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Bulletin SAF 1896


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Note sur la cachette de fondeur de l’âge du cuivre, découverte à Tourc’h

M. le vicomte de Villiers du Terrage

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NOTE SUR UNE CACHETTE DE FONDEUR
DE L'AGE DU CUIVRE

Decouverte a Tourc·h.

Au commencement de cette année, un cultivateur de la
cômmune de Tourc'h défrichait un bois taillis, dit Brouzcoat,
situé à Kerbonnen,sur le versant ouest de la vallée de l'Aven,
et, en arrachant une vieille souche, découvrait une vingtaine .
de lingots métalliques régulièrement empilés.
Prévenu par M. le vicaire de Toure'h, j'ai immédiatement
écrit au propriétaire en lui demandant de m'envoyer un
échantillon pour vérifier si, comme on l'avait d'abord sup­
posé, ces lingots contenaient de l'or et de l'argent provenant
de la fonte de vases sacrés cachés pendant la Révolution. Il

y a là une croyance très répandue dans nos campagnes.
Dès que cet échantillon, qui pesait 284 grammes, m'est
parvenu, j'ai pu· facilement constater que sa: densité était à
peu près celle du cuivre; mais, pour être complètement
éclairé, j'ai êu recours à l'obligeance de MM. les Ingénieurs
de l'Ecole des Mines. D'apr'ès M. Ad. Carnot, qui a bien
voulu se charger de l'analyse: « le 'métal n'est pas du
« bronze, mais du cuivre pur légèrement oxydé à la surface
« et ne contenant pas d'étain. La densité est de 8,53. »
.l'ai de suite transmis ce renseignement au propriétaire en
lui proposant d'acquérir sa trouvailLe. Malheureusement,
sans me faire connaître ses prétentions, et après avoir mis
de côté pour moi le plus beau morceau, il a envoyé, dit-il,
tout le reste à la' fonte, sans qu'il ait été possible d'obtenir

de lui aucune explication. C'est fort regrettable; néanl1loins
ce qui a été consel'vé de la teouvaille permet d'en appréciel'
l'intérêt.

Voici la descl'iption des objets trouvés, faite d'après les
échantillons que je possède et complétée au moyen de ren~
seignements fou mis par des personnes dignes de foi que
j'avais chargées d'examiner la trouvaille.
Le nombre des morceaux était de 21 et leur poids total de
22 kilogrammes environ: ils étaient régulièrement empilés
l'un sur l'autre. Les trois plus grands morceaux étaient
semblables; celui qui a été conservé a une forme à peu pl'ès

régulière, celle d'une calotte sphérique ayant 0 15 de dia~
mètre avec une épaisseur de 0 03 au centl'e et de 0 02 sur
bords: son poids est de 2 kil. 545. Les autres morceaux
les
portion de calotte, mais chacun était
avaient la forme de
complet tel qu'il était sorti de son moule. La fragmentation
n'a pas eu lieu après la fonte: peut-êtl'e était-elle intention­
nelle en vue de la fabrication d'objets déterminés à obtenir

par une refonte ou par le martelage.
La surface a une apparence rugueuse et il s'y voit de
nombreuses cavités, ce qui indique que le métal a été coulé
dans des moules grossiers en terre et qu'il était àun état
peu fluide. Cette surface conserve encore en partie l'éclat
spécial dù à la fusion, elle n'est oxydée que par place .
Depuis la première découverte deux autres petits morceaux
ont été trouvés sur le mème point.
Sur aucun de ces 23 morceaux, il n'a pu êtl'e discerné
inscription ni aucune trace de fig'ure. Toutefois, SUl'
aucune
le morceau complet qui est entre mes inains, ou voit sur la

surface plane· celle qui était en dessus au moment de la
empreintes qui semblent avoir été laissées
fusion des
dallS le métal non encore durci, par un outil cherchant à
détacher quelque corps étranger .

