Responsive image
 

Bulletin SAF 1896


Télécharger le bulletin 1896

Légendes et traditions de Basse-Bretagne

Abbé Antoine Favé

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


XIX. '

LÉGENDES ET TRADITIONS DE BASSE-BRETAGNE

Par l'abbé ANTOINE FAVE

La Messe de Minuit:

Le pellg hent ! c'est la nuit radieuse de la, nativité du
Christ Rédempteur. " '
On peut bien voulôir en chercher des étymologies; mais au

risque de chercher midi à quatorze heures. ' '
Dans une grande partie du diocèse, on dit toujours « ar

pellg hent , )) : c'est une prononciation défectueuse ' sinon

consacrée du moins excusée par le temps, nous semble:-t-il.

Le mot primitif dut être pell-hent : longue route, et ce qui
paraît le prouver, c'est 'que dans la- montagne, dans la
gal'dé le' m'ême
haute-Cornouaille, pays de tradition, ' on a
mot; mais au pluriel : pell-hentchou : les routes lointàines.
Il saute aux yeux que,dalls leur esprit: nos aïeux d'Armo-
rique amenaient un rapprochement entre le voyage de jour
et de, nuit, si laborieux, des Rois Mages, el celui qu'ils avaient
à faire pour aller à la messe de la Nuit de Noël, de leurs
villages souvent éloignés, adorer à la mode des pasteurs
deB'ethléem, le Messie attendu. "
Les détails 'de la célébration de ce grand an'ni.versaire
étaient prévus de longue main, en chaque maison: d'abord
par une observation scrupuleuse de l'esprit et de la prati(-lue
du temps de l'Avent; mais aussi par les préparatifs faits
quelques jours à l'avance, autour du foyer par les heureux
que- le tour de rôle, ou le sort, indiquait pour se rendre au
pelg-hent, à l'office de Minuit .. Il s'agissait, pour chaque

maison, pour chaque quartier, d'avoir la plus belle illumi-
Et nos 'pyrothecniciens rustiques, av'ec
nation ambulante. ,
un procédé renouvelé sinon des Grecs, du moins des Ro-

ttiai~s, de s'ingJnier à obtenir les plus beaux flambeaux. SOl~
gneusement on choisÏssait des bl'indilles de, bois sec d'égale
longueur, bien sépal'ées, bien émincées, et rune après l'autt'e
roulées dans de la résine arnoilie à point SUl' le feu. Puis ces
multiples chandelles obtenues, on les ficelait en faisceaux
d'un volume imposant: on plantait le faisceau, le fagot si
jalousemellt, composé: au bout d'une fourche de fer, On
rallumait .... et en route pour le bourg! Et dans ces vallons,
sur ces collines accidentées d'Ergué, dont la succession
repl'ésentel'ait, graphiquement, une succession de dents de
scie, se déroulait cette théorie saisissante, suggestive de
feux fantastiques: aux lueurs scintillantes, annl?nçant « paix
et liesse aux gens de bonne 'lJolonté)), avec le chant obligé de
ces vieux noëls si touchants, exécutés sur le rythme litUl'-

gique du Christe 1eclernptor ou celui ti'ès fl'équemment
employé du Cœlestis urbis Jérusalem" au temps même de la
duehesse Anne.
Et, dit-on, pendant que les chrétiens s'agenouillaient
pour célébrer le grand mystère du 25 décembre, les bœufs
tenus au jeûne strict dès le matin, en présence de la large et
savoureuse provende servie au soir, avec le supplément
d'usage,' se mettaient à devis81' de la naissance de l'Enfant·'
Dieu, qui avait daigné venir au monde, entre un pauvre âne
et un bœuf placide. Les poëtes populail'cs, ceux du Cl'Û, ces
gl'ands devins, ont rapporté dans l,eurs NoëlS que l'on oublie
trop, tel monologue, ou tel dialogJ.e, qu'ils ont su surpl'endre
à la"porte de l'étable; en cette belle nuitée de Noël.

