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Bulletin SAF 1896


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Les Romains dans le Finistère

M. le baron Halna du Fretay

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LES ROMAINS DANS LE FINISTEHE

Les enseignes sauvées du désast"c
• de Varus s'inclinaient devant D"i_
tannicus,
Ces enseignes jouaient un grand rôle dans les armées
romaines et étaient les marques distinctives des légions'
chacune avait la sienne fixée sur urie base, au bout d'une
pique; c'étaient l'aigle d'or, d'argent ou d'airain, et divers
animaux: sang'liers, chevaux, minotaures, louves, quelque~
fois une main ou une grande médaille représentant l'empe~

reur .
Les enseignes étaient le plus souvent ornées de COUl'onnes
et accompagnées de petits bo.ucliers sur lesquels il y av '
des figures ou d'autres emblèmes qui se rapportaient aux

faits particuliers de cbaque légion; on y remarquait aussi
des créneaux comme trophées des villes prises ou des becs
de galères.
Quelquefois ces enseignes étaient surmontées de l'éten­
dard (vexillum): au milie~l duquel étaient écrits les noms des
cohortes et des centuries.
Souvent les étonch.rds n!étaient accompagnés d'aucun
autre emblème, les couleurs étaient variées avec franges et
rubans et ils étaient fixés au haut d'une pique quelquefois

surmontée d'un aigle; au temps du bas empire: ces étendards
prirent le nom de « Labarum ».
Les statues des victoires ailées portées devant les légions
comme celles des généraux victorieux étaient ornées souvent
de la couronne obsidionale faite de la première herbe qu'on
tro\lvait sous la main, sur le champ de bataille, après la
victoire. Cette couronne était l'hommage des soldats à leur

chef; elle était la plus glorieuse de toutes et plus recherchée
c la triomphale, composée de feuilles de laurier.

Finistère, et les seuls qui existent à nla ·connaissance sont
aU musée du Vieux-Châtel.
Le premier est une tète de cheval avec sa bride. La tète,
en bronze, est excellente et bien en action, elle porte à la
naissance du cou une tige en bronze destinée à la fixer au
bout de la pique en bois. Je l'ai trouvée près du poste romain
(le ]a Motte, en Locronan.
Le second est une statuette allégorique de la victoire sans
ailes et sans bras; le buste, en bronze, est guilloché, très
ornementé et il est évidé en arrière avec trous pour les vis '
d'emmanchement au bout de la demi-pique. Ce bronze n'a
que 14 centimètres de hauteur; la tète de la victoire est fine
et d'un travail très achevé, dIe porte la couronne obsidio­
nale. Il a été trouvé sur les terres du Vieux-Châtel, où les
vestiges romains sont très l1ombreüx.
Le troisième a été trouvé à Guengat, à quelques kilomètres;
tous les trois par conséquent ont été découverts près de
Douarnenez et de cette baie splendide, dont tous les bords
ont été si habités par les conquérants de la Gaule antique.
Douarnenez était à cette époque un_grand centre d'occu-
pation ; les nombreuses voies romain~s, les bornes milliaires
l'indiquent bien et surtout les temples. J'en ai décrit plu-
sieurs dans mon ouvrage : « Les temples romains dans le
Finistère »), paru en 1894, spécialement le grand temple de
Trougouzel, en Ploaré, à deux kilomètres de Douarnenez.
Cette statue, enseigne très remarquable, est en étain,
sorte d'airain. Sa hauteur d:u sommet du casque all bas de
la cuirasse est de 0 m .. 30 et en plus une partie creuse de
o m. 07 pour l'enmanchement dans la pique; la main relevée
près du casque porte le sceptre appelé Halta ]Jura par les
Romains, emblème plus ancien que le diadème; il était