One observation analogue peut être faite sur un 'morceau
T enant de Fouesnant, dont il sera plus loin question.
pl'O\ ,
Le nombre des cachettes de fondeur découvertes dans ces
t1cl'nières années est trop considérable pour qu'il soit possible
d'cil reproduire ici l'énumération,. même en se restreignant
li la Bretagne. Ce travail a été fait, pour le département du
Finistère, par M. P. Du Chateliel' (1), qui mentionne 48 ca­
chettes contenant des haches principalement, mais aussi
beaucoup d'autres instruments et même des culots de bronze'
pl'avenant de la refonte d'objets hors de service.
Il est certain que beaucoup d'autres cachettes ont dis­
paru sans laisser de traces, ou n'ont pas encore été signalées.
Ainsi, à la dernière réunion de ]a Société archéologique du
Finistère, M. le baron du Fretay nous a dit que près de son
château de Lezar;3coët, en Kerlaz, il avait trouvé 24 morceaux
de bronze régulièrement empilés qui présentaient la même
apparenee que ceux de Tourc'h : huit de ces morceaux pa-
raissaient complefs. .
olltre,pendant mon court séjour en Bretagne,au mo'is de
mal'S, un cultivateur m'a remis un morceau de métal pesant
247 grammes qu'il m'a dit avoir toujours vu, depuis quarante
ans, dans la maiso11 de ses parents, près de. Fouesnant. Ce
présente les mêmes caradères extérieurs, et une
morceau
analyse récente vient de démontrer qll'il ne contenait pas .
cl' é ta in. (2) ' ,
La plupal't des objets provenant des cachettes de fondeur
ont été jusqu'ici classés comme bronze, par suite des idées
anciennement admises et l'analyse n'en a pas été faite. Leur

(t) Les époques préhistoriques clans le Pinistère. 1889.
(~) L'absence d'étain vient d'être également constatée dans un fl'ugment
provenant de la trouvaille de Lezarscoët que ' M. le baron du Fretay a
bien voulu mettre à ma disposition.

BULLE'flN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE, - TOME XXIII. (Mémoires). 8

aspect extérieur ne pouvait d'ailleurs, par lui- même, don_
ner aucune indication, car le bronze, avec des proportions
d'étain qui peuvent aller jusqu'à huit pour cent, ne se dis_
tingue pas facilement du cuivre. (1) Il est donc trôs possi_
ble qu'une partie des objets étiquetés bronze dans les collec_
tions, soit en réalité du cuivre: ce doute n'existe pas pOUl'
les armes et ustensiles dont la forme et la destination SOnt
caractéristiques de l'âge du bl'onze .
On savait déjà qu'à cette époque de petits industeiels, fon­
deurs ambulants, parcouraien t les campagnes pour vendre des
objets fabriqués et refondre des objets hors de service. La ca_
chette de Tourc'h démontre que cette pratique existait à Ulle
époque où le bronze ne devait pas être connu, car la fabrica_

tion très primitive des lingots, indique bien qu'ils étaient
sur place; or, pour que cette refonte ' ait donné des
fondus
lingots de cuivre pur, il fallait que les objets hors de
service recueillis pOUL> la refonte fussent tou.S en cuivre ct,
outre, que le fondeur n'eût pas intérêt à produire du

bronze. Ces conditions paraissent difficiles à admettre.
Aussitôt que le bronze a été connu, les avantag'es que pré­
sente son emploi a dû restreindre la fabrication des objets
en cuivre pur, d'autant plus que si ce métal était rare:
comme importé de loin, il n'en était pas de même de l'étain
dont les mines de Bretagne et de la Cornouaille insulaire
ont été exploitées fort anciennement.
Il est d'ailleurs tout naturel de présumer qu'à ses débuts,
la métallurgie a dû commencer par traiter les métaux isolés
avant d'arriver à l'alliage-de plusieurs métaux, ce qui sup­
pose une civilisation plus avancée.
La trouvaille de Tourc'h est intéressante parce qu'elle
apporte un document nouveau dans la discussion que sou­
la question dite de l'âge du cui'l)J"e.
lève
(1) Le bl'onze des monnaies francaises contient seulem::!nt 0,93 de cuivre
et 0,0!1 d'étain.