Mais, voyez c'et homme, recueillant des liens préparés:
ils sont tressés ' en paille d'avoine: à minuit, il va en,en-
tourrer les pieds des pommi,ers dans ses champs et ses
vergers. li ne vous cachera pas son secret: cette pra tique
lui donnera belle récolte de pommes et le cidre ne manque l'a
pas dans ses pipes et tonneaux.

Je crois, à part moi, que le's tl'aités de pomologie ne

recommandent pas encore ce procédé de cùlture intensive .
Attendons: cal', qui sait? tout arrive à qui sait attendrè. '
Des façons de mettre au plat, dans les églises . .
Tout le monde, dans notre pays, sait ce que l'on .entendait
autrefois pal' l'expression « prendre la .coutume» : privilège
(pJ'ivata tex) qui accordait à tel membre d'une famiBe noble '
prendre, au hassin des fabriciens, à tel jour donné, une
ou deux poignées de monnaie, après ' leur tOurnée dàns,
l'église: ·ou la chapelle, pour la cueillette . des ' offrandes.
C'était une reconnaissance publique, officielle,' effective de
services rendus à titre de fondation, réédification,entretien,' .
etc. : cet honneur confinait plus ou moins , avec l'aveu d'e
patronage, et Dieu sait si on y tenait! on peut voir pour '
s'en convaincre les 'innombrables procédures évoquées soit,
devant nos pl'ésidiaux, soit au Parlement de Bretagne. '
La ,Révolution est venue, et avec bien d'autre ' chose 'a
disparu ce . droit de coutume. ' On ne prend donc plus la: 1
coutume, sous le régime du décret de 1809·qui administre
les fabriques .
. Le fait légal et coutunûer a dispar'u, mais ce que nOs'.~
contemporains appellent le geste est resté. Je l'ai vu, ce geste, '
à la chapelle vénérée de Kerdévùt, près de Quimper. Et voici
comment et en quelle occasion il s'exécute. Après l'év,angile,
au moment de l'offrande, le fabricien de la chapelle, " c'est
jouI' ,de 'grand pardon, . se compasse dans ce qu'il' peut
emprunter de di.gnité solennelle ' et passe dans les ra'ngs
pressés des fidèles, soit dans l'édifice, 'soit au · dehors, ùâns
le placitre. Il tend son plat aux, p-ardonneurs ; ce plat en
cuivre repoussé:' orné en quatre quartiers , répétés , d'une
inscription en caractères vraisemblablement holIa'ndais,' et
qùi eut l'honneur d'être exposé ,eri 1889, à Paris, et éatalogué ' ,
sous le titre de Patène de Kerdévot. Parfois \TOUS -,voyez une '
mère, presque toujours c'est Ulle Elliantaise, convier le
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ' TOME XXIII. (Mémoires). 17

blond bambin qu'elle porte dans ses bras, ou la gamine, 0\.1
le gaqtin, qui se tient sur ses petites jambes auprès d ~ene,
à prendre, dans Id plat du fabricien, une poignée de mon_
naie, fi: prendre à mênw et sans compter . .
'L'enfant s'exécute,je vous l'a.ssure, avec autant de dignité
sérieuse que noble éeuyer Yvon de Kerforz lorsqu'il prenait
la.cbutume, au grand pardon d'été, en la chapelle de Saint-
Guénolé d'Ergue, reconstruite à ses frais, Le geste de la
COlltume' exécuté, comme erreur. ne fait pas compte, le'
. fabricien vérifie exactement ]e contenu de la petite mai n et
la mère où le 'père, vérification .faite, met au plat, sou pOur
sou, la somme équivalente, y compris les pièces d'argent
qui auraient été tro.uvées incluses dans la po.ignée. Cest la
rançon d'un enfant chéri que l'intervention puissante de la
Vierge bénie a arraché au croup, à la variole, à la rougeole,
et autres affections terribles, bourreaux des cœurs de
mères, que la Faculté enregistre savamment, tout en cons-
tatant souvent son impuissance. .
Le ' peuple ' a conservé ce vieux souvenir en l'appelant du
vocable, « (aire ou mieux donner la coutume».M .Peyron, notre .
cher vice-président, en a retrouvé les traces dans ses recher-
cl).es à l'occasion du serviteur de Dieu, Michel Le Noblez.
Un usage presque semblable se retrouvait à Langolen. :A
la c~apelle de Notre-Dame de · Po.ntouar, on faisait vœu
aus'si de donner sans cennptel", chacun selon ses moyens et
facultés. L'intéressé, l'obligé de·· Notre-Dame, (aisait la
monnaie, .supposons::"le; d'un écu, le réduisant en sous et
deniers, les versait en sa poche, et sans compter, mettait ·
dans le plat à tout hasard. Le vœu n'aurait pa's été rempli .
si le donateur avait 'calcùlé ou avant, ou même après, par .
pensée, le mo"ntant de ,son offrande: il fallait que la main
droite ign01>ât ce que donnait la main gauche, conformément .
au cons.eil évangélîque. " '"