simple ou surmonté d'un aigle ou d'une pomme; celui-ci
porle la pomme.
Le casque est tl'ès orné ainsi que le cimier; ces casques
étaient généralement d'acier poli ou d'airain et plusieurs
avaient l'attache métallique sous le menton; la barbe est
très longue et descend jusqu'au milieu de la poitrine, ce qui
me fait penser à Mars, au dieu de la guerre.
La cuirasse couvrant les bras au-dessous des épaules, puis
les hanches, le bas-ventre, descend jusqu'au bas des cuisses
et, confol'mément à la scrupuleuse exactitude des Romaius
pOUl' particulariser un personnage ou un habillement, elle
est moulée SUl' les formes exactes du corps et devait être
fabriquée d'une matière souple et malléable, à grandes Ou
petit()s écailles carrées ou en losanges.
La matièl'e de ces cuirasses en écailles imitant les écailles
de poissons était le fer, l'airain, la corne, laissant deviner
les formes et même les muscles; ces cuirasses, avec un
travail dans le métal d'un fini achevé, étaient généralement
garnies de tous les ornements possibles; on y voyait ainsi
que sur les boucliers des emblêmes qui avaient rapport aux
marques d'honneur ou distinctions obtenues par les ancêtres
ou par les hommes de guerre qui les portaient .
En un mot, les boucliers, les casques, les cuirasses étaient
souvent ornés avec beaucoup de m"agnificence, l'or, l'argent
s'ajoutaient aux autres métaux .
Les villœ, maisons de campagne, ne sont pas nombreuses
non plus dans le Finistère, où l'on compte tant de camps et
de postes fortifiés; il faut en chercher la cause dans le petit
nombre de vrais Romains occupant notre pays; l'armée était
recrutée presque entièrement dans les nations barbares
auxiliaires des Romains après la soumission. .
II Y avait à Carhaix une grande villa avec de très nom­
breuses dépendances et d'autres établissements en grand
nombre recouverts aujourd'hui par les construotions d'un

'e peuple, c'était le séjour du chef, proconsul romain, d'où

des camps fortifiés et de nombreuses constructions au
(5iI11e , mais pas de villœ.

près de Carhaix, à la limite du Finistère, j'ai visité le
~7 juin 1895, à Ménez-Blocl1, en Langonnet (Morbihan),
avec le propriélaire, M. Pierre Solliec, une grande villa qui
n'avait jamais été signalée; la villa urbana ou habitation du
IllélÎtre avait 20 mètres sur.12 mètres et contenait six pièces
séparées pnr des murs; les cours formant l'agraria avaient
une étendue de un hectare et contenaient d'autres constl'UC-
tions secondaires, la fructUal'ia, la bubilia, l'equiliaet pro-
bablement l'ovilia avec la galli naria : toutes séparées les
unes des autres sur divers points des cours .
Le tout était entouré de hautes fortifications en terre et
pierres; j'ai vu là des colonnes en granit de 0 m. 25 de
diamètre, plusieurs dalles en granit très bien taillé de 1 m. 90
de longueur, 0 m. 70 de largeur et 0 m. 25 d'épaissel1r,
beaucoup d'autres étaient plus petites et pour le reste on ne
voyait partout que le petit appareil cubique avec ciment; le
pl'opriétaire a eu l'amabilité de m'oITrir les objets suivants
trouvés clans les travaux de déblais qui -lui avaient fait c1é-
couvrir la villa:
Un grand carreau, avec encoches pour la main, de 0 m. 36
sur 0 m. 28, intact.
Deux pierres à aiguiser en diorite dont une porle une
cupule de chaque côté.
Des bois de cerfs.
Des poteries samiennes très fines, d'un rouge vif, avec
personnages en relief.
J'ai vu en plus un nombre incalculable de carreaux de
toutes dimensions et de grandes pannes de couverture.
Je peux citer encore la villa de Trezker, à l'extrémité est
de la gréve de Tréfeuntec, baie de Douarnenez. Le village

actuel est: construit SUl' les subslructions de la villa; on y a
tI'ouvé plusieurs objets, qui m'ont été remis: des bois de
cerfs, des fusaïoles des moules, et un gl'and nombre d'au,
lI'es objets bien conservés et très curieux.
J'arrive maintenant à la padie difficile de cette brochure,
la définition et l'indication de l'usage au temps des Romains
de, ce~ 9<;lse n . c.!.lJ.1,ept gue l'on trouve en si grand nombre
sur nos côtes et toujours à la même distance des hautes mers,
à quelques mètees. Jamais 011 n'en a trouvé dans l'intérieul'

