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Bulletin SAF 1897


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Légendes et traditions de Basse-Bretagne (suite) Saint Tugdual, pape

M. l´abbé Antoine Favé

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LI~GENDES Err rl'RADITIONS DE BASSE-BRETAGNE
• (E:uite)

Pal' l'Rbbé ANTOINE FAVE.

Saint Tugdual pape.
Qlle restera-t-il, bientôt, de cette légende? ce qu'en dit
. AnJert Le Gl'and ; car, snI' ce point, la tr'adition orale s'obs­
curcit, s'émiette, s'effrite et tend à disparaître.
Donc sain~ Tugdual aurait. été pape; le peuple l'a dit, à foree
cie le di l'e, il l'a cru fortement; puis les anciens légendaires de
Tréguier, ùe Chartres, de Laval, insérés dans les offices des
pl'emiers bréviaires, ont recueilli pieusement et autorisé cette
fable du pape « Britigena 11, du pape Bas-Breton.
Sai ut Tuguual,évêque de Lexobie,avai t à.tenirtête à l'orage .
Hoël IC tué tl'aitreusement, un de ses frères, Canao, s'empare
de l'autorité et t.yranise le pays. Tugdual élève la voix pOUl'
défendre les droits des opprimés; Canao excite les chefs,
l'apôtl'e avait stigmatisé les dérèglements: « li'/)idos
dont
nohili'Llm q'LlOl'umdam animos da exacuerunt )) (Propre de

Léon) : si bien que, pour éviter à ses ennemis l'occasion d'un .
cl'ime, le saint évêque se retire dans la solitude. Là, un ange
vint l'avertir du dessein de Dieu. L'évêque informe son
clergé de la teneure de ce messager: il doit partir pour aller
en pèlerinage aux Tombeaux des Apôtl'OS. Les Légendaires
et bréviaires cités pal' Albert Le Grand nous fournissent la
lecture suivante, traduite par l'auteur de la Vie des saints de
la Bretagne-A nnoTiqlle lui-même:
« Estant arrivé à Home, il passa la nuict en l'église de
« sa inct Pierre, chanlant des hymnes et louanges à Dieu, et
«( le lendemain il assista avec tout le peuple aux obsèques du
« pape, qui estoit décédé la nuict précédente [pour un si

haut pel's')nr13g Cl, il y a là un e inhumation bie.n pI'écipitéel ;
(( lesquelles fillies , le peuple se metrn prière.s à ce qu'il
(( plust à Dieu pourvuir à son Eglise d'un digne pasteur et,
(c comme ils se raeltaiellt à genoux, UIle colombe céleste
(c sc reposa -S UI' le chef de saint Tugdnal. »
L'II11allimiié' des sllrfl'ages était tout indiquée par' cette
illtenclllioll d'c il baut: Tugdual est enlevé, transporté de
l«~t rait assooir nu trône Hpostolique et il fut nommé
force
« Ll'(Jl'} BritigencL ))
Voilà le lei" acte de ce pontiticat qui aurait duré deux ans .
Albert Le Grand (p. iU:3 ), l'ésumant les légendaires " va nous
montrer un 2 acte, non moins merveilleüx :
(( Une nuiet, co mm e il faisuit oraison, un ange lui apparu
« et lui' commanda de le suivre, lequel le mena hors de la
C( ville et, les pOI't8S des bal'rières s'esta nt d'elles-mêmes
(c ouvertes, lui présenta un cheval blanc avec orch';e de reve­
lC ui l' à Tréguier'. )
Le cOUl'si er, sembl e-t-il, dévorait "l'espace; ca r, au matin ,
saint Tugduall'ontrait dans sa 'vill e ép iscopale, après une
absence qui avait été a s!-' e7. longue pour faire sentir au peuple
'et aux nobles qu'avec lui s'était éloignée la bénédiction de
Dieu, et que, lui parti, toutes les calam ités s'étaiellt répan-

dues SUl' la cité et le pays. .
La légende , en gé néral,a quelque chose d'impel'sonnel dans
compositioll et sa rédaction: elle ne crée pas, elle adapte,

, ell e coud; elle prend de g auche et de dwite, et, quand on la
dévisage, on e~',Lle tlté de s'écrier : « ~la i s j'ai déjà vu cela quel-
que part! )) Oui, eu parlie~ mais pàs en bloc, ce qui la diffé­
rencie d'autl'es rappol' ts plus authentiques. Compulsez cette
~aintTllgdllal paÎ)e: Y 1TOll\'era-t-on un détail
légende du
que l'Ofl ne retrouve ailleurs, soit dans la fable, soit dans la
réalité? L'épisode l'ange, allnonçanL le l'eloul' à Tréguier, le
détail des portes des barrières de la V i11e Eternelle ott'certes
ct' elles-mêmes) rappellent cO~l11e l! ne ada ptation ,le miracle fort

