Responsive image
 

Bulletin SAF 1898


Télécharger le bulletin 1898

Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne en 1898. Section d’économie politique et sociale - Question 14ème du programme: Des mesures prises en Bretagne au XVIIIè siècle pour le traitement des aliénés

Abbé Antoine Favé

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


CONGRÈS DES SOCIÉTÉS SAYANTES A LA SORBONNE 1898 ,

Section d'Econo:.tnie politique et sociale
QUESTION 14 DU PROGRAMl\1B :
« Des mesures prises en Bretagne au XVIIle siècle
pour le traitement des Aliénés »

Notes communiquées par M. Antoine Favé, secrétaire de la
Société archéologique du Finistère, aumônier de l'Asile
Saint-Athanase.

Au Congrès des médecins aliénistes tenu à Toulouse, du
2 au 8 août 1897, M. le Dr Doutrebente, directeur de l'Asile
de Blois, après avoir exposé rapidement les efforts tentés
pour introduire, au XVIIIe siècle, une modification profonde
dans le traitement des ' aliénés, s'exprimait dans les termes
qui suivent:
« Enfin Pinel vint, et médecin en chef de Bicêtre en 1792,
« il fit passer de la théorie à la pratique ,les idées philan-
« thropiques de l'époque: plus de, chaînes1 plus de cachots
« infects, plus de mauvais traitements; lès aliénés eurent
« de l'air, de la lumière; il organisa des :promenades, des
«( ateliers de travail; il institua un bon régime alimentaire;

«( il obtint des guérisons ... (1 ) )) On ne pouvait faire une
description, plus concise, en même temps que complète de
l'œuvre de Pinel, de sa méthode et de ses résultats: « il
obtmt des guérisons! » Avant lui, toutefois, on se préoccu­
pait du sort des aliénés: un saint Vincent de Paul, un

(1) Rapports du Congrès, 1 partie, p. 219.

saint Jean-de-Dieu, et bien d'autres, propagent autour d'eux,
la flamme d'affectueuse et douce pitié qui s'était emparée de
leurs grandes âmes; mais du progrès de ces sentiments de
commisération, on ne voit pas ressortir une méthode scienti-

fique de traitement, l'organisation d'un service médical
spécial. Au xVIIie siècle, les registres des Etats de Bretagne,
. les arrêts du Parlement de la province, les actes du pouvoir
central, attestent une préoccupation, une bonne volonté
pour arriver à une solution des difficultés
.incontestable
. sociales en matière de bienfaisance et d'assistance publique.
La poussée imprimée à l'opinion se traduit par des projets
de règlements, par des essais d'exécution que viennent
déconcerter et les guerres, et l'état précaire des ressources
et des finances .
De ces essais d'amélioration de la condition des malheu­
reux, celui qui reste le plus défectueux c'est celui qui concerne
les soins à donner aux aliénés (1). On commençait à connaître
le mal, on en soupçonnait le remède, l'attention générale
était attirée à plusieurs reprises par plusieurs incidents
« enfin Pinel vint», c'est-à-dire, comme
éclatants :
Malherbe, il vint à son heure. Le terrain était déblayé, il
précurseurs, et s'il fit une révolution pour
avait eu ses
consacrer dans la Loi ce principe que l'aliéné est t"n malade,
cette révolution était la résultante des aspirations et des
efforts de ses devanciers, qu'il concentra et réalisa dans son
œuvre impérissable.
En 1715, l'indignation des ministres, des intendants, éclata
en recevant un rapport officiel sur le sort des malheureux:
(1) M. Valran, professaur d'histoire au lycée d'Aix, qui a examiné, dans
la Section, la condition des aliénés en Provence, constate la mème
i nfél'iorité .
• Le service des aliénés était donc étranger à tout traitement scientifique,
" il était à peine tempE're par la charité, il se réduisait à un ensemble de
« mesures de police. C'était entre les divers services d'assistance, celui qui
" profitait le moins de cette philanthropie agissante, qui est la caracté­
c ristique du dix-hu itième siècle », (Journal officiel du 15 avril 1898 )

