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Bulletin SAF 1897


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L´ancienne marine. A propos et autour d´une lettre anonyme écrite à M. Hector, chef d´escadre, commandant la marine à Brest (1780)

M. le docteur Le Corre

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XIV.·

L'ANCIENNE MARINE

ri propos et œutOtl'1' d'une letl'I'e anonyme (( ecrite cl 1 11. Hector,
chef d'escadre, comnwndant la marine à Brest)) 1780,

Il Y a 4 ou 5 mois, un libraire de Paris me commun iquait
divers papi~rs, relatifs à notre ancienne marine, et qui
paraissaient provenir de dossiers ayant appartenu à 1\1-
.de Castries (ministre de la marine de 1780 à 1 87). '
Je rencontrai parmi ces papiers une copie de lettre
adressée à l\1. ù'Hector l commandant de la marine
à Brest, sans inJication dA date, mais évidemment de
l'auuée 1780, J'aprùs la mention de ccrtains événements
maritilllos, Ln pièce élait cLLl'ieuse ; eHe formulait les alléga­
ti~)lls les plus g'!'aves coutl'e des officiol's du département Jo
Brest et je m'occupai ù rechercher les preuves de leur
véracité ou Je leu!' fa~lsseté. Je Ile pensais pas qu'une . telle
ettre eùt jamais é.Lé publiée. Mais je revins de mon premier
sentiment. J'avais d'abord trop llaïY~ment oublié, sous le
de la stupéfaction causée par l'insolence des révélations
coup

de l'anonyme (car la leHl'e n'était pas sigi1ée), qu'au :l8
siècle, ù'inllombrables gazcttf's Ile vivaient que de scandales,
q lI'clles Sl'l'\'aient 11 des leclenrs blasés les nouvelles les plus
vi:ll'iées, glanallt pal'fni le monùe Je la galauterie, du théâtr'e
et de la littératu!'e, COl1lme parmi le monde du c.lergé, de la
110 blesse, de l'a1'mée, ll'épargllant. pas même la cou!'. (~râce
à la tolérance et à l'impuissance de la police, elles pouvaient
initier le pubiic aux moindres événemellts, même de la vie
privée des gens le plus en vue, plusieurs exploitant les •

réputations . par un odieux système de chantage (le gazetier
cuirassé), d'autres, soucieuses de paraître bien renseignées
et impartiüles, mais il 'écartant pas toujours l'excès de la
médisance ou le trait de la calomnie (l'obser'l)ate'Lld' Oti l'espion
les mé1UoiJ~es secrets O'U journal d'tm observateur,
anglais,
la correspondance secrète lJolitiq'LW et littéraire, . ete. ).
Je feuilletai IJal'ticulièrcment les mél1wires secrets (suite ft
ceux de BaehaumollL), et j 'y trouvai ceLte mention à la date
du 19 juin 1780 : ( Il court une lettl'e manuscrite adressée
à 1\1. le comte de Hector, directeur général des tl'avaux du
port. de Brest (il l'avait été, mais il avait échangé ces foilc­
tions contre celles de commandant de la marine" après avoil~
été nommé chef d'escadre). Cette épitre, peu flatteuse pour
l'oilicier génél'al et pOUl' le COI'PS de la marine, révèle diffé.:..
Tentes anecdotes de la guene présente (1); qui ne font pas
hOIloeUl; à ceux qn'elles concernent, mais dont la plupart
.seulement indiquées, exigeraient plus de détails et d'authen-

lIcIte .... ))
Le lecteur mis en éveil. il fallait le satisfaire. A la date du

28 juin , el1tl'e la nOLlvelle d'un nouveau rôle de Mademoisel~
Hosalie et celle du succès de la tragédie la VeU'l.le d'Ll flfalt'tbal',
dù surtout au talent de l'acteul' Le Mierre, on lit: « Copie
de la lettre écr ite à M. Hector, cher d'escadl'e commanùant
(le la marine à B I'est. mai 17EO. ))
La leUre est l'epl'oùuite in extenso: elle est exactement
conforme à la pièce , IT)alluscrite que j e possède, et SUl'
laquelle nn nom a été raturé après coup.
L,a voici tout entière :
« J'apprends avec plaisir, monsieuJ': l'heul'eux cllOix que It~
minif-:.tère a fait de VOIlS et je VOlI S félicite devous trouvel'
tout à coup dans un poste OIL l'on peut servil' eJlieaceinent
('1 ) La France s'éta it décidée à soutenir la cause des Insul'(Jents d'Amé­
rique et depuis le mois cie juin '17/8, les hostilités étaient ouvertes entre
elle et l'An gleterre .

la patrie, soit en dirigeant les armements avec activité, soit
en donnant au gouvernement des lumières et des idées dont
il peut avoir besoin, soit enfin en rectifiant dans la partie
exécutrice les dispositions mal cambinées dans les ordres
qui pounont vous etre enJolllts.
(( Tel est en abrégé l'avantage pl'écieux dont VOIlS pourl'ez
faire usage en raveul' d'une nation qui est en droit de l'at­
tendre de vous; mais pour panellil' à Ull but si glo!'ieux,
je ne puis vous dissimulcr Cl ne vous aurez bien des obstacles
à surmonte!'. Les ttns vous les tl'()uverez dans. vous même,
et les autres dans l'c3prit d'un COl'pS qui fut toujours fatal à
la France. Au reste clans les cil'constances cl'ltiques où nons
nous tl'ouvons, J eSpef'0 Cflle 1'18n ne vous al'retel'a et quo
connaissant que vous n'avez été cl'aucune utilité il la mal'ine
jusqu'à présent, vous -valls cléterminel'ez du moins il SHllver
la dernièl'e moitié de votre carI'ièl'e du cléshouneul' qui la
menace si vous n'adoptez des principes opposés à ceux q ni
ont rait jusqu'ici la base de votre- conduite.
(( 11 règlle cles obstacles qui vous sont pel'sonnels, il faut
les détruire. Doscellll.ez vous en ligne directe du hél'o's de
Troyes ou du valet de CalTeôll ? C'est. un pl'oblème que
l'observateur' anglais (1) a voulu déjà décider; c'est à YOUS
à nous eu donner la solution. Soyez juste, faites le bien ' qui
vous sel'a conseillé, mettez vous au-dessus de la eraillte
dans les opérations avantageuses à l'Etat et mépt'isez les vils
propos qui. se tiennent dans les i nfàrnes trip'Ots de la marine.
N'autorisezjamais, pal' une nonchaldn,~e irnbécille, les voyes
de fait de quatre olliciers de VOLr'c cO;'ps qui mettent brave­
ment l'épée à la main contee un honnête homme qui a e\l le
malheut' de la voir cachée dans le combat. Soyez ferme dans
le maintien de la discipline; ne vous occupez plus de peti­
tesses; faites valoil' les talents et la bravoure dan~ quelques

(1) L'espèce de gazette attribuée à Piclansat cie Mail'obel'l .

in.dividlls qlle ee puisse êt.l'e ct pal't.out où elle se t'cncontret'a.
Alot's, j'o .,;(; vous HS3lll'er que vous serez digne de com­
mr.ncer pn;' vOiiS-m J me une troisième branche d'Hector.
« An Il de pn:,ser pOUl' brave, eornportez-vous comme si
vous l'avi ez t')ujoul's été, et en conséqueuce soyez inexorable -
pOUl' tous ecux de vos ignorans camarades qui n'auraient
pas celle pl'mllièl' c~ qualité d'un militaire. Par exemple, ne
souffl'ez pas qn 'un officier tel que Kergariou soit jamais

admis à aueun service qu'il n'ait arraché sa croix de Sainl-
Louis des malus des Anglais qui s'en emparèrent en amari­
nant la L'égate la Danac', qu'il abandonna si lâchement
.l'année dei'll ièl'e Ù Cancale, sacrifiant ainsi aux yeux de sa
provinc.e S:Hl honnc:ur, ses ' ht'evets et ses signaux, fuyant
avec ses c::uverts de table clans la poc.he de son habit )Jrun,
habit qu'il avait préféré ù celui du Roi., afin d'être moins
dis li ngué da n s le combat.
cc Je dois vous apprendre ce qui adonné lieu à l'épitaphe
, ci-de'Ssous : .

Ci-git qui ne serait pas mort,
S'il avait eu l'esprit du corps.
(c C'est · ln remal'que que le publi.c a faite depuis l'ac.tion
glot'ieuse dc M. du CO/lëdic, qu'il n'y a pas en lllle frégate

pOUl' croiscl' clans la Manche, cc qui prouve évidemment qne
cè n'est pas p:H' ce chemin qu e les oITtciel's de la marine se .
pl'OpOsellt d'atteilldl'e un gl'acle de vice-amiral.
(c J'apprends qllïl paralL f'1\}qucmment SUl' la côte de
Bretagne et de Normandie de petites escadres anglaises qui
seulement ll:1t'guent Ilotre pavillon, mais encore inter­
non
ceptent tOllt le commerce cie cabotage; ils n'ont pas peur de
cimpl'Omett.l'.} les v,lis3 e:1UX de lellt' Roi et vous pl'ollvent
illsolemmellt :l ne périt p:1S pOUl' Ilaviguer dans la
l\lallehe, à ll()l l'~ !l0!'Le, au milieu dÇ3 nos. rochers. Ah ! pour­
quoi nB l'Oil ,'Ollln::: i ~-il ~; .iHmHi~ de \':lisse<111X fra .. ça is qui les.
eu éloigllent .! Si lu :.:; Allglais osent tont c'est qu'on ne leu!'