A propos du Viatique et de l'Extrêm~-Onctioll.
La représentation de saint Chl'istophe dans notre icono­
graphie est bien . populaire. Ses filleuls la trouvaient dans
les beaux vitraux de la cathédl"ale de Saint-Corentin et au
prieuré de Locmaria : ce « porte-Christ» aux dimensions
gigantesques, fl'anchissant les rivières, un arbre à la main,
pendant que s'ébattaient à ses pieds d'énormes poissons,
faisait ouvl'ir de gl'ands yeux aux enfants stupéfiés de voir
tant de force et de musculatul'e amenées à s'avouer impuis­
santes à supporter le poids d'un petit enfant. C~t enfant si
frêle dans sa grâce naïve n'était autre chose que le Maître
du monde, et le géant courbait ses robustes épaules, hale­
tant, couvert de sueur, devant celui qui en faisait son,
Christophore, son porte-Christ l . , .
Il me semble retrouver comme une adaptation de cette .'
légende dans une tradition que j'ai recueillie dans le Bas­
Léon, dans l'ancien archidiaconé d'Ack : «·non ad probandum,
sed ad narrandwm. )) Là, il ne faudrait pas que le prêtre
qui porte le corpus Domini, le viatique, pénétrât avec son'
fardeau sacré dans la maison mortuaire où le chrétien vient
d'expirer avant d'avoir pu être communié. Aussi, on s'em­
presse, si le dénouement s'est précipité, de faire diligence
pour arrêter le prêtl'e SUl' le chemin Si le prêtre franchissait
le seuil de la maison, il lui arriverait malheur. Quand il

reprendrait sa marche pour ramener le viatique à l'église,-
comme saint Christophe, il sentirait la custode devenir
lourde, à le faire défaillir de fatigue. Il rentrerait chez lui,
mais la fatigue aurait été si grande, le refroidissement qu'il
aurait pris si grave', . qll'à coup sûr il contracte l'ait une
pleurésie, une fluxion de poitrine, et il serait un homme
marqué pour la mort impitoyable: dans un très bref délai. .
La première fois que j'eus à administrer le sacrement
d'Extrême-Onct.ion, c'était sur les bords de l'Aber-Benoît,
à un jeune novice débarqué de .la Bretagne, et arrivé à la

dernière -période de la tuberculose. Le jeune matelot, malgré
quelques ilhl~ions, voyait la !jnort venir avec le calme stoïque
paysans chrétiens et bons bretons. Il avait. reçu avec
de nos
fO,i les derniel's sC!cl'ements, excepté l'Extrême Onction. Là.

j'eus fort . fi Jaire pour vaincre ses répugnances, qu'il in'ex­
pliquajt en me faisant connaître une supe'rstition que j'ai
retrouvée encore après, dans cette région maritime. Il pen-
sa!t pouvoir arriver à. se tirer d'affaire, mais voilà ! s'il
l'Extrême-Onction, il était condammé infaillible_
recevait
la première fois qu'il serait allé àÎa côte, à conler,
ment,
comme plomb, au fond de l'eau et à ne plus en revenir.
Cela me fut dit par ce jeune marin, Jean-Marie, de
-Landégaro~, è'l Saint-Pabu .
Ces traditions subsistent, comme subsiste le souvenir de
innombrables chapelles dont on voit les t.races, sur les
ces
rives de l'Aberw·rach et de l'Aber-Benoît. comme le souvenir