'interné's à Châtimoine. Il faut en lire l'histoire dans la belle
sur la Condition des aliénés, publiée en 1886, par
étùde
M. Victor du Bled, dans la Revue des Ileux-Jlondes. « On
« connaît, dit-il: la désolante description de la mosquée des
( fous, au Caire, par Horace Vernet Lisez le rapport officiel
C( de 1715 sur cette tour Châtimoine appelée par le peuple
« la tour aux fous, vous vous convaincrez que cet enfér
« égale en horreur s'il ne dépass'e celui de la mosquée du
« Caire. » Un brevet royal ordonne la démolition de cette
tour lugubre, et un instant, il est même question de fonder
dans toutl~S les provinces, des établissements d'aliénés que
le Roi prendra à sa charge.
Mais le progrès se fera attendre encore « une vie d' homme J)
En 1781 ,parait-il,J oseph Il visitantles services d'assistance
et les hôpitaux, à Paris et en France, fit des observations à
son beau-frère sur l'état déplorable où il trouvait ces
institutions. Louis XVI étudia la situation avec Colombier,
médecin de Charenton et inspecteur général des prisons et
des hôpitaux. Sur l'ordre du roi, il rédigea une instruction
sur le service des aliénés, la manière de les traiter et de les
gouverner ,. la nature des établissements qui leur étaient
destinés. Ces préceptes forment une brochure de 44 p.
in-4° qui fut envoyée aux généralités avec une circulaire
pressant la diffusion et l'exécution des instructions y contenues.
Voici le texte de la circulaire de M, de Calonne conservée
, aux archives de Ren,nes (1) :
1 Paris, 15 juillet t 785.
« Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoier 50 exemplaires
c( d'une instruction imprimée par ordre et aux frais du gou­
« vernement sur la manière de gouverner et de traiter
« les insensés dans les hôpitaux et maisons de force du
(1) Intendance de Bretagne (C. 1268.) M. le comle de Palys a bien voulu
me procurer la copie de ces deux pièces aux archives, avec une bien­
veillance dont je garde une profonde gratitude.

« royaume. Je vous prie de la répandre dans les établisse­
« ments de ce genre qui sont dans votre généralité et de
« faire connaître aux administrateurs de ces établissements
« que l'intention du 'roy est que l'on s'y conforme autant que
« les lieux et les circonstances le permettront. Vous voudrez
« bien m'informer de tout ce qui pourra concerner l'exé-
« cution de cette instruction, me faire part des observations
c( que vous pou~rlez receVOIr a ce sUjet et me marquer en
c( même temps ce que vous en penserez.
l'honneur d'être avec un sincère attachement.
( J'ai
Cl Monsieur, v. très h. et tr. ob. sr.
( DE CALONNE. »
La réponse à cet envoi, dont il nous reste un brouillon
non signé, mais évidemment du subdélég'ué Varin du
porte la date du 20 juillet 1785.
Colombier,
( Ml'. J'ai reçu et je vais faire distribuer dans mon dép ar-
« tement les exemplaires de l'instruction que vous m'avez .
« adressée sur la manière de gouverner et de traiter les
«( insensés dans les hôpitaux et maisons de force du royaume,
«( mais il ne faut pas espérer que cette instruction soit p1'a-
(( tiquée dans les hôpitaux de Bretagne, non settlement parce
. ( qu'on n'y reçoit presque pas de fous, mais parce qu'aucun
cr de ces établisse1J'tents n'est en état de faire les dépenses en
( bâtiments qtà seraient nécessaires pour loger et traiter les

( lnsenses.
c( Le seul dépôt de mendicité de Rer:nes serait susceptible,
« si vous le jugez à propos, de l'agrandissement et de la
« distribution convenables pour une entreprise si charitable
« et si utile. Il y a aujourd'hui environ 50 fous des deux sexes,
c( renfermés dans cette maison. Ils sont détenus dans des
c( cases pratiquées autour de deux cours, où on leur permet
CI. de se promener lorsqu'ils ne sont pas furieux. Mais ces
cc malheureux nourris et vêtus pour 6 sols par jour par un
(( entrepreneur (!) ne sont aucunement soignés et ne peuvent