oppose rien; c'est que toutes 1l0~ ['orces mal'itimes sont
conce!ltrées dans le port de BI'est et n'en SDl'tent que pOIll'
relire des processions aussi vaines que ridicules.
« 1\'lais qui peut \FUUS excuser, aujourd'hui que vous avez
un si bel e'xemple, dül1s IH pel'sonne de ~1. d'Estaing? Voilà,
soyez-en sûr, le héeos que la Franee admire dalls la marine.
C'est lui que nos elliJemis mêmes ont l'econnu pour un geand
homme. Les vertus de ce général pleill de b1'3VOUI'e, d'acti­
vité, de COll naissances, de génér'osité, dc patriotisme, de
gl'anclem: d'àme~ ne poueront-elles VOLIS inspirer aucun des
sentiments qui l'a ,imellt ? Si vous n'avez pas le coul'age de
l'imiter, ayez au moins celui de l'admirer, et ayez assez
d'honnenr pour faiec respecter ce nom chéri, à tout Français
qui u'est pas imbu de vos méprisables préjugés. Que désor­
mais uu insolent gùrde marine ne cherche'pas et ne trou\'c
pas SUI' votre visage, Ull sourire appt'obatif à des peopos quo
ln lùdtetù, la bassc jalousie et l'ignoranee seule peuvent
cllralller,
« Que nc pOllLTais-je pas vous diee de votre vieux d·Oevil·
1ie1's, do ut l'âme pusillanimc s'amusc à pleul'cl' lln fils, mince
sujet, quand il a lIlle pateie à deffendl'c et. SOli hOllnClll' à
venger; d'Ull ChilliULt (1) ignorant; d\lIl petit impudellt
de Langle (2) dOllt la gazette de Leyde a été fOl'cée de l'elevel'
la turpitude, J'Ull .... (3) qui implol'e la p1'oter.tion dLI fort
de la Conchée, sous la baUeeie duquel il tit til'er [.1:5 coups
de canon afin de conservcr les tnnneaux 'de sa chambl'c :
d'uu Roquefettille, qui l'uit à toute::; voiles devant un côtier de

sa 1'ol'ce et cela à la vue de tous les habitans d'ulle ville et
du quartiel' général de l'année Je Yaux, Que ces exemples
et mille autres sel'vent une t'ois à réprimer vott'e morgue et
(1) Dnchilleall, clans la reproduction des mémoil'es seC1'ets. -
Ci) De l'An(Jle, dans la reproduction des mémoil'e.~ secl'ets . .
(3) Le nom raturé SUl' ma r,opie manuscr'ite est celui cie «( Chamlw'talUl })
L1'n près l'im pl' i mé,

cl VOliS inspil'er le v['ai cQurage .; c'est l'objet de cette lettre
patriotique et le "œu de eeux qui l'envoient. Adieu. })
Que fant-il P0 11S(~ 1' des ' incr'iminations renfeemées dans
cette leUee"'?' .
coeps de' la marine royale:
De quelle c ~)uche: host.ile au
est-elle sOI,tiu '?
La ' soluliLln de ce,::; questions n'est point indifférente: elle
peut nous condni l'e à une appréciation fort instructive de
l'état moral ùe Ilotl'e monde maritirrie.à la veille des événe-

nements qui vont le faire dispal'aÎtl'e, contl'ibuèl' à nous
révéler les eauses de sa faiblesse devant la tempête où il va '
bientôt. SOiTlbl'CI',

et les accusations
Et d'abo:,j que valent les insinuations
portées p,u l'a nonyme '?
M. le comte rl'[[cJ,ctoJ' est le pel'sonnage auquel s'adresse
la lettre. C'est un o!liciel' sans ~rande notoeiété. Il s'est
laissé tout doucem ent avancer; il n'a point coueu après la.

gloire: pIns s!Jtlcieux d'une existence calme et suflisamment
honorée, que .J'lIne brillante réputation maritime acquise an
peix de rlld t:l3 fatigues, certain d'aerivel' à son heure all
gl'ade d'o;!iciel' génél'al, l'objectif entl'evu comme un dl'oit
par tout olliciel' noble, il l1'a pas recherché les occasions de
se distingue l'; il Il'(1 pas non plus reculé devant les exigences
occasionuel!cs du service. Mais SUl' quelqu'e bord qu'il appa-
l'aisst-;. il est de ceux dont on !l'a l'ien à dil'8 . .
En décembl'e 177(), au moment où la France songe à se

j}l'épal'el' <-\ une lutte sinon imminente, du moins assez pl'O-
ehaine, l\1. c1ï-lectol' est nommé au commandemenE du vais­
.. seau l'Acti/~ qui doit fail'8 pal'tie d'une division d'obsel'­
valion, sous les or'Jl'8s de M. de la Motte-Piquet. Il débal'que
de ce vaisseau pÔ:L' cause dè maladie (1), et, à quelque

(1) ESjlionrtll.'llais, V, ~U, et vm, lU7.

tl'Inps (le là , prenù les fonctions de major sous les ordres
dn cO!11Lo d'Orvilliers, commandant de la mari no à Brest,
Il échange bientôt ces fOllctions contre celles , de directeur
(ln pOI'l (il figure en cette qualité parmi les autorités qui
nssisLent à ]a réception solennelle du 'portrait du Roi, au
mois d'avril 1778 (1); puis a'Ccompagne à la mer le comte
d'Orvilliers, commandant l'armée navale, appelée à ouvrir
las gl'andes hostilités contre l'Angleterre : à la bataille
ù'Ouessant (27 juillet 1778), il est capitaine du vaisseau
l'Orient, dans l'escadre blanche, L'année suivante il com­
mand e le vaissean le NqJtl.me, dans l'armée navale combinée
(franco-espagnole l : rentré à Bl'est après l'insuccés des
opérations de cette Hotte: promu chef d'escadre, il est appelé
au commandement de la mari Ile, à Brest, C'est au début de
cos nouvelles fonctions qu'il reçoit la lettre anonyme, en
guise cle hien-venue ! La letLf'e renferme des insinuations
pcrlldcs SUl' la bl'avourc douteuse de l'oiHcier : l'ien ne les
jllSLilio, ~[ais le mot fort méehrUlt que le critique emprunte
ù l'Espion (ll/glais (2) n peut-êtl'e lIne apparence de vrai, M,
d HccLor, slins doute, partageait les gOlLls et los habitudes
J'nne classe tout à la fois économe jusqu'à effieurel' l'avarice,
ct dissipée jusqu'à s'abandonnel' êlU~ entL:aÎnements du jeu,
Dans mon étude SUI' les comptes M, de Balleroy (3), qui préci­
sément viv'ait à Bl'est à celle époque, j'ai mOlltt'é -quelle
énorme consommaLion de cartes 1'011 i'aisait dans ILlle maison
tl'ès rangée, Du haut au bas, ou du bas au plus haut., dans
10 monde marilirne, on jouait à outrance, De tem ps' à autre,
il la suite d'nn rappel sévère aux ol'donnances, on fernhtit
quelclues tripots (seuls lieux où Messieurs de la mal'i ne
( 1) Espion anf/lais, V III, 449,
(2) Espio'1 an:Jlais, IV, 37,
Da~s ,une revue des oITiciel's de marine du département de Brest, le
gazetIer accole cette note au nom de ~L d'Hec.tOl' , « plus diane de des-
cendre cIu valet cIe talTeau que du héros de Troyes Il, , '"
(3) R.evue de BJ'eta[jne et Vendée, 2· semestre 18\:)5, p. 4,2" 1.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ,TOME XXlV. (Mémoires). 18

oubliaient leur mOl'gue eu se mêlant à des gens de tons
maisons particulières rest.aient illaccessibles à
états), les
l'action de la police. Dans les salons de M. d'lIector, il n'est

pas invraisemblable que l'on jouât plus ou moins gl'os .inti;
l'exemple était détestable, et il devait éveiller d'aulallt mieux
· ]a malignité: au dehors, que le commandant se croyait obligé
de prévenie les excès (l'une passion danger'euse chez les
jeunes . officiers placés sous ses ol'dl'es, et .de sévir même

pal'fois contc'e les gal'des-mal'ine tr'op oublieux de ses
conseils (1). On se rattl'apait sur les pet·tes éventuelles peU'
de singulières façons d'économie, dans l'al'istoGl'atique mé­
nage. Les vieilles cartes à jouer se tl'ansfol'mnien t en ccu'tes
<.le visites ou d'invitations o!ficielles : j'ai en effet I.I'OUVr..
parmi des papier's de l'amit'auté de Beest., uile invitution au
lieutenant-général de ce siège: pour un diner oHiciel, RIl
nom de M. et Mme d'Hectol', impl'imée RU dos d'uue carle ù .
joue!', le Î'oi de trèfle! Quelles réflexions cc pet.it cl(~ta i l
inspi1'e, comme il nous permet Je pellétl'ei' dall~ les dessous
de cettc société maritime, st fièl'C de pr'étentiolls et si bOIl1'­
geoisc de meeur's domestiques, si al'l'ogante vis-a-vis cles
ofliciel's de fortune et cependant si pleine d'amabilités vis-
à-vis des marcbands susceptibles de, l'aille!' il augmenter ses
profits! (2)

(1) Le comte d'Hector adresse, en décembre 17 K3, aux oflieiers munici­
paux une, lelll'e paf' laquelle il prie le siè :: e cie police de rcp'clrc lllle
· ol'donnance « qui defIende aux maîtres cie billanl de donner il jouer Ù l\f1~S­
sieurs les gardes de la marine et du pavillon, et il tous mnrchands lteYen­
deurs 011 fripiers d'acheter aucuns etfets appartenant aux dils gardes .... ,
ainsy que cie leur venrll'e épées, éguitleltes ct clwpenux cI'uniforme,
cxcepté celui des mal'chancls qui sera rccOnntl pour Ioul'l1isseul' cie la cliLe
compagnie » OI'c1onnance conforme e3t rendue le 6 Clécembre. neyisll'cs
des audiences de police de BI'est, archives départementales, Quimper .
(2) Depuis Louis XIV, surtuut depuis les déycloppements des armements
en course, souvent confiés à des officiers du Hoi, un esprit de mercanti­
lisme s'est glissé dans le COl'pS cie la mal'ine; il gr'nnclira jusqu'à sulJsLi­
tuer la c.upidité à l'honneul', comme stimulant des actes, chez un lrop
gt'ancl nombre, à la néfaste période du règne de Louis XV; il n'est

