaires cont6ntieuses et de police entre ouvriers
éga lement que des en treprises
et maîtres de bâtiments particuliers,
qui pouroient être formées sur les ouvrages à faire et exécuter par
ce dernier et tous autres se pourvoiront en ce siège,
ledit Rohan,
à qui la connoissanee en appè1rtient, conformémünt à l'ordonnance
de la marine de 1681, arrêtf: et règlemen ts en conséquence; et a
ledit Rohan promis et juré par serment devant nous, ayant la main
levée, de se bien et fidellement comporter en ses fonctions.
«( Arrêté en la chambre du conseil de notre auditoire, à Brest,
ce jour 2 aoust 1777. )) (1) "

Signé: Guibert de la Salle.
« Scellé à Brest lesdits jour et an. »
Signé: Guibert de la Salle, eommissaire garde-secl.
Malgré que le métier de charpeu1iel' ne soit pas enjurande

à Brest, et que le titre de maître n'y implique pas l'obliga­
tion d'une réception spéciale, il semble que celle-ci ait été
regardée comme une marque susceptible d'augmenter le
prestige d'nn sujet dans la corporation et de lui fail'e
conférer certaines préférences de l'autorité judiciaire~ dans
les cas d'expertises et de visites, à côté ou à défaut des
maîtres-jurés en titre. On en peut voir la preuve da DS la
, requête (2) et la réception du SI' Bouguennec, en 1781.
Requête à Mrs les juges royaux de l'amirauté de Brest.

( ' ) On trouve dans les comptes-rendus du consei l général de la commune
de Brest, une pélilion c!nl{'c du JI) fÔYl'ier nuo, « souscrit.c de plusielll's
citoyens nOlables, tendant à cc que le lieu connu à Hecollvrance sous Il!
noru de La Fosse soit désormais libre el que tous les armalcur;,; l)llis~eJlL
y faire ca rén er leur:; nHyires p~ll' lels IllnÎtres ehal'pcnLiers ct calents qu' ils
le jugeront COl1\'Cnilbl(', Silns Nrc contraints de se snryil' du minisl.i!re du
Sr Rohan, maÎlre ca ll'at jurl: de l'amirHIILt"». Le monopole all ,l iL iJienl.àL
c1isparaîLre 3yeC "amiraulé cl les jUI',llHles,
(2) Documenis cxlrn it.s, comme le p\'~'c('dellt, des de Brest.

( Supplie hnmblement Jean Bouguennec, maître charpentier
de bàtiments marchands,
constructeur
il a acquis les cJpacités et
( Disant que depuis plusiellrs années
conpoissDnces nécessaires pour la construction des navires mar­
au siège, il fournira au
chands. Pour en donner des preuves
de la présente et des certificats de ses ouvrages pour les
soutien
navires marchands et devis pour ceux de Sa Majesté .
Comme le suppliant sait qu'en yotre siège, messieurs, il n'y a
jus(]ue~ à présent aucun maitre charpentier constructeur reçu, il
se flatte que vous voudrez bien le recevoir en cette qualité et lui
approqation. Vous sentez, messieurs, qu'en le rece­
donner votre
ce ne peut à l'avenir faire qu'unfl personne
vant par votre siège,
de connance soit dans les opérations qui se font devant vous,
et inspection de navires, lors qu'il vous piait en faire
comme visite
es nominations, ce qui devient absolument journellement si néces­
dans toutes los visite's de nayires les maîtres charpentiers
saire que
et tous autres deviennent des plus utiles, ou pour la condamnation
les réparations à y faire avant d'en­
d'un navire ou pour illdiquer
treprendre un voyage. .
( Pour prouver de ses capacités au fait de la construction, il
observe flue si dans le public il a été assez heureux pour se faire
counaîtru, il croit qne d'un autro côté les certificats dont il est
muni le feront cOllnoitre par votre siège .
Les cinq certificats des sieurs Guilhem, Daniel, Yvon, Le Guen
et Riou-Kerallet attestent non seulement la probité du suppliant,
mais encore la grande sati:;faction de ces bourgeois d'avoir été
tou s sutbfaits des ouvrages distribués sous la conduite du suppliant.
«. Celui du S' Guignace, ingéllieur-constructenr en chef (1),
dOllue les quulités uécessaires au suppliunt pour remplir la place
de maître charpentier constructeur, ainsi qu'il ose se flatter que
vou s y anrez égard .
. « Le devis et conditions pour la construction de 4 gubarres pour
le transport des bois de chauffage et de construction à tirer des
rade, qu'il a passé le 15 septembre 1778 avec
. environs de ladite
(l) Dc la marine roy,lIe. <)n va voie crue BOllgucnncc a exôr.llté de:;
lnlYJUX pour le compte de la Il1Drine .; maispeul-ètre aussi avait il servi
en fiualité de charpentier clans l'arsenal .

