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Bulletin SAF 1896


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Une station néolithique

M. le baron Halna du Fretay

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VIII.
UNE STATION 'NÉOLITHI
"Dans une grande lande, en vue de la baie de Douarnenez
dite du Cotty, sur les dépendances de la terre du Vieux~
Châtel et à quelques pas des bois, j'avais décidé l'été dernier
de faire un défrichement sérieux; le sol était couvert de

protubérances irrégulières et presque partout de ronces en
quantité considérable. .
J'avais passé là bien souvent; mais ces végétations para,
sites m'avaient empêché de voir un remarquable monument
mégalithique que je vais décrire tout d'abord en ajoutant

que, malgré ma bien longne pratiqu.e, je n'en ai jamais vu
du même genre.
. Il est composé de 35 mégalithes.
D'abord un rectangle ayant à l'intérieur 10 40 de longueur
sur 1 65 de largeur et formé de deux alignements orientés
du nord au sud, l'un à l'ouest composé de quatorze pierres
et l'aut.re à l'est de treize pierres.
Ces mégalithes sortent de terre avec une hauteur de Om60
à 0 85 ; les deux eôtés nord et sud restent ouverts; mais
vis-à-vis l'axe central du rectangle existent deux aligne­
ments composés chacun de quatre menhirs espacés régu-
·lièrement, en 'sorte que le del~nier au nord est écarté de 7 20
et le dernier au sud de 7 70; leur hauteur hors de terre
varie de 0 75 à 1 JUiO. Le plus grand est couvert d'un côté
de signes parallèles gravés.
Ne pouvant laisser cet antique et si curieux monument.
funéraire à l'endroit où il se trouvait, .le rai fidèlemellt
reconstitué sous la grande futaie, près du château du Vieux­
Châtel; j'ai choisi cet emplacement rappelant absolument

.. - qui étaient recherchés par nos arrière-aïeux pour leur

'OI'er sommeIl.
t ü J • •

Il Y avait là, à l'intérieur et à un mètre de profondeur dans
le sol, ce qui indique l'outillage et le moyen de creuser, un
véritable cimetière de l'âge des dolmens avec le rite de
l'iJlcinération; j'ai trouvé du charbon, des cendres partout
d8I1S t?ute la longueur et la largeur, et j'ai constaté sur tous
les points des débris d'urnes toutes décomposées par les
infiltrations dans un sol léger et non préservé,
Toutes ces poteries d'épaisseurs très diverses apparte-
tenaient à l'âge du bronze; elles avaient dù dans le principe
être rangées symétriquement, et probablement l'enceinte n'a
été construite que pelJ à peu, pour les besoins de cette série
de sépultures, par des hommes qui avaient élevé peut-être
ailleurs des dolmens ct de grands menhirs, mais qui avaient
été obligés au Cotty de se servir des seules pierres qu'ils
-pouvaient trouver sur les lieux.
Voici la liste des objets que j'ai trouvés au milieu des
cendres apportées du bùchervoisin, car l'incinération n'avait
pas eu lieu comme pour beaucoup ·de dolmens et de tumulus
à l'enJroit où devait être érigé le monument,

1 Un sceptre massue en granit poli de 0 m. 38 de lon­
gueur; il a une courbure très prononcée et se compose
d'aborJ de la poignée arrondie, d'un diam~tre de 6 centi­
mètres au début, s'élargissant peu à peujusqu'à 8 centimètres,
au point où commence véritablement l'arme aplatie et ter- .
minée en pointe avec 14 centimètres de diarnètre au milieu,
Avec cette différence de forme et de largeur on disting'ue
parfaitement un étranglement cherché vers le milieu de cette
arme remarquable, probablement unique et sortie de terre
intacte.
2 Un énorme coup de poing également en granit .avec
gorge circulaire au milieu pour la main; il a 23 centimètres
de long sur 13 centimètres dans la plus grande largeur,

3° Deux marteaux en pierre percés d'un trou pOUl' l
premier comme diamètre uniforme de trou, forme et grandeur
• qu'à une de ces massettes en fer dont les cantonniers se
servent aujourd'hui; la différence est que celui-ci était en
diorite poli très finement et Ile portait pas de trace _d'usage;
l'autre est en grès bleu très dur assez plat, 2 centimètres 1/2
d~ms ]a plus grande épaisseur, il est ovale, de 9 centimètres
sur 12 ; l'ouverture du trou est de chaque côté de 3 centi_
mètres 1/2, mais se rétrécit vers le milieu; il est parfaitement
conservé, mais sur tout le pourtour il est très étoilé et On
voit qu'il a beaucoup servi. '
4° Une pointe de lance en schiste compact ïmporté,
portant deux encoches d'emmanchement avec dépression
en-dessous et barbelures.
5° Une autre pointe de lance en schiste gris .
6° Deux celtœ en amphibole.
7° Deux haches en pierre polie qui méritent une mention,
l'une de 15 centimètres de longueur en fibrolite rare,
l'autre de 12 centimètres, en silex de nuances variées et
alternées rappelant l'agate, dont cet échantillon se rapproche
du reste beaucoup .
8° Trois haches en diorite poli, ' dont la plus grande a
10 centimètres 1/2 de longueur.
9° Trois haches en fibrolite d'un poli achevé avec remar-
quables tranchants; la plus grande a 8 centimètres de
longueur sur 6 centimètres de largeur, et la plus petite, un
véritable bijou, 4 centimètres seulement de longueur.
10° Une rondelle en schiste gris.
11 ° Trois rondelles en granit, absolument régulières et
d'un travail très fini; elles ne portent aucune trace de service
et s'ont évidemment des 'fétiches. La plus grande a 7 centi­
mètres de diamètre sur 38 millimètres 4'épaisseur, les deux