réel raconté aux A cte~ des Apôtres (y. 10, ch. XII) : l'aposta
Pierl'e, dans les chaînes, délivré par l'ange: Venerunt ad
parta1n {erreŒJn que clucit ad ci'lJitatem, quœ ultra aperta est
eis, etc... . '
On voit que no1.l'e Albeet Le Grand se rend compte du
point « où gist la difficulté», mais il n'est pas loin d'ajouter
foi à la légende elle-même, quoiqu'il professe « ne s'arrêter
« à disputer l'affirmative ni la négative )). JI donne jalouse­
ment les ar·gurr.ents en faveur de l'aflirmative ; il fait observer
que ks Hnciennes images rep'résentent saint Tugdual en
habits de pare. Il reconnaît hien que l'on se tl'ouve embar­
l'assé pOIlt' casel']e pape bas-bl~eton au catalogue des Pontifes
Romaills et. dans l"histoÎI'e de Home. 1VlHis il se hâte de l'aiec
remarquer' qn'il n'y a pas il , s'en étonller. Oublie-t-on les
invasions s i fréquelltes des bal'bares dans la ville éternelle?
les papiers ont été brCtlés pal' eux! . ,
Il ne faut pas oublier. non plus.la gra'1de "i(re de la cathé­
drale d e Tr'~guier qui porle les armes de SHi llt 'fllgdunl:
« d'azur au cheslle d'oe et au p,'emiee pnn:lf'D.ll l'ù'llsson
« timbJ'é d'u e tiare papale sQI'monté d'une orbe irnpèr~i_ale,
« ct au deuxiesme panneau llll escusson aux mesITlCs al'mes
« tl'aversé de neuf clefs d'argent en cl'oix . )) On sait

que celte vitre fut c.onstr'uite entre 1471-1513, sous le
pOlltincat d'lIrl pape de la noble maison de ]a Hovère, soit
Sixte IV, soit. JoIes II. 01', les fameuses urmes de saint Tug-
dual sont bel et bien les armes de cette noble maison: et
voilà qlle l'on retrouverait 'des ar-moil'ies au VIe s iècle : tout
comme on voit C!;'H1S noségliscs~ ces st t:.l Iles de saints évêques
contemptwains de sRint TügcluRI ou untçrieures à lyi, coiffés
de la mit.re, revêtus de liaube ' et de la chasuble et affublé,

prenant dans l' de Louis Le Grauu.
Nous é-lI''l'ivons à la meillelll'e des pl'euves du suprême
pontificat de saint Tugdual.

Il s'appelait aussi Pabu (1) : (( Cognomislt pa.bu )), dit
notl'e Bl'év. de Quimper.) Lisez Pab V : « donc il fllt pape sous
« le nom de Léon V Britagena : ceux qui veulellt l"expl'imel"
« l'appellent Pap. et ajoutent la lettre V, qui eu ch iffre:::;
« romains vaut ciuq ». .
Les légendaires de Chal'll'es et de Laval ne disent pas

autre chose: « Quod celebri memoria Britani l'ecolunt ueatllln
« di'lJLl'l11, sanctwn Pah. V barbarice 'IJ00antes, corru[Jtâ, sci­
« licet posteriore syllabû Papam dicere Dolentes. ))
11 est l'oet piteux d'en être réduit à chal'ger les Bretons
de barbarie et de bal'bŒrisme .POUI' pouvoil' donner un sem­
blant de justification à cette fable.
Il est 1101'S de c.onteste qu'en tout lieu, chez nous, lorsqu'on
vénère saint Pabu~ O!l a l'intention d'honorer saint Tugdual:
Ut/taS et idem .
. l ... e nom de saiut Pabu se retrouve en composition bien
fl'éqllemment sur la cal'Le des évêchés bretons: Trébabu,
Lanpauu, LOCpŒUU, Kerbabu, MOllsterpabu, etc. ; remarquons
quïl a même la forme Puban, dans Labaian).
Mais, en vénél'ant saint Pabu, véllère-t"on, de même qu'en
vénérant saint Tugdual, un Leo Papa V?
C'est par tl'Op exhol'bitant. .
Si l'on tient à voil' dans le vocable . Pabu le nom papal
du saint évêque de Trégllier, que l'on prenne une autl'e
adaptation, que l'on retl'ouve dans des quartiers de Basse-
Bretagne éloignés le.3 uus des autl'es. Saint Tugdual, y
dit-on, avec les mêmes détails que dessus, fut pape de
Home, mais sous le nom cl' Urbain. De retoUl' en Armoriq ue,
on continua à l'appelel' Pab Urban. Mais comme on le cons­
tate chaque jour, le peuple bl'etonnant affecte, sou vent dans le
langage courant et journaliel', de ne donner que la moitié,·la .
première ou la dernière, des noms patronymiques. .

(1) Cf. Alb. Le Grand, ~. 783.

Exemples: Gabriel fel'a Gab ou Biel; Corentin fera Gaour
ou Tin!
Par un usage identique, 011 est arrivé à dire au lieu de
pub-Urban, Pab-U1'b, puis pal' cOrl'uption Pa.b-U.
Saiut Pabu est nommé aussi Paban : dans la forme Pab-U
Oll pl'end la pl'emière pal'tie dLl mot Urban; dans Paban, on
pl'end la del'flièl'e ' Pab-Ban.
Cc qui Ile pl'oLlve pas que saint TugJllal ait été pape!
L'édition Tre3Val1X de la Vie des saints de Bretag'ne, de
dom Labineall) p. 178, note que clans les litanies anglaises
du Vile siècle, le nom ùe saint Tugdual se trouve éCI'it
Tllt- trall; mot composé de deux mot; bl'etons : Tut, gells,
et Wall, gallois.
Il l'estel'ait à voir si Pabu n'est pas la l'ésultante de
raùjollctÏoll de Pab, pèl'e) avec l'ad, el que la leUee finale
li ou t, a disparu avec le temps, l'usure el l'usage?
U Il fait histol'ique H donné son origine à la légende.: le
voyagf> de saint l'u{Jrlwtl li Uome. Rome était si loin qu'à son
l'elolll' lïmagination popnlail'e bl'oeha 8l bl'oJa SUl' ce thème
qui était glol'jeux pOUl' la Bretagne et pOUl' un de ses plus
gl'ulIÙS el illustres patl'ons.
ANTOINE FAVE, prêtre .