l'intendant de la marine en ce port, prouve bien q n'il a exactement
son marché, puisqu'il est approuvé pnr le dernier con.;ieil
rempli .

de la marine sous l'approbation de M. de SDrline ....
« Si toutes ces pièces ne prouvoient point suffisamment ses capa­
cit.és, il en joindrait encore d'autres ....
. « Mais comme le suppliant croit avoir depuis longtemps acquis

'la capacité de la construction, il se flatte que vous y aurez égard,
et qu'il vous plaira le recevoir dans votre siège,

« Ce considéré,
« Qu'il vous plaise, messitufs, voir avec la présente le nombre
de 12 pièces, tant eertificats, devis, qu'autres, justitlant la capacité
la construction de maître marchand charpentier
du suppliant pour
des navires marchands (sie), y ayant égDrd, le recevoir par votre
en · ladite qualité, et à ponvoir inspecter tous bàti mens de
siège
commerce destinés, . soit au petit cabotage ou pour le longcoul's, il
la charge de vous en donner avis et de se conformer allx ordon
et arrêts rendus pour la construetion des navires marchands
nances
les déclarations en "\'otre siège, se soumettant ponr cet
et d'en faire

effet de prêter le serment requis et de faire toutes les soumissions
M. l'avocat et procureur du Roi ex igera pour sa réception et
que
ferez justice. ))

Après information et sur les conclusions favorables de
l'avocat et procureur du Hoi: le lieutenant général du siège
de l'amirauté de Brest'rend une sentence de réception:
. « .... Nous lieutenant général susdit, faisant droit en Imlite
requête, égard aux pièces y jointes, aux conclusions préparatoires
de l'avocat et procureur du Roy, de notre avant faire droit rendn
en conséquence, à l'information des bonnes vie ct Illa.'Ul'S du
supliant et aux conclusions deffînitives dndit S' avocat ct procnreur
du Roy, avons reçu et recevons ledit Jean Bonguenncc, I.)1nitre .
des navires marchands, pour, en ladite
charpentier constructeur
tons b5timens de commerce destinés, soit au
qualité, insplcter
. petit cabotage ou pour le long-cours, parce que le suppl iaut no •
pourra s'immiscer en rien dans les onvrnges et opérations relatives
à celles de la Fosse confiées au seu l so in dn S' Roh:lll, I11(lÎlre
charpentier et calfat juré du siège, et qu'il prêtera le serment .

requis, ce q-u'il a fait en l'endroit devant nous, ayant la main levée
à la manière accoutumée, et à la charge d'informer le siège de
l'âge, qualité des bâtimnes destinés au petit cabotage et grand
ne pourra construire ni voir construire des
cabotage, et parce qu'il
bâtimens qu'au préalable il n'en soit passé déclaration en notre
greffe; ordonnons à touO s ceux qui lui seront subordonnés de le
reconnoître en sadite qualité de maître charpentier construclenr,
de lui obéir et porter respect sons les peines qui échéent .... »

Je terminerai cette notice par le récit d'un procès très
propre à éclairer l'un des côtés des mœurs corporatives,
sous l'ancien régime.

La religiosité dominait autrefois dans les esprits. La
croyance était la base de la morale, de la vie domestique
comme de la vie publique, et le catholicisme étayait les
institutions jusqu'à se confondre, dans la monarchie, avec
o le principe de la nationalité. Dans le peuple, on était dévôt,
avec une bonne foi naïve; il n'y avait pas d'association
ouvrière qui n'abritât ses statuts sous un saint patron, ne fit
intel'venir le prêtre dans les actes les plus solennels de sa
modeste existence, ne cherchât à assurer même à ses morts
les bénéfices d'une protection tant de fois invoquée pOUl' le,
compte des vivants. Et c'était, entre corporations, comme
une rivalité, dans la manière de manifestel' la ferveur
a.rtisans, pour s'entretenir dê-\l1s une commu..:
cultuelle. Les
nauté d'idées forte, cimentée par le caractère religieux,
fOl'mèrent à Brest, à l'instigation et tout d'abord sous la
direction des Jésuites, une grande confrérie. Mais cela
n'empêcha pas le développement de confréries particulièl'es.
Les calfats, tl'ès nombreux. à Hecouvrance, voulurent avoir
la leur. Ils avaient, ainsi que je l'ai dit plus haut, adopté
pour patron un saint méridional, saint Elme : ce fut sous son
qu'ils se formèrent en confrérie, et, fi. un moment
vocable
où le trésor commun se trouva assez riche, où par l'état

