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Bulletin SAF 1898


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Pierre tombale découverte à Saint-Louis de Brest

E. Ducrest de Villeneuve

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PIERRE TOMBALE
découverte à -Saint-Louis de Brest .

Dernièrement, en réparant le dallage du chœur de l'église
Saint-Louis de Brest, on a levé une dalle plus grande que
les autres, et on a découvert que c'était une ancienne pierre
tombale portant la statue d'un homme d'armes (1), la face tour­
née vers le sol. Cette découverte a causé un certain émoi et
l'on s'est demandé quel était le guerrier dont on retrouvait la
statue, sinon la tombe, puisque Saint-Louis n'a été créé et
construit que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, et -d'où
cette pierre tombale pouvait provenir. .
M. le docteur Marion, bibliothécaire de la ville de Brest,
m'écrivit sur le champ pour me signaler la trouvaille et
me demander si je pouvais lui donner des indications;
cela m'était impossible d'autant plus qu'il ne m'envoyait
aucun dessin. Je ne pus que lui recommander d.e fixer la date
d'après l'armure et surtout d'étudier le blason de récu s 'il
était déchiffrable. M. Jourdan de la Passardière, héraldiste
très compétent, s'en était déjà occupé. Il arriva vite à se faire
une OpInIOn. .
Je ne puis mieux faire que de donner une analyse du

procès-verbal de la séance du 25 juillet dernier de la Société
des architectes de l'arrondissement de Brest qui contient une
description complète du monument et les conclusions de
M. Jourdan de la Passardièl'e,et dont je dois la communication
à l'obligeance de M. le docteur Marion.
(1) Je me sers il dessein de l'expression homme d'armes. Tous les •
gentilshommes ne devenaient pas chevaliers; il s'en falla} t de beaucoup.
De grands hommes de guerre, commandall t cles compago ies importan tes,
ne furent jamais qu'écuyers. Tel fut , croyons-nons,' I,e cas cie Gilles de
Texüe.

Les opinions émises par ces messieurs me paraissent très
fondées et, jusqu'à preuve contraire, je considère que la
pierre tombale découverte à Saint";'Louis "est bien celle de
Gilles de Texüe qui fut capitaine de Brest de 1498 jusqu'en
1514. Quant au lieu où il fut inhumé, aucun document
ne nous l'a encore appris, mais j'inclinerais personnellement
à penser que, étant mort capitaine du château de Brest, Gilles
de Texüe fut inhumé dans la chapelle même du château et
que, cette chapelle ayant été démolie à l'époque où l'on
construisait Saint-Louis, cette pierre fut portée avec beaucoup
d'autres dans la nouvelle église. A cette époque personne
ne se souciait plus du vieux capitaine de la reine Anne et,
comme cela s'est reneontl'é souvent dans d'autres édifices,
son image fut retournée vers le sol sans aucun respect pour
sa memOIre.
Voici d'abord la description de la figure telle que la donne
au procès-verbal M. le président Chabal.
La dalle est en Kersanton. La tête est nue. Les cheveux
sont longs. Le visage est rasé. Deux anges soutiennent un
voile sur lequel repose la tête. L'armure se compose d'un
haubergeon dont les mailles apparaissent au cou et entre les
tassettes. Les jambes sont couvertes par les cuissards avec
genouillères articulées et les grèves en deux pièces. La
chaussure est celle dite pied d'ours, courte et large à l'extré­
mité. Sur la cuirasse une cotte d'armes rembourrée, courte
avec pèlerine. Un pli de cette cotte agrafé par un bouton
forme la manche. Les mains sont jointes. Au côté droit de la
figure sont pos'és un casque du genre armet et des gantelets
articulés. Au côté gauche une épée droite, large, très forte
et de section losangée soutenue par deux bélières. Les pieds
sont posés sur un lion qui tient entre ses pattes de devant un
écu retourné vers la tête du chevalier. Cet écu porte seule­
ment un chef. Toute la sculpture est assez bien exécutée et,
à part quelques cassures, dans un bel état de conservation.

La seule inspection de l'armure suffit pour démontrer
qu'on se trouve en présence d'un homme d'armes ayant vécu
à la fin du xv siècle. La cotte d'armes serrée, rembourrée
et courte avec pèlerine avait été abandonnée sous Charles
V II et fut reprise sous Louis XI. Les solerets' à large extré­
mité sont particulièrement très caractéristiques et indiquent
d'une façon irréfutable que le personnage n',est pas anté­
rieur aux dernières années du xv siècle.
La chevelure longue date encore cette statue. Les hommes
d'armes portèrent les cheveux courts jusque vers le milieu
du xv sièle. Sous Louis XI et Charles VIII tous reprirent
les chevenx longs.
L'époque étant ainsi fixée, se présente la question de savoir
quel est le personnage. L'écu seul peut nous le dire. Il est
heureusement assez bien conservé pour cela. M. Jourdan de
la Passardière a recherché toutes les familles bretonnes qui
ont porté un écu d'un champ plein au chef également plein.
Je crois devoir transcrire littéralement cette partie du
procès-verbal pleine d'intérêt. Elle montre avec quel soin
Ni. Jourdan de la Passardière a étudié la question et avec
. quelle netteté et quelle force il précise ses conclusions.
Le président invite ensuite M. Jourdan de la Passardière à expli­
il est arrivé à identifier, d'une manière très probable,
quer comment
la statue de Saint-Louis avec Gilles de Texüe.
M. Jourdan de la Passardière répond que le nombre des familles
qui portent pour armes un champ plein surmonté d'un chef plein
est assez restreint.

