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Bulletin SAF 1895


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Deux sénéchaux de Cornouaille (1589-1594)

Trévédy

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XXII.

DEUX SENECHAUX DE CORNOUAILLE

Président du tribünal de Quimpel', rai~été chef de la justicê
en cette ville, comme peét.endaient l'êtee (i) autrefois les séné-

chaux de Coenouaille ; mais je ne me flatterai pas d'avoie été
leur successeur. Combien en effet le tl'ibunal de Qllimpel' res­
semble peu à la sénéchaussée royale de Cornouaille! Quelle
différence de juridictions civile, criminelle et d'appel! Quel
amoindrissement de compétence territoriale! Le ressort de
la sénéchaussée n'était pas borné à l'arrondissement actuel
Quimper: il comprenait tout le département, moins les
à l'est. d'une ligne partant de Scaër et suivant l'Aven
cantons
jusqu'à l'Océan, mais plus les cantons de Plestin, Ploual'et,
Maël-Carhaix, Rostl'enen dans les Côtes-du-Nol'cl,
Callac,
. Goul'in et Le Faouët dans le Morbihan; c'est-à-dire un. tel'ri~
toire plus étendu que le ressort si vaste pourtant de la cour
d'assises. Aussi un conseiller au présidial, le chanoine
Moreau, a-t-il pu dire que l'office de sénéchal était ({ le plus
beau, le plus honorable et le plus lucratif de la Basse.:­
Bl'etagne

(1) Je dis prétendaient l'être; car l'appel des sentences des regaires
allait au parlement.
en Chanoine Moreau, Histoire ûe la Ligue .. p. 236.
Je ne pal'ie que des fonctions judiciaires: les sénéchaux eurent avec le
temps dei> folidions administt'utives et même militaires. Qu'on en juge!
L'avant dernier sénéehul prend en 1773 les Litres suivants: « Conseiller.
du Hoi, sénéchal du siège présidial, premier magistrat de COl'llouaille,
seul juge de police de la ville et fauxbourgs, directeur du collège,
directeur de l'hôpital général, dil'ecteur de l'Hôtel-Dieu, mait'e de
la ville, colonel de ses milices. 1) Le sénéchal ajoute même son
titre puremenltempol'aire « président de l'orcll'e du Tiers aux Etats tenus
à Mol'laix, el député clesdit.s Etats en éour ». Il est vrai que cette énumé-

BULLETIN AUÇf:!ÉOLi bu FlNISTÏi:RE. " TOME XXII. (Mémoires). 24

Les sénéchaux de Quimper ont une histoil'e que je dil'ai
quelque jour, s'il plaît à Dieu. Ce n'est pas sans étonnement
que le lecteur suivra les luttes engagées par le présidial contre
l'assemblée de ville, le gouverneur, la jnstice des regail'es,
l'évêque de Cornouaille; qu ïl verra l'esprit envahisseur du
présidial passant, comme unhél'itage, presque d'un séné-
chal à l'autre, et la guerre commencée dès la fin du XVIe
siècle, ' quelques années apl'ès la cl'éation du pl'ésidial, se
perpétuant jusqu'à la veille. de sa suppression par la loi des
7-12 septembre 1700.
Mais ce n'est pas cette histoire que je puis dire aujoul'­
d'hui: je ne veux que montl'el' ce qui n'a pu se voir qu'une
fois, pendant les tl'oubles de la Lig'ue deux sénéchaux de

Cornouaille se disputant la sénéchaussée.

Le roi Henri III mourut le 1 el' août 1580. La' nouvelle. de
cet événement arrivée à Nantes, le 10 aOtH, pal'vint à
Quimper deux ou tl'ois jours apl'ès. « Comme partout, dit
Moreau, cette nouvelle découvrit les sentimen.ts d'un chacun,
et sépara le bon grain du mauvais (l) )). Le chroniqueur
ligueur veut dire que les de~x partis se dessinèrent nette­
ment, ligueurs d'un côté, royalistes de l'autre.
La grande majorité des Quimpél'ois se rangea du côté de
Ligue, avec le chapitre et les cordeliers de Saint-François,
tl'ès influents sur le peuple. La mino'rité, composée surtout
de marchands et d'officiers de justice, suivit le parti dll Roi .
Le présidial en tenait la- tête avec le sénéchal Jacques Lau-
ration vaniteuse est faite dans l'acte de baptême du fils du sénéchal dont
le duc de Fitz-James, pail' de France 'eL commandant militaire en Bre-
tagne, et la duchesse née Goyon de Matignon sont parrüin et marraine.
de baptême de Saint-Ronan (U janvier t77l). · Sur l'usurpation
(Acte
du titre de juge de police voir Veux oJ'donn:mces- de police à (jltim/ier,

;(1) Moreau, p, ·5l.

rens, seigneur de la Motte, et le président François du
Liscoet, seigneur dè Coetnempren (1).
La majorité ligueuse ellt le malheur de manquer de chef.
It semble que ce titre aUl'ait dù appartenir à l'évêque Charles
du Liscoet, seigneur' haut justicier de la ville close; mais
l'évêque été.lÏt tiraillé en sens divers, attiré il la Ligue par
le ch,lpitl'e eL au Roi par son fl'èl'e CoeLnempren. Il hés.itait
à prendee' parti. Il était, d'ailleul's, suspect aux ligueUl's à
cause de son frère, comme il était suspect aux royalistes
il cause de sa dignité épiscopale.
Nous allons voir, il est vl'ai, dans les rangs des ligueurs
un homme appartenant à une famille considérable et popu­
latee à Quimper, et ayant une haute réputation de science
et de capacité. C'était Guillaume Le Baud, sieur de Crec'h-
marc'h, qu e nous nommons aujoUl'd'hui Kernisy (2).