d'aisance de la plupart des membres, il était facilél de réaliser
des contributions volontaires ' par surcroît, ils n'hésitèrent
pas à se payer un luxe, d'ordinaire réservé aux plus riches
maisons, celui d'une chapelle et d'un lieu de sépulture
réservés à leur corporation, dans une église de leur
localité. NaturellemenLces visées un tantinet vaniteuses

rencontrèl'ent un écho bienveillant auprès des ecclésiastiques
appelés à .en retirer quelque avantage.
Un homme charitable, Tanguy Ellez, avait légué une
maison à Recouvrance, pour loger quatre prêtres, qui don­
neraient leurs soins aux nécessiteux et desserviraient la
église de Saint-Sauveur (terminée en 1679) (1).
nouvelle
Une confrérie du Rosaire venait d'être établie dans cette
église et, sans doute, elle éveilla: chez les calfats, l'idée de
se grouper plus étroitement, sous le patronage de leur saint
d'adoption. Ils s'adressèrent aux prêtres de Saint-Sauveur:
on s'entendit très vite et l'on signa l'acte que je vais '
rapporter (2).
c( Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, aujourd'hui 14
juin 1680, avant midy, devant nous, notaires royaux et du siège
de Brest et Saint-Renan, avec soumission à icelluy, ont été présant
personnellement vénérables et diserètes personnes missire Jean
.Jean Caoucé, Jean Jaouen et Marc Perron, prêtrès de la
Pellé,
com ll1unauté ecclésiastique du bourg de Recouvranee, paroisse de
Quilbignon, -diocèse de Léon, vray propriétaires de la maison,
nouvelle chapelle de Saint-Sauveur, comme il est porté par l'acte
de donation fait aux dits sieurs prêtres, y recours, d'une part, et

honorables gens Nicolas Garnier, Jacqnes Guaval, Noël Lazennec,
Louis Le Millour, Noël Siviniant,
Jean Corps, Laurent Brélivet,
Yves Souliman, Es tienne Garnier, Pierre Godinner, François Le
('1) Levot, Histoire de Rrest. 1. 31 1. L'église fut élevée des cleniers Des
habitants. Il s'agit ici cie la pl'ernière ég li se de Saint--Sauveul', qui en
réalité était plutôt une cbapelle. .
('!) Arcf1ives municipales de Brest, tonds moderne, M, liasse relative ù
l'église cie Saint-Sauyeur.

Gouarzin, Jean Colleal1, Bernard Le Glo:mec, Pierre Testard et
Nicolas Kervennic, maitres calfats, stipulant tant pour eux que pour
la même profession, demeurant audit Recou­leurs confrères de
vrance, d'autre (pa~t), entre lesquels sont arrestées' les conditions
est:
qu'ensuivent, scavoir
« Lesdits sieurs prêtres de ladite commu\Hmté ont .... (?) consent ys,
baillent, ceddent et dél aissent à promesse de garant.ie aux dits
jO~lir par eux, leurs hoirs, successeurs on cause
calfats pour en
clwpe-Ile dans ladite église de Saint- "
ayants perpétuellement une
Sauveur, size du costé de l'Epitre, contenante 14 pieds et demy de
de l'autel,
long et 7 et dellly de large au niveau des balustrades
que lesdits . galfats ont fait faire avec un tableau représentant saint
Cl ntel, à toutte faculté de faire dans toute
Telme au-dessus dudit
de cette chapelle sépulture, enterrement, prières et
l'estendl1e
obsèques funèbres eux et leurs dits hoirs et successeurs, lorsqu'ils
à propos, mettre des pierres plates tomballes dont un bout
jugeront
sans néantmoins placer aucun
ne sera pas plus large que l'antre,
ni autres décombrements quel­
banc, . accoudoir, chapelle ardente
conques, d'antant que les dits galfats payeront annuellement aux
diLS sieurs prêtres la somme de 6 livres tournois de rente il com-
mencer le premier payement au premier jour d'avril prochain ct
ainsy continuer à jamais, outre lesdits sieurs prêtres, s'obligent
à célébrer et desservir sur ledit autel une messe à basse voix tous les
dimanches, 8 heures du matin, pendant l'an, anssy il perpétuité pour
la prospéritédesdits galfats,à la charge qu'ils payeront auxdils prêtres
la taxe d('ll'évêqlle,dmant laqnelle seulement
pour laditte messe selon

