Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes
XXIV.
LE CHANOINE JEHAN MOREAU
IlISTOR IEN,
Par l 'abbé Antoine FAVE.
Madame Dudeffaut ayant lu l' cc Esprit des Lois )) du
Président Montesquieu, dans le temps OIL ce livre parut.:
disait à ceux qui lui demandaient son avis qu'il" résnltait de '
la lecture de cet ouvrage que son auteur était gascon, ,
homme de robe et gentilhomme.
POUl' nous, en relisant l' «( Histoire de ce qui s'est passé
en Bretagne durant les guerres de la Ligue (~, ) )) I)GL~ Jehan
Moreau, chanoiue de Coenouaille, il résulte aussi que l'au-'
teur se montre t.out d'une pièce: pL'être convaincu et patriote
fidèle, ne sachant transige!' avec ce qu'il croyait la vérité
objective et le devoir;
C'est là un gentilhomme réeu du vieux sentiment de cheva
aimant les beaux faits d'armes, méprisant les félons, ne
lerie,
marchandant pas son admiration aux combattants valeureux
sans s'arrêter à la couleur de leur d!'apeau ; juste et loyal en
toutes appréciations de brillantes maUœuvres de guerre et
de combat;
C'est le magistrat avisé, enquêteur passionné par métier,
apportant dans ses :l\'lémoires le style implacable et l'al'gu-
mentation irréduct,ible d'un réquisitoire devant une Cour
prévôtale. , '
Cet enthousiasme chez un homme d'église doublé d'un
homme de loi d(~nonce l'i,q)port de l'hérédité dans la consti
tution de son tempérament. Moreau n'était pas le seul à le
('1) Ed. de M. Le Bastard de lVIcsmeur, 1857 .
ressentir, et dans le noble Chapitl'c de Saint-Corentin on en
rencontl'ait d'aut!'es qui se sentaient redeven: l' chevaliel's,
comme leurs pères, 10l'squïl y avait gloire à acquél'il' ou
honte à évitel',
Citons-en deux: messire Guillaume de Buys, gascon de
nation chanoine, archidiacre de Poher que la fièvre et le
saisissement de voir Quimper capitulee fl'appent de mOl't et
délivrent, en même temps, de la cOllll'ai nte à lui faite de prêter
au mal'échal d'Aumont uu sG'rment oontre lequel pl'otcste sa
conscience (p, 267),
Jean de La Garenne, autl'e chanoine, « qui ne manquait
« pas de courage comme il l'avait souvent fait paraitre en
« bon lieu avant d'être attaché au bréviaire, Il (p, 207),
Député pal' la communauté de ville à Hennebont, pris par
l'ennemi, il montre qu'il était au COUl'ailt du « langage breton»;
homme de décision, pal' rusé et par force il réussit à s'évaJer
pal' (luoi, dit Botee vieux ligueul', ce qui est fort appré
ciab.lL~, " (c l dit La Garenne gagna trois ou quatre mille
« écus au clergé de Cornouaille, qu'il eut p'l!Jés pour sa
rançon Il,
Lors du siège ùe Quimper, par le maréchal d'Aumont,
c'est Ull g'enti!homrne de Léon, nommé de la Villeneuve, gar
dien Jes COl'deliel's de saint 11'eançois, que nous voyons fl'appé
par la canonnade qui paetait des foul'ches patibulaires du
mont F'r'ugy, au mann"nt où avec beaucoup d'autres de qua
lité, il travaillait aux. retl'anchemcnts le long du jardin du
couvent (p, 23n),
Fill!SSDflS pUI' citcI' un aulee vaillant que Moreau connais
sait . c'est à lui-même que nous faisons allusion: c'est
l'anciell conseiller au présidial se confinant désormais, apl'ès
la eapitl.llalioll, dans le rôle d'homme de la cité, de citoyen
vigilant üont l'œil cst tJujours ouvert pour déjoue!' et éventee
les ClIll'8j)l'is c' s des Qnnemis de la sécueité de la ville: c'est à
Jùi (lu'oa adl'es~c " èn toute sÛl'eté, les renseignements Sl!l'
les manœuvres de La Fontenelle et avec son activité dévo-
l'ante , il ne pel'd pas une minute de vue le terrible aven
tueiel' .
S'il salue dans l'héroïque Kerollain le sauveur de la cité
« aujufJement de tous )l, s'il s'illcline devant le corps de
,}Iagellce tombé au elwmp ll'honueul' (p. 356 et sui".), il
pouvait se dire que , lui aussi, 11 avait r empli son devoir.
