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Bulletin SAF 1895


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Un corsaire brestois sous Louis XV

Dr Corre

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XXI.
UN CORSAIRE BHESTOIS SOUS LOUIS XV
1. L'histoire.
Le [J: janvier 1757, M. Clément, négociant à Brest, venait
déclarer au greffe de l'amil'auté qu'il avait fait construire, à
Lanil1on, et armer dans le port, cc pour la course contre
les ennemis de l'Etat)), un navire de 200 tonneaux, percé à
18 canons et monté de 16, la Sauterelle: le navire lui appar­
tenait; mais plusieurs personnes, parmi lesquelles M. Hoc­
quart, intendant de la marine au département de Brest, des
négoeiants de Bordeaux et de la Rochelle, étaient intéressés
dans l'armement. A la fin du même mois, muni des aulori­
sations nécessaiI'es, ses papiers bien en règle, son equipage
complété à 180 hommes, le bâtiment appareillait, sous le
capit.aine Pierre-François Melissan, sieur de Beauregard,
pilote entretenu, qui signe de Beauregard et prend sur tous
les actes le titre de lieutenant des frégates du Roi.
La croisière devait avoir une durée de 120 jours. Il s'agis­
sait d'une vérit hIe opération commerciale, comme le furent
toujours les COUI'ses maritimes depuis la dernière partie du
règne de Louis XIV, comme elles le seraient encore si des
événements similaires à ceux d'autrefois ven<:ient à se repro-
duire. L'espoir du gain, plus qne le patriotisme et la haine
des Anglais (Ea uf pour Ull petit nombre d'hommes d'élite)
dictaient les sacr ifices ,des armateurs, le zèle des officiers et
l'entraînement des matelots. Les ordonnances s'appliquaient
d'ailleurs à stimuler la cupidité de préférence à d'autres
sentiments plus nobles, sans doute, mais reconnus de moin­
dl'e utilité dans l'espèce. Il ne faut point faire les temps ni
les hommes meilleurs ni pires qu'ils né sont en réalité.

Le capitaine Beaurega1 d établit sa c,'oisière au débolle'hé
la Manche. C'est là qu'on a chances de rencontrer le plus
grand nombre de navires marchands, sOl'tis des ports d'An­
gleterre avec d'importantes cargaiso'ns pour les côtes du
Portugal ou l'Améeique, ou revenant ft ces ports avec les
riches denrées des colonies. Si l'on rencontrc des bâtiments
capables de combatLl'e avec supériorité, des vaisseaux de
guel'l'e ennemis, l'on est ft pl'Oximité suflisaulc de lieux de
refuge, pOUL' s'assurel' pl'Otection à soi-même ou aux prises
heureuses. De combats, il n'en faut pas souhaitee, car même
avec le succès on n'évite pas les coups, les boulets maltrai­
tent la coque et les manœuvres, les réparations coùteut cher
à l'armateur et le temps employé à les exécuter est perdu
pour l'emploi profitable du navire-capital! Donc on recher­
chera les navires ennemis les plus inoffensifs ou les plus
faciles à intimider: ce sont d'ordinaire ceux du pIns faible
tonnage, et s'ils ne sout pas toujours chargés de marchan­
dises de très haute valeul', on peut espérer que la multipli­
cité des captures compensera l'imporlant.:e inLrinsèque de
chaque ... article.
Il semble que le capitaine Bealll'egard ait ainsi raisonné.
Presque coup sur coup (février 1757), il amarine deux petits
bâtiments anglais revenant de Portugal, chargés d'oranges
et de citrons, l'Aventure et la Providence, qu'il fait conduiee
à St-Malô, puis un troisième aussi nommé la Providence, qu'il
dil'ige sur Brest. Mis en appétit par ces succès,il s'adresse ft de,
plus gros navires; il visite même les neutres, dans l'espérance
de les surpl'endre en quelque irrégularité qui lui permettl'a
de les amariner sans risques. C'est ainSI qu'il ê-lnête deux
navil'es suédois: l'un le Saint-Christuphe, chargé de chanvre
et de fer, qui a dissimulé, sous la pression d'une poignée
d'Anglais, . qu'il était tombé au pouvoir d'un corsaire de
Guernesey et qu'il était emmené avec sa cargaison (primiti­
vement desl.inée au Hoi de France) dans le plus proche port