Le comte d'OruillienJ, pris à parti de manière aussi indé­
a joué un rôle maritime trop connu, pour que je me
cente,
li vre ici il. des l'appels historiques sans utilité. Les opinions
yarienl SU I' sa valeur professionnelle, son aptitude au
commandement supét'ieul'. Mais la majorité des personnes
compétentes s'accol'dent à le regarder comme un excellent
marin. Au combat d'Ouessant, il fit preuve de tl'ès réelles
qualités de tacticien. Sans doute, au cours du procès de
l',\lnil'el Keppel, il se trouva chargé. Mais les accusations
point anéanti sous Louis XVI, à l'époque oi.! l'bonneur renaît avec éclat,
cL malgré les interdictions réitérées aux officiers de se liVl'er à aucune
opération commerciale. Qu'on lise à cet égar9 la lettre suivante, dont M.
BeI'ger, adjoint au maire de Brcst, possède· Poriginal (elle est adressée il
1\1. J3orgnis-Desbordes, marchand à Brest, par un ofJ1cier du corps royal
ri isl.ingué).
fi A bord de la Bellone, en racle de Port-Louis, le 26 juin "178 1.
« Quand il fut question la première [ois de ma destination pOUl' les
Indes, vous me témoignâtes, mon cher Desbordes,avoir envie de m'y
charger de quelque chose : moy. je n'en serais pas n011 plus éloigné.
Mais voLre absence de BresL lors de mon départ et la précipitation qu'on
scmbla i L met.tre dans ccLle opéra tion, nous a empêché de nous concerter.
J'en pariai cependant à Seinon (?), qui me parut aussi en a\"oil' gl'ande
cm-ie. Mais il n'osa cependant rien prendre sur luy, ne pouvant pas vous
consulter. Maintenant. que mon départ parait un peu dilIéré, et que je
suis en racle au Port-Louis, nous pondons, je crois, aisément nons entendre
là-des~us, et YOUS pouricz ·IllC faire parvenit' ce que YOUS jugeriez à propos
cl qui fut convenable pOUl' ce pays-là dont vous connaisstz mieux que Illoy
les besoins. TouL ce que je vous observera,\', c'est que je ne reus rien de
yolumineux;. la bijouterie et les gallons serait je crois ce qu'il y alll'ait
de meilleur, et je ne puis embarquer au plus que deux petites malles:
il faudrait m'envoyer aussi une facture bien · claire avec Je prix de chaque
chose el les condi lions a uxq uelles nous nous obligeridns mu tueIJernen t.
Voilà tontes mes idées là-dessus; faites moi part des rôtres el marquez
moi de suile ce il quoy rous déciderez. Si YOUS m'envoiez quelque chose
ne perdez pas de lcms ù le charger ù la Messagerie et m'en donnez avis.
Cc que \"(IUS chargerez, vous pouvez le meUre à mon adres ·c, et comme
si c'étoit pour faire remettre à qnelqu'un aux isles de France ou de
BOil rlJOn. Ad ieu, Illon cher Desborcles, je YOUS soullai te bea ucoup cie
bonheur et de santé.
« Le chevalier de CILLART ••
On sait que }(erguelen fut çonclamné à une détention et à la c1estilulion
pi11' un conseil de guerre, en 'l775, à la suite de di ·erS manquements, parmi
le._ (J!lc]S fignl'ent des aHuires de trafic au cours d'une mission offieielle, .

d'un ' ennemi intéressé à donner ]e chan:ge SUI' sa propre
. conduite, ne sauraient être acceptées qu'avec réserve, et
d'ailleurs il ne faut pas oublier' que les capitaines anglais
déclarèrent devant les juges, « qu'ils étaient loin dA s'attendl'e
à voir les Franç.ais . manœuvrer avec autant, d'aisance, de
fermeté et de talents qu'ils en avaient montrés),) (1). L'in­
succès de la sortie de 1778 doit être attribué surlout au duc
ùe Chartres (2), qui se conduisit avec une désinvolture ...
toute princière et offL'it un déplorable exemple de la plus
coupable indiscipline, au moment du combat.: s'il ]}'encourut~
pour un pareil crime, qu'une disgl'âce irès discrète ct très
éphémèr'é, au moinsfu,t-il pel'du dans l'opinion publique (3)
jusqu'au jour où l'affedation d'allures dèmocratiqucs lui
attil'a un regain de popularilé ... (l'ailleu es chèl'erneld, payée!
Mais il rejaillit quelque chose de la faute du lieutenant sur
le généeal. Quant aux opérations de 1779, elles manquèrent
leur but par la nonchalance ùe nos alliés les Espagnols. Un
a['mement formidable, qui avait jeté la terreur en Angleterre,
pal' d'inconcevables . hésitations~ le défaut dllaI'lllonie entre
les chers~ fut compromis dès les délJuts de la campagne: des
vents contl'aires, la pénurie et la mauyaise qualité c1es vivres~ '

une épidemie sCOl'butique parmi les équipages, plus que
l'habileté des ennemis, le détournèf'ent de son objectif, en
l'annihilant., pOUl' ainsi dil'e, Le comt.e d'Oevillicf's vil 11l0LlI'Ït'

(1) De Lapeyrouse-Bonnls, IlistoÎ'/'e de la mal'ine f'1'anf'l-ise, Uf, 3~), note.
'Cl) Le J'ULLll' Phibjipe-Eyalüé.
(3) On écl'Ïrait une brochul'e bicn cUI'ieuse il\'eC la citalÎon des épigrammes
sommaire cles pamphlets que l'on fit pleuvoir SUl' le prince
. et l'annlyse
cl'Ouessant. Le pire, c'est que le prince allait inconsciemment
après l'aliaire
aU .devant des plus sanglants outrages. Un jour, avec le comte d'ArLois, il
s'amusait ci classer les femmes cie la C(lllt' en belles, pnssables et laides.
L'une, vexée d'avoit' été lllise parmi (:es dCl'l1ières, cherche l'occasion dc
s'en Yenger et ose dire nu duc cie Chartres, publiquement: « Très
heureusement, Monseigneur, on sail que YOUS ne YOUS connaissez pns
mieux en signalemenls qu'en signaux» Terrible allusion aux signaux de
cI'OI'\;illiers, qu'à bord du vaisseau du princc 011 n'ayait point youlu aper­
cevoir, à l'instant critique olt il fallait se baLtre cie très près!

SOI! fib ul!ique dans ses bl'8S: à bOl'd de la Bretagne. Terrassé
par cette douleur, par Je chagrin d'un insuccès dont soufrrait
SOli ardellt 'l a1rio1ifme, très pieux, il se réfugia dans le .sèul
nsile qu'ouvre à UI1 noyant l'idée religieuse, « il quitta I.e
sen L ee et se co nsncrafl Dieu dans la maison de sain1 Magloire,
où il mourut cn 1787 » (1).
l\l. dit Chilleau (de la HOCJ18) est qualifié ( d'ignOl'ant ».
Ull mul e::.L ,ile écrit; plus difficile est la réunion des preuYes.
Le ,iColllte du Cltilleau no mérite pas sans doute de figurer
pal'lllÎ les illustrations de la marine; mais rien dans sa
l'arrière ll e sembl e justifier l'épithète de l'anonyme. A ]a fin
Je 1777: il rail parlie cJl' la petite escadre de M. de Dam­
pieJ'I'C' , COlllll:e ("('1,il,lillO de la fl'égate la Diligente, aux
Alltilles: il assiste à la prise de la Dominique par le marquis
de Bouillé, (\\1 rnui~ de septembre de l'année suivante, en
même lemps, fllHis avec un rôle plus effacé, du Chillcau: C0ll1111allllnnt d'lIll COl'pS de grenadiers (2). En
l,HO il curnmallJe une division de deux vaisseaux (le Pro­
thée, ['.-Ijax, ), ct d'ullo l'I'égate (la Charmante), chargée
d'c'sc:ul'l.c)' lIll cO llvui pOUl' l'Ile de Frallce, Le 23 février, il
'Iulube dall~ Ull O divisioll nnglaise de einq vaisseaux, aux
urt/l'es de l'amiral Digby ct est obligé de rendre son vaisseau.
Kerg\,elL'1l Ile ra it que mentionnel' cette affail'e, en qllat!'e
:i\Iais ~I. de Lapey,'ollse-Bonflls la relate en teemes
ligu es (J)
élugieux pOUl' le vaillcn (lll , « Le vicomte du Chilleau ....
Illêtll ŒUVl'n eu mUI'il) babile ct dévoué; il ol'clonna à l'Ajax et
11 \llll' ~'l'(\llde )Jadic d\l cO llvoi Je [aÎl'e la !luit fausse route,
POUl' lui, l'O ltl :Il \lHllt ù UlJSt'I'H'1' l'el1l1emi, il forma Ull faüx
(OII\' (J j d\,('C le Prot/vie. qu'il 1l1011tHit, et lu C/wnnante. Cette

(i) De L la FraI/ Ge, V, fi;'.
(':2) Y . L. Kerguelen, Ilelalion des combals et des événements (h~ la {ju"ein
II/aritime de 1778 ent/'e la Fi'al/ce el l'Angleter/'e, elc, p. 4-1-4,5.
(~) h.crguelen, 1. c. p, IIG.

(- 1) L. c. p. ·I~\l .

ruse eut le succès qu'il en attendait. Il fut seul poursuivi èt
atteint. Entouré par·5 vaisseaux) le Prothée fit une rés:stance
. héroïque. Contraint d'amener, il eut la gloire d'avoie sous­
trait à l'ennemi le convoi qui lui avait été confié. » (1)
Le gazetier a soin d'apprendre à ses lecteurs, pal' un e
note,que le Kergario'u si virulemment dénoncé « ne doit point
être confondu avec messieurs de Kergariou de Ros(;o ll ctle et
le comte de Kergariou-Loëmaria , capita ines cie vaisseau )) .
Il s'agit du chevalier de Kergaf'iou-Coatlès, lieutenant de
vaisseau) commandant la fl'égate la Darwë. Voici LIe qudle

manière Kerguelen rapporte l'évènement qui lui a valu
d'aussi durs reproches (2) . « La Danaë' cOllvoyait uue gabare
et quelques bâtiments mal'chands destinés pout' Le Hàv l'e.
Le 13 mai (1779) au matin, M. le chevaliee de Ket'gal'io"u
n'était qu'à deux lieues de Sa in L-Mâlo) lOl'squ' il apeeçllt
7 bâtiments de guerre ennemis) pl'escple à l'entrée de ce
port. Il fit signal au co nvoi de reUlcher ct nt route lui-mêmo
pour se réfugier à Cancale: où il espér'ait que les batlet'ies
de la côte le protègeraient contre des fOI'(~eS aussi. supé­
l'ieures. Il fut suivi pal' les ennem is Cl ui l'appl'oehèrent à
midi et demi, à la demi-portée du canon . Quoiqu'il put à
peine se défendre: l'espoir d'ôtl'e secou ru lui fit ess uyer
pençlant quelque temps lc feu d'un vaisseau de GO eH IH'Il S et
de :3 frégates. Mais ne voyant pas qu'on se [nit cu deyuir do
le protéger, ayant déjà JO llO.mmes tués et 20 blessés, il tit
descendre à terre la plus grande parti e du SOIl équipage ct
abandonna à trois heures et domü~ sa fl'égate, où ' il lle laissa
que les malades et les blessés. )) Ce récit ne cont.ient pas lin