La réputation de Le Baud comme avocat et jurisconsulte
était faite depuis longtemps: la preuve c"est que la ville et
le banûau l'avaient député aux travaux de la réformation de
la Coutume, en 1580 (3). L'année suivante, il devenait avocat
(1 ) Il Y avait un sénéchal el un président. Il y eut souvent entre eux
des luttes à propos de la prérogative. Toutefois le sénéchal fut d'ordinaire
le chef. Il avait l'administratwn, comme le premier président des cours
actuelles; et le président présidait une chambre. Les deux char'ges furent
souvent réunies dans la même main.
('2) Le S,· Le Baud, miseur de Quimper en t ~90, lors de l'invasion des
montagnards de Plouyé,creusa un fossé dans le pré de)a Madeleine et fit recons­
truire une tour de la ville. (Promenade dans Quimper. chap. 1 et II.)
Bolland Le Baud était miseur, en 14C J!i-1496. Jean Le Baud était, en
1 !1(J5, dép uté yers le Roi pour demander que le don du billot fait à la
cathédrale fut rendu ù la. ville. (M. Le Men, monog. de la Cath., p. 215.)
Au XVIe siéc[e, Andrée Le Baud entra par rnariave dans la famille
Marion, dont l'un, fermier des impôts et dr/maines de Cornouaille (Monog.,
p. 1(1), s'était illustré en allant au secours du duc assiégé dans Nantes

A[ain Le Baud accepta eoul'ageusement une mission pédlleuse auprès du .
-maréch~l d'Aumont [ors du siège. (Moreau, p. 216.) ,
(3) Pr.-verbal de la réformation. T. 1. p. LXV, Coutume de . Bretagne ,
de Hévin et Duparc-Poullain.

du Roi au présidial; mais un autre occupait cette place en
aoùt 1689 (1). Peut-être à ce moment Le Baud ne résidait-il
plus à Quimper? Peut-être en homme avisé, comme il sem-
blait être, se réservait-il, pOUL' se déclarer, le moment venu,
en faveur du plus fort? Quoiqu'il en soit, Moreau, qui parle
longuement de Le Baud; n'en dit. rien à propos des événe­
ments auxquels donna lieu l'annonce de la mort de Henri III
Au contl'aire, la minorité royaliste avait un chef, le séné­
cha1.Le présidial était divisé d'opinion: trois de ses officiers,
entr'autres l'avocat du Roi, étaient ligueurs; les dix autres
se déclarèrent pour le Roi, avec le président et le 'sénéchal ;
mais le pl'ésident, François du Liscoet, était retenu par son
fl'ère l'évêque, qui restait indécis, et par son beau-frère,
Louis Le Prestl'e, sieur de Lézonnet, gouverneur de Con­
carneau pour Mercœur (2). Le sénéchal Jacques Laurens
avait ses coudées plus franches, et de tous les royaux il était
c( le plus passionné)).
Jacques Laurens, sieur de la M.otte, jeune encore, rem­
plissait depuis quelques anuées seulement les importantes
fonctions que son père ou auteur Bel'trand Laurens, sieur
de la Motte, avait prises en 1567, et qu'il exerçait encore en
1680 (3). Jacques Laurens était, semble-t-il, un chef de
compagnie quelque peu absolu, mais qui manquait de sang-
froid. Son dévoùmentau Roi, dont il faisait parade, n'était
(1) Alain Le Guiriec, sieur de Bonescat (.Moreau, p. 5·n et de Lesconan
(Faty, Compte des miseurs (BulL Soc. Arch., X, p. 1.)1 ).
Le Gu i riec resta fidèle à la Ligue, pu isq ue, le 30 ma rs 1.)94. la ville le
nomma député aux Etats ligueurs convoqués à Dinan, en avril. En route,
les deux députés de Quimpet' furent faits pf'isonniers; et il fallut, le 18
des remplaçants: Sur les aventures des députés, v. co m-
avril, leur donner
mandant Faty. Compte des miseurs ci-dessus. .
m Beaux-frères en ce sens qu'ils avaient épousé les deux sœurs Glé de
la Costardaye. Le texte imprimé de Moreau dit inexactement 'p. 5'2 j que
t « beau-frère de l'évêque el de Coetnell1 pren ».
Lézollnet étai
(3) Bertt'and siégea à 'la Réformation de la Coutume. Hévin, PL-verbal,
p. LXII, T; I. Coutume de Bretagne de Hévin et du Parc Poullain .

pas douteux; mais, une , fois au moins, comme nous le
verrons, ce dévoùment fut bien maladroit.
Le sénéchal avait mis au service de Henri IV l'influence
que lui assul'aient la présidence de la sénéchaussée et la
présidence de rassemblée de ville,en l'absence du gouver-
neur. Etant donné le caractère faible ' et indécis du gouver-
neur, il est même permis de croire que, en la présence de
celui-ci, le sénéchal exerçait la haute autorité au conseil de
v illtil. .
Le sénéchal n'admettait pas la discussion sur les titres du
Roi calviniste. A ceux qui s'effrayaient du danger que pou-
. vait fa ire courir à l'exercice de la religion .catholique le
gouvernement d'tll1 prince protecteur et chef des réformés,
le sénéchal n'avait qu'une réponse : c( Quand le Hoi serait
« le diable incarné avec des cornes longues comme mes bras,
c( je serais toujours son serviteur! ... »
Vous ne verrez dans cette expression qui tourne au grotes­
que que l'exagération du zèle royaliste du sénéchal. Moreau,
prévenu contre lui, y trouve c( moins l'affection à la personne
du' Roi qu'à la religion qu'il professait ». C'est-à-dire que
de Laurens royaliste il fait un calviniste.
Mais les déclamations du sénéchal ne faisaient pas de
conversiolls. C'est aiusi que présidant rassemblée de ville
peoposa aux bouegeois de recevoir une garnison royale
pour' défendre Quimper contre les entreprises de Lézonnet
qui, de Concarneau, menaçait Quimper. Les bourgeois s'en
tinrent aux vingt hommes de guerre que commandait .le
capitaine Jean du Quélénec, et prétendirent se garder eux-
memes .
Comprenant que ses raisonnements ne vaincraient pas
la ré:-oistance des habitants, le sénéchal eut recours à un
moyen su prerne.
V crs la fin de septEmbre, il reçut du Roi ou du. parlement
des lettres peut-être sollicitées par lui portant ordre d'obéis-