({ l'être, qu'autant qu'il plaira
au roy d'assigner un fonds
« suffisant pour cet objet.
« L'instruction que vous m'avez fait l'honneur de m'en­
« voyer semble annoncer que le gouvernement y est disposé:
t'( et c'est, en effet, le seul moyen de la rendre utile. Je vous
« prie de vouloir bien me faire connaître vos intentions sur
« cet objet important. .
({ Je suis M. avec etc., etc .... » .'
(U ne note du même constate l'envoi de l'Instruction à '
Rennes, Nantes, Brest, Morlaix, Saint-Jlalo, Dinan, Lor-ient,
Port-Louis. )
Le subdélégué déclare que dans les hôpitaux de Bretagne
on ne reçoit pas « presque pas de {O'LtX»), mais la réticence
introduit dans sa déclaration est un tant soit peu
qu'il
exagérée, comme on le verra plus bas.
Quimper n'avait jamais, jusqu'en 1750, possédé un refuge
pour y recueillir les aliénés. C'est seulement à cette époque
Mgr Farcy de Cuillé, dont le nom
que le vénérable évêque
est à signaler pour son inépuisable charité, prenant en pitié
ces malheureux privés de leur raison, souvent abandonnés
à eux-mêmes et parfois traités avec barbarie par des enfants
inconscients ou par certaine partie de la population qui s'en
qu'odieux,résolutde leur
faisait un amusement aussi inhumain
procurer un asile. Nous l'apprenons par une délibération du
Bureau des Hôpitaux du 8 juin 1759, au sujet de « Construc­
truction de loges pour les insensés. ».
({ Le sieur de Trémaria, administrateur de Saint-Antoine,
« a remontré qu~ Mgr l'Evêque de Quimper lui a remis la
« somme de 400 livres pour construire trois ou quatre loges
« pour renfermer les fous furieux dans l'enclos de l'hôpital,
« priant messieurs les membres du bureau de lui indiquer
« l'endroit convenable pour établir lesdites loges et déli­
« bérer à ce sujet. Le bureau délibérant sur la charité de
« Mgr l'Evêque a indiqué pour la construction desdites

« loges l'appartement au rez-de-chaussée du pignon méri­
« dional de la maison neuve de l'hÔpital et au cas que la~ite
« somme de 400 livres ne serait pas suffisante pour Get
. « objet, il a autorisé l'administrateur à y suppléer. »
: Sur des réclamations de l:aumônier peu curieux de voir
proche voisinage, les loges fur:ent placées
les fous dans son
au côté septentrional « au lieu du méridional du bâtiment
neuf. » (1) .

La folie relevait si peu de la médecine, . semble-t-il, que
lorsque Thémis appelait pour la forme Esculape en consul-
tation, celui-ci saluait en protestant de son incompétence.
Les formalités .de la séquestration exigeaient une information
sur la vie et mœurs du prévenu; si cette enquête concluait
au dérangement d'esprit, les juges ordonnaient « qu'il fût
« renfermé à l'hôpital ou dans une maison de force pour y
« être traité comme les autres insensés ». Qui prononce?
Le magistrat; et s'il se trouve trop souvent des erreurs
judiciaires, il n'y a pas de faute professionnelle chez le
'médecin puisqu'il se désintéresse dans l'espèce: il certifie
tout simplement la folie et proteste qu'il n'a rien pour ce cas
spécial, dans sa thérapeutique. Il demande quelques jours
pour tenir le patient en observation, le soigner, le purger,
lui administrer évacuants, ,sédatifs, contrastimulants, anti-

phlogistiques, etc., puis suffisamment informé par les obser-
vations qu'il a faites, il déclare, s'il y a lieu, son malheureux
client fou, radicalement fou, et ce qui est plus terrible,
incurable: en vertu d'un certificat médical, celui-ci ne relève
plus de la médecine mais du juge de police 1
Corentine Rivoal, veuve de Jacques Kerdravant, de Pont­
l'Abbé, a perdu son mari. Elle en a contracté un tel chagrin
qu'elle « a perdu lesens )) : elle se dépouille de ses vêtements,
('1) Cf. dans le T. X du Bullel'in de la Société archéologique du Finistère,
/.'lIistoir'e des Hôpitaux de Qu'imper, par le Major Faty, p.1:62,-463.,

elle veut se détruire, et déjà on a eu toutes les peines à
l'arracher à un four allumé où elle voulait se jeter. Son