(1) En 1784, M. du Chilleau, gouverneur de Saint-Domingue, donna la
preuve d'une intelligente initiative, en accordant la liberté commerciale
aux ports du sud; cette liberté étaiL une nécessité; mai.s elle était l:o ntrairc
aux ordonnances, et le gouverneur eut tort, c1eya nl la plainte portée co nLre
lui pal' un intendant pointillcux, Bal'bé-1Vlélrbois: il [ut regreLl é rl cs eolo ns,
dont il avait compris et défendu les inLl'l'l'L~ .
(2) L. c. p. 71.

d'un officier, et si
réput.ation
de t.ernir la
mot susceptible
J'01l s'y tenait, on serait autorisé à considérer' l'affair'e de
/Il Danaë comme « une honOl'ab~e défaite, balançant la gloire
de la vidoire elle-mêrne )) (Guérin) ('1). Mais Kerguelen, .
bien yu'ull peu enclin à délligrel' ses collègues, a peut-être
".lùio'tl sa relation avec l'intelltion d'atténuer la eonduite

d'un officie!', bl'oton comme lui; Guérin a accepté son récit,
en i'ol'çalll même la note bi.enveillante qu'il a coutume de
faire résollner, de parti pl'is, toutes les fois q'une pel'son-
nulilé maritime est en cause. La vérité, c'est que l'histoire
du combat de la Darwë n'est point aussi simple et prète à
cOlltr'Overse.
ta f)ana J, ,\ \lec UrL; autre frégat.e et 3 petits navires d'ar­
mement illrt'~I'ieuL', devnit eseo1'te1' une flottille de bateaux
de pèc:lw', ( 11 ;\l'géC' de 1:>00 hommes de tl'onpes que l'on avait
réuni!::' à SaillL-Mùlo pour une tentative de descente inopinée
à Jel'SCY, Des vents eontf'aires mir'ent obstacle à l'exécution

ùu eoup de main, ct., lc)rsqu'ofl essaya d'y revenir, les An­
glais é!aient SUI' leul' garde, A une sortie du 13 mai, lu
j)anaë, de 2U callons, la fr'égate la Diane, de même force,
la <.:orvE!Lte la l~aleul', de ü canons, la gabare l'Ecluse, de 8,
l'l le <.:ultel' la Uuèpe, rell co ntraient une diyision ennemie,
eornmH1H]ée pHI' sie Jé-unes \Vallace et composée d'un vais­
se(\u Je 50 callOllS, l'E;1Jperiment, d'une frégale de '3ü, la
l)i.illas, de :2 GO['Velteô de 20 et de ü bricks. lVI, de Kergariou

Ile vit. d'aull'B moyen d'éehapp~J', que pal' une manœuvre,
düsLi née. pl liS tard pal' SOIl -succès, à illusti'el' le nom de
Lillois, en des cil'constances assez analogues: il s'échoua
:-;0118 uile petite batterie de 3 callons, dans la baie de Cancale,
déciLlé à la résistance avec l'espoir d'être secondé par la
terr'e, si les AI1g1ais osaient se risquer à l'approcher. Ils
l'osèrenL et des secours eJ.lvo\'és de Saint-Màlo al'l'ivèrent

(1) L, c. Y. Sil.

trop tard. l.es Français ne luttèrent glière: car, d'après
Allen (1), l'Exlle1'iment Il'eut qu e 2 homm es tués et Ulle
trentaine de bleEsés , et lu Danaë tl 'éprouva elle-m êmc, qt~e
des pertes assez faibl es , Le manque d'ériergie vinl-il ues
ou de leurs !J ommes ( Troudo et Levot (2) cJj~l'llt
ofllciers
que l'équipage de la Danaé' se pl'écipita dans les crn IHll'cD.­
tions et se rendit à terre. sans écoutel' les exhor'laLioll s de

son capitaine. Celui-ci Ile pouvait meUre le feu à sa l'l'égaLe,
les blessés restant à bord, En tt'ès petit nombre, il es t sill­
gulier qne ces malheureu x Il 'aient pas été sa uvés et Hobiua (:1)
laisse planer un soupçon sur la conduit e de M, de KeJ'gal'iuLl

à cet égard, en écrivant que « le chil'lll'gieïl-rn :jol' Ile voulut
pas quitter les malades et les blessés l), Le clJ il'urg iell :1 l1l'çlit
donc été invité à s'éloig ller ? Illît SOlI devoir en demelll'élllt
et l'abandon des blessés, qui mettait o,hstacle à la <..!estl'lI<';­
tian du bâtim ent, fut salis doule une cO llséqu o!\ce de la
panique de l'équipage , Ell pareille oceUl'ence, 1I11 C(1p~t(\;lle
e!::it toujours incrimi né : il est comme le bouc ém issu ! l'e
chargé des méf'aits de ses subordo lln és et sur leq uel la Hillité
nationale rejette la cause de so n humiliation, 1\1, de IÜ: l'ga­
l'ion, après avoit" tent é uno clél'enso sé l'ieuse CO lt! l'U des
forces supérieures, eut encore la mnll\,- lise chnllce ue "Oil'
opposer au sort de la Dmwe (ll'ulllée le ll'llclell1ê1ill l',U' Il's
Anglais à la suite de leur uivisiull, sout) les youx des lIal ):­
tants et des marins de Sa iIl L -?\Jùlo) à c('llii dl~S alil.l'l'S k\L:­
ments de sa flottill e,Trois f\lreul illcendiés par leurs capÏln i:, es
et le cutter la Guêpe, eOl1l11lHUdé par le licliLerwllt FO ll ge l'ny­
Garnier', profitant de SO li l'ililJlc tii'HIll ll\~(\lL écholl(:~ Ü'('S
avant sur des vases, se l'vit de renl part à sa il pel it équ i pélg't',
qui, abrité derrière, dans des embarcations, II C e('ssa de
jouer du rn .ousquet et, !lnl' la viva c. iLlS de SOli fell, ()]ll igï ' il ll 's
ennemis à l'abandonn er (n,o!} idél),
(1) BaUles ot the Im:tisll '/W,/'I/ , 1. -:.:.7 1
(2) Balailles 1/{lI.'ales de la FI'lIlI CC, 1 l , -,HI
(3) Ilisfoi/'e et ])((?IOI'((J/IlI d'lin lit'llll JIll!JS, Sainl-;)/rilo, eLe" p. ::"!4::"!.

Le capitaine de la Danaë, s'il peut être soupçonné de
n'avoir pas su conserver tout le sang- froid et l'autorité
nécessaires, vis-à-vis de SOLI équipage, ne semble pas,
d'après ce .. qui précède, avoir mérité d'être stigmatisé à
cette occasion. Le fait de s'être montré au combat sous un
autre habillement que l\miforrpe était alors banal; ce re­
proche trahit même la mauvaiseî'oi de l'auteur de ]a lettre,
car, dans un milieu maritime, il était à même de connaîlre la

répugnance des oHiciers de la marine à s'astreindre à l'uni­
forme réglementaire, que beaucoup regardaient comme Ulle
livrée, et que les chefs éta ient les premiers à quitter une
foi s à la mer (il , Du reste, à quelque temps de là, le Ch de
Kergarioll devait prouvee qu'il éta it iTlcapabl~ d'une lâcheté
et bien cligne de commandel' un bâtiment du Roi, Le 1G
juillet 1780, il commaudait la frégate la, Belle-Poule (2),
lorsqu'au large du Croisic il fit rencontl'e d'un vais­
seau allglais, le Nonsllch (Sans-patcH), de 6[.1; canons
. (cl'8pl'È.'S Allen, de 70 à 72 d'après Kerguélen), commandé
pé-U' 10 même \Vanace, qui avait livré le précédent combat.

La fl'égato fl'unçaise ne pHt éviter la.Julte, malgré que le
capitaine eùl" fuit abaHre et je~or à ln mer ses bastingngos,
pour alléger 10 poids et Hccélél'er hi marche Ùll hâtiment, •
Pelldant deux Jleul'es, elle se défelldit avec la plus grande
énergie . -1\1, de Kergarioll, voyant SOli monde très maltt'aité
pm' ]a mousqueterie ·de l'ennerni, SUL' un pont privé d'abri,
(1) Loil', J.llilln/'ille J'uuale auant 1789, p. 'IlL
(:2) Lil 1ll(!llIe qui, le [7 juin 1778, ayant la décléll'éllion cie guerre, a\1ùt
éLécilLaquée [Jill' une frégate anglaise cl s'éLa it si vnillamment comportée,
sous le commnndement de la Clocbeterie. On sa il cie quel engouement
pour la marine on se prît. à P<1ris, à la su iLe de ceLte afl'aire, engouement
qni persisLn, plus ou moins enl.l'cmC~lé cio Mnigl'cments, jusque "ers
l'époque cie la l1éyoluLioll. La Hoino nrbol'a l'étonnan te co iffure clite cl. la
Belle-poule; plus taru le polil dauphin donna la mode clu costume
enfantin ci la malelot (mocle qu'on yoil renallre de nos jours, précisément
aü milieu de lounngcs et tIe criliques passion nées, rgalcment exagérées.
dont la marine est reclcyenue l'o bipL ).

fit deseendre tous ses hommes dans la batterie. « L'équipage
contiùua à montrer autant d'audace que de fermeté, et lors-
q Ile le capitaine leul' répétait, pour entretenir leur ardeur:
cnul'uge, enf'ants, courage! ils lui répond::ient en redoublant
de zèle et par des ce is de : Vive le Roi! Le Chr de Kergariou
s'applaudissait de se voir si bien secondé, quand il fut blessé

mortellement; » on l'emporta malgré lui dans le poste du
chirurgien, où il expira un moment après (Kerguélen) (1) .
. De l';tveu d'un hi~torien angiais, Allen (2), « noble» avait

été la défense, l'équipage fl'élDçais compta it 35 tués, la
majorité des oHiciers et 50 hommes étaient blessés (3).
Quelques jours auparavant, le 5 julllet 1780, le Nonsttch
avait eapturé, à la hauteur d'Ouessant, la corvett.e le H.'us-
. sant, commandée par le chevalier de Langle, lieutenant de
vai seau . .J'ignore à quelle aventure l'anonyme fait allusion
relativemeut à cet officier. Mais il serait permis de s'étonner
qu'on eùt confié un commaudement à ce jeune homme, s'il
eut été mésestimé,. à une époque où le ministre de la marine,
ll'accol'd avec le Hoi, s'appliquait à éléminer les sujetsjnca­
pables ou douteux. Jadis comme aujourd'hui, notre caractère
léger, il'l'éi1éch i, dénigratellr, allait chercher jusque dans
les feuilles étl'angères une t6ste pâture à son besoin de
médisance et de scandale. Jadis comme a llj OUl'll' hui , nos
. elJtlem is , avoués ou secre ls, jouissaient cle nos lléplorahles
ellt.rainements, flOUS poussaieut à l'exploitat.ion des pil'es
calomnies conlie les illcliviclLl éllités d'uu corps mis en l'elie!
et susceptible d'aider pUiSSHl11mellt à notre' l'elèveri1ent.
Ainsi se pl'éparait, conl:l'e de bons serviteurs du pays, une
(1) L. c., p. 146-147. Voir aussi Troude et Levol, 1. C., II, 81 ; de
Lapeyrouse-Bonfils, 1. c. lIT, 158.