sance au Roi Henri IV ; et il pl'épa l'a un coup de t.hdtl L'e q1.li,
pensait-il, ferait une vive impression sur le peuple. Il annOll~'a
que, le 28 septembre, en audience publique, il sel'ait rait
lecture des lettres venues de PaL'is et de Rennes,
Ce jour-là l'auditoire des CordelieL's fut trop étl'oi t; ]a
foule se pressait dans' le cloîtl'e qui donnait accès ù IH salle
d'audience, et regoL'geait dans la COUL' d'entrée tl'allSrOL'lnl~e
en cimetière, au milieu de laquelle sc dl'essait u!\e croix ùe
pierre élevée sur qua tL'e degrés.
La lecture des lettres fut écoulée en silence. l\lai~ le
sénéchal ne se tint pas à eette publication, Devant la roule
Eiln grande majorité ligueuse, il commenta les leUres; et,
« avec des paroles d'aigreur, hautes et fièl'es, » il enjoignit
à tous l'obéissance au Roi « sur de grosses peilleS)), que
lui-même édicta, selon l'usage de l'ancienne jurispL'uclence.
- Tant de zèle allait être payé cher par le sénéchal et pal'
le Roi.
Enchanté sans doute et fier de son œuvre, le sénéc1Jal
sortit de l'audience accompagné de deux conseillers. Sur le
seuil il passe entre des bourgeois armés d'arquebuses. Sous
le cloître il coudoie des gL'oupes discutant bruyamment;
dans la cour il entend un cordelier qui du haut des maL'ches
de la CL'oix prêche la résistance; et il voit luire des arque­
buses aux mains de plus d'un bouL'geois.
POUl' regagner son « logis » à l'angle de la l'Ile des
Regaires (1), le sénéchal et ses collègues traversent, non
sans peine, l'étroite l'lle Saint-François, la place l\1auheL't,
alors marché aux légumes, la rue des Poireaux; ils passent
entre l'ancien marché au pain et l'ancien parvis (pal'adis) ou
cimetière de Saint-Corentin (2). Dans ce COUL't tl'ajet, qui leur
semble bien long, le sénéchal et les deux conseillers cl'oient

(1) Je tiens ce renseignement du commandant Faty, très bien informé
de ces détails. .
Voir Pr01nenade dans Quimper (ville close;' chap. III.

lil'e dans tous les yeux des menaces de mOl't'; et, quand ils
rentrent en leurs logis, ils ont, à l'un1 animité, pris une gl'ave
décision.
Quelques heures après, tous les trois, éperonnant leurs
chevaux, se hâtaient vers BI'est. En route, crurent-ils enten-
dre le galop de cavaliers suivant leurs tl'aces ? Se retournant
sur leurs arçons cnlrent-ils voir les envoyés des Ligueurs
acharnés à leür poursuite? C'est possible: la peur fait de
ces mit~acles. La vérité est que les ligueurs quimpérois
avaient souhaité un bon voyage au sénéchal malavisé , qui
leur faisait la partie si helle !
Le gouverneur de Brest était à ce moment Guy de Hieux,
seigneur de Châteauneuf, consin du Roi (1), et plein de
dévoùment à la cause royale, frère atné de Hené, seigneur
de Sourdéac, non moi os fidèle au Hoi, qui, deux ans plus
tard, allait succéder à son frère (2); et qui, devenu lieu te-

(1) Henri IV et les frères de Rieux étaient parents au 10 degré. Leur
dernier ancêtre commun était Marguerite, fille du duc Jean IV, mariée à
Alain IX, vicomte de Rohan. dont elle eut entre autres enfants: 1
Jeanne, femme de Fl'anr,ois, sire Catherine, femme ' (2° noces) de
cie Hieux, c!'oü : Jean d'Albret, d'où:
1° JC,lll IV cle Hieux. 1° Alain d'Albret, mari de Fran-
çoise cie Blois (dite cie Bretagne:.
'2° .)c'In (puiné), S' de
Chàtcau- 2° Jean, qui épousa Catherine de
neuf.
Foix, reine de Nayarre. ,
3° Guy, Sr de Cllàteuuneuf, ct
JO Henr-i roi de Navarre.
Sr de Soul'lkac.
René,
4° Jea11ne, reine de Navarre,
de Bourbon.
femme d'Antoine
5° Henl'Ï IV.
Françoisc de Blois (lc aïeule de Henri IV) était arrière-petite-fille de
Charles de Blois: ain~i Henri IV descendait en même temps du duc
Jean IV et de Chnrles de Blois. Pour plus de détails voir la (j 'né.tlo[Jie
que j'Hi donnée dans l'Hi~tl}/'/'e nûlita)/ e de Redon, p. '28,) et 280.
( ') ~lorcal1 dit p. ;) ', 1 qu'un des conseillers fugitifs resta à Brest, comme
conseil de Sourcléne. Suil! Mais il ne faut pas induire de là que Sourdéüe
fut, dès 1.:)KH, gouverneur de Brest. Il n'eut ce titre qu'après la mort de
son frère qui mourut en mel' ,« commc il regagnait son gOLlvemement en
1'-Jg1'J. Cire\'. Je Saint-l\'lieIJ1el, p J~O.

fiant du Roi aux évêcbésde Saint-Brieuc, Trégnier,Léon
Bt Cornouaille, allait défendl'e Brest contre les assaul s
des paysans ligueurs et contre les propositions insidieuses
de la Reine d'Angleterl'e. '
Sourdéac fi laiss~ des mémoires dont Mathieu, l'historien
de Henri IV, a fait usage, et desquels dom Taillandier a Vil
un fragment. Quel malheur qu'ils soient perd~s POUl' nous!
Nous y aurions peut-être lu le récit de la premièl'8 entl'evue
entre le sénéchal de COrnouaille et le gouverneur de Brest.
Je serais bien surpris si l'accueil de Guy de Châteauneuf fut
aimable pour' les fugitifs quimpérois.
Quelquesjours après, le sénéchal~ ne se senlant pas à l'aise
auprès de Guy de Rieux, partit -pour Rennes. A la réflexion,
avait compris qu'en sortant de Quimper il s'y élait inter­
dit le retour.