. d'autres chapelles dont le vocable des saints patrons ne se
retrou,ve plus. Quand on quitte un point de la route de Lan-
nili!', pour aller sur Plouguin, on trouve un petit hameau. Là,
Y avait autrefois une chapelle dédiée à saint Ibiliau (?). Mais
était ,si exiguë que, paraît-il, aujour du pardon, si 011
elle .
voulaH y trouver place, il fallait se dépêcher: aussi, avec
certain~ verve gauloise et narquoise, quand on voit
une
q~èlqu\ll1 pressant, le pas, on lui demande: « Ernaoc'h e'Dont
da. bardoun san Ibiliau ? » Est-ce que c'est au pardon de
sai lit ~biliau que .vous allez? ,
L~ . bo,I1 sa,int a disparu avec son pardon et toute trace
culte: il n'en est demeuré qu'une ironie' passée en pro- .

verbe., et même bientôt le proverbe ne sera plus usité.

Souvenirs sur les paludiers de Guérande.
Henri Baudrillart, parlant de Guérande, dans son magis-
tral travq.il sur les Populations agricoles de la France, est
amElné à écrire les lignes suivantes:

« Comment quitter cette classe des paludiers sans éprou­
« ver un peu de cette tristt:sse qui s'attache à tout ce qui

« 0 s'en va, d'autant plus que rien ne se désorganise sans
« souffrance ? Une vieille terre comme la Bretagne doit
« offrir plus d'une fois ce phénomène toujours douloureux à
« 0 quelques égards. Il faut apprécier ces situations avec le
« 0 degré de sympathie qu'elles méritent sans rien exagérer
« toutefois~ et se défendre des excès élogieux de l'oraison
« funèbre, même à l'égard des humbles. Ces travai-lleurs, 0
« à leur esprit de famille, à leurs vertus privées, à leurs
« méritoires efforts pour s'instruire, joignent un peu de cette
« imprévoyance qui tient sans doute à l.'irrégularité du
« salaire. »

De cette déclaration nous ne retenons que la constation
de ce fait: le paludier de Guérande et de Batz tend fi rejoindre
chaque jour, dans l'oubli, tant d'espèces disparues; et puo is-
qu'il en est temps encore, rappelons sous quel aspect, dans
le Finistère, nos pères firent sa connaissance et se fami-
liarisèrent avec lui, si bien que son souvenir n'est pas encore
effacé dans la mémoire de ceux qui, il y a 50 ans; comptaient
leurs âges par les quelques printemps de leur jeune existence.
On se rappelle les habitants des marais salants de Guérande:
de 0 Batz, du Croizic, du Pouliguen, avec leurs chapeaux à
larges bords appropriés au travail quotidien, faits pOllr pro-
téger les yeux contre le soleil brûlant de l'été, dont les rayons
sont répercutés par le fond des salines; leur long sarreau
couvrant lin double ou triple vêtement de lainè, préco aution
nécessaire contre les variations rapides et extrêmes de la
température; leurs culottes serrées au genou .'permettant
de détacher facilement les hautes guêtres lorsqu'il s'agissait
de marcher dans reau.
On se les rappelle, race de braves gens, forte et saine;
grands et bien découplés, o à l'attitude pleine d'une noble