(3) Le Nonsuch, malgré la yirClciLé de l'action, n'avait eu que 3 hommes
tués, 2 blessés mortellement et 8 blessés plus ou moins sévèremenL (Allen).
Cet exemple monLre à quel point les résultaLs sanglants d'un combat pou­
yaient varier chez les ad\'ersaires, dans l'ancipnne marine.

rouvre de perversion dans l'opinion publique, œuvre au cours
de laquelle les jalousios et los haines allaient s'épanouir, ne
laissant aucune place pour une entente entre tous les vrais
dévouements (i), '
Les Roquefeuil ont fourui à la marine plus d'ull ollieiol'
tlistingllé (2), Le comte (Jacql.l es-Aymal'd),lieutenant-général
tles armées navales, sous Louis XV, descendait d'uue an-
cienne famille lanKueclocienne; mais il fit souche hrestoise
par son fils (Aymal'd-Joseph), qui, passé de l'armée de terre
fclr,-lO'ons) dans l'a t'mée de mer, parvint au grade de vice-
amiral. Celui-ci, par une exception assez ruee, commanda à
Brest et la marine et los fOl'ces de tCt're; il éprouva, dans ce
tlouble commalldement., beaucoup d'ennuis et de froisso­
ments (:'3), ee qui ne l'empü~ha pas cie s'occuper avec zèle cie
la reconstitution de l'Académie de marine, Le vi~ornte Beu(!,

chef (l'escadre, commanda] t les gal'des-rnarine à Brest, à
l'époque où J'Orvilliers avait la haute di'r'oction de ce dépar­
tement, 11 no semlJle pas avoit' laissé 10 soüveuir de très
bl'illants sel'vices, . C'était un ellticllé des pl'érogatives du
grautl curps, et on lerençolltl'oparmi les plus ardents pru-

(1) Ce cheva lier cie Langle, le fuLur cOJl1pagnolI de Lapérouse, n'(lyail
rien cie commun ayec ['ind ividu de même nom et de même qualification,
dont Berlranç! de Molleville connut [a famill e en Brelagne et qu'il retrouva
à Paris, à l'époq ue de [a Révolulion, rédu it à la plus grtlDde misère, sortant
même de la Force, à la suite cl'une prétendue méprise « cie la police correc­
tionnelle »,Le dc Langle de Bcrtrand de Molleville avait beaucoup voyagé, il
connaissait bien les afTaiJ'C's de Saint-Domingue: il se présentait comme
1I01llme Ù touL faire pour de l'argent, lança un journal, le Postillon de la
O/l(,I'I'e, Ù la solde du ministre, fit grand bruit « d'un complot contre la
Nalion " qu'il aurait découvert pendant sa détention .... , et emprunta
pour 'commencer, à son protecteur, 380 livres qu'il oublia de rendre, (Jlé­
moil'cs de Berlrand de Molleville, H, 24·0, éd. cie Londres),
(2) Leval et 1>onneaucl, Les {jloil'es maritimes rie la France, 451.-4.55.
(3) En 1 ï72, il sc démiL du co mmandement de la marine; il avait élé
déjà remplacé clans celui des troupes de lerre pal' le chr d'Argens. VOil'
~(el't1eis, le siew' Cllsa-Jlajol', 11u/, de ,(( Soc, acar! . de H1'cs f, HIH2, til'age"
il pill't, p. ~:2, et T,(')yot, lristoiJ·c rTe l-li'cst, 11, [I)(),

testataires contre les fameuses réformes de 1772 (1). 11
mourait à Bl'est au mois de juillet 1780. en enseigne du
1I0m cie Hoquefeu il est tué à bord de la l'l'égate la Jttnon,
dans le beau combat que le capitaine de ce navire, 1\11. de
Beanmont, livre à la fl'égale anglaise le Fox, le 11 septembre
1778 (2). Quant au Hoquofeuil visé par l'anonyme> c'est ce
même chevalier de Roquefeuil (Roquefeuil-la-Devèze), qui,
ell 17GB, gal'de du pavillon amiraL avait été compromis dans
une cabale de théâtl'e, avec quelques-uns de ses camarades,
cabale d'adolescents pOUl' soutenir une actrice, qne l'inten­
dant de (]ugny (triste personnage!) transforma presque en
sédition, et qu'il grossit à plaisil'. M. Kernéïs a raconté
l"11i5t01l'e (3), elle valut quelques jours de détention au jeune
officier; mais elle ne nuisit pas à son avancement, puisqu'en
177D on le teouve li.eutenant de vaisseau, capitaine d'un
cutter d8 18 can0115, le AJtttin. Le 18 aoùt de cette année,
ayant reçu l'ordre du comte de la TOllche-Tréville de porter
des dépêches à ~L cl'Orvilhel's, le chevalier de Roquefeuil
capture SUI' sa route un culter anglais de 12 canons (4). En
octobre, capitaine d'un autee cutter, l'Expédition, il accom­
pagne Du Couëdic, mOlltant la frégate la S1.1J>'veiliante,dans

(1) Celle qui avait le plus blessé les oUlciers cie marine, c'était leur
nou\"elle Ol'ganisalion sur le modèle des troupes de terre, et il\"ec l'uniforme
cie l'infanterie.
blanc
(~) Rerguélen, 1. c. 4·7-·1H ; Guérin, 1. C., V, 35.
(3) L. C., p. 24· ef suiv .
(.1.) Kerguelen (1. c. !li) dit que le culter anglais fut enlevé'ù l'aburdage.
relèvc clans les dossiers cles prises des archives tic l'ancienne amirauLé
cie Bresl, quelques détails intC:'ressilllts SUl' cclte célpture de 1\1 de Hoquc­
feuil D'après les pièces que j'aicues sous les ycux, l'af[f1irc n'eut rien cie
très glorieux. Le .I[utin (lYa i t un mei lieU[" armemen t que SOIl ac!Ycrsai re
(bl'igantincorsairc de Guel'l1esey monté cle 1·1 Call011S et () pierriers, mais
seulement cie 54 hommes d'l~qllipnge; le Mulin comptait G ofliciers ct '133
hommcs Ll'cqllipagc). L'Anglais sc rendit après unc courte chasse et ;)

coups de canon il boulet, qu'il ayait d'ailleurs laissés sans riposLe. La

taplllre eut lieu en vue cie l'armée navale d'ül'Yilliers, le 17 aoùt. Le
récit de Kerguélen ;rétrospectif) esl ainsi rectifié pal' un document authen·
Lique, la déclaration de prise faite au lendemain de l'avrnement. ·

cette croisière d'Ouessallt que va illustrer le 1l1émoealJle
combat dLl G. Pendant que la S'itTueillante et le Qnébec se li­
leur duel acharné, l'ExpéLlition et]e cultee anglais le
Vl'cnt
R(uubler se canonn'ent. ; mais à la vue des flammes qui dévo­
Qttébec, « les deux côtres a vai en t cessé le com ba t
rent le
comme machinalement poue se portel' Ù son secours. M. de
HoqueJeuil arriva quelque temps Hpl'ès la destruction de IR
frégate anglai~e et parvint à sauver le second, sil' HobeL'l"
ct- 7 matelots )) ; il l'alLa ensu ite ln Sur-lJcillanle ct la prit. ;\
la remorque jusqu'à BI'est ("1. ).
.l'arrive à l'affaire où le che\'ê-llier ùe Hoqncfeuil aurait
«( l'ni cl toul.es· ,"oilos de\'ant un côtie l' cie sa force et cela en
vue de tons les habitnllts d'une ville et dll QllRl'tiel' gén6l'Hl
de l'armée de Vaux ll. Elle scrnit certainement Rrllôrielll'e
aux deux précénelltes, puisqu'elle répondrnit ù la pél'iode
ùe formation des camps de Bayeux (:\1. de Broglie) et de
Saint-Mùlo (de Vaux), où l'on l'Hssemblait ùes .lL'oupes POlll'
elTecLuor' LIlle descente tut' les côtes de l'Angleterre ou de
l'hlallùe~ pl'ojct qlle 1'011 abandollila (2) . .le Il'en d6collvrc
aucune münt.ioll. II faut el'oil'o qne IR médisance, pour ne
pas dÎL'e plus, reposai t sur de très vagues Pl'OPOS, ~i même
n'était. le L'mit ù'uue pUl'e imagination. S i le clHwalirr
elle
do Hoquefeuil éut commis un acte de lâcheté, il n'eut pas
ou l'année ~uivantele commanùement de deux cutters.
Je ne trouve HOU plus -aueune melltion du cas du cnpitaine
Chamuertnwl, ni dans les ouvrages relatifs à l'histoil'e mari­
time, ni dans les gazelt,es de !·é,)oque. I\Iais je risqnerni
cette observation. (IU\lll bàlirncilt l<~rl[O'ié SOllS lin fort, 'e'vl',-
demmellt pa l'ce qu'il est hol's d'état de résistr.f' aulal'ge à
des l'oeces supél'ieul'es, doit., pOUl' orfl'il' un moindr'e champ
au til' de l'ennemi et mieux. déo'a0'8l' celui de la baUel'ie
pl'otectriee, éviter de présentel' SOIl tl'nvel's, fail'e usage de

\ 1) De Lapeyrouse-Bonlils, 1 c III 81.
U) Guérin, 1 c. V, H); Espion m/:;iais, X, (iU, 8.).