hritannique ; l'autre, le Charles-Jean, qui n'a pourtant rien
ùe bien suspect en ses papiers. Celui-ci, conduit à Morlaix,
y sera reconnu de mauvaise prise et rendu à son proprié­
taire; le premier, amené à Brest, y sera ùéclal'é de -Lonno
pl'ise, mais son chargement sera retenu pour le compte de
marine et le navire restitué à l'armateur suédois.
Pendant que M. Clément s'occupe de faire régler au mieux
de ses intér-êts les questions soulevées il. pl'OpOS des dernières
prises, la Sauterelle continue sa course. POUl' des motifs sur
lesquels les papiers restent muets, elle vient relâcher vers la
fin du mois de février sur la rade de Solidor. Peut-être est-ce
pour cause de maladie parmi les gens de l'équipage (1), cal'
plusieurs hommes sont envoyés à l'Hôtel-Dieu de Saint­
IVlalô, le capitaine, des officiers mariniers sont traités à terre,
dans ]a même ville ou à Saint-Servan.-Il y a en même temps
quelques désertions. De sorte que le navire, yenu à la côte
le 2 avril, par suite d'avaries non spécifiées (2), n'a pas aE'sez­
de bl'3S pour assurer le sauvetage et est obligé d'avoir recours
il. des détachements de soldats de la garnison.
La Sauterelle est remise à flot, réarmée, et à la fin de
mai quitte la rade de Solidor, pour se diriger vers le mouil-
lage de 111e de Batz, où elle doit rencontrer des barques
françaises à co voyer jusque par]e tl'avers de Brest; puis
elle reprendra sa croisièl'e, en l'étendant vers les côtes mél'i­

diorwles de la Br'etagne.

(1) Celte maladie aurait-elle élé contractée à Brest, aurélit-elle eu quelque
relation avec un état épiclémique encore latent? Cela pOl1l'rait être. L'es­
cadl'e de Dubois cie la Molle, parUe cie Heest en mai 17;)7, était arrivée à
Louisbomg en siluation inquiéLante, et lorsqu'elle reYint à Brest, elle y
éprou va une épidém ie qui flt de nombreuses victimes de novembre 175 Î Ù
mars 17.'lH.
Dès le commencement de l'année 1757, il existait sans doute à Brest,
où il y avait agglomél'ation cie marins, des geel11es cie maladie typhique.
('?) Fl'équem men t, ces accidents son t nolés, dans les déclara lions de
capitaines de navil'es, comme dus à la rupture des câbles d'ancrage,

Le .-13 juin, par 48° 16) de lat. nord et 10° d'e long .. occi­
dentale (de Paris), le capitaine Beauregard amarine un
sellaut portant pavillon anglais, la Jeanne-Suzanne, qui cinq
joues aupal'avant avait été pris par un corsaire de Sainl­
Malo, et l'epl'is prEsqu'aussitôt pal' un corsail'e de Guernesey .;
Je bâtiment, chal'gé de chal'bon de terre, est conduit au
Croisic. . . .
Le" ll1, rencontre d\ll1 autre senaut,quil' sans attendre .
même le coup de canon de semonce (invitation de se faire
reconnaître), abaisse son pavillon anglais après l'avoir hissé
et se laisse amariner. Ce' bâtiment, nommé l'Industrie, de
160 tonneaux, vient d'Amérique avec un chargement de tére­
bent.hine, de bois de gaiac et de campêche,' de 'sucre et de
guildive. La prise n'est point à dédaigner; mais, confiée à
un des officiers du . corsail'e et à quelques hommes de son
équipage, elle est, par une inconcevable fatalité, abandnnnée
par eux à l'Aber-Ildut, saisie par deux corsail'es de Saint­
Malo qui la conduisent à Morlaix et se la font adjuger par les
officiers de l'amil'auté, à la gl'ande colère de M. Clément:
Le 22, dans l'après-midi, par 49° 30' de lat. N. et 11°30' .
de long. O., la Sauterelle donne chasse à un trois-mâts,
qu'eUe joint au bout d'une heure: « Il portoit pavillon anglois
à poupe· et flamme de la même nation ). Etait-ce donc un
corsaire ennemi? M. Beauregard lui fait tirer huit coups de
canon pour l'obliger à bai.sser son pavillon, ce que l'anglais
s'empresse d'exécuter « après avoir riposté d'un coup j). Le
navire, le Cumherland, est un simple marchand, armé de 6
canons de 6 livres de balles et de 2 pierriers, monté de 17
hommes, du port de 300 tonneaux, chargé de riz de la Caro­
line: l'enseigne Lucas a mission de le conduire à Brest.
Le 30 juin, rencofltre d'un petit bâtiment, qui se trouve
être un hollandais, le Jeune Cornélis, capturé par un cor­
saire de Jersey à sa sortie de la rivière de Bordeaux.
La Sauterelle rentre à Brest, 'sans avoir dépensé beaucoup
BULLETIN ARCHÉOL, DU FINISTÈRE, TOME XIII. (Mémoires)', 22