assurance qui allait bien avec leur costume plus ou mOins
exotique.
Au dernier siècl~, l'Et.at fournissait au paludier mesure
pour mesure égale de sel récolté: pour lors, il pou-
de blé
vait vivre sans trop de souci du lendemain. Mais, l'Etat
après les perturbations du nouveau régime établi, ayant
délaissé le paludier, il dut, aux mênies conditions, aller
offrir son sel, dont il avait trop, pour le troquer contre les
céréales qu'il n'avait pas: à mesure égale, loyale et mar-
chande, aux quatre coins de la province de Bretagne.
Ils partaient à deux, portant leur charge à dos de mulets,
avec leur boisseaux en bois, pour leurs transactions et
échanges. Mules, mulets, chevaux, disons-nous: même, vers
1840, Ellia'nt, Rosporden, en virent arriver escortés d'un
dromadaire, qui étonnait nos Bas-Bretons, surpris de la
série d'aventures qui avait dù amener si loin du désert cette
monture si peu usitée chez nous.
Le paludier était taillé pour le commerce; par son pl'e­
miel' abord, il inspirait beaucoup de sympathie: il avait du
savait se faire recevoir comme chez
liant, et lui, le nomade,
lui dans n'importe qtwl 'quartier OÙ 'il arrivait.
Si j'en crois les souvenirs d'enfance de mon père (aujour­
d'hui il eùt eu 70 ans passés), le paludier avait une mémoire
extraordinaire des points topographiques, une aptitude
particulière' à se rappeler gens et lieux; et ce qui est plus
curieux, c'était sa facilité vraiment merveilleuse de s'assi­
milerle dialecte du pays où il se trouvait. A part quelques
chutes, consonnances, intonations et quelques restes d'ac:-
cent de son terroir, il . était Goëlo en Goëlo, Vannetais . en
Vannes, Cornouaillais en Cornouaille, Léonard en Leon:
comprenant et parlant tous les dialect~s d'après le quartier
où il faisait son séjour. Un proverbe, dont je ne me rappelle
pas exactement les termes, dit que si quelqu'un, les yeüx
fermés se poste à l'entrée du bourg de Batz, et jette·une

, boule dans n'impqrte qüelle direction, elle ir'a sûr'ement,
infailliblement frapper la porte d'un honnête homme.
La raison est facile à saisir: c'est qu'à Batz, il n'y a que
d'honnêtes gens. " _" ' : " ,
Nous donnons acte aux , gens du bouTgde' Batz ' de ce
jugement laudatif, auquel ils ont un peu collaboré, sa~s
doute, mais: avouons t.outefoi~, qu'on les soupçonnait p'arfûis

de certaines fail;>lesses de conscience, et on les ' croyait
capables à 'l'occasion de certaines peccadilles en Inatiêrè de

troc et de marché. " " :, , ' , "
Le paludier, une fois déchargé le sac de sel de:de'ssus le dos
de la mule ou mulet, le plaçait sur son épaule droite,l'ouvrai~ et
laissait tomber très doucement, très doucement, sans tumulte,
dans la mesure, le sel de ses marais; puis il le déversait

rapidement dans le réceptacle préparé ad hoc par la ména-
gère de chez nous. Mais la ménagère avisée finissait par
constater que cette façon aussi habile que lente de ' verser le

sel dans le boisseau, amenait un' tassement imparfait qui lui
faisait p'erdre sur la quantité. Pour remettre les choses' en
l'état, au préalable: elle postait un bu deu~ enfants de 13. '
maison, qui, fans en avoir l'air: ' lorf?que le 'sel 'était versé
dans Je boisseau de bOlS, arri-\7aient donner une poussee dans
la table; le sel de tomber, et le 'p~lùdier, surpris dans sa

tentative de fraude, ' de lancer un juron et d'invectiver 'les

marmots malencontreux. l ' ,

Je crois que les paludiers revenaient ' toujours les

mêmes, d'où des relations plus familières puisqu'on re-:- '
voyait chaque année des figures de connaissance, 'comme , '
on ,croit reconnaître, chaque été, les' hirondelles. Vrai- '

semblablement, avee cet esprit d'association qui hélas! a
disparu, ils se partageaient , la province. Dans les arron-
dissements de Brest et de Morlaix, nous retrouvons cette
organisat;on ' qui doit être bien ancienne, pou" ce qui
concerne,les pillaiouers de Botmeur, Brennilis, La-Feuillée,

. etc. Effectivement, ; un de ces ind ustrieux ; montagnar'ù!'l
-reçoit comme part de son' héritage un quartier à exploi t.er :
par exemple, ildétiendl'a comme un fief, Lannilis, Landéda,
Tréglonou et Saint-Pabu. Nul de ses compatriotes ne vien­
dra, sans forfaiture, travailler sur son terrain: il a son fief,
qui lui est échu par succession et qu'il laissera à un de .ses .
. hériti-er.s" . ear .'ce fief . est héréditail'e "et tran$missibl~ ; de

f inâle, en' mâle.
, Ce sont vieilles .coutumes qu'il est bon de r.eeueillir, car
elles sont des documents historiques et des restes , d'un ,état
.. sO,cial qui bientôt échappera à, nos investigations .