gendre et son fils forment contre elle une demande d'inter-
diction: et Hervé Maubras, chirurgien juré accompagné
est délégué aux fins de fournir à l'appui un
d'un confrère,
certificat de visite, le 30 août 1745.
« Avons trouvé, disent-ils, ladite Rivoal accompagné de
« plusieur's particuliers devant lesquels nous l'avons exa­
« minée, touché son poux, visitté la langue, le pallet, les
« tempes, et ayant remarqués qu'elle avoit la langue couverte
« d'une glutination billieuse aussi bien que le pallet, le poux
« et les tempes fort lents, les yeux chargés, égarés et en­
« flammés, les muscles des lèvres et la langue gonflée et
« ternis d'une couleur livide avec les thégumen du visage
« enflamé ce que nous estimons estre causé par une révolution
« de sang et de billes, qui nous paroist estre parvenu d'un
« mouvement de colla ire et de chagrin et la suppression des
« menstrues, lesquels ayant depuis environ quinze jours fait
« tomber lad Rivoal en un assoupissement léthargic avec
« 'contraction des yeux, de la bouche., perte de voix, nous
(f. fait connaître gue le cerveau est altéré en tous ses organes
CI. par la grande réplétion du sang et dhumeur qui ont esté
« porté au sinus de la dure-mère et aux vesseaux, comprimé
CI. les substances cervicales et médulaires du cerveau et du
« cervelet ce qui trouble la distribution et filtration des
(l esprits et cause la pesanteur de teste, distraction et actions
ft involontaires, imbécillité et démence de la de Rivoal et que
« nous estimons incurable cy sous la quinzaine les traite­
« ments propres et convenablp.s à ce mal ne pewlJeni . rallier
« les esprits après avoir dezempUs les O1'ga.nes {.1J. »
Le rôle du médecin sera terminé sur ce certificat, où, avec

(1) Documents de criminologie rétrospective (Bretagne, XVIIe et xvm
siècles), par les docteurs Corre et Aubry, pp. 74-75. Nous trouvons dans
cette précieuse collection deux autres spécimens de certificat de ce genre .

la science de son temps, il affirmera a priori que tout cas
de folie est incurable. Celui du magistrat commence, ou
plutôt se continue: dans sa conduite, il ne se préoccupera
pas du malheureux aliéné, mais exclusivement de la sécurité
publique' et des frais qui incomberont à la société si la
famille n'assume les dépenses afférentes à l'internement.
En Bretagne, le règlement du 19 avril 1723 pourvoit en
.la matière en ordonnant le transfert de's fous furieux arrêtés
dans les lieux de leur origine: pour être enfermés aux frais
de leurs parents jusqu'au 4 degré inclusivement; s'ils n'-ont
pas de bien: à défaut de parents, aux frais des paroisses.
La jurisprudence postérieure plus sévère encore impose
cette contribution aux parents jusqu'au 7 degré (2).

Le juge de police ne prend pas des mesures, aussi rigou-
reuses à l'égard du fou 'tranquille, de l'idiot, de celui que la
terminologie marocaine désigne sous le nom de Behloul
(faible d'esprit), ou M'haboul (dément tranquille). C'est
l'innoce,nt, celui qui restera toujours enfant, car chez lui
pas de développement mental à attendre ou à provoquer.
La famille ancienne se résignait, et ne cherchons pas là
d'arrière-pensées ,de superstitions, elle était remplie d'une
touchante commisération pour ce pauvre être que ce serait
lâcheté de maltraiter puisqu'il est ,malheur'eux et ne veut
de mal à personne!
En Basse-Bretagne: l'idiot, ce débile, ce dégénéré, il y a

quelques trente ans comme il y a deux cents ans, vaguait
e~ liberté: à l'heure du repas, heure que son instinct règle
avec la précision d'un chronomêtre, il se présente en toute
maison: ne pas le recevoir, serait s'afficher et se mettre au
ban du voisinage. Le dimanche, à la procession, dans