D'après une opinion soutenue par quelques savants auto­
.jsés, les objets en cuivre que nous rencontrons seraient
tel' aU début de la civilisation dans l'Extrême-Orient, où les
)opulations aryennes auraient créé et perfectionné la faLri-
l'tlnte, aux peuples de l'Europe. Dans cette hypothèse, les
llllChes plates en bronze seraient le produit d'une indus­
trie en décadence, et pal' conséquent postérieures aux belles
llaches en bronze des divel's modéles connus.

Cette opinion a été fOl't discutée et elle ne paraît pas avoir
été admise dans le Finistère,. Je citerai, entre autres, M. P.
du Chatelier qui s'exprime dans les termes suivants: {( Le's
« armes les plus anciennes que nous rencontrons en Breta-
(( gne sont les haches plates. Elles ont conservé la forme des
(1 haches en pierre qn'eUes étaient destinées à remplacer.
« Elles sont généralement en cuivre rougA. Un certain nom-
« bre d'entre elles ont été analysées, et on n'a pas trouvé
tt tl'ace sensible d'étain dans leur composition. Elles ne sem­
oc blent pas coulées dans des moules, mais simplement dans
(( des trous creusés en terre, sorte de monles primitifs. La
« sUl'face rugueuse et inégale de la plupart d'entre elles le

pl'ouve. »

L'ancienneté de l'âge du cuivre a trouvé également des
partisans dans le reste de la France et à l'étranger. La
question a été tout particulièrement étudiée dans un ouvrage
très complet de M. le docteur Mathœus Much (i) dont je ne
puis ici que 'résumel' très sommairement les conclusions.
Les études du savant viennois ont porté sur plus de deux
cents trouvailles de l'âge du cuivre, dont il donne la liste et
la description sommaire. Presque toutes ont été faites en
Hongrie et dans l'Allemagne du Sud, douze dans les Etals
(11 lJiè KuJi{el' Zeit in Europa. Wien, 1886.

méridionaux de l'Europe, cinq en Angleterre: huit en Franc .
Blaye Saint-Jean-de-Mac Ar'vieux; mais il est b:en cert,,· '
que ces chifl'res seraient singulièrement augmentés, si, dans
chaque pays, la question était robjet d'une étude spéciale
et SUIVIe.
Les objets rencontrés sont surtout des haches plates, pUis
des outils divers, lingots et scories. Le Dr Much applique
quatre fois à ces lingots les expressions de Kuchen et de
Fladen (gâteaux plats en forme de flan) qui pourraient très
bien s'appliquer à la trouvaille de Tourc·h.
Les haches plates trouvées à Sipplingen sont mentionnée?
, comme ayant été fondues dans des moules en terre, ce qui
est la preuve d 'urie civilisation à ses débuts. Leur forme
indique que les premiers hommes ayant des métaux à
. leur disposition ont cherché à imiter les outils qu'ils connai
saient, aussi les premières haches en cuivre ont été faites
l'imitation des haches en pierre, et cette même forme a é

également adoptée pour les premières haches en bronz
qui, du reste, se rencontrent plus rarement que les haches ~ I

CUIvre.
Les haches en pierre de la dernière période setl'Ouven
quelquefois associées aux haches plates en bronze et
cuivre; mais, . s'il n'y a pas une période 'où le cuivI'e ait
employé exclusivement, il n'en est pas moins certai'n qu'
l'expression âge du cuivre a uné signification bien préc'
comme s'appliquant à la partie de la période de la pier
polié où les métaux font leur apparition. Le cuivre employ
d'abord concurremment avec la pierre polie a disparu à p
près complètement quand le bronze est devenu d'un usa
général. ..
l C'est à cette période de transition si bien définie par M. le
Dr Much, que se rattache la trouvaiIie de Tourc'h. Quelle

été la durée? Quelle était ]a provenance de ce cuivre
CU 0. B t . ? A '1 't' t' d'E
. était inconnu en re agne.. -t-l e e appor e . .../spagne
n'1er ou par des émigTants venant du centre de la
oIlections archéologiques du département, le classemer.t
luéthodique des objets en bronze en déterminant et classant
séparément les objets en cuivre.

Vte DE VILLIERS DU TERRAGE .
Kerminihy, en Rosporden (juin 1896).