Amann ar sizun venn .

« LE BEURRE DE LA SEMAINE BLANCHE n
On ~ait, ou on ne sa.it pas, que le beurre baratté .dans le
cour.apt de cette semaine jouit d'une vertu spécifique , et
c.lII'ative. Mais quelle est; au juste, cette semaine blanche:
Grarmnatù;i CM'tant! Dans certains pays, on ·affirme mol1e­
ment que c'est la .semaine de la Pentecôte à la Trinité; en
Léon, avec UI?B convi,ction propre à se faire partager, on
pas à ,déclarer qU.e, c'est la semaine comprise entre
n:hésite
le dimanche de la Trintté et·le dimanche de la Fête-Dieu.

Gette semaine est une semaine bien caractérisée: toute
semaillefaite pendant sa durée est uneser.naille compromise
d''!lvance ; le blé, noir que vous aurez semé sera, à coup. slÎr,
}}1.,isérable, rabOl~gri, poussera follement; le ~erclage que
• ron .feraH, à cette époque réservée, serait nul et même ne
ferait qu:ac.tiv.er la pousse des herbes parasites .
Et cependant, d'autre part, en cette semaine blanche, .la
Providence se 'manifeste avec une attention plus spéciale
. pour I.e plus gr.and bien de l'humanité souffrante .
. En effet: pendant cette période de huit. jours, le beurre
l:!~ratté Jraîch~m,ent jo:uit d'une vertu thérapeutique parti-

clil,l,ièl'e; il est le spécifiqne' recherché pour la guérison :des
phlegmons, écorchures et autl'es détériorations des surfaces
cutanées. Là où la tradition . n'a . pas disparu, · en chaque
maison, chacun met en réserve un peu de ce beurre sa~lS
. se], conservé précieusement dans nos pays de c"Ôtes, entre
deux coquilles ou valves de bernique. La confiance popu­
laire est grande dans ce remède qui, peut-être après tout,
yaut bien l'axonge de l'apothicaire . .
En Bas-Léon, j'ai vu trait.er ayec succès des plaies de
bien mauvaise apparence: dans un chaudron, On faisait
fond/'e du sel provenant de la combustion du varech: on en
lavait la plaie, puis second lavage avec du vin sucré, et en
troisième lieu, pansement opéré après application sur un .
linge un peu vieux du beurre de la semaine blanche.
Et la plaie guél'issait grâce à ce rnoyenantiseptique et
émollient e.mprunté, plus on moins, à la thél'apeutique de ce
bon Samar'itain qui: certain soit', recueillit SUI' la route de
.1él'icho lin pauvl'e voyageur, laissé pour mort par des
rôdeurs de gl'ands ehemins. .
Allons-nous crier à la superstition? Nous n'y voyons pas
lieu. Nous croyons même qu'Hypocrate, le pè!'e de la
médecine, l'illustre empyrique ' et illitiateur de la méthode
expérimentale, lui qui a fait ùes observations si profondes
sur les saisons et les résultats hygiéniques de leurs varia­
tions, ne hausserait pas les épaules en entendant parler de
ce spécitlqu€ jadis si employé dans nos campagnes .
La semaine blanche, en eiTet, telle qu'on l'entend, à 15
jours près, se présente au milieu du mois de juin: c'est le
printemps dans toute son énergie, dans toute sa force,
communiquant à tout ce que produit la terre qu'il féconde
une vertu plus grande de vitalité; c'est le moment où la vie
s'épanehe, se répand, se distribue pIns inten~e dans la terre
bénie de Dieu i dans la végétation, dans le lait dan~ l(l
beurre .....

Nos pères se le sont 'dit: les guérisseurs n'ont pas con':..
tredit; d'où nous sommes portés à voir dans cette traditIon
de la semaine'blanche non une superstition, mais le souvenï'r'
d'un :procédé de médication qui ,a été oublié comme tant de
choses s'oublient, qui Cl succombé comme tant de choses
succombent.