ses cal10ns d'avant ou d'arrière. Grâce à une manœuvre de
ce genre, en 181 L une petite division de canonnières fran-
çaises, que comma ndait un tout jeune enseigne de vaisseau,
Jourdan (François), poursuivie par une grosse frégate et un.
brick anglais: leur livra un heu l'eux combat, sous la batterie
cl'Arromandw (t).
II fallait avoir l'air d'être impartial. .
Au milieu de ses détractions, l'anonyme exalte un marin,
sur la mérnoil'c duyuel plane le souvenir d'un récent exploit,
ct un génél'al alors en pleine vogue dans l'opinion publique.
Qui n'a lu avec enthousiasme et émotion le récit du maglli-
fique combat de la frégate la Surveillante, commandée par
Du Couùlic, ct de la frégate le Québec, commandée par
Farmer ? Les deux navires étaient d'égale force, les capi-
taines et les équipages d'égale valeur. Ce fut uue lutte à
outrance, dans laquelle il n'y eut en réalité ni vainqueur ni
seulement un survivant tout mutilé, étonné de se
vaincu,
sentir enCOl'e debout, en face de l'adversaire embrasé, bientôt
l'éduit en fl'ngmeuts par l'explosion de ses poudres. Du
Couëdic. blessé mortellement, vit ses derniers moments
eutolll'és d t';; joies du tt':omphe; son hél'olsme fut céléb l'é

pal' la Fi'anco toule enLièl'e : il était cligue d'ètl'8 offert e ll
exemple ù tous (2). Mais était-il bien vrai que Du Couëdic~
(1 ) Le comba.t ries 7 cl 8 se]Jteml))'e 1811, dit iJataille rl'A/'J'omanclie. pal'
.M. G. Villel's, Bayeux, 'J8%. Le héros cie ce combat, qui deyail prendl'c
unc reLraite j1rém ments qui réduisaicnt nolre ltlarin e Ù un l'Ole Lrès elTacé, est le gl't1IlÙ
pèl'c' (l'un de nos plus aimables et érudiLs cOI1c;ituycns.
(2) Lc corps de Du Couëclec fut déposé dans l'église Saint-Louis, où une
plaque cie marbre ilQire, scellée dans le mur du chœur, por'te l'inscl'iption
suivante: Ici l'cj)ose Je corps dc luessire Louis Du Couëclic dc Kcrgou cheval icI' de J' ord re l'opl et mililail'e cie Saint-Louis, capitaine des vais­
seaux du. Roi, nj an châLeau de Kel'guelenel1, pal'oisse de Pouldl'egat,
diocèse de Quilll;)er, le 17 juillet 1ï40, mort le 7 janvier 1780, des suites
des blessures fjn'il il";lÎt l'e\; ues clans le combat mémorable qu'il a rendu
le (j oc:Lobre [77U, cn;llmanda nL ln rrl~gate de Sa i\Iajesté la S1t1'veillante
conLI'e .. ln frégate anglilÏsc le Qllébec, Ce monument Cl été posé pat' ordre

senl dOlls 'son corps, eut su moueir pOUl' le Hoi, pour la
pateie ? Après les houtes des guerres maritimes de Louis
XV, après les défailIa[wes de capitaines conduits par des
Conflans, des· La Clue, étc ... , une ère de rénova-
tion venait de s·ouveil'. Le gl'ancl coeps n'avait r ien pel'du
de sa morgue, mais il avait acquis des qualités solides; il
bl'ùlait d'effacee de teistes annales, et, débat'eassé de beau-
'co up cl'illcapalJles par les l'éfol'n1eS de Sal'tines, il commen­
yHit à [Jl'OUVÜ I' nu momie Cjtt'il pouvait disputer la mer aux
l\llglais. L'anonyme ouhlie tl'OP aisémellt ou tl'Op volontai­
rement les noms de llombreux olficier;3, qui ont joué leur
existence sallS lLésitatiuli, depuis le début ùe la clcl'nièl'e
gueLTe :
SUl' la Belle-fJonle (17 jUill 17ï8), La Cloclleteeie et;) de
ses officiee::; blessés; l'un d'entre eux, La Roclte-Ker'audl'aol1,
enseigne de "aissea u: continuant ù gal'del' son poste avec
lLlt hras cassé; Cl'e~)ll de Sa illL-l\Iaesault, lieutenant de
vaIsseau. tue:
Bessey do la
Au combat d'Ollessant (:27 jllillet 177B),
ùe Vincp][cs.
Voute, capita i Ile dt~ vaisseau·, le chevalier

du Hoi pOUl' pcrpéLucl' le nom et la mémoire dc ce braYe officiel' (Lcyol,
Ilist. de HJ'est, l, 3'15 )
Des nombreuses relations qui ont été écrites sur le combat de la SIII'-
1'eil1anle et ' du Québec, je ne citerai ici que deux, l'une, peu connue, et
j'une des plus émouyunLes, du baron Barchou cie Penhoën (Un automne
(fI/. bOl'll de lam.e· J', p 17S, le chevalier' [)Il COllëclic) ," l'autre, très SOITl·­
ma ire cl' Allen, II islo ri cn cla ssiq ue des b:1t i Iles de la mar'ine ang!;lisc
(I, 2OJ), celle dernière, pour y releyer un détail trahissant bien ]'ùme
e, incapablp. d'ayouel' le moinrIr'e insuccès sans quelques réti­
IJI'itanniqu
cenccs qui atténuent le mél'iLe cie l'advel'saire. On s'accorde généralcment
à reconnaitre que les cieux frégales étaient d'égale force; Kel'guelen L c
102) atll'ibue mf~me ~G ·canons ù la Sll1'oeillante et 3'2 au Québec," Allen
donne 4·0 canons ù la première et 3'il à la seconcle, ct il ajoute: « La .
grande infériorité cie, force sous laquelle le Québec combattit ful assez
notable pour jeter le plus gl'and lustre SUI' la conduiLe valeureuse du
capitaine Fal'mcr ' En Fl'anee on exaltait la brayoure des Angla'is, on
renroyail libres' leurs prisonn iers; en Angleterre, on prépa rait la matière
dn prochain dénigrement des Yainqucurs génél'eux.

ellseiglle, del1x Blltees ofHciel's tués; le lieulenRllt-gt~nél'nl
DucharralLt c't pltlsielll'S olliciers cle différents gl'ades, blessés;
A borcl de h fJ'(~gatc La Ju.non (capitaine de Beaumont),
10L'squ'elle. s'el1lpr\!'a de la l'l'égaLe anglaise le Fox, à la
hautcul' cl'O~l C)SSallt (11 septembL'e 1778), le lieutenant cle
vaisseau c1'1 sIe de la l\lothe. tué:

Dans le com!;nL du vaisseau le Triton contre un vaisseau
et une f,'égate, par le tl'avers du cap Finistère (20 octobre
177B, le capitaille de Ligollllès, deux fois blessé (la main
le bL'as gallche traversé pal' une balle) sans
dl'oite em;):JI'tée,
abanJoll1l 81' son poste;
Combii..'ll J'autres encore et je ne rappelle point les arraires,
parfois si sJllglalltes, qui s'engagèrent dans les mel's loin-
taines, en Amérique, aux. Antilles, à la Côte occidentale
d'Afrique, dalls l'rude.
o L'fsprit Lllt corps avait clone.; bien changé, sous le rapport
cle l'abllégatioll et Jn ùévouement patl'iotiques ;' il ne reposait
plus sur la base d'un étI'oit égoïsme, il avait appris ù pré-
1'él'e1' l'hollneur d'une tin glol'ieuse à une existence dorée,

mais sans honnel1r.
J)'Estain{] était l'homm e ùe tous ceux qui n'aimaient pas
le gl'ancl COl'pS., et its étaient légion dans la m,uine et hors
de la m:L'inc , clans les ars8naux~les villes mal'itimes et la
capitale e1le-même. On vantait chez lui la souplesse et la
vivacité de la 0 conceptiotl, la rapiJité et la ténacité dans
l'exécution, un cuur'age et 1111 sallgfl'oid exceptiollnels, une
é!l81'gie in!lexihle vis-à-\iis d(~s olliciers trop gonflés de leur
gentilhommel'ie an COUl'S dLl ser\'ic.:e: une loyale appréciation
des qualités de ses sulndtemes quelle que rut leur oL'igine.
En réalité: d'Est gllcil de caste; m:lis il savait le dissimuler. Ce qu'on prisait
en l~li, c'était la dé:lance et même le dédain qu'il affichait

l~U .11011:10 de la maL'ine I>o?ule, l'estime qu'il témoi-
vis-à-vis

gnait aux officiel'::> bleus .. D'Estaing avait cl'excellentes

l'i-liSOIlS pour se comporter d'après de tels sentiments. Il
n'avait poillt passé « par les grades »; ses débuts sur
111el' avaient été CRUX d'un véritable aventurier (1 ). Devenu
llll chef puissamment pl'otégé, dans un milieu qui le regar-
dait, d'après son préjugé séculaire, comme. un i'ntr'Us, il
devait déployer vis-à-vis des o~iciers du g,'and corps une
constante sévér:té, leur bien inculqùer cette idée, qu'ils ne
le sauraient tromper aÏllsi qu'ils aVËlient déjà trompé tant de
hl'nves gens, eux aussi coupables de n'avoir point porté
l'lwbit de garde-marine, sans encourir la plus lourde res-
ponsabilité, f{u'ils auraient. à rendre compte ùes conséquen-
ces de leur mauvais vouloir et de leur indiscipline, Pour
('Ull ll'ebalancel' les sounies menées de subalternes récalci­
tl'ants, qui, jadis, en plus d'un occasioll, n'avaient pas hésité
ù sncrifiel' les intérêts du H.oi et de la Ilatioll à la satisfaction
de leill's l'HneUlles (2), d'Estaing était amené à rechercher
UII appui aupr'ôs des ofliciel's cl'ol'igille roturière, en gélléml
modestes, très an fait des choses de la mer, eL dévoués sans
calculs. Il sentait d'ailleurs qu'il n'avait pas une entièr.e
('xpp'l'ience de la technique pl'ofessiollnelle, dans une canière
LOtit ù coup si bl'illammellt tl'C1l1sformée pour lui; il ne pou-
vait compter, pOUL' l'2rnédier à son insuflisancE', que sur
l'aide des ble.us. à l'occasion conseil1ers discrets. hommes
d'init.iative- vigomeuse, habiles ct désintéressés (3), Au fond,
("1 ) ES}lion an{Jlais, IX, 51-54.
('Z) L'insuccès des opérations de l'escadre du duc d'Anville, sur les côtes
de l'Acadie, en tï4G, n'eul pas d'autre cause que « la mésintelligence
entl'e les capitaines, jaloux de ce seigneur, qu'ils appeloient un intl'us,
parce qu'il n'ayoit pas p.ussé pal' les grades inférieurs .. , Non seulement
ils ne vouloient pus guider son inexpérience, mais ils contribuèrent il lui
fail'e fi:lire des faules qu'ils lui reprochèrent ensuile, dont il mOlll'ut de
chagrin». Vie 'P/"ivée de Lowis .XV, II. 259,
(3. On pl'demlait que d'Estaing, à l'armement de t778 (Toulon), avait
emh:lrqué sur son bord, après l'avoir fait nommer lieutenant de vaissea'l,
orIicier bleu jusqu'alors confiné dans le grade de capitaine de Drûlot.
" un sieur Maulr, marin de Saint-Mâlo ». qu'il prenait « des conseils et
lllème des instructions ", de cet homme, très expérimenté. Les ofliciel's de
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ·TOME XXIV. (Mémoires). 19