de poudre. M. Beauregard rait son rappol't à l'amirauté et
demande à conserver un nègre, appartenant au capitaine du
Cumberland et dont celui-ci lui aurait fait présent ( avec
prière de l'accepter pour reconnoissance des manières polies
et agréables dont il s' étoit servy à son égard », nègre qu'il '
se propose de garder en qualité de domestique, ( pour luy
faire apprendre un estat et le faire enseigner en la religion
catholique~ apostolique et romaine ... ) L'amirauté, de son
côté, informe des circonstances des prises et interroge les
Ariglais renfermés au Château: iL:; n'apprennent rien de
contl~aire aux déclarations du capitaine français; ils n'ont été
ni maltraités ni dépouillés; l'un, pourtant, se plaint ( d'avoir
përdu une redingote et quelques chemises )), et un pilote
dit qu' « illui ·a été seulement pris se~ hardes et les livres
de son art )). Ce sont là pecadilies de corsaires autorisées!
En août, la Sauterelle se prépare à quitter Brest.
Elle a repi'is lamer, Mais désormais son histoire est
inconnue. Le navire a dû ton'lber entre lés mains des Anglais,
car c'est de Tawistok (1) que le capitaine et les ofliciers
envoient à l'armateur l'état de répal'tition des parts de prises
qui reviennent à l'équipage, à la date du 18 mars 1758,
Il y avait alors une grande émulation parmi les armateurs,
à qui ferait construire et mettre en course des nayires bien
équipés, et parmi les capitaines, à qui se dislinguerait le plus
par le nombre et l'importance de ses captures. ( La guerre

. des' corsaires français s'activait d'une manière prodigieuse
en 1157 (2) »). Mais la marine de guerre était en décadence.

. ' (1) Tawistok, su l' le ToefI, dans le Devoushire, à 16 lieues en viron au
S.-E. d'Exeter.
. (2 , D' ( une manièl'e prodIgieuse J) (Guérin, hist. mal'. IV, 3j7) est un
peu hyperbolique. Mais il est cerlain qu'en J'année 1757 la course eut en
France un l'egain d'ardeur, dont les déclarations de prises au greffe de
j'amirauté de Brest permettent d'apprécier l'importance .
. , Le port reçoit d'assez nombl'euses prises, failes :
a. par divers corsaires, Funosey (Princesse de Soub,:se, armée à Brest:;
Comic (Agathe, Brest ou RoscofI); A,vice (Comtesse de Bentheim, Saint~

Les Anglais ne tal'dèl'ent pas à nous opposer simultanément
et de nombreux bâtiments cOl'sail'es. et de nombreux vais-