tres ont un diamètre de 60 millimètres sur 24 millimètres
J'épaisseur. ,
120 Une rondelle en schiste ne portant pas de traces

d'usage et ayant en dimension 62 millimètres sur 4 milli-
mètres,
13° Un casse-tête en granit à poignée.
14° Deux pointes de lance en' quartz.
15° Un grand grattoir en diorite.
16° Un usoir percuteur très étoilé d'un côté.
17° Un très joli grattoir en quartz avec barbelures.
18° Quarante-deux silex taillés, pointes de flèches et
grattoirs.
19° Ûn casse-tête en granit travaillé avec large encoche
d'emmanchement.
20° Une grande fusaïole en schiste gris.
21 ° Deux projectiles 'à deux pointes en amphibole.
22° Onze pierres de fronde, dont quatre en amphibole,
triangulaires avec large base à vives arrêtes.
Toutes ces pierres de natures diverses et portant la trace
d'un travail soigné me font dire encore une fois que les
l devant la nécessité et faute d'un nombre
peuples primitifs
suffisant de silex, taillaient et se servaient de toutes les
pierres qu'ils trouvaient.
J'ai troùvé par exemple, sous plusieur~ dolmens, des
schiste avec encoches et barbelures et
pointes de flèches en
quelques-unes à ailerons et pédoncule. Cette fouille terminée,
je pensais que les inégalités de terrain que j'avais remar-
quées pourraient bien cacher un village préhistorique; je ne
me trompais pas. J'ai trouvé des substructions multiples en
pierre, indiquant un grand nombre d'habitations, toutes de
même' dimension à peu près et qui avaient été couvertes par
. le système du clayonnage sur branches avec l'argile durci
par un feu violent.

J'ai t.l'ouvé pal'tout les nombreux débris de cette Întelli ..
gente industrie.
J'ai découvert là bien des objets très diITérents les uns des
autres: .
1 ° Douze gl'andes molettes en granit poli ou en diorite
(gros galets de la mer) pour broyer la nourriture Sur les
meules dormantes.
2° Ving-deux meules dormantes en granit dont une très
belle est aujourd'hui posée avec sa molette à l'entrée de la
galel'ie du Vieux-Châtel; elle a 78 centimètres sur 42 centi.
mètres; le grand nombre de meules indique une famille
nombreuse et une occupation prolongée. .
3° Uue gl'ande piene rectangulaire en diorite pOUl' aiguiser
les armes et les outils en métal.
[1° Trois ellclumes de travail en oTanit l'une ronde et
épa isse, une auire carrée avec poignée de maintien et la
troisième arrondie du haut.
-50 2 grands rectangles en granit poli pareil à celui que
j'ai trouyé à côté de l'urne dans le grand tumulus de
Landeleau dont j'Hi dans un autre ouvrage raconté la fouille;
la dimension est de 28 centimètres sur 21 centimètres .

. 6 Une piel're triangulaire portant cinq cupules .
7° Six supports en gI'anit en forme de pyramides rectangu­
laires Oll arrondies et servant à supporter les ustensiles pour
cuire la nourriture.
8° Un galet percuteur portant sur le côté une coquille
fossile. . . ,
0° Huit percuteurs en quartz dont un a servi aussi de mo­
lette.
10° Deux beaux poinçons en quartz jaune tI'ès compact, avec
surface plane au gI'OS bont porlant les traces de la percussion
et très étoilés au petit bout, qui portent les traces d'un long
service; le pourtour est à côtes régulières et la longuem
pour l'un est de 11 centimètres, pour l'autre de 10 .