d'Estaing ne méritait peut-être pas autant qu'Oli les lui a
décernés les éloges admiratifs de ses contemporai n~ .
C'était un nerveux; comme tel, il était doué d'un génie
susceptible de très hautes envolées, de hardiesses inouïes,
. mais aussi de défaillances; s'il fut toujours brave, il fut pal'-
fois très-inégal dans ses résolutions, Son titre principal à ln
reconnaissance du pays, c'était d'inspirer une crainte salu­
taire anx Anglais, gens froids et métllOdiques, dont sa déci­
sion souvent imprévue bouleversait les prévisions et les

plans. L'antithèse de d'Estaing, 011 la l'encontrait chez le
comte de Grasse, d'opulente corpulence, de cer'veau épais,
bien pénétré celui-là de la supériof'ité des oHiciel's de 'caste
comme de .la sienne en lre tous. Sa vant faire prendre au sérieux, dans un monde intél'essé à opposel'
un champion de ses idées au mari n prôné pal' l'opi nion : Il

Y avait beaucoup à dire sur M. de .Grasse : il es t assez SlH'-
prenant que l'anonyme l'ait oublié (1),

Après avoir apprécié, à leur valeur réelle, les assel'tions
de l'auteur' de la lettre au comte d'Hector, reconnu qu'elle
dépassait .. les bornes de la médisance de toute l'ampleur de
la plus vilaine calomnie, il importe de savoir de quelle
source a pu jaillir un tel jet d'encr'e_ Rech~rcher l'indivi­
dualité de l'écrivain serait puéril: les personnages qui se
livrent à de pareilles manœuvres n'ignorent poillt l'art. de sc
dérober à des investigations, dont le succès aur'ait pour
couronnement de vel'tes cOl'l'eetions, Ull nom nOofTrirait.
d'ailleul's allcun intérêt pOUl' l'histoire, Ce qll'il faut détel'-

mine!', c'est lu catégorie à laquelle appartenait l'anonyme_
marine s'en ' montraient fort humiliés « Ils ne pouvaient digél'Ct' que !VI
le comte d'Estaing, qu'ils regardent comme aveugle en la partIe, ne veuille
pas s'en rapporter à eux, borgnes si l'on veu t, ce-qui est toujours y voi r
quelque chose, et leur préfère un étranger, nn oflicicl' de fortune. ".
Espion anglais, lX, 50, '.
( 1) r...' ESllion anf/lais n'a pas commis pareil oubli !

La solution de ce problème achèvera de nous révèler des
desSO'LtS fort instructifs des mœurs maritimes d'autrefoIs.
Il es t bien évident que la leUre est soetie d'une catégorie
qai, dans le milieu maritime, avait un intérèt à la peodniee.,
el que cet intérêt se confondait chez elle avec l'ardent désir
de l'abaissem ent du g'eand corps. La haine de celui-ci se
r cnconteait égale, mais sous des formes et pOUl' des raisons
diITél'ellles , et chez les officiers bleus, de fortune, où la
rivalité de métier se compliquait d'une divergence de classes,
et chez les officiers de plume, d'administration, où les
pr'étclltions à un e sorte de privilège nobiliail'e se doublait
d"tlll e autee à l'indépenda nce d'autorIté.
Les Blells (1 ), olTlciers l'otur'i ers , admis dans la mal'ine à

tiLro (Lmxiliaires Oll à titl'e d'entl'etenus avec des gl'ades
parl.iCllliers qui les mailltenaient so ns les oruees d' un simple
CIl Sl,j O' ll C da corps l'oval. tl'ès exceptionnelleme ll t récom-

pensés et toujours lêll'divement d'un bl'evet de lieutenant de
vaisseau (2) , avaient grand i en réputation, à mes uee que les
autl'es avaient perdu de la leLU'. Apl'ès la fam euse bataille

dite du marquis de Conflans (3), l'on ne faisait plus guèl'e
cas, en Fr'ance et à l'étrangel', de nos officiers de la marine
royale, alors qu'on vantait l'audace des Canon, des Thurot ,

('1) Les officlers bleus « étaient ainsi appelés en raison cie la couleul; cie
leu r culotte, celles de messieurs du grancl corps étant rouges », \ Kernéïs,
l. c lli8 ,) En réalité, la diITél'ence d'uniforme n'existait qu'entre officiers
entretenus et auxiliaires. Ceux-ci, devenus entretenus, portaient le même
llnifol'me que les officiers du grand corps (habit bleu à doublure et pare­
ments rouges, reste, culotte et bas rouges, galons selon le gracie: YOil'
l'ol'dollnance-règlement de liG4) Mais l'épithète consacrait une distinction
cl'origine pal' une ex tension abusive, puisq ue certains o(flciel'" corsaires
ou long-coul'riers, étaien t admis d'emblée dans le COf'pS ro ya l, hien que
des grades particuliers , créés , exprès pOUl' eux (lieutenants et capi­
sous
taines cie fl'égate"de brûlot, de J1ûte),
(2) Pour franchir ce gl'acle, il faillait être un Cussal'd, un Duguay­
Trouin, un Jean-Bart, encore de tels hommes ne parvenaient-ils pas
entièrement il fail'e oubliel' leur tache originelle. '
(:3) Ln bataille désastreuse de Quiberon (2'1 novembre 175H),

des Cornic: des Dalbarade (1). Les choses en étaient venues
à ce point, que les meilleurs, parmi ceux. de la caste, ne s~
, pOl1vaie'nt soustl'aire à une pal't du mépl'is qlle l'opinior~
déversait sur les plus détestables, et qne les négocia_ nts de
Bordeaux. refusèl'ent d'entre!' dans une associH Lion com­
mel'ciale, à la nouvelle que des bâti men ts, accordés par le
Hoi à cette compagnie,seraie:lt placés sous le commandement.
,de la Touche-Tréville, capitaine de vaisseau et marin d'un
inconlest.nble méeite (2). La mal'ine s'était relev(~e, sous
Louis XVI. Dès les commencem·ent.s de la gnen8 avec
l'Angleterre, de bl'aves et. distillgnés marins s'étaient signa­
lés: Mais le corps conlinuait à expier los hont.es de devan­
ciel's coupables ou incapables, devant nne opinion commune
intransigeante. C'était sa faute, aussi. 'l'ont se modifiait en
France. Un courant. pré-démocl'aLique se dessinait, plus
accentué enCOl'e depuis les événements ù'Amérique. L'officiel'
, noble, s'il avait quelque libéealisme SUI' les lèvl'8s, n'en avait.
que très peu dans l'esprit: il gal'clait sa mOI'g'lLe hautaine;
il ne daignait apercevoil' ou s'efforçait de cachee les belles
qualités, la bl'illante conduite d'olTicier's bleus qui se bnt-, '
taient à ses côtés, Plusieues de , ces derniel's m:u'qll déjà, bien que relégués dans les plus li umules g,'ades, un
Bouvet (3), un Nielly (4): etc, De tels hommes sonfIl'aient.

(1) Vie w'ivée de Lanis X V, III, j \)3,
(':2) Vie privée de Lonïs X V, Ill, t 9il
(il) Bouvet (Pierre-R.ené-Serrais), ù bord de la lielle-Ponle (1 ïi8) contri­
bua lnaucoup au succès du combat; il Y lut gl'ièvemcnt blessé, Pendant
quE! gL'acles, décorations, pensions étaient déversés SUL' les ofliciel's ronges,
Bou.vet, lieutenant de fl'égale auxiliaire, l'eslait dans le mème gl'ade arec
le titl'e d'entl'elenu, Espion an!Jla:s, IX, l\) 1-1 \):2,
(4, Nielly (.Joseph-Marie, le fulur contre-ami l'al, était fils d'un pilole el
débuta lui-même dans la marine comme simple mousse (Levot el Donncuud,

Gloù'es 1Jut/,itimes tle la Fl'{lnce, 371) . Je L'ecLifle ici Ulle elTeUl' que j'ai
commise pal' inadveL'l_ ance dans un précédent mémoir'e (Un c01'saù'e bl'eslo'Îs
sous Louis XV, Bul. rie la Soc, aJ'chéol, dit Fin'Îstère, 1895, XXII, p. 35H).
Le coutelier hrestois dont j'ai padé, ancien sCI'gent cl'al'liIlel'ie, ét.ait.

bieu certainement 'd'une si1uation précaire et hümiliante.
Mais, sous le sentiment de la discipline, ils se taisaient. Avec
la consc;jeuce de leur Yaleur~ ils espéraient que t.ôt ou lard
uH leur rendrait jus1 iee. Déjà peut-être ils ent.revoyaient des
qui mO,dineraient les rôles. Ils laissaient parler
ehaIlgemenls
leurs act.es; ils n'avaient Ili le caractère, ni l'humeur, qui
porte à recher.cher la jouissance d'un mauvais sentiment de
mesquine vengeance clans le dénigrement d'ofIiciers souvent
après tout dignes de leur respect. Il n'y .avait point, parmi
euX, d'individualit.és susceptibles de descendr~ jusqu'à
l'injure écrite sous le couvel't de l'anonyme,
Ce gell]'(~ d'altHqlle snns péril émane plus ordinairement
c.l'hollunes de cabinet, lJabitués à ]a plume~ habitués aussi à
apprécier la portée du Illal qne des paroles calculées, fixées
par l'écl'it, peUvèut produire, ici, sous la forme de la note
secrète, auprès d'un citef dispensateur de la disgrâce ou de
la récompellse, là sous la forme du libelle, dans un public tou­
jours euelirl à la malignité, foyel' de l'opinion. Le ton général
de la pièceteahit son origine bUl'eaucratiq ue'; il accuse de l'ai­
sante daus le style, de l'assul'ance dans les questions mari­
t imos, 3yeC quelque ignori:l nee dans l'appréciation des choses
d'ordre mili taire. Une allusion, presque au début de la lettre,
pal'aît favorable à mon hypothèse. L'anonymè rappelle avec
Ulle sorte dïl'ouie amèl'e. l'aventure arrivée à un homme de
la plume, ft Brest: il s'agit du contl>ôleur-général Casa­
~bj()I'; q1..LÎ , Hll mois de jUill 1773, aurait été assailli un soir,
près de sa dcmùlre, pal' quatre jeunes gardes de la ma-
l'ille (1). Ce Casa':vlajor, s'il faut en croire M. Kernéis, s.erait
Lwlcur da JOHrnal dont M. A. du Châtelier a- publié de
['ollcle d~ Nielly (Joseph-Marie). Ce marin, Je [7 octobre 1778, lieutenant
de frégate commandant la gabare la GUt/an!', avait accompli un très hardi
fait d'armes: il tlyait réussi à échapper à '2 vaisseaux et 2 frégates d'une
diyisioD. anglaise, après ayoir essuyé près cie 400 coups de canon (I{er­
guelen, 1 c., P 4·2).
(1 ) Kernéïf', mémoire précité, r 3fi et suivantes.