des terres.
La question n'a été traitée par aucun auteur; on a seule,
ment dit vaguement, quand on trouvait une construction de
ce genre, que c'ét.aient des bains romains; en quoi on se
trompait, ~Hr un établissement de bains suppose une entrée
et une sortie pour l'eau. On en a découvert en France un
grand Hombre, mais ils n'étaient pas à quelques pas de la
mer.
Il faut procéder ici par élirnination et chercher.
Des citernes. Impossible dans un pays où les sources
abondent et où on trouve partout et en toutes . saisons l'eau
potable; de plus, on aueait construit 'pour cet usage une
grande citerne et non une süite de petites cuves juxtaposées.
Des CŒ'OCS, des réserves' de de'nl'ées alimentaires, c'est inad­
missihle pour la dernière des raisons ci-dessus~
Des cuves d'éüapoi"ation d'ea.u de '111,87" pour la fabrication
du sel, il n'y a pas assez de surface.
Des fours. Cela a été dit aussi, mais je ne vois ni foyer,
ni laboratoire et l'un ne va pas sans l'autre.
Les cewes d'1me villa. Cela a été dit aussi, mais où sont
les snbstructions de la villa? Sur aucun point je n'en vois le
moindre vestige; de plus, les villre ne pouvaient être si nom­
breuses pour les raisons que j'ai déjà données dans le cours
de ce mémoire.
J'ajoute une dernière réflexion; lesH.omains, pour l'usage

de ces constructions, n'avaient besoin ni d'eau douce ni d'eau
de mer, car toutes sont placées à une hauteur très marquée
au-dessus du niveau des eaux.
Je ne vois qu'une solution, c'étaient des cuves de salaisons
de poissons, près desquelles, sur un plus large espace, on
obtenait le sel par l'évaporation. Il fallait, du reste, des cuves
spacieuses au bord d'une baie olt on pouvait pêcher, surtout
aU moment de la marée haute, un grand nombre de gl'OS
poissons d'espèces très variées, spécialement la morue de
noS côtes appelée aujourd'hui « julienne ».
Ce poisson était jadis l'objet d'un très g'rand commerce
surtout au port de Kerity-Penmarch; mais cette grande
prospérité n'a pas eù de lendemain depuis les ruines accu­
mulées pendant les guerres de la Ligue par Guy Eder de la
Fontenelle,
sont ouvertes par le haut, les quatl'e côtés ' sont ·
Ces cuves
des murs recouverts comme le fond de ciment avec . bourr'e-

lets de sùreté, mais jamais la plus petite ouverture pouvant
perm-ettre un écoulement quelconque.
L'examen des deblais trouvés dans ces cases et à côté
permet d'assurer qu'elles étaient desservies pal' le haut et
l'ecouvertes de pannes à une certaine hauteur au-dessus,
mais que jamais elles n'avaient été surmontées de voùtes ;
la couverture était complètement indépendante et devait
avoir des dimensions plus grandes que les cuves.
Récemment à Doual'nenez, en creusant les fondations
pour les caves d'une maison à M, Bertré, sur le quai du
Port, on trouvait une statue d'Hercule, qui est maintenant
au musée de Quimper, et à côté quatre cases l'une à côté de
l'autre et ayant comme dimensions 2 m. 30 sur 1 m. 80 avec
une hauteur de 2 m. 05 .
Un peu plus loin et sur :le port on trouvait à la même
époque chez M. Stéphant des constructions similaires. .
j'avais constaté la fouille par un
Il y a quelques années

curieux inconscient de neuf cases sur les terres de Tréfeuntûc
en Plon' vez-Pol'zay, mais ces pelites cuves avaient de
moindres dimensions et n'excédaient pas 1 m. 20 dans la
plus grande meSUl'e.
En cherchant vis-à-vis, de l'auLI'e côté du bras de mer, SUt'
les teI"res de Camezen, j'en ai trouvé onze juxtaposées par
quatre, puis tl'ois, et de mêmes dimensions. J'y ai découvert
sous les fondations une empr8inte de cachet en terre cuite
et un beau bronze admirablement conservé à l'effigie de
Constantin.
D'autres cuves du même genre ont été fouillées entl'e
Douarnenez et le Hy, puis à Kercozguen, en Plonévcz­
Porzay,.31-aux bords de la lieue de grève, en Plomodiern,
ainsi que sur plusieurs autres points .