Le départ du sénéchal laissa la Ligue maîtl'esse et .sans
opposition.
Il est vrai que la ville a un capitaine nommé par le Roi ;.
mais il ne commande que vingt hommes de gl1el're; pour
tenter quelque résistance avec si peu de monde, il faudrait
une énergie dont le capitaine n'est pas doué .
Jean du Quélénec, fils de Jean du Quélénec et de Jeanne
de Lézongar, dame de Pratanraz, seigneur du Hilguy, et à
ce titre gentilhomme du pays, était « un vieux soldat, sage
et prudent)), aimant son repos, peu soucieux de se mettre
-en f!.vant, plus disposé à suivre qu'à imprimer le mouvement,
et qui avait l'heureuse chance de plaire aux ligueurs ,sans
déplaire aux royaux.
Après le départ du sénéchal, les Quimpél'ois ligueUl's
-qu'il ne retenait plus, prètèrent avec enthousiasme serment
aux chefs de la Ligue, . «( sous le commandement de Jean du
Quélénec )). Les royalistes suivirent le moùvement, contraints
et forcés, et prètèrent du bout des lèvres un serment qui

il'était pas dans leul' cœul' et qu'ils ne d(:lvaient pas tenir .
Jean du Qllélénec, g'ouvel'neuJ' nommé par ]e Roi, se laissa
fail'e et devillt gouverneur pOUl' M'ercœll,r, mais sans dev8nil'
chef des ligueurs Quimpérois. En cet honnête mais hésitant
capitaine, il n 'y a pas l'étoffe d'un cherde parti même dans
une ville de médiocre i mpol'tance.
Nous avons nommé plus haut Guillaume Le Baud, ancien
avocat du Roi à Quimper. C'est lui qui, jugeant le moment
favorable et so'rtant de sa retraite, se fit chef de la Ligue.
En récompense, le 21 mai 159J, Mercœur lui donna gl'at.ui­
tement l'ofIice de sénéchal vacant par le départ de Laurens;
et Le Baud s'empressa d'aller prêter serment devant le

Padement ligueur de Nantes (~9 novembre) .
MOI'cœur comptait, et il ne se trompait pas~ que les ser­
vices de Le Baud lui paiel'aient amplement la chal'ge. Du
reste ses libéralités ne se bornèl'ent pas au don de l'office .
En 1592, Guillaume Le Baud était allé à Nantes rendre
compte au duc de Mercœue. Au retour, fait prisonnier par
le capitaine de Blain, il fut mis Ù 1'<1nç.on pour 2,000 éeus, au
moins 30,000 fl'ancs de notee monnaie. MercœuI~ paya la
rallçOll ; et Le Baud remis en libel'té revint en hâte à la direc- .
tion des afTaires do Mercœue à Quimper. •
Tant de bontés méritaient un dévoùmenl absolu. Le
dévoùment cle Le Baud à Mercœur fut aveugle, uue fois au
moins. En décembre 1593, Anne de Sallzay, comte de la
Magnanne, avait rassemblé une ar'mée do pillards et pré­
tendait tenie la campagne pour Mercœur. Peétexte meü­
songer puisLju'une trèvo venait d'être publiée.
Le pillage dn Faou souleva les paysans de Basse-Cbr­
llouaille, qui rompirent les ponts de l'Aulne à l'exception de
celui de Châteaulin dont ils pl'irent la garde. La Magnanne
désespérant de franchir l'Aulne grossie par les eaux d'hivel'
demande le passag-e sur le pont de Châteaulin: il écrit à
l'évêque, au procureur de ville de Quimpee, aü sénéchal.

L'affaire est podée à l'assemblée de ville. On se récrie:
« La Magnanne est un voleur sur terre et sur mer !Ses
méfaits l'on fait emprisonner à la Bastille! )) Mais le mes-
sagee de la Magnanne « jouait bien de la langue ... )) Il

répond que le comte tient la campagne pour Mercœur et que
le duc lui a donné l'ordee de venir se rafraîchir en Cor­
nouaille ... Ces l'aisons suffisent au procureur, à l'évêque, au
sénéchaL .. La majorité se laisse persuader par eux. Sans
qu'il apparaisse de l'opposition du capitaine Jean du Qué­
lénec, ]e sénéchal transmet l'ordee de laisser le pont libre.
La l\lagnanne passe l'Aulne et à sa suite une tl'Oupe de
brigands.
Moreau attribue au sénéchal la plus grande part de la
l'esponsaLilité dans cette lourde faute, et il a raison. Le
peocureue des bourgeois était un mince personnage entre
. l'évêque et le sénéchal. L'évêque avait, depuis 1589, donné
des gages à la Ligue; il avait en mars 1591, présidé l'ordre
du clergé aux Etats ligueurs de Nantes; il avait siégé aux
Etats ligneUi'6 tenus à Vannes en mars 1592. Mais, malgré
tout: les ligueurs n~ lui pardonnaient pas ses premières
hésitations; et il n'avait pas sur eux ]a haute et décisive
autorité.du sénéchal.
Or La Magnanne n'avait pas dit la vérité: Mercœur n'avait
pas autorisé celte expédition au mépris de la trève qu'il
avait signée; elle avait été ent.reprise dans le seul but du
pillage et elle compromettait sa cause. Il désavoua publi­
q\lement La Magnanne; et pour l'obliger à s'éloigner de
Quimper, le menaça de marcher contre lui. Mais Quimper
va payer l'obéissance de la Magnanne aux ordres de Mer-
cœur: le comte réquisitionne à Quimper même en vivres et en
argent une somme de près de 3400 livres (monnaie du temps)
que la ville dut empnmtel' (1).
(1) Comm Faty, Compte des miseurs, p. 9 et 10.
L'expédition de La Magnanne manqua ù'attirer la guerre en Cornouaille.