Il ne connait pour ~a part que les suivantes:
1. Avaugour: d,'argent au chef de gueules;
2. La Forest: d'argent au chef de sable,
3. La Marche : de gueules au chef d'argent,
4. La MoUen: d'argent 'au chef de sable,
5. Quillou : d'argent au chef de sable,
6. Talhoët : d'argent au chef dé sable,

7. Texüe : d'argent au chef de sinople,
8. Trémaugon : d'or au chef d'azur.
On peut éliminer de suite : .
1. ADaugour, représenté à cette époque par la branche de Ker­
d'A vaugour que l'on voit
groas, qui brisait d'une mâcle. (François
figurer en 1489 dans les comptes du duché, comme capitaine de
40 lances, est le comte de Vertus, fils naturel de François II).
2. La Forest, représenté, pour la Forest d'Armaillé par Jacques,
conseiller à la Cour, et pour la Forest en Languidic par Louise,
dernière du nom, mariée à Tanguy de Kermavan.
3. Trémœugon, en Plounévez-Lochrist (ne pas confondre avec le
chevalier de ce nom, qui portait d'autres armes), famille anoblie
eu 1467 en la· personne de Goulven.
4 et 5. La Mollen et Quilliou, familles peu considérables de
. Cornouaille, et qui n'ont pas marqué dans l'histoire du pays.
Jehan La Molen était archer en Brigandine, en 1481.
Il reste La Marche, Talhoët et Texüe.
6. La Marche, famille importante de Cornouaille, dont le chef
en 1481, Anceau, sieur de Bodriec, marié à Constance de Botmeur,
avait accompagné .le duc Pierre à la Cour de Bourges en 1455 ; il
comparaissait à la montre de 1481 comme homme d'armes à deux

chevaux. .
Son fils Guillaume vivait il la fin du xv' siècle; il avait épousé

Marguerite de la Villeneuve.
Nous ne connaissons aucun document rapportant que cette
famille ait eu des attaches du côté de Brest à l'époque qui nous occupe.
l'alhoët, ancienne famille du pays de Vannes, dont Guyon, sieur
de Créminec, que l'on trouve en 1513, capitaine et porte enseigne
de Pierre de Foix, baron dn Pont et de Rostrenen .
En 1526, il est présent à une enquête sur l'existence de la
chambre des comptes de Guéméné. En 1527, il assiste à la curatelle
de Louis de Rohan, sieur de Guéméné. En 1529, il représente M.
de Rohan à l'assemblée de la noblesse de Bretagne réunie pour
aviser à la rançon des enfants de François lU. (V. Dom Morice, III,
Cette famille parait s'être confinée dans sou pays d'origine.
8. Enlln Texüe, famille considérable du pays de Rennes, origi-

naire de la paroisse de Pacé, dont Gilles, capitaine de Brest en
/498, rem placé dans cette charge par le voyer de Trégomar, entre
1508 et 1516, probablement en 1516. .
La conclusion ne paraît pas douteuse : les probabilités sont pour
Gilles de Texüe. .
Que conn ait-on de Gilles de Texüe et de sa famille?
Peu de chose; voici ce que rapportent à ce sujet les Preuves de
l' histoire de Bretagne. .
- En 1357, on trouve un sauf conduit pour Guillaume de Texüe,
(D. Morice, I. 1517).
chevalier, et trois écuyers.
De 1371 à 1:l80, Robert figure comme écuyer dans quatre
montres de Du Guesclin, une montre d'Eon de Baulon à Dinan, et
une montre de Robert de Guitté à Paris. (1. 1651 5258, II. 186-256.)
...:. En 1414, Alain, écuyer, avec 13 autres écuyers de sa compa­
gnie fait partie du corps de 3000 hommes d'armes et 1500 hommes
de trait sous M. de Richemont. (II. 907.)

En 1419, Geffroy, écuyer de la retenue du maréchal de Dinan,
a sous ses ordres Bonabes et Bertrand de Texüe, aussi écuyers, et
accompagne avec eux le comte de Richemont à Angers.
Bertrand, qui avait suivi le duc Jean dans son voyage à Paris, en
avril 1418, aux gages de 12 livres pour un mois, et qui servait
aussi dans la retenue de Bertrand de Dinan, s'arme en 1420 pour
le recouvrement du duc, et figure encore en 1426 dans une montre
de Guy, sire de Gavre. (II. 917-1011-1105-1197.)
Bonabes prête serment au duc en 1437. (II. 1302.)
- En 1457, on trouve Noël, chevalier, l'un des gens d'armes du
maréchal de Malestroit. En 1471, il est lieutenant de Bertrand du
Parc; en 1474 et 1477, il préside en cette qualité les montres de Dinan.
De 1480 à 1488, il est capitaine de Hédé. (II. 1728, III. 393-578.)
- Quant à Gilles de Texüe, il débute en 1480 comme constilleur
dans la compagnie de 20 lances et 30 archers commandée par
Thomas de Kerazret, qui devint plus tard, en 1489, capitaine de Brest.
En 1486, il reçoit mandement de rassembler la noblesse et de la
conduire à Clisson pour résister aux ennemis du duc.
En 1488, il est envoyé en mission près du roi de France, ct il est
compris dans le béguin du duc François II pour 6 aunes de noir,
pour faire rohe et chaperon .