Du Liscouët se déshonore pal'
loyauté chevaler esque, le chanoine quimpérois reconnaît,
sans marcbandel', sa beUe conduite au siège de Quintin; il
se rend , il est, vl'ai, mais « après tout ce qu'un homme de
q valeur peut faire en une si pauvre place )l (p. 147-gB).
Quand il sllccombe glori eusement au siège de Crozon, notre
chroniq ue Lll' ne se souvient plus que des regl'ets qui suivi
rent son trépas, « comme, à la vérité, il le méritait, étant
« un des braVflS et des plus vaillants de l'armée )l (p. 271).
Kerandl'aon attire les malédictions du pays sur le château
de KeroLlzéré, par ses rapin es et ses cruautés sans nom sur
les prisonniers qu' il rallçonn~ à mel'ci: c'était toulefois un
brave : « homme vaillant mrtls cruel )l (p. 87).
Le maréchal d'Aumont avait usé de ruses pour s'emparer
de Quimper, au mépris d'une trêve qui engageait son hon
neur de soldat, une tl'êve réguli ère et signée. Si Morean
dénonce la conduite souvent trop habile à bon marché, du
commandant en chef des royaux, il ne lui coûte pas de
r econnaître , qu'à son égard partic.ulier, il n'eut pas à s'en
plaindre, et que « le sieur maréchal est encore louable en ce
« qu'il n'y eût pas la moindre in.'jolence commlse par les
« soldats ' à l'endroit des femmes, quoique la ville ct les
« faubourgs environs fu.ssent pleins de gens de guerre de
« dwerses nations (p. 336), tous gens ramassés, Normands,
« Poitevins, Gascons) Bretons et Anglais (p. 293) ».
. S'il sait, à l'occasion , rendre h9ffimage aux quelques
(Inalités d'un ennemi, Jehan Moreau est un justicier sans
pitié pOUl' les cruels, les félons et les coual'ds.
Du Goust est gouverneur du chàteau de Blain. Il nous le dé
peint en quelques mots: « C'est un homme cl'uel, barbare et
« insolent plus que vaillant, comme il arrive ordinairement,
« car un homm~ généreux n'est jamal. ,; cruel, au contraire,
« il n'est de cnv'wté que de poltron ») (pp. 129-130).
Quïls soient du parti clesH.oyaux ou de l'UJlion, peu
impor·te, les tl'embleul's répugnèl'ent au "ieux quirnpél'ois,
et il ne dépencll'ait que de lui qu'on ne les livl'ât, e ll plein
camp, aux railleries et avanies des valets et des goujats de
l'armée .
Voyez le soin qu'il prend de fail'e passer à la prostérité la
figul'e du piteux Chal'les Le Heue, sieur de Lestialla : il n'y
met pas l'acharnement fondé SUl' les pl'ofondes et vigollrellsfS
rancunes, qu'il apporte dans ses rapports sur Lézonnet ou
autres: le pauvre sire ne méritait pas cct excès d'honneul' ;
mais s'il y revient avec complaisance, c'est qu'il y trouve un
soplagement au rancœur qu'il lui inspil'e, lui et ses pareils.
Todt semblait avoil' été bien ol'ganisé, de part et d'autl'e,
dans les deux partis, pOUl' amenel' la défaite de l'anièl'e-ban
de Cornouaille~ débandé, massacré par la belle garnison
royaliste de Tonquédee. Le commandement en avait été
confié au « sieur de Brignou, cadet de Plœuc~ marié à
« l'héritière de Ker'haro, homme qui n'était pas autrem.en l
c( m.artial, pltts propre à la chasse qu'à la guerre. )) Alain
de Kerloëguen sieur de Kerheuzen s'y trouvait aussi, lui
« qui ne tira jamais l'épée, aussi n'étaU-il pas né pour cela,
« quoiqu'il (ut par ailleurs homme de bien », lui qui n'm)ait
« jamais dégaîné d'épée, si ce n'est pour la dérouiller. ))
L'arrière-ban des ligueurs n'oppose pas de résistance,
« à la réserve des sieurs de Kerhom, Rusquec, Cl'émeul', de
(\ la maison de Carné, qtti firent t01.~S devoirs de ger/;s d'hon-
« neur tant qu'ils purent ma,nier des 'mains. Ils furent tués
« en bienfaisant .... . généi'alement regl'ett:és, et avec raison,
« étant personnages de valeur et de cou t'age, en la fleur de
« leurs ans, le plus vieux 11 'ayant pas plus de trente-cinq
({ ans. » (p. 106-107).