Ces poinçons servaiènt avec les percuteurs que j'ai trouvés
à côté pour tailler le granit.
il ° Dix-huit morceaux de poterie bien conservés ~ont
l'un est l'oreille d'un vase avec trou de suspension.
12° Un grand usoir avec rainures pour polir les haches en
pierre.
13° Une pelldeloque en bronze.
14° Un moule de haches en bronze à douille.
15° Un morceau d'un 'autre moule pareil.
16° Une meule très régulière et portant les marques de
l'use sur le pourtour, percée d'un trou au centre p'our le
passage de l'axe horizontal faisant tourner la meule vertica­
lement pour confection ou réparation des armes ou des
oütils. J'ai déjà signalé ces meules à propos des haches en
pierre qui à la dernière époque ont été fabriquées bien plus
rapidement lorsque la 'façon à la main a été remplacée par
ce moyen mecamque.
17° Une hache en diorite poli.
18° Quatorze usoirs, dont un surtout est très finement
préparé et très joli.
15 en granit dont plusieurs très finement
arrondies;
9 en quartz taillé;
H)o Trente-deux
l 'quadrangulaire en amphibole;
pierres de fronde.
1 ovale plate en diorite;
6 en amphibole à base triangulaire per-
mettant la pose verticale.
Je fais remarquer que les six dernières pierres de fronde
ressemblent de la façon la ,plus complète aux onze t.rouvées
dans la sépulture; quand un objet se reproduit ainsi, c'est
la preuve indiscutable que ce type est cherché et voulu.
3 allongés et arrondis;
20° Sept gros coups de
2 à gorge pour la main;
poing en granit dont
2 avec poignée, finement travaillés .

'21 ° Un coup de poing en schiste compact ari~ondi pOUr la
poignée avec pointe aigüe (importé): il n'y a que du granit
dans le pays.
22° Deux n~arteaux en granit avec poignée, tradition des
âges précédelÙs. .
23° Onze silex taillés, grattoirs et pointes de flèches.
24° Quatre galets fracturés intentionnellement.
En résumé, j'ai trouvé dans cette station 238 souvenirs du
passé, tous curieux à plus d'un titre, mais avec cette res-
triction qu'à côté d'objets remarquable's il y en a d'autres
d'un usage plus commun.
Un musée réel doit être la représentation historique des
traditions et des 'efforts successifs de' l'humanité à tous les
âges: les ébauches d'abord et la perfection de plus en plus
caractél'lsée ; toI est le musée du Vieux-Châtel; c'est l'his-
toire de l'homme depuis ses débuts les plus primitifs jusqu'à

notre ère.
Ce qu'il y a de remarquable dans cette station du Cotty,
c'est le mélange de la pierre polie et de ]a pierre taillée
et la négation est impossible: j'ai
associées au bronze,
trouvé là les Gaulois chez eux; c'est la confirmation de ce
j'ai dit à mon début et la preuve que mes premiers
que
ouvrages sont l'expression de ]a plus exacte vérité.
est là avec les granits, le diorite et le quartz
Le bronze
polis ou taillés, réminiscence des temps passés transmise
par les générations. Au Cotty on trouve le granit à 'chaque
pas. Ils avaient en même temps les silex taillés et les pro­
jectiles polis ou taillés, des formes les plus variées, et fabri­
pierres très différentes, les unes importées,
qués avec des
d'autres trouvées évidemment sur les lieux parmi les roches
du pays.
Un auteur célèbre, qui a fait de nombreux ouvrages s\Ir

les temps préhistoriques et qui a établi pour les époques
successives des classifications très tranchées, m'écrivait à
ce sujet l'année dernière d'une façon bien spirituelle:
« Vous avez écrit après moi, mais je ne peux pourtant
(c pas renier mes enfants en abandonnant les âges succes­
« sifs indiqués dans nies ouvrages: pierre polie, pierl~e
« taillée, bronze, fer. »)
La question est posée et malgré ce mélange, surtout à
canse de la réunion, je n'hésite pas à dire que l'âge de
cette station doit fort peu s'éloigner du VIlle siècle avant
notre ère. J'avais trouvé précédemmen t , tout à côté de là ,
un trésor complet de l'âge du bronze, par conséquent pos­
térieur à la période, assez courte d'ailleurs, du cuivre pur;
il Y avait là, mulon nés sous une grosse pierre plate, 24
lingots dont 7 gâteau:x entiers. J'ai trouvé aussi dans les
environs deux cachettes complètes également: dans l'une,
il Y avait 12 haches à douille et dans l'autre 18.
Mes études si longues me permettent de pl'endrevite une
décision, car j'ai été, à mon début, un favorisé comme
archéologue; cette grande terre du Vieux-Châtel, qui a été
mon berceau, a commencé mon éducation, il Y a près de
quarante ans . . Ses bois ,ses sources l le voisinage de la
mer ont attiré les populations nomades; les stations, les
ateliers, les tumulus, les dolmens se succèdent de siècle en
siècle, depuis l'âge quaternaire continué par toutes les
périodes de l'époque néolithique et de l'occupation romaine.
C'est là que j'ai trouvé, pendant mes premières années de
travail, l'idée de la solution des mystères de l'histoire pré­
historique; la mine était inépuisable, les objets tl'ouvés ont été
innombrables et ont bien aidé les fouilles incessantes que j'a
faites depuis, dans les trois départements de la presqu'île
de Bretagne, pour la création de ce musée du Vieux-Châtel
si complet aujourd'hui. Les preuves aussi se sont multi-

pliées et la clarté est venue dissiper les ténèbres d'un passé

SI peu connu.
Baron HALNA DU FRETA Y,

Président de lù Société archéologique dit Finistère
Correspondant du ministère de l' lnstrllctio~
publique.

Château du Vieux-Châtel, par Quérnénéven (Finistère),
15 mai 189G.

....... - .• ra.,. !$J~" (: -"