Le juste mécolltenteme ll t de Mnrcœur 'ne tomba pas seu­
lement SUl' La Magnanne; mais sur le capitain e Jean de
Quélénec. 11 le remplaça par GalJriel de Goulaincs, t( le
plus grand seigneur breton elltré dans l'Union (1) ». Mais
l'oyalistes et li g lleul's quimpél'ois le repoussèrent pOLll'
des motifs divers, donnant pOLlI' prétexte qu'il leur [allait un
cap itaine « de leur pays et de leul' langage ». Goula ines, ne
voulant pas s' imposee, se retiea; Jean du Quélénec resla
capitaine de la ville, et Le Baud garda l'autorité de chef c18s
liguems CJue l\L de Gouluines lui eùt assurément enlevée .
Nul doute aussi que le sénéchal n'ait ess uyé, et très juste­,
nt, les reproches de Mercœur. Ces reproches mér'ités
auraient-ils eu pour résultat d'nttiéd ir le zèle du sénéchal?
Nous n'e n sa voll s l'ien : mais des évé nements venaient de se
passe l' , d'aulres se préparaient qui allaient enleve l' le séné­
chal à Mercœur et le donner an Hoi.
IfI.
Au mois d'aoùt 1603, un grand homme de guerre, doubl é
d'un habile politique, le mal'échal d'Anmont, étai t entré en
Bretagne C:Ollllll e lieutenant gélléral du Hoi, avec les pouvoi l'S
l( !l"i plus ételldus; septuagéna ire, mais gardant l'nrcleul' et
l'a ctivité d'un jeulle homme, il Hllnonçait qu'il venait con­
qu éril' la pa ix. Et les circonstances étaieIlt favorables .
L 'abjuration du Ho i (25 juillet 15D3) avait chnngé la fac e des
fJ'Aumont. qui ne fait pas à ce gentilh omme l'honneur cie le traiter en
belligérant, ordonna cie le CI ("ba rger et lailler en piètes» malgré la trèYe,
Mais la commission éta it donnée à du Liscouet, qui n'était pas moins
pillard que La Mélgnanne, et aux yeux duquel les" pilleries " de La
Mngnanne n'élaient que des peccadilles. Les ord res du maré(~hal, renou­
és trois ou quatre fois ne furent pas cxécutés. Mo ri ee, Pl'. IIf, col. 157'1.
yel
(1) Sur Gélbl'iel de Goulaines lil'c, non la notice écourtée de d'Hozier
(C /l evaticrs de Saint Jhchet\ mais la charmante notice que M. de la
Borderie lui a consacrée sous le titre : Le Livre cie ,llal'(f1t f',)'ite d(~ IJn!"
tagll e dans le T. 1 des Mdüwges de la Société des Bibl iophiles Bretons.

affaires. Les villes ouvraient leurs portes : c'est Lyon
(février 1594) ; c'est Orléans et Bourges (5 mars); c'est
Paris (22 nnes). '
Le mouvement allait se pl'opag'er n-iême en Bretagne.
Lézonnet.. faisant sa soumission au Roi, lui rendait Concar­
neau. Il était question do la soumission de Saint-Malo, de
l\Iorl.li~c de Hedon avec son pont sur la Vilaine; et le maré­
chal allait mal'chér en Basse-Bretngne et chasser les Espa­
gnols du fort de Cl'Ozon.
Le sénéchal était trop avisé pour ne pas voir que les affaires
de Mercœur « se décousaient ») ,de jour en jour, et que tôt ou
taed il [uudeait se sournettf'e au Hoi. Son office lui rapportait
lt'op d'honneurs et de profits pour qu'il n'y tint p9.s. Mieux
valait une soumission pl'ompte et volontaire qu'une soumis­
sion taediyc et contf'ainte. Le don de l'office de sénéchal
àvait payé sou dévoùment à Mercœur, son maintien dans la
place pourrait être le prix de sa conveesion au Roi.
Les proposiüons de Lézonnet, les premières de ce genre
qui fussent venues de Bretagne, avaient été non seulement
bien acctleillies, mais payées d'honneurs et de gratifications.
Ce précédent était plein de promesses pour ceux qui sui­
vraient l'exemple de Lézonnet.
POllr pl'ouver son zèle au Roi, le gouverneur de Concar-
lIeau prétendait lui rendre Quimper; mais, avec une com-
pagnie de chenm-légers et cent arquebusiers, il ne pouvait
compter emporter la ville: il fallait s'y ménager des intel-
ligences. .
des ligueurs à Concarneau et à Quiri1per, Lézonnet
'Chefs
et Le Baud étaient en relations continuelles. Après sa
conversioIl au Hoi, c'est à ,Le Baud, celui assurément
de tous les Quimpérois' 'qui a le plus d'obligations per­
sonnelles à Meecœur, que Lézonnet adl'esse ses sollici­
tations. Que Lézonnet connaist:ait bien le sénéchal! Les
conférences ne dlll'ent pas teaîner en longueur. Le sénéchal