Le sieur de Lestialla « jeune folâtre qlli ne savait pas cc
{( que c'était (lUe la guerre )J, se garda b ien d'imiiel' ces
beaux exemples de bl'avoure : {( il montra les talons dès le
« commencement et fut le premier à s'enfuit' à Morlai~: ))
Lorsque René du Dresnay de Kercourtois, si brave, si
sympathique, fut tué, {( le sieur de Lest.ialla, cc cousin d'Lt .
{( sieur de Kercourtois, qui avait plus de sujet à l'ass'ister, .
« tourna les talons des ]Jl'en'Liers, C01mne il l'auait fait quel-
« q'Ltes années a!~pata 'lJ(mt à Ples tin. )) (p. 208.) .
Au combat de Quimerc'h,. en Bannalec, nous retrouvons
le même pl'Lldent personnage, il vient de voir tomber l'hé
roïque Grandville: {( le 'sieur de Lestialla, qui était de la
« compagnie du bat'on de Mollac, se saisit de son cheval qui
(c était fort beau. Il fHt plttS ]Jl'om.pt au vutin qu'au con/.bat,
(c rUtS 'i ne {ut-il lJas bleôsé Il (p. 3(j7). .
Notre h istorien, qui ne porte pas la cuirasse mais a l'hu
meu l' d'un soldat sévère pour les défaillances au champ
d'holllleur, ne ménage pas ceux de son padi. En 1590, La
Tremblaye slll'prend la ville de Quimper-lé, commandée par
François du Chastel, sieul' de Mesle, qui ne sut que prendre
la fuite et gagner l'etraite à Cllâteaugal, en Landeleau.
« Voilà comment, d~t 'Moreau, la négligence d'un capi
« taine guère expél'iment~ et habitué à prendre 'ses aises,
« comme était celui-ci, a porté la ruine où il commandait,
(, ayant l'ennemi, fort de six mille hommes, à huit lieues de
« lui, eth ville n'étant. pas autrement forte, dort, lui et ses
{( soldats, sur la plwne, se confiœJ1,t en quelques sentinelles
« de pauvres de la pille qui, n'ayant rien à perdre, ne s'em-
« barrassent yuèl'e de hi uie des autres. »)
Le brave Carné-Rosampoul, gouverneur de Morlaix,
réduit à la plus grande détresse, alors que dans]a place il
ne reste plus un cheval à dévorer, se rend à composition.
Sa femme, héritière de ]a maison de Cattelan, ell Vannes,
dans un état de grossesse avancée, refuse avec noblesse les
présents que le maréchal d'Aumont lui envoie pOlir répar'er
les fafgues que lui ont causées les privations du siège; sur le
témoignage d'un des capitaines de la place, de Hostill, qui
le rapportait au duc de- Mercœur, Moreau racollte avec
admiration de la femme de Rosampoul qu'elle était « si
« résolue à encourager le soldat sans aucune appal'euce et
« signe d'étonnement qtt'elle plantait le cœur (lU 'vell tre du
c( plus lâche)) (p. 202) .
Quoique Carné-Rosampoul eut montré une remarquable
intelligence du métier et une force extraol'diuaire de volonté
et d'énergie, son corelig'ionnaire Jehan MOl'eau , est impi
toyable pour lui; tous les biens, meubles et objets de prix,
tout son bagage, furent la proie du vainqueur: c( et disnit
« on que c'est un juste châtiment de Dieu; que le sieur de
« Rosampoul ayant eu ]a malgrâce des habitants par son
"( avarice, et manqué de ravitailler la place, des deux 'mille
« écus qui lai avaient été, lieU de ten'lps aU1JaI"(want, diliorés
« pa?' le cO'/1wl,andelllent du sieur Vuc, son maÎtre, et qu'il
« avait mis en sa bottrse, Dieu perm,il qtt'il perdit et la place
Il et argent et équipage (l'vec ww grande rançon qtti lût sa
« ruine)) (p. 218).