J'ai trouvé aussi dans ce genre de construction, et rien
que là,des cal'l'eaux ronds en terre cuite de 22 centimètl'es de
diamètre dont je ne vois pas l'usage, à moins de les assimiler
à des poids légers permettant de voir l'effet de la pesée.
A-u Ry, sur le bord de la grève, en Plonévez-Porzay, j'ai
pu fouiller cette année cinq grandes cuves, grâce à l'obli­
geance des propriétaires, Ml"!. Giffo el Quiniou .
J'y ai découvert une demi-statue d'Hercule en terre cuite
blanche; les doigts sont admirablement soignés, mais je n'ai
d'intact que le piédestal et les jambes, le tout s'arrêtant à
o m. 18 de hauteur. .
J'ai trouvé aussi un nombre considél'able de dents d'ani­
maux très variés, dont je m'explique la présence par l'état.
des lieux; en arrière de ces cases, toutes sur la même ligne,
le terrain s'élève avec une pente continue de 25 ' 0/0' mais il
n'a pas dû toujours en être ainsi; il Y avait là des débris de
produits par une occupation, intermittente peut-êli'e,
cuisine
malS pro ongee. " .
A une époque très postérieul'e, le tel'rain a été aplani pOUl'
les besoins de la culture; la pente est devenue régulière et

les cases ont été remplies par tous ces restes du passé, mêlés
ù des débris de toitUl'es.
J'y ai trouvé encore du plomb fondu, une lance en fer' tl'ian­
o.ulaire de 0 m. 28 de longueur avec douille pour l'emman­
~heI11ent de la pique, une pyramide très fine en terre cuite
et une pierre pèrcée pour l'usage des cordiers de l'époque.
à côté des cuves, des vases sa miens
J'ai découvert de plus,
grand intérêt et très ornementés, mais ils sont malheu­
d'un
reusement fracturés; et enfin un très beau bronze d'Auguste,
d'un côté l'effigie du premier empereur romain et au revers
une victoire.
Voilà les cuves des environs de Douarnenez datées comme
le temple de Trougouzel. CeH~ industrie de la salaison des
poissons devenant prospère, d'autres cuves ont été construites
plus tard sous le règne de Constantin, comme celles de
dont je pade dans le cours de ce mémoire .
Camezen, .
J'ai vu aussi au fond quelques traces de cendres et quel-
ques débris de combustion de très petite dimension, de la
lande probablement. J'ai conclu que l'on devait quelquefois
nettoyer et purifier les cuves par le feu. -
. Le sol des cases était composé de 0 m. 90 de béton et au-
dessus 0 m. 10 de ciment; les murs de devant, de derrière
et les séparations entre chaque case étaient formés de murs
de 0 m. 50, 0 m. 60 et 0 m. 70 de largeur, revêtus de ciment
des deux côtés sur une épaisseur de 5 tt 6 centimètres; les
largeurs intérieures varient de 2 mètres à 3 m. 50; trois
ont 3 m. 10 .
Les profondeurs pour tl'ois sont 3 m. 67 sur un côté et de
l'autre 2 m. 75 de la façade au quart de cône qui repl'ésente
un développement de 1 m. 30, ne laissant au fond qu'une
largeur de 2 m. 28; les deu~ autres cuves n'ont qu'une pro­
fondeur de 2 m. 40 en dehors des quarts de cônes; la hau­
teur moyenne est de 1 m. 40.
Les quarts de cônes sont alternés successivement dans les

cuves. l'un au nord, l'autre au sud dans la suivante · c
quarts de cônes étaient destinés à faciliter sans dégl'adation
la descente dans les cuves ainsi que les chargements et
déchargements.
Les dimensions variées des cuves sur le même point
donnent une indication à l'appui de mes conclusions; les
poissnns n'étaient pas de même taille; maintenant nos pê­
cheurs des Côtes:..du-Nord, qui . vont faire la pêche de la
morue à Terre-Neuve, les empilent après la salaison à l'ail'
libre; il Y a des déchets. Les Romains avaient des moyenR
plus perfectionnés.
Je termine cette étude de l'âge romain çlans notre pays par
la mention de la dernière trouvaille relative à cette époque;
c'est la découver~e très récente, au-dessus des Sables-Blancs

en Tréboul: par les ouvriers de M. Béziers, de Douarnenez .
membre de notre Société archéologiqlle, d'une urne gallo-
romaine de 0 m. 45 de hauteur; elle était remplie de cenùres
ct fermée par une pierre plate.
Le propriétaire a eu l'amabilité de me l'offrir; elle était
intacte, sauf une partie du fond, ce qui m'a permis, en]a
posant sur une petite planchette ronde, de la fixer dans
l'espace par une lige en fer; elle a un très bel eIret décorat.if'
dans la Ge salle du musée du Vieux-Châtel.
Baron HALNA DU FRETAY,
Président de la Société archéologique dll Finist/>'re,
Correspondant du ministère de l'Instruction
publique.
Château du Vieux-Châtel, par Quéménéven (Finistère;,
3 juin 1896 .