leur sera loisible de faire mnrchcr lm plat afin d'amasser quelques
offr<:lndes pour l'entretien dlldit autel et el1apelle sans les pouvoir
COllvertir à autre uS<:lge ny à faire dire des messes, aussy
marchera ledit plat le jour ct feste de saint Telme qui se solennise
le premier jour dudit mois d'avril, sans que lesdits
ordinairement
prêtres puissent rien prétendre aux dites offrandes, davantage
pm' donalioll entre vif auxdits sienrs
lesdits calfats aumônent
la somme de 555 livres valoir il laquelle iceux sieurs prôtre"
prèlres
reeollnoissent ct confe:3sent avoir avant ce jour receu comptant

galfats cOllverty et employé à l'édiffiention de ladite église
desdits
240 livres, le snrpllls qui t'st 315 livres, lesdits galfats s'obligent

p!lyer auxdits sieurs pl'ètres la moitié qui est 157 l. 10 g. le 12'
le restant qui est pareille somme aujourd'hny
décembre prochain et

ou un an sous obligation solidaire de tous et chacun, leurs biens
menbles et immeubles presant et à venir qu'ils affectent et hypo-
tèqllent à toutes rigueur:, de justice sans sommation précédente,
couditionné que lesdits JSulfats ne seront obligés à i:HlClllle répara­
du massonage, boisage, vitre ny toest (toits) sur
tion au sujet
laditte chapelle, à quoy lesdits sieurs prêtres seront tenus en privés
et que lesdits galfats ne [louront fuire cellébrer ladite messe
. noms '
par autre que par lesdits sieurs prêtres ou de leur consentement .... ))
En avril 1695, le recteur de Saint-Pierre-Quilbignon,
dont la paroisse comprenait alors la presque totalité de
Recouvrance, les trésoriers et marguilliers de Saint-Sau­
veur, où l'on a organisé une fabrique, stipulent avec les
calfats un acte confirmatif du précédent. I,a confrél'ie remplit
scrupuleusement ses obligations.

Mais les recteurs changent et si les calfats n'entrevoyaient
rien de mieux que de perpétuer l'exécution d'un contrat,
à leurs yeux hors de . toute contestation, des intél~êts
collatéraux s'agitaient. pour les entraver dans leur pieuse
dévotion.
La petite chapelle de Notr.e-Dame, sur le quai, due à la
piété des . seigneurs du Châtel, et qui, pendant longtemps,
avait suffi à une population très restreinte, avait gl'oupé
autour d'elle des habitants jaloux de l'essor de la nouvelle
église, et que la discontinuation des offices réguliers à leur
portée gênait dans leurs habitudes. Les prêtres et les sous-

gouverneurs attachés à la chapelle étaient hien davaritage
contrariés d'être réduits à un rôle de second plan et de
perdre les bénéfices d'un casuel qui allaient se reporter sur
l'église rivale. Saint-Sauveur pouvait devenir paroisse, ce
qui ne laissait pas d'inquiéter Saint-Pierre. Et de fait, la
petite église primitive de Saint-Sauveur fit place à l'église

actuelle, achevée en 1749, et consacrée paroissiale l'année
suivante (1).,
Au cours de tiraillements causés par des intél'êts plus ou
moins divergents: la confrérie des calfats ne jouit point avec
tranquillité des prérogatives qu'elle avait achetées à beaux
deniers comptants. Même on oublia l'acte pàssé' avec elle;
on lui récusa le droit d'occuper, dans la nouvelle église:
aucune place tombale, de posséder aucun autel particulier.
De là procès par devant le Présidial de Quimper (2).
Les calfats furent déboutés de lellrsjustes réclamations
(1764) et ils eurent à payer los frais ùe procédure.
La corporation avait contribué, par son initiative et par
son argent, à préparer rétablissement d'un centre paroissial
à Recouvrance : l'œuvre ébauchée par les aïeux devait, à
l'heure de sa réussite, tourner à la confusion des fils P.t des
petits-fils!
Le Sic vos non vobis, ... est de tous les temps et de tous
les lieux!

Dl' A. CORRE.

• ',_ t M • _ _ ~ 7C_,_._ , _,_7'_~'''_ '_' _' _,_ ' __. _ ___ ~ _~'_ ' ,~,_ ,~ _ ,,,, ;_. M _ f"· _. _I •. _~ ~ .. -'''~.!
(1) Levot, Itistoh'e de Brest, 1. 346,
(1) Archives municipales de Brest, nncien fonds, GG. cnrt. 1