Qu'y a-t-il de vrai dans eette accusation contre un brave
capitai,ne'? 'Moreau pouvait se mettre à l'aise pour dil'e toute
la vérité aux deux partis, puisqu'il semble pf'endl'e comme
point de départ de ses jugements, souvent bien sévèl'es , ce
principe que la. meilleure des causes peut êtl'e Jéfendue pal'
de piètres moyens et mise en pél'il par des compromiss ions
'déplorables de conseience et d'honneur. .
Toutefois l'ardent ligueur qu'était Moreau, malgré cette
affectation ù'impartialité qu'il professe, comme nous le
ve[Tons plus bas~ avait il des amis à trouver grùce à son
tr'ibllnal, si sévère qu'il fùt ?
Oui, deux au moins eurent cette honne fortune, deux
110talJles habitants de Quimper.
Le pr'emier fut Jean du Quélennec, gouyerneur, qu'il
appelle un « g entilhomme sage, peu dent, vieux soldat, qu i
« se compol'ta en cette charge avec le contentement des [j("/1S
« de 11.ly et de l'autre parti, quoique nat'Urellement (ils fus
« sent) de natw'e reoêc he )) (p. Ul ).
Plus tat'd, le chanoine renouvelle le' Illème satisfecit à
l'aÙI'8SSe de cet homme de devoil', qui était .C01'nme il les
aùnait: Il était « gentilhomme a visé, prudent et capable
« même de plus geancles charges, lequel par sa prudence 1.1
« maintenu., rendant cette [J'uerre qu'il y a COJJ/!/'J/a7uil!., [es
« habitants nattl,J'ellemcnt reoëches en bonne conc()nle ))
Aussi l\lol'eau ne peut-il que regretter que Mercœur eut
suspecté un tel serviteur et commis une faute énorme 811
pouI'Yoyant du gouvernement de Quimper le s'eur de Gou
laine, en son lieu et plc:ce .
Les passions politiques à part, Jean du Quélennec, sei
gneur de Saint-Qué-rcc, était lîlOmme et ]e gardien de la
commllnauté, mailltennnt dans la ville Ul1è vie municipale
ùont nous 11e SHul'ions plus apprécier lïutcnsité: d'où le
témoignage convaincu qlle lui rend notre historien, en fai
s-ant ressortie que, dans l'administration de la cité, il ne
recherchait que l'ordre et sa pl'Ospérilé, faisant appel à la
bonne volonté de tous pour cette fin si précieu~ü, sans accf'p
lion de coteries el de pal,tis .
'Un deuxième personnage pour lequel le chanoine Moreau
trahit une vive sympathie basée sur l'estime , c'est maître
Tarlguy Botmeur de Kerynaire , conse,iller au siège présidial ,
dont li raconte la mort '(p. 188). C'était une belle
flgtll'E \ un homme tout d'une pièce, ayant au cœur le mépris
et la haine des poliLiqlles~ et, par là même, digne de l'atta
chement de son conl'l'èl'e au présidial, notre chl'Oniqueur
quanperols.
La rnème plume qui nous décrit si bien la helle mort de
KercourLois, la pl'ise de Crozon, l'aventure chevalél'esque
de Quimerc'h, va enregistrer les rancunes fielleuses du
ligueur vaillcu : il les classe, les catalogue avec soin, toutes
y trouvent leur place (1). C'est, pal' exemple, Lézonnet « le
tourne-casaque n, comblé par Mercœur, « pnltiqué par cer
cc tains cha1'latan3 qui promettaient des montagnes d'or à
(c un avm'e. )) l'fais le compte est réglé apeès~ la capitulation
de Quimper: alors que le vieux rebelle de la Saint-Union est
honoré et respecté par cl' Aumont lui-même, voici la fin de la
teagédie)a fin de ses principaux acteurs du côté des royaux:
Olivier Endroit est mort d'une arquebusade, Maitees Olivier
Berthault, Bamabé Le Callay, sieur de Mascosquer, conse]
lel's au présidial sont mis au rancart par le vainqueut'. Le
sénéchal Le Baud~ cassé aux gages c( tout le reste de sa vie,
« Ile fut qu'avocat consultant, car il eut honte de paraitre
« dans le barreau après y avoir présidé enLre dix et douze
« juges. » (p. 262 et suiv.).