seaux de guerre: avec les uns, ils fouillaient notre littoral,
enlevaient jusqu'à nos bal'qlles de pêche; avec les autres, ils
et bieldôt" pour faire diversion aux
couvraiellt la Manche,
opérations militaires sur le continent, aussi pour tirer ven­
geance des énormes préjudices causés à leur commerce par
les navires de Saint-Malo, ils concertèrent un plan de des­
tl'uction cont.re cette ville et de descente en Bretagne (1).
et de courage aux arma-:­
Il fallait beaucoup de confiance
teurs, surtout aux armateurs bretons, pour 'multiplier les
armements en course dans de pareilles circonstances, et
l'histoire de la Sauterelle. est un exemple des déceptions qui
attendaient maints négociants assez téméraires pour risquer
leurs capitaux sur des nav'res, partout entourés de si sérieux
dangers.
Cependant, les croisières de la Sauterelle n'eussent point
apporté de pel'tes, ou n'eussent donné lieu qu'à des pertes
relativement minimes, si les gens de loi ne s'en étaient
mêlés. M. Clément a sur les bras plusieurs procès successifs.
est obligé d'avoir un avocat au Conseil, à Paris,et lé

mémoire de celui-ci, en même temps qu'il montre, à côté de

ceux de MM. les officiers d'amirauté: ce que coùtaient les
honoraires et les vacations, étale naïvement les procédes

Malo); Pierre Vincent et Mignonnet (Le 111achault, Granville); Kanon
(Prince de Soubise, Dunkerque); Jean Morel (Actif. Dunkerque) ; Jali- •
neau et Andl'ieux {()nmtesse de Noailles, Bordeaux) ; Bellouan (Cà1ll,le
d'Hel'ollville. Bordeaux); Bousigues (l'Aul'ore, Bordeaux), etc.
b, par des officiers de la marine royale, commandant des bâtiments
légers, armés pour la course nu la protection des côtes M. de Serigny,
ens" de vais. (l,J Levrette); M. d'Oraison., ens· de vais. (l'ECU1'1JUil); ' M.
de Grassi, lieu t. de va is. (lt:l Gu irlardle, fI u te) ,; 1\1. Delisle, lieu t. de vais.
(l'Escarboucle. frégate) ; M. de Lafillye"cap" de vais. (l'Alcyon, frégate),

etc ...
et leurs espéranees vinrent se briser à
Saint~Cast
(1) Leurs pl'ojets

(Septembre

judiciaires de l'époque. L'avoc:at se charge de défendl'e Son
client par des arguments de droit et aussi pal' des démarches
singulières auprès de personnages influents; il distribue
aux uns de petits barils de vin de mal1;tga, aux autres de
petits sacs de café ... achetés dans la capitale, bien entendu
au nom de M. Clément, et n'oublie pas de porter sur sa note
ses t'l'ais ( de cal'rosse ». Il servait bien aux armatellrs
d'avoir été exemptés du prélèvement d'une partie des droits
du Roi et du dixième de l'amiral sur les prises, si les contes­
tations élevées à leur propos laissaient aux magistrats,
avocats et pl'ocureurs, le moyen de s'adjuger des sommes
exhor'bitantes ! Les intéressés essayaient de reporter sur les
équipages les dépenses imprévues qui leur incombaient:
aux pauvr'es diables qui risquaient leur vie pOUl' enrÏ<'hir les
négociants et aider MM. de l'amiraulé à gonfler leurs bour­
ses, de supporter les frais de procédures, occasionnés pal'
le;; rnéprises de' leurs officiers : telle fut la prétention de
M. Clément dans l'afl'aire des bâtimen1s neutres arrêtés par
1\1. Beauregard; mais les magistrats, leurs vacations tou­
chées, sentil'ent tout l'odieux d'une semblable exigence et
ils déboutèrent l'armateur de ses requêtes.
Voici le résultat de la li.quidation générale de l'armement
de la Sauterelle, d'après la sentence de l'amirauté de Brest,
rendue le 4 septembre 1764 (M. Vincent Jourdain, lieutenant
général du siège).
Le compte du premier armement, compre­
nant, avec « la bâtisse » du corsaiI'e, son grée­
ment, ses approvisionnements, son artillerie,
les avances et grHtifications payées à l'é:­
etc.',
qui page, les prélèvements des 6 deniers pour
livre des Invalides de la mariue, et du 2 p. 00

de la commission de l'armateur, s'élève à .... ,
Les fr'ais de relache montent à.. .. . ..... ' ..