demanda: « Mais quelle sera la récompense de mon dévoù-
(c ment au Boi ? Le maintien dans votre office de sénéchal.
« Mais mon prédécesseur Jacques Laurens ne sera-t-il
« pas réintégré? Du tout: il sera nommé conseiller au
« parlement. )) Marché conclu!
Et le sénéchal, cet homme d'affaires expérimenté, ne songe
pas à demander à Lézonnet : « Mais êtes-vous autorisé par
« le Roi à faire C0S promesses? Jacques Laurens a payé son
cc ofiice à beaux deniers comptants. L'office est sa propriété:
cc il est resté fidèle au Hoi; le Hoi ne peut lui enlever sa
cc charge ! Avez-vous la parole de Laurens de consentir à
(c siéger au parlement? »
Ces objections auraient sauté aux yeux du moindre de
ses cleres, le sénéchal n'y a pas songé; bien plus! il ne veut
pas les écouter. Un jour, en chambre du conseil; il cherche
à entraîner le chanoine Moreau '; et, pour le t.enter, lui dit
naïvement les promesses de Lézonnet. Le chanoine lui en
démontre l'inanité, et il ajoute en forme de conclusion:
«.Te m'étonne bien qu'un homme d'âge et d'expérience
« comme vous, vous laissiez ainsi mener par le bec. »
Le Baud tourna le dos; et quelques jours après, dans ]a
chambre du conseil; il prêchait la soumission au Roi; assurant
les officiers réunis que Lézonnet, « qui ne respirait que leur
cc bien, s'assurait de moyenner envers le Roi qUt chacun
cc demeurerait en ses charges sans bourse délier. )) Tous se
laissèrent prendre à ces assurances. Moreau seul et UI1 autre
protestèrent, soulevèrent des clameurs et s'en allèrent.
Comptant sur ses intelligences; le 4. septembre (1); Lézonnet
sa garnison de Concarneau, renforcée de quelques
avec
tr-oupes, mille hommes en tout, vint assaillir Quimper.
( 1) Moreau dit que Lézonnet se retira le G septembre; et il résulte de
son récit qu'il élait arrivé deux jours auparavant, un lundi. Ce lundi
était en efIet le 4 septembre. On voit dans les comptes des misems
publiés par le commandant Faty (Bull. XII, p. 148) que la dépense dé la
Grandville venu au secours de Quimper fut payée le 7 septembre.

Biessé d'une a1 quebusade: il so reLiea flll'ieux, laissant fort
déconcertés Le Baud et ses adhérents: ils n'avaient pIns
d'espoie qu'au maeéchal d'Aumont: qLlÎ en ce moment as;:;Ïé­
geait le château de Morlaix. Voici venir le mal'échal! ...
Le 21 septembr'o (l594) le mal'échal accoeùe nne c-apitu­
lation an ehàteau do Morlaix; le G ou le 7 octob l'e: il passe
le pont de Châteaulin: et maeche deoit à Quimpel', sans son
eanon qu'il envoie à Crozon, tant il se croit SLLl' qu'à la
premièl'e sommation la ville capitulera ! Dans la nuit du
samedi au dimanche 9 octobre, le maréchal investit Quimpel'
et, dès le matin, il fait sommation. Quelques al'quebusades
répondent. Sans peeùre un moment, le maeéchal fait ouvrie
le feu par des petit.es pièces qu'il a hissées sur le Mont-
Frngy, et rappelle le canon qui roulai~ . SUl' la route de
Crozon.
Après quelques heures, et c.omme si la brêche était déjà
ouverto, le maeéchal envoie demander cles dépntés qu'il
désigne, et parmi eux le sénéchal, pour arrêler les cOl1di­
tions de la capitulation . Le lendemain au matin, au bruit du
canon, les bouegeois délibérèrent dans la maison du capi­
taine. Celui-ci, comme toujOUl'S, veut ce que veulent les
autres: les députés sont autol'isés à sortil', et le feu cesse.
Bienlût ils reviennent avec des conditions si avantageuses
que quelques-Llns n'y ayant pas foi sont d'avis de les rejet.el'.
l\Iais à ce moment les bOlll'geois peuvent ùu haut de leurs
. rempal'ts voil' les lourdes pièces arrivant pour battee leurs
mues. La vue seule du canon mit tout le monde d'accord;
et.la capitulation fut résolue. .
Avril de Lagrée, le premier président des comptes, confi­
dent et cc nmbassadenr habi~.Llel du maréchal )). et le sénéchal
l'cpl'éspntant la ville, al'rêtent les termes de la capitulntion.
Sur dix-huit , articles, cinq · concernent le's officiers de

justice: on le voit, le sénéchal ne s'oubliait pas ni ses
collègues. Mais a-t-il efficacement sauvegardé les intérêts
du présidial et les siens propres quand il a fait écrire
l'article IV): « Toutes provisions d'officiers de
. (dans
« judicatme .... pal' (c'est-à-dire à cause de) mort ou rési­
« gnation (1) faites par 1\1. de Mel'cœur, demeurent et sortent
« leur effet, prenant nouvelles pl'ovisiolls de S. M., sans
« payer finances ... el, pour le regard de ceux qui ont été
« pourvus en la place de personnes vivantes, ne pounont
« êtl'e recherchés pour l'exercice des dits offices. »
Le sénéehal est du nombre de ces derniers, et ces mots
sont écrits pOUl' lui.
Le maréchal signe ces articles; il aurait signé tout ce .
qu'on lui eût demandé, tant il est pressé d'aller à CI~ozon !
Sa signature n'a d'autre effet certain que son entl'ée en ville
lendemain mardi 1'L octobre; mais elle n'engage pas le
Roi qui demeure juge des conditions accordées. Or, il en
modifIera plus d'une, notamment l'article IV que nous venons
citer. Le Roi veut bien continuer les ofIiciers pOUl'VUS
par Mel'cœur en suite de mort ou résig nation; mais il se
refuse (et c'est .justice) à laisser leurs charges à ceux qui
les ont reçues gratuitement de Mercœur par la dépossession
des titulaires qui les avaient achetées à prix d'argent, comme
Laurens.
La décision du Roi est du 8 novembre 1594. Elle ne tou-
chait pas Guillaume Le Baud. Entré à Quiinper, le 12 oc­
tobre, le premier soin du maréchal d'Aumont avait été de
destituer Le Band et de réintégl'er Laurens dans l'office de
sénéchal.
(1) Le texte impl' imé de Moreau donne ù la même page (llG) assign~·
tian et 1, qui ait un sens ici. .