Malgl'é les dénonciations offic!euses et répétées de Le~
prestr~ de. r ,ézonnet et consorts près du maréchal, ce
dernier décharge~ justement, l'ancien conseiller qui refuse
le serment qu'on lui demande, parce qu'il en a déjà donné
un, et non prêté, à la cause de la Ligue, de tout logement
militaire et de contribution de guerre. Pendant ce tem ps, "les
recors sont chez Mascosquer et Berthault : Berthulllt taxé
à 160 écus, réclamant « dans un discours d'une façon
« pitoyable n, qui provoque le rire de Jean d'Aumont,
de M~reau
(1) Plus ~a rel nous a urons, peu t-être, à élud ier les relations
au sujet de l'évèq~e Chartes du Liscoët et à les apprécier.
ne pouvant que dire avec mépris: « Voye, ?: donc « cet usu
rier qui veut faire le truand! »
Reste Allanou, Yves Allanou, avocat au pl'ésidial, fils d'un
pauvre maréchal de Plonéis :. « Le plus méchant et le plus
« audaeieux qui fut en cette ville ». Pilier d'une aubel'ge
huguenote de la rue Neuve, pl'omu à la pl'ineipale dignité de
la cité, puis, « .pl'évenu de mort à la suite d'un proeès de
« crime» qu'il avait « eontl'e une simple bciul'geoise de
« Quimper nommée Anne Nouzille», iJ eOUt'ait danger d'être
pendu quand il eut bon nez d'évoquer l'affaire à laehambre
de l'Edit à Pal'is, en abjurallt et en se faisant calviniste;
malgl'é tous ses efforts, « n'en pouvant espérer une honnête
« issue, de fatigue et d'appl'éhension, ' il mourut de mort
« naturelle, qu'il '/11,éritait violente et honteuse s'il eut encore
« g'uère 'l1écu)) (Cf. p. 231-263).
Les haines domestiqlles doivent être les plus suspectes,
elles sont les plus aiguës et aveuglent les meilleurs esprits;
aussi le juge n'en admet l'expression qu'avee la plus grande
reserve, non eomme preuves par temolgnage, malS eomme
simples renseignements; peut-être, pour ce chef-d'œuvre
d'une faeture saisissante que l'on peut intituler la « Ligue à
Qlti1nper )), dans ee réeit, digne de nos meilleurs éerivains
du XVIe siècle, l'historien doit reeevoil', sous bénéfice d'in
ventaire, sinon la suite des événements dan& l'ordre de leu!'
développement, du moins dans leur exposition qui représente
déjà dans la façon de les présenter, une appréeiation de
l'auteur, trop intéressé pOUl' être aussi impartial qu'il en a
la droite volonté et la sincère intention de le demeurer à
bon escient.
Apprendre, savoir, rapporter, voilà la tâehe de l'historien,
qui lui est eommune avee la charge du magistrat.
Moreau, nous le posons en thèse générale, peut se tromper,
mais dans ses mémoires, il n'y a pas d'erre'J1;TS l1oulues. .
Son érudition peut être prise en défaut COmme dans ce
passage où il fait d-e Jean de Beaumanoil', du Combat des
Trente, « un Bas-Breton de l'iDêché de Cornouai lle)) (p. 78) ,
alors qu'il était des environs de Dinan, évêch é de Saint-:Malo.
de Mesmeur a eu à relever plusieul's de ces inadver
tances de l'él'udit chanoine.
Peut-êtee exagère-t-il 10l'squ'il attache au fDet de la
Pointe-Espagnole, en Cl'ozon, lïmpodanee d'ull now)(!((u
Calais, s'il était resté aux mains des Espagnols.
Autl'e exagération, peut-êtl'8, 10l'squ'il dit que si les
HugLlênots étaient restés maîtl'es de Concarneau, ils eussent
eu en Basse-Bl'etagne une grande retl'a:te, « qtl'ils conIes
« sent, eux-mèrnes, dit-il, être plus forte que la Rochelle »
Mais sÛl'ement, il exagèl'e lorsqu'il dit : c( de fait, au
« au commencement, il n'y avait du parLi de l'Union que les
« catlwliqlles; nuis de l'antre tO ~lte sorte de gens y étazent
« reçus pour/nl qu'i ls n'eussent jaJnais p ,~tli d! Die~l, ni du
« Pupe q~l'aDec blasphèmes; que si quelqu'nn 'Lm peu plus
« scrup~l,leux en pal'oles en eût parli avec respect, on lui
« aur(li t au.ssitàt dit: pm' la mort, pal' la chair, 'vou.s êtes un
« Ei)pagnol. 1.tn lig1.leur, 1.l1t troUTe a1.l Roi. Les partis étant
)) chnc rOl'més, la gLlel're éclata. » (p. 41-42).