trop courts fragments (1). Il ne semble ' pas avoir dépTo)'é
beaucoup d'animosité contre messieurs de l'épée, dans ce
journal, et sans doute il devait se montrer d'une sufllsante
réserve dans les relations officielles que lui imposaient de
délicates fonctions. Mais il avait pris service au poet dans
un moment critique. Le personnel administratif avait à
lutter contre la mauvaise impression laissée par J'un de ses
derniers chefs, l'intendant de Clugny, personnage d'assez
piètre réputation" de probité douteuse et d'habitudes vi­
cieuses (2). Celui-ci, doublé d'une femme elle-même peu
n'avait pu vivre dans un mOllde, très exigeant
estimée (3),
sur les matières de dignité, un peu collet monté, malgré sa
légèreté, sans rencontrer plus d'un froissement. S'il les avait
refoulés au fqnd du cœur, il ne les avait point oubliés: on
vit à l'occasion de menues affaires, qu'il s'illgénia ft
envenimer auprès du ministre, afin de leur donner une

tournure désagréable pour le corps des offiüieJ's d'épée,
comme à propos de la petite cabalf3 de théâtre montée par
quelques gardes en faveur de l'actrice Dezy (4). A la suite
de cette histoi!'e. de Clu~:nv avait dlÎ s'éloig-nel'. Son succes-
1 I...J tJ '.... .1
seur, Mr Huis-Embito, héritait d'tille situation difficile: il
l'aggrava sans le vouloi!'. Il passait pOUf' avoir approuvé les
de Boynes, la bête noi~'8 du grand corps (6).
réformes de M.
Il venait de Hochefort avec des habitudes qui ne l'épollùaient
point à celles de 13r8st. Casa-Ylajor venait aussi du mèrne
et partageait les idée~ de l'intendant: il devait, üornrne
lieu
M. de Huis, et , par la nature de ses foncHons, êtl'e exposé
('1) Jozwnal de ce qui se ]Jas8a ct Brest pendant les a'nnées 1776 et 1777
b1"elorine et élrangèl'e, II, 1846). .
(Revue
(2) Voir la C01'responclance secl'èie politique et littérai l'e de 1776 (24 ma i
13 7G) et l'Esp'ion anglais, IV, 232-2J3, 4.45-4;46, elc
(3) Voir les Mémoù"es sec)'ets ou. journal d'un obSe1'/lltten'l', du 10 juin
1785, XXII, 524-525.
(4) I{ernéïs, l. c
(5) Espion angla'is, VIII, p, 16i el süiranles.

à des relations plus ou moins heul'tées avec messieurs de
l'épée. Peut-être 1 aissa-t-il échapper des prop.os im pru­
dents ou se rencontl'a-t-il en compétition suspecte avec de
tout jeunes gens auprès de quelque femme aimable .... , et les
n-ardes-marine étaient toujours pl'êts' à faire montl'e de
leurs susceptibilités de bouton ou de galantel'ie ! A 20 ans
ù'ailleul's, les têtes sont ardentes. Les colètes en pal'oles
eussent pu s'excuser; celles qui s'exhalaient flamberge au
vellt éta:ent moins atténuables. Aussi les gardes reconnus
coupables d\Hl attentat violent contre M. de Casa-Major
furellt-ils punis de prison. M.M. de Casa-Major et de Ruis
intereédèl'ent pOUl' eux (c'était de bonne politique) et le Roi

Gunsentit Ù leul' élargissement, à la condition « qu'ils feront
(au comm i::èfnire-conlrûleur) les remerciements qu'ils lui
doivent et tlt:'savo ue l'ollt devant témoins, de la façon la plus
expresse, les mauv.üs tl'aitements et les injures dont ils ont
Ilsé envers lui)). (Lettl'e de 1\'1.- de Boynes) (1). Teois gardes
S'UXé(~lllèl'ent sans hésiter et furent remis en liberté; un
quatl'ième (Bonillé de Cluze!) s'évada et disparut.
Plus d'une allure, ehez messieurs de la plume déplaisaient
ù messieurs de l'épée. La premiôl>e était pour la seconde une
slll'veillnute illcommoùe. Mais en outre, à diverses époques,

selotl les vCl.l'iations d;esprit des secrétaires d'Etat, les idées
prépondéra'utes à la COlle sur la marine, tantôt l'une, tantôt
l'aulee, élevée ou l'abaissée, reportait sue sa rivale où l'excès
cl'Ilne omnipotence avide de s'exercer, ou les rancunes d'une
Hut,Ul'ité amoillùl·ie. Des deux côtés on alla maintiitS fois ·
bealll'Oll r tl'Op loin. Des commissaires émirent jusqu'à la

pr'étention de cummander des navires 1 Des officiers d'épée,
ù leur tour', uevelllls les maîtees dans l'intérieur des arse-
naux, affectèl'ent d'y laisser pénétrer l'intendant par pur
condescendance ! A Beest, M. de Ruis n'osait plus mettre

(1) Kernéïs, 1. c. 38.

les pieds dans l'arsenal , par crainte d'y êire molesié. Des
deux' côtés encore, la morgue était extrême, et trop fréqu erll_
ment alliée à la mème ignorance à la même négligence, au
même dédain des détails du service. Ce qui devait porter au
comble l'irritation des olfit;iers de la marine, c'é Lait de voir
les gens de l'administration revêtir un uniform e, ceiudre
l'épée, s'arroger jusqu'à un titre 110biliaire (les commis­
saires de la marine, de par leurs fon ctions , se disaient
anoblis) (1) .
Pourtant, dans le grand corps, il vint une heure, où,
scence juvénile une fois passée, les opinions se
l'efferve
. modifièrent. Les événements d'Amüique avaient agi sur
l'esprit des chefs et d'un grand nombre de leurs subol'doll­
L'on sentit la nécessité de tempérer certaines idées, J e
nés.
certaines prétetltions, de
se montrer moius exclusif daus
témoigner plus de bienveillance et de justice CDYel'S une
catégorie d'o fficiers dont le seul tort étai t, d'être nés rotll-

ri ers : l'ordonnance de 1786 fut
première satisfaction
une
donnée à ces derniers.
Entee hommes d'épée, l'on pouvait CU l'esser l'espole d'tw e
entente. Mais entre hommes d'épée et de plutne , le tCl'rHill
de conciliation demeura très encombré d'épines, Les ran-
CUlles couvèrent, et puis, au tocsin des r even (1) Cel orgueil de la plume ne de"ait guère leu'rlel' Ù s'hulllilier Il lit
plus que de se cacher, il sc renia lui-mème, il l'époque de la Hl~YoluLiull .
Alors ce fut il qui tournerait en ridicule ou en ellranlil la ge ses préLentiolls
d'antan. Un commissairc (clont je tairai le nOltl;, ~ous la teneur du ll'i­
bunal révol LI tionnaire, à Brest, se cro iL ol.Jl igé d'écrire au x au loriLés
constituées (avril 1794) : « Pellclant un L emps, les co mlllissaires cl Luu s

commissaires de la marine, quoique nés clans j'Nat que l'on appelloit
roturier, se crurent auto l'i és cl prendre la qnaliLé d'écuyer clans lems
actes, et les intendants celle de cheyaliel' ; tous se rondaien t sur un e décla­
ration du tyran Louis XIV, altribuant la noblesse personnelle 8 certains
. officiers de guerre 1); mais lui, " n'a jamai:;' afTecté de prélenLion il la
nol.Jlesse; la qualité d'écuyer qu'il lui esL illTi"é lJuelqueroi:-; cie prcudre esl
insignifiaute, aulant que celle tle neilJIe llllllll'(' allribuée allX lllelllbre:; de .
'luelques professions » •

cisles, elles éclatèrent en geos orages. Tout en bas, dans
les réunions populaiees et les conseils de communcs, tout
en haut dans les geandes assemblées politiques, les haines
se déchaînèrent contre les oŒciers de l' « ex-marine ».
Parmi les plus âpres de leurs détracteurs, 011 Hpel'çoit des
individualités dangereuses, plusieurs sans carnctère, qui ont
accumulé, au fond dE; quelque bureau, les rancunes des vanités
jalouses et non satisfaites, et brusquement transportées au
pinacle par un caprice du sort et des masses , ont eu soif
de revanche.
La revanche: il faut en chercher l'épilogue en 1795, à
Vannes el à Auray, après Quiberon.
Là se trouvent ell pl'(~Sence, et les derni ers of1iciers de la
marine royal e, des vaincus, et le « citoyen libre » (1) Blad,

allciell commis d'administ.l'ation au port de BI'est, envoyé à

'la Convention par des compatriotes que son ;verbiage avait
captés, « fédéraliste honteux )) (2), échappé au glaive de la
Montagne, J'éappal'u SUl' la scè ue tçmt ex près pour accomplie
une mission sanglante, et l'exécutant pcut-être avec l'intime
jouissallce d' « un e ci-devant plume n, triomphatrice de la
« ci-devallt épée »: sous le Illélsq-ue d'une modération
hypocrite ~
DI' A. COl1RE .

(1 j Blac! signe ses leUres en accolant celte qualification ù son nom.
(':2) Scion une très juste express iOJI de M, Belhomme, RWI/.e de la. Rùo­
, lulio/1 t1-ctnraise, 18UG, mars, p. :!3().