(2) Pothier de la Germondaye. Introduction au Gouvernement des
paroisses, p. 353. , ,

réo'lise, l'étranger de passage s'étonne de le voir au premier
rang. A la place qu'il a choisie, partout, il fait acte de pos-
session de ses franch:ises: on ne songe à l'en empêcher;
cela porte malheur de contrarier l'innocent. Parfois, cepen­
dant, des parents cupides ont pu le livrer à un Barnum de
. foire et d'assemblées patronaJes pour l'adjoindre à cette
immonde bande d'aveugles apocryphes et de manchots
artificiels étalant, le long des chemins~ des misères à faire
frémir. Dans .cette Cour des Miracles, l'innocent enjuponné,
flanqué d'une vieille mère dolente et gémissante, faisait
bonne recette à la place fixée par le « Capitaine» l c'est-à-dire
par le grand chef de ces bandes vicieuses et déguenillées
. qui faisaient, peut-être, la poësie. de nos pardons, mais en
étaient une plaie morale.
Cependant, il ne faut pas croire qu'avant Pinel, on n~eût
pas en Bretagne, le souci de placer l'innocent en lui donnant
les bienfaits de la colonie familiale. Nous trouvons. dans nos
archives départementales, les traces de cette préoccupation:
comme le montre la convocation suivante du 13 avril 1766.
Le Général de la paroisse de Trédarzec, après les bannies
d'usage faites par le Sergent de la Juridiction au sortir de
la grand'messe, donne notification en vulgaire langage
breton et français, d'un arrêté de la Cour qui « donne
« assignation ci tous ceùx qüi voudront se charger de la
« garde, conserlJation, suffisance et entretien de Jean Guyomar,
« batard et inlbécile, actuellr:ment détenu, aux prisons de
« Rennes .. .. pou'/' se trouver (le) mercredi lJTochain 16 de ce
« mois à l'audience des Reguaires de Tréguier où l'adjudi-
« cation sera laite au rabais ('1). » .
C'est déjà la mise en pratique ou traitement dans les mai-
sons particulières qui permet de remédier à l'encombrement
progressif des asiles .et qui a donné des résultats rem ar-

(1) Documens de celminologie rétrospective, pp. 80-81. .
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXV. ( émoiresl. 13

quables. L'idiot se trouvait dans la situation des enfants
assistés existant aujourd'hui en France. En Ecosse, on a
introdruit cette différence que le contrôle dépend d'un bureau
central au lieu d'une préfecture,. qui avec ses multiples attri­
butions a une surveillance moins rigoureuse que celle exercée
par une administration particulière et de tous les instants .

C'était le système de Gheel appliqué et suivi. A Gheel une
ordonnance du 22janvier 1754,dressée par le bailli et les Eche­
vins se plaint des désordres et de mauvaise tenue provenant
de ce que les nourriciers laissent leurs aliénés libres «( de
« telle sorte qu'on ne puisse plus faire distinction entre un
« homme fou et un homme raisonnable, et cela parce que les
« 1 'wurriciers répondent tOUj01/TS: Ah! mon fou O 'U com­
« mensal n'est pas méchant, il ne fait d'u mal à pe1'sonne,
« c'est le meille'ur enfànt d~t monde, ou d'a'utres raisons sem­
( blables. })
Comme le remarque M. Jules Duval: (1) «( l'amour-propre
{( du bailli est évidemment humilié qu'on ne puisse distinguer
« de Gheel, chrétiennement et médicalement: le sens reli­
« gieux se perdait, et le sens médical n'était pas encore né ».
Telles étaient aussi les habitudes et la condition de l'aliéné
inoffensif, non dangereux, en Basse-Bretagne.
Nous fournissons ici quelques notes rapides sur deux
hôpitaux de Bretagne où l'on internait des aliénés: Lanmeul'
et Saint-Meen de Rennes.
Lanmeul', arrondissement de Morlaix, anciennement
enclave de Dôl, oppidum considérable, était le centre au
Moyen-Age d'une des grandes maladreries de l'Ouest. On
y relève encore, sur la route de Lannion, à un kilomètre de
et en liberté, 18ü7,
(1) Gheel ou une coloni~ d'aliénés vivant en famille