Ce qui donne potir i'ens.emble des dépenses.. 115.376 18 2

La liquidation des L l premières prises (1'Aun­
l/lre, les deux P1·ovideflces, le Saint, Clu';',,­
lophe: cargaison (1), a produit net., après déduc­
tion des frais de charge et magasinage, de
J II stlce, etc ............................... .
~Jais il faut déduire de cette somme les dé­
pf',nses occasionnées par l'arrestation du navire
nelltre le Charles Jean ..............••.•..•

Et le prélèvement des vacations des offieier~

e a 1111raute ......•.••..••.•.............. 305 ., 1)

Il reste donc une somme de ........ ...... .
« Laquelle somme... tombe en partage à la
societté et il. l'équipnge; le tiers de cette somme '
revenant il l'équipDge est celle de 18.929 1.
17 s. 7 d., duquel tiers prélevant les 6 d. pour
a Itribllés aux Inv<.llides de la marine, qui
livre
font la somme de 473 1. 4 s. 11 d., que le sieur
armateur est condemmé de payer à leur tréso­
rier, snI' IRquelle somme sera néanmoins fait
compensation 'de ceux reçus par ledit trésorier

avances payées à l'équip[lge,
pour raison des
ey L l73 1. 4 s. 11 d. 1) Partant reste il l'équipage
il partager entre eux ...................... .
U\ nombre des p:1rts est de 249 1/2 (2), ('e
qui donne une somme de 73 1. 19 s. 6 d. il la
part.
Les clelix liers du produit revenaut il l'arl1lu-

Il'llr ~ 0 e\~PIlt ;1. . . . . . •• .. . .....•....•• . ' ...

Il s'en snit qn'il y :J pe-rteponr l'armateur de.

Les comptes du réannement à Saint-Malo et

de la seconde course ét:1bli8-sent, avec le reli­
qlwt de ln prernière et les nouveaux frais, une
dépeu~e de ......... ..................... 122.960 19 7 ,
Le produit net des prises CCumbfrland, etc. ~ .

décluttion faite de tons frais, y éompris 800 1.
de vncatiom; pour les officiers de J'amirauté,
see·veê.l ..............................•...
« La qn-elle demière somme tombe en {1:1r-

(l ' La valeur de la cal'gaison, retenue par la IlHII'ine, avait été payée
ù l'armateur, non sal1s CJucl.lJues débats.
('2) Vuir plus loin.

tage à la société et à l'équipnge. Le tiers de
cette somme revenant il l'équipage est celle de
29.549 1., duquel tiers prélevant les 6 d. pour
livre attribuées aux invalides de la marine, qui
foot, la somme de 738 1. 14 s. 10 d ... », reste à

equlpage .............................. .
Le oombre des parts est de 265 : c'est donc
une somme de 108 1. 1/1 s .. 4 d. à la part.
Les deux tiers du prodllit net revenant à l'ar-
mateur font ..................... .... '. . .. .
Les dépenses s'élevant à 122.9'60 1. 19 s. 7 d.,
il s'en suit que la perte « à l'armateur et il la
» est de ...... '.. .. .. . . . .. .. .. .. .. . . 63.862 1 11
société,
Cette courte histoire de course n'eût point mél'itée d'être
exhumée des archives, si les nombreux papiers qui forment
les pièces au soutien de la liquidation ne permettaieut de
reconstituer, mieux que pour la plupart des corsaires les

plus célèbres, les détails, d'un armement d·autrefois. Les
genre sont peu connus, et malgl'é que la date
détail de ce
à laquelle se :rapportent nos documents soit peu éloignée de
contemporaine, de tels changements o,nt été réalisés
l'époque
dans l'arcllitecture et l'hygiène navales, que l'armement de
la Sauterelle nous ramène à une question de marine toute
a rchéolog ig ue.
Je me suis placé à ce point de vue, en écrivant le pl'ésent
mémoil'e. Je ne le crois pas dépourvu d'intérêt l'étrospectif
et j'espère qu'il offrira quelque attrait de curiosité à des
érudits, tous plus ou moins initiés, par le seul fait
collègues
leul' sésidence au milieu de nos populatîons maritimes,
aux choses de la marine.
II. Le navire.
La Sauterelle, bien qu'elle soit plusieurs fois désignée
sous le nom de frégate, ne semble pas avo.ir appartenu à ee
type de bàtiments légers, à batterie unique et à gaillards,
presque aussi puissamment gréés que les vaisseaux, mais' de