Si le tOI't de l'un justifiait le tOl't de l'autre,
nous alTl ve-
rions sans peine à excusel' cette sOI,tie déplacée de lVIol'eau :
nous n'aurions qlL'à e nl'egistl'e l' cet autre passage où Mont
marlin amené cl raco nter la composition du parti de la Ligue
il Renacs, r eCOlll't il des tel'mes aussi exagérés : ( A1.lC1,lnS
« habitants, dit-il , de ceLlX qlûbus opes n1.lllce sunt, ne dem,an
« d.lÏi!nt q Ile chan:J :;!nent, el fàcilement le dit sieLl't de Talholût
« lei) attira. ».
L e maréehal de l\lontmal'tin ne voit dans tous les adhé
rcnLs de l'Union qùe des vagabonds, des aventuriers de bas
étage, même dalts ces magistl'ats vénérables qui se sépa-
rèl'ellt clLl Padement royal de H.ennes pour aller siéger à
Nantes: Céll'pentie,r, Velly, de Kel'dl'el: d'Argentr.é, Launay
Saint-Germain, etc!
Mais constatons jusqu'où la passion et le parti-pris p.euvent
conduire les hommes les plus loyaux.
La loyauté, au reste,ne manque pas à Moreau, comme le
montl'e cette déclaration: « La guerre dont nous voulons
c( " parler commença à s'éclol'e l'an 1584, et fut appelé la
c( Sainte Ligue des Catholiques, qui cependant n'était guère
« religte'Use » (p, 25).
En effet, elle ne le devint qu'à la mort de Henri If l, lorsque
les catholiques, pour sauver le nI' foi menacée: ne " virent "
d'autre moyen que de s'attacher aux princes de la maison de
Lorraine.
Ch. XVII, Moreau nous raconte que: vers 1592, il Y avait
à Callac, distant de .quatre lieues de Carhaix, les rqines d'un
château fort, cc sans aucune maison ni apparence qu'il n'yen
« eut jamais, dans lequel quelques gens d'armes s'étaient
« nichés et se fortifièi'ent en peu de temps de retranchements,
cc en y bâtissant quelques maisonnettes pour être à couver.t,
0: et de là ravageaient tout le plat pays, si bie'n qu'on eût dit
cc qtt'on n'en voulait qtt'aux pauDres paysans seulement, car
c( le d(fbordement fut si grand qu'on e'Ltt dit qu'on n'en voulait
« qu'au bonhomme. Ces sortes de gens n'allaient jam,ais
" cc chercher l'ennel11Ï, ce n'était pas ce qu'ils voulaient, ils se
c( contentaient de la lJetite guerre, comme i~s l'appelaient,
« c'est-à-dire de la picorée». Après la prise de Rostrenen don
Juan d'Aquila brûla leur bicoques et en délivra le pays,
est propice pour le ligueur quimpéroi,,? de
L'occa::;ion
dénoncer à son tOUl' les exactions et les horreurs commises
par les royaux : ces pirates de la terre ferme savaient bien
que le pavillon couvre la marchandise, or leur pavillon était
aux couleurs des ennemis de la Ligue.
Moreau se garde bien de le faire: il constate même ayec
une impartialité qui ne fut pas toujours imitée, qu' cc ils se
« disaient du parti {hl Roi, parce que le pays des environs
« tenait pour le parti rle l'Union des catholiques. )) (p. H ;U).
Notre vieux quimpérois, ce nous semble, ne s'est pas
départi des résolutions qu'il prenait dans le progl'amme
qu'if insère au commencement de son intéressaute chroniqne
(cf. p. 3-4). Il proteste ne vouloir dil'8 que ee qu'il f'Rit, que
ce qu'il a vu, que ce qu'il a recueilli comme recevable .à
l'enquête qu'il ouvre sur cette période [Igitée de noire his
toire. « Si la guerre, a-t-elle été en aucuns li ellx plus
« longue, en autres plus cruelle, mais surtout elle a é1é
«. éprouvée en cet évêché de Cornouaill e que je pl'élends
( représenter plus particulièrement, C01711'J1e je les ai apprises
« partie pour les avoir vues, expéri·mentées, partie pout les
« avis ceftains de ceux qui s'y étaient tTOLW{!S. »
« Je sais, ajoute-t-il, que beaucoup de choses se sont
" passées en cette guerre, que je suis c.ontraint de passer
« sous silence q'Lwique dignes de récit. »
D'où vient à Jehan Moreau cette hésitation? Etait-ce dans
l'intention de cacher ou d'atténuer, par convenance, certaines
choses qui se seraient trouvées peu à l'honneur des pal'ticu
liers ou de leurs familles?