Jacques Laurens n'avait pas renoncé au siège qu'il avait
si maladroitement abandonné en septembl>e 1589. Hetiré à
Hennes et · entré en relations avec le maréchal d'Aumont, il
entl'etenait une correspondance suivie avec Lézonnet devenu
royaliste; et il n'est pas p ~)ssible que celni-ci n'ait été cOllfi­
dent de ses vœLlX et de ses espél'ances. Les pl'omesses qu'il
fuisait à Le Baud ne pouvaient être qu'un leul'r'c : il est p['o­
hable aussi que Laurens revenant à Quimper avec le mal'é­
chal d'Aumont avait de celui-ci la promesse de rent.rer en
foilctions. L'article de la capitulation SUl' lequel Le Baud
assurait son repos: était de la part du maréchal .une sorte
de plaisanterie. .
Le Baud avait été dupe de T....ézonnet et du maréchal. Le
plus piquant c'est que les autres ofliciers du présidial, même
ligueul's, restèrent en charge; même le chanoine Moreal1
que Lézonnet accusait devant d'Aumont « d'avoil' rait son
possible pour empêcher la reddition de la vi1le )).
Ce ne fut pas tout; Le Baud « courut fortune de la vie rt
de l'honneur ». APl>ès l'ent.rée dn maréchal en ville, il se
cc répandit quelques bruits sourùs vrais ou faux que Le Baud
« avait intelligence au parti du duc de Mercœul> pour llli
« faire reprendre la ville. ))
Ces bruits allèl'ent jusqu'au maeéchal, qui entra dans une
de ces colèe8s c\ont les chJ>ouiqueurs du temps ont gardé la
mémoire. Et son émotion cette fois était fondée.
Le mUl'échal allait partir pour Ceozol1 dàns quelques jours.
Il C1'8 ignait un retoul' orfensif des 5,000 Espagnols de Juan
d'Aquila qui n'avait pas voulu combattre à Moelaix, mais qui,
réparnnt sa faute, pouvait assaillie Quimper. Il avait reconnu
les for·t ifications de la ville insuffisantes; et, ayant besoin de
tout son monde à Cl'ozon, il ne pouvait laissee qu'une petite
teoupe à Quimpal'. Qu'aJviendl'uit-il en son .ab3ence: si la

ville menacé',) au dehOl's était pratiquée âu
dedans par des
affidés de Mercœur?
Salls pel'dre un moment, le mal'échal manda Le Baud
devant lui _ Celui-ci comparut cette fois non, comme quelques
jours allparavant,elisujet du Roi faisant parade du dévoù-
ment de i"l'aîcho date dont il attend la récompense; mais en
accusé devant un juge sévèl'e et pl'évenu. Le mal'échal se
fais.ait assul'ément ce raisonnement: (c Il a trahi Mercœur

auquel il devait tout; pourquoi cet intrigant: trouvant l'occa­
sion favorable, ne tl'ahirait-il pas Je Roi au service duquel il
tout perdu? »
Le maréchal pressait Le Baud de questions; il n'acceptait
pas ses explications, il le menaçait de ]e metti'e en prison;
peut-être sa vie même était-elle en danger? Heureusement
le président des comptes Lagrée, qui était l'hôte de Le Baud
à Ceec'hmarc"h et qui, en rédigeant la capitulation, avait
contribué à le tl'omper, eut pitié du pauvre sénéchal; il peit
sa défense, se portant cc vie pour vie » sa caution. Celte
intervention et peut-être une somme d'argent sauvèrerit Le
Baud. Mais le maréchal!' interna à Crec'hmarc'h et prit soin
l'y faire étroit.ement surveiller.

.le ne veux pas croire que Jacques Laurens, pour reprendl'e
ses fonctions, ait été un des dénonciateurs ou, si l'on veut,
des calomniateurs de Le Baud. Il ne paraît pas avoir par­
donné à Le Baud d'avoir pris sa place: il avait tort, puis({ue
lui-même en fuyant de Quimper avait créé la vacance de son
siège. La plainte est permise à ceux-là seulement qui se sont
vus chasser pour faire place à d'autres; mais même pour
ces victimes de l'iujustice et de l'arbitraire, il est sage de ne
pas parler- de leurs successeurs, sinon pour en dire le bien
qu'ils peuvent mél'iter : c"est la seule vengeance que puisse
se permettre un chrétien .
.L'ancien sénéchal ne parut plus guère en ville: il se sen­
tait isolé, indifférent, sinon méprisé. Les Ligueurs ne lui
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXII. ( émoil'esJ..,. 25

pardonnaient pas d'avoir trahi les intél'êts de Mercœur. Les
anciens royalistes ne tenaient pas compte à l'ancien chef de
la Ligue de sa conversion tardive et intéressée au parti dLl
Roi. Le Baud se voyait l'objet de railleeies ; Lézoonet!
eute'autres, oubliant « qu'il l'avait par ses belles pl'Omesscs
embarqué dans la conspil'atioll 1), et abjul'ant, je 11e dis pas
la géllél'osité d'un gentilhomme, mais la plus vulgaire rete­
nue, « se moquait de lui en toutes rencontres)).
L'ancien avocat du Hoi, l'ancien sénéchal) devint simple
avocat consultant; (( il avait honte de paraîtr'e au barI'ea u
dans l'auditoire où il avait présidé entre dix et douze juges», .
sans doute de plaider devant celui dont il avait pris la
place et devant des anciens collègues comme le chanoine
Moreau qu'il sentait plus honnête que lui.
Le Baud se confina dans sa gentilhommière de Crec'h­
mal'c'h. Il y vieillit) mécontent des autres et de lui-même; le
cœur assurément moins joyeux que ces recluses angéliques,
hôtes actuelles de cette maison, qui se sont faites les gar­
diennes, les apôtre3, les sœ ~ll'S de madeleines repentantes ...
Puissent-elles y continuel' en paix leul' glorieux minislère
de charité sociale!
Jacques Laurens allait gal'der ses fonctions pendant vingt

annees.
A la mort de Franço'is du Liscoet, sieur de Coetnempren,
il acquit l'ornce de président au pl'ésidial et il cumula

les deux fonctions. En 1601, selon la prérogative de sa
charge, il présida l'Ordre du Tiers aux Etats ouverts à
Quimper. En 1614, il prenait part à une des premières déli­
bérations relatives à l'établissement du collège des Pères
Jésuites .
Il mourut en 1614. A sa mort ses deux offices furent vendus
ensemble pour la somme qu'ils avaient coùtée : 27,000 livres;

au moins 88,000 francs de notre monnaie .