En 1489, il est capitaine de 20 hommes d'armes.
En 1495, il fallait se procurer de l'argent pOUf snbvenir à la
conquête du royaume de Naples: on fit des réductions de solde et
de gages. Un état dressé à Lyon porte une réduction de 100 livres
sur ceux de Texüe.
En 1498, il est compris au béguin de Charles VIII pour quatre
aunes de drap noir. Il fait partie de la maison de la Reine aux
gages de ::;00 livres et figure au nombre d~s 50 hommes d'armes
de sa garde, smIS la charge du seigneur de Maillé.
Cette même année, il est capitaine de 20 hommes d'armes et 40

archers à la petite paye, et pourvu de la ca pitainerie de Brest. en
remplacement de Guillaume Carrel ou Carreau,
Levot (Histoire de Brest, 1. 44 et suiv.) a donné quelques détails
sur ce dernier gouverneur; mais les documents lui ont manqué
sur celui qui nous occupe.
En 1501, Gilles de Texüe avait 800 livres de gages. .
En 1506, il figure dam les comptes du duché comme écuyer
d'écurie de la Reine Anne.
En 1508, il avait comme lieutenant à Brest Jehan de Saint­
(D. Morice, III. 390-540-605-714-753-793-804-856-877-889.)
Hilaire.
Son décès se place probablement entre cette dernière ,date et
1516, époque à laquelle Bertrand Le Vayer de Trégomar, seigneur
de la cour, est désigné comme capitaine de Brest aux gages de
700 livres. (III. 889.)
Gilles de Texüe est mort dans son lit. C'est du moins ce qne
donne à penser la position de son casque. Certains auteurs rappor-
tent en effet que les chevaliers qui perdaient la vie sur un champ
de bataille étaient représentés le casque en tête et l'épée en mains.
La famille de Texüe s'est éteinte au xvr- siècle, et la terre de
Texüe est entrée dans la famille de Brûllon en 1570 à la suite du
mariage de Bonne de Texüe avec Pierre, chevalier de l'ordre de
Roi, veuf de Françoise de Sangay. Sébastien Brûllon, sieur de
Texüe, issu de ce mariage, épousa en 1587 Claude du Chastel, et

mourut sans posterIte.
On s'est demandé comment le tombeau d'un capitaine de Brest,
étranger au pays de Léon, décédé près de 200 ans avant l'inaugu-

ration de Saint- Louis, pouvait se trouver dans le chœur de cette
égli~c occupant la position qui a failli amener sa destruction.
à cette question, il faut attendre de nouvelles
Pour répondre
découvertes; ce que l'on admettra volontiers, c'est que la pierre
tl'ouvée à portée de., travaux de dallage lorsqu'ils
tumulaire s'est
ont été entrepris, et aussi que le personnage qu'elle représente
~e trouvait alors sans parenté dans le
était tombé dans l'oubli et
pays.

D'après M. le chanoine Guillotin de Corson dans ses
grandes seigneuries de Bretagne, Gilles de Texüe mourut
le 12 juillet 1514. Sa veuve, Louise de Bintin, lui survécut
jusqu'en 1518.
En résumé nous croyons avec M . Jourdan dela Passardière
que nous sommes bien en présence de la pierre tombale de
l'écuyer de la reine Anne, du vieux serviteur du duc François
II et d'elle même aux jours agités de sa jeunesse, de ce
gentilhomme fidèle et dévoué auquel elle confia la garde
d'un des plus beaux joyaux de sa couronne ducale .

. Nous adressons toutes nos félicitations à notre jeune sœur,
la Soc.iété des Architectes de l'arrondissement de Brest, qui
a fait œuvre de goût artistique et de religion archéologique
en s'occupant du sauvetage de cet intéressant monument de
notre histoire, à ceux de ses membres qui l'ont si bien étudié
et particulièrement à M. Jourdan de la Passardière qui a
démontré avec des arguments si puissants que nous nous
trouvions bien en présence du monument de Gilles de Texüe .
Je prie notre Société de s'associer aux remerciements dont
je me fais ici l'interprète auprès de M. le docteur Marion dont
l'obligeance est si connue et qui a bien voulu nous en donner

une nouvelle preuve en nous tenant au courant de cette
intéressante découverte et en .nous fournissant toutes les
indications qui précèdent.
E. DU CREST DE VILLENEUVE.