On sait si pal'eils scrupules pouvaient l'arrêter un ins
tant, mais il nous en donne la raison en toute simplicité:
« ·N'en n'ayant .écrit au vrai, les lieux, le temps, ni les cir
« const.ances particulières, j'ai mieux aimé l1wdestement que
. ,« témérairement rapporter ce qui m'était incertain, et, pour
« cette cause, ne me suis-je avancé d'écrire ici que ce que
« j'entendais bien souvent avoir été fait àu loin, Cfa i'nte que
« le rapport qui en tel cas est divers ne fut véritable; croyant
« aussi qu'en chacun quartier il se trouvera toujours quel
« qu'un soigneux de recueillir ce qu'il aura vn ou appris, et
« que par ainsi la mémoire se sera perpétuée, les choses
«( tant prodigieuses arrivées en ces funestes guerres. »)
« Que le lecteur, dit-il encore, n'attende pas de moi un
(t C"orps d'histoil'e orné et d'url. langage affilé qui châtouille
Ct l'ol'eille ... )) mais bien « la véeité toute nue et toute pure
« de ce que j'ai pu apprendl'e: et sans aucune passion partz
« culière qtti me fasse parler par haine att préjudice de l'tin,
« ni lwt amuur à l'a'vantage de l'a'utre l rti, q'lloiqtle nOliS
( voyons aU:JJ li'ores imprinufs et dans les grandes annales ou
« autres traités prirés tout être re'lnphs de faussetés et de fiat-
« tehes, mettant le tort d'un coté et rien de l'autre. Que si
« quelque chose s'est passée au parti qu'ils affectent, tant
« petite soit-elle, ils l'exagèreront et loueront hautement q~~'-iL
«( semble qu'ils ne vissent jamais petit loup ..... S'ils 1'el1con
« trent au parti contraire des actions glorieuses ..... ils le
« tourneront de telle façon que ce ne sera rien à leur 'at)is, et
« en attribueront ['événement ct quelque hasard et non à la
« vaillance de l'ennemi. ))
C'est avec un certain ol'gueil que nous voyons notl'e Jehan
:Moreau, chanoine de Quimper: avec l'avantage d'une sorle
de double vue histor'ique prévoir ce que font aujourd'hui nos
historiens d'une critique conscienc: euse, scru puleuse, sans
auüe passion que celle de découvrir le vrai.
« Bref, dit Moreau, la véJ'ité ne se peut décoU'vrir par de .
« telles personnes et la flwdra rechercher parmi les écrits des
« auteurs étrange7's )) (p. 4).
Plus tard, reprenant ses cahiers de mémoires, arrivé au
bout de son rouleau, il persiste dans celte vue lumineuse et
pratique: consulter les archives des autres royaumes: « Il
« y en a d'autres qtti écriront sinon au lirai, du moins
«( chacun selon sa passion. La vérité se trou·vera plutôt aux
« livres étrangprs qu'à ceux du royaume ) (p. 318).
Cette assertion est amplement justifiée par ces chercheurs
intrépides qui vont aujourd'hui quérir dans les fonds d'ar
chives du Vatican et de Londres, de l'Escurial, de Simancas
et de Copenhague, le secret, le derniel' mot d'événements
qui 'ont- intéressé et mis en jeu le sort dè notre Patrie .
Le Déal du chapitre de Quimper, de 1586 à 1594, conservé
aux al'chives du Finistère, est mutilé: les délibérations en
ont été soustraites par un canif habile: il y avait là de ces
délibérations qui pouvaient être gênantes, au retour du roi
Henri IV, le Béal'l1ais. On a sacrifié le tout. Celui qui eût
pris son parti de cet holocauste, n'eût certes pas été messire
Jehan Moreau : prêtre de Basse-Bretagne, gentilhomme et
magistrat, il n'eut jamais rien à renier, lui, si ce n'est peut-
être quelques exagérations qui ne trompent personne, et
qui ne l'empêche pas d'être un historien véridique, vrai et
loyaL .
Abbé ANTOINE FAVE .