la ville, le promenoir des lépreux. Sur un espace de 1.4Ùb
mètres, la localité n'était qu'un ensemble de constructions
hospitalières: l'hôpital proprement dit, l'hospice des vieil­
lards, et au centre sur les bords d'un fort ruisseau qui
dévale sous l'église paroissiale; deux corps de bâtiment
aux murs épais, aux portes ct fenêtres solides et grillagées,
vingt loges tant au bàs qu'à l'étage supé­
contenant encore
rieur. Le Gouverneur de l'hôpital, grand et notable person-
nage, habitait un nwnoir à proximité (t) .
A Lanmeur, on ne retrouve pas de traces de chaînes
très bien que ces
rivées dans les murs; bien qu'on sache
Lanmeur comme ailleurs, ainsi que
entraves existaient à
par le fait suivant :
nous le voyons
Yves Duval était un névropathe, un détraqué: . il fait tous
les métiers excepté celui d'honnête homme. Parfois marin,
parfois commis, toujours escroc, il ne eompte plus dupes.
sa vie à réparer les
Il fait le désespoir de son père qui use
excentricités de son fils. Il est mis en correction chez les
Récollets de l'Ile-Verte, il s'échappe; on le reprend. Pour
les uns c'est un vicieux, pour d'autres il est fou: on le met
à Lanmeur, mais encore une fois Yves Duval s'échappe, et .
n'ayant pu se débarrasser de ses chaînes, l'enfant prodigue
les traîna avec lui au logis paternel (2).
Dans la région, et bien au loin, Lanmeur était connu et on
, être envoyé à Lanmeur, comme on dit aujourd'hui être
disait
envoyé à Charenton .. On y cultivait semble-t-il les beaux­
arts, à en juger par un portrait de P. M. Rumeur fait de
par lui-même au moyen d'un miroir, avec un
lui-même
talent de hachures et autres procédés qui fait ressembler ee
portrait à une ' eau-forte de grande beauté; Il se trouve' au

(t) Nous espérons pouvoir revenir sur l'histoire hospitalière de Lanmeur,
à nous documenter plus amplement.
quand nous aurons réussi
(2) Criminologie, p. 414-415.

musée de Rennes" avec l'indication: {( fait en 1781, à l'hô­
pital de Lanmeur. »
J)hôpital de Saint-Méen fut fondé à Rennes, en 1627, pal'
Guillaume Réguier, marchand de cette ville. De la réponse
à la circulaire de M. de Calonne, le 20 juillet 1785, nous
faite
retenons les points suivants. A Saint-Méen, il y a une popu- _
l.ation . aliénée de 50 fous logés dans des cases pratiquées
autour de deux cours; ils sont nourris et vêtus moyennant
6 sous par jour, par un entrepreneur .
C'était exactement le régime des prisons. Que valait
l'entrepreneur? en tout cas, on sait ce que valait l'entreprise
pour les aliénés: (c ils ne sont aucunement soignés et ne
« peuvent l'être q'u'autant ,qu'il plaira au Roy d'assigner des
« fonds suffisants ».
Le 5 juillet 1776, M. Varin du Colombier, dans une lettre
conservée aux archives de l'Intendance de Rennes (sans
adresse) écrivait:

cc M. le gardien de la maison et hospital du Tertre de
cc Joué autrement dit Saint-Méen est venu se plaindre de ce
(c que hier on a conduit, sans qu'il ait été prévenu et sans
« qu'il y eut de place le Sr de Domaigné, gentilhome venu
(c de la province d'Anjou, en vertu d'ordre du Roy du mois
« de novembre dernier contresigné de M de Lamoignon.
« Le gardien me dit avoir été fort embal'assé qu'il a été
cc obligé d'en retirer d'autres de l'endroit de force qui ne
c( sont plus en sûreté. Il vous prie d'engager le ministre à
c( ne point délivrer les ordres du Roy que les familles ne
« représentent un certificat du supérieur qu'il y a de la place
(c et que la famille s'est arrangée a1,ec lui. Pareille chose
c( était arrivée, il y a six mois, à l'égard du Sr de Catelinet
« du Chesnay, et il avait eu l'honneur de vous écrire à ce

« sUJet».

Les lettres de cachet 'ne tenaient donc aucun compte des
ordre de l'administration. En
encombrements ni du bon
parcourant les inventaires des archives des différents dépar­
tements, on voit que souvent l'aliéné était dépaysé; des
Bretagne et des Bretons en
Angevins étaient envoyés en
Normandie. Ainsi, dans l'Inventaire des Archives de La
Manche, on voit signaler une pièce de procédure au sujet de
sévices graves et de cruautés exercées sur la personne d'un
On arrivait ainsi à dissi-
aliéné gentilhomme bas-breton.

muler le malheur et les misères qui venaient frapper une

famille dans l'un de ses membres.
ANTOINE FA VÉ.
Prêtre.