Jacques Laurens Rvait eu pOUl' femme Jeann~ de Kerlû­
guen, ~uilui donna deux filles. J~a seconde, Jeanne, fut
première, en 162 1, à Tanguy de Quelen, sieur de
mariée la
KergTohant, président au présidial. L'aînée, Fl'ançoise,
mariée l'année suivante, épousa René de Penancoët, seigneur
de Coetsallio et de Kel'Ollalle : son fils Guillaume fut père de
Louise de Keroualle, qui paya tI'op cher son titre de duchesse
de Portsmouth.
Voilà l'b istoire des deux sénéchaux Laurens et Le Baud. Si
je ne me trompe, un trait essentiel de caractère les distingue.
Le Baud fut travaillé du mal d'ambit.ion, le pire des défaut.s
pOUl' un mélgistrat; et quels sacrifices ne fit-il pas à son
ambiLion! C'est .bien mal l'apprécier que de le nommer
« l'honnête sénéchal Le Baud)) (1).

Au cont.raire, Laurens ne fut pas ambitieux. Objectera-
t-on le zèle excessif montré par lui en aoùt 1589? .le ne
pas dans la conduite de Laurens l'acte d'un ambitieux,
vois
mais celui d'un homme qui n'a pas encore l'expérience de
lui-même eL qui preùd son al' cleur pour de l'énergie. ,
La preuve que Laurens fut exempt d'ambition, c'est que,
après la victoire de la cause royale, il aurait pu, comme tant
d'autres moins fidèles ou tardivement convertis au Roi,
ohtenir des faveurs (2). Il n'en demanda pas: sa réintégration
(1) Journal" Le Finistère ». Histoire de Pont-l'A bbé (1884).
(!) La libéralité cie Henri IV envers ses adversaires de la veille a donné
occasion cl ( l'Apologie de Henri IV envers ceux qui le blâment de ce qu'il
(e a gratifié plus ses ennemis que ses serviteurs " (1596). Ceux qui n'ont
que le titre de 1 ', J/)Olo[]ie la prennent au sérieux. Lisez cette amUS,lhte
pièce: c'est une satire piquante, que d'autres gouvemements aUl'aienL pu,
depuis Henri IV, prendre pour une leçon'. L'Apologie attribuée à Palma
Cayet esl en réalité l'rouvre de Calhel'Îne PArchevêque, dame de Parthenay,
yeuye de Charles du Quélenec, baron dePoIit, ,tué à la Saint-Barthêlemy,
femme de René II, demier vicomte de Rohan, et mère du fameux Henri II,
pJ~el11ier duc de Rohan (1603).

dans l'office de sé'néchal, qui était sa pt'opriété, · ne rut pas
une faveur; mais la simple reconnaissance de son ch·oit.
Du reste, si les sénéchaux de Quimper fut'ent jaloux de
leurs prérogatives et ardents à les éteodre, ils furent exempts
d'ambition pel'sonnelle. Depuis la création du présidial en
jusqu'à sa suppression en 1790, pendant 239 années,
21 sénéchaux ont occupé le siège. Or, êtes-vous cUl'ieux de
savoir combien d'entre eux ont quitté le présidial et la rési­
dence de Qnimper pour une autre charge et une autre rési-
dence? Tl'ois seulement!
Et remar'quez que les chal'ges sont vénales, que les séné-
chaux de Quimper pour la plupal't sont riches; que pour
obtenir ce que nous nommons un avancement, il leur suffit
d'ouvrir leurs bourses.
Or, apl'ès l'érection du présidial en 1551, 33 ans passent
avant qu'un sénéchal de Cornouaille recherche un change-
ment de fonctions, .Le dixième de la liste. Claude de Vis-

delou, quitta son siège en 16~)4 pOUl' devenil' conseiller au
parlement puis pl'ésident aux enquêtes. Encore faut-il dire
que Claude de Visdelou, s'il était bas-breton par sa mèl'e,
fille d'u'ne Lezongar et dame de Pratanraz (1), était rattaché à
la haute-Bretagne par sa seigneurie de Bienassis (évêché
de Saint-Brieuc).
Après Visdelou, 137 années passeront avant que le second

des sénéchaux de Silguy, qui figure le 1g sur la liste,
abandonne le présidial pour devenir avocat génél'al au
parlement (juin 1768) .
Enfin son successeur (20e de la liste), Jean-Léon de Tré­
vel'ret, devint, le 6 aoùt 1774, sénéchal de Rennes.
Ceux-là seulement q.lli . ne connaltratent pas Quimper
de l'amout' des sénéchaux
pour cet
pout'l'aient s'étonner

('1) Il étaillils de Françoise du Quèlenec, sœul' de ,Jean, le gooverneul' de .
Quimpet' dont nous avons padé •

aimable pays. Quel charme doit-il avoir pour ceux qui y
sont nés et y retrollvent leurs impressions et leurs amis
d'enfance, puisqu'il laisse à ceux qui n'ont fait qu'y passer
des souvenirs tenaces et d'inconsolables regTets !

-~Jj(é-