.coupe plus gl'acile et d'artillerie médiocre; il ~ 'est pas ques~
tion pour elle d'un mât d'artimon: en revanche elle possède
une voile de senau. Elle devait donc se ranger dans la caté­
g'orie des senaux, navires souvent de même force que 'les
fl'égates, et, comme celles-ci, très employés pour la course
au 18 siècle. '
Elle a été constl'uile sur la petite grève de Laninon, au
pied des remparts de Hecollvrance, par un de ces anciens
maîtres charpentiers chez lesquels se conservaient les vieilles
traditions, hommes d'expérience et de pratique, mais non
feernés aux progl'ès réellement démontrés, soucieux de riva-
liser de bonnes créations avec MM. les ingénieurs du ~oi,
qui les ont depuis longtemps déjà évincés des chantiel's
Maître Geoffroy a reçu 8001iv. {( pour ses plans,
officiels.
peines et soins »). Le navire était du port de 180 à 200 ton­
neaux (1) et percé de 18 sabol'ds. Le eompte de « sa bâtisse »

est amsl resume : .

Bois de constructioll, planche, mâture, sculp­
ture, peinture, avirons et autres ......•......•
Journées de charpentiers, ~cie\lrs, perçeurs,
cnlfats, grayeurs, journaliers, etc. .. . . . . . .• ..

Fer, cloux, fl)rgerolls, plomb laminé, cuivre
eu l''nnche, f(!raille el autres ......•...•...... 6 .203 114
Cnl'c]nge:;, voilles, poullies, fourures (garni-

tlll'(!S), (·tc ..........................•......

1\/ 1. Clément a ohtenu de l'arsenal la cession de matériaux
pour la mâture et le gl'éement, un mât de hune du Dragon"
de 50 pieds de long (250 li"..), un mât de perroquet de
l'Apollon, cie 27 pieds cie long et 6 pouces de diamètre
(121iv.), une vel'gue de perroquet de l'Alcide, de 3 pieds ·de
long ( l2 liv.), un bout de vergue de l'Héroïne, de 40 pieds
(i ) « Le port d'uo va isseal1 signifie sa capacité, et un tonneau, en terme
de mer, signifie la pesanteur de '2,000 livres: un vaisseau de 100 tonnea~ux,
deux cenl mille livres, et ainsi clu reste. » De Valincourl, T'l'ailé de,~'
P"ÜI'S L'expression vaiss~au est prise au général, pour désigner tOllt~i
espèce de navires. '

(24 liv.): des avirons, des étoupes, etc. Mais une grande
partie des cordages est achetée de M. Lorans, marchand de
Brest, et toute la voilerie est neuve: les toiles bretonnes ont
été exclusivement employées, au lieu de celles de Hollande;
elles ont été tirées de Logronan (Loc Ronan), et il y a là
l'indice d'un effort de l'industl'ie locale, digne d'être ell!'e­
g'is.tré. De semblables fournitures étaient pour celle-ci fort
encourageantes, car les quantit.és demandées pqur la con­
sommation navale devaient êtl'8'considérables : on en jugera
par quelques chiffres: la grand'voile Je la Sauterelle (20
pieds 29 « lèzes, toile à deux fils ») exige 216 aunes 1/2;
2 misaines (38 pieds 26 lèzes, toile à deux fils), 300 aunes
3/4 ; ~ne voile de « sénot » (20 pieds 16 lèzes, toile à deux
fils), 142 aunes; deux bonnettes de gTand'voile, 19() aunes,
etc. La façon de l'ensemble de « la voilerie» revient. seule-
ment à 561 1. 14 s. () d. .
et le cuivl'e « en planche» ne sigllifient
Le plomb laminé
pas que le navire ait possédé un doublage; car l'article où
figurent ces matières, surchargé d'autres objets, est loin
d'atteindre au chiffre qui eût représenté une pareille dé-
pense. Les métaux en feuilles servent simplement à revêtir
cel'taines parties du pont ou des constructions intél'iem'es .
. D'ailleurs, à .cel te époque, si quelques navires de commerce
sont doublés en plomb, le doublage en cuivre est ignoré (l).
\ La cal'ène, à l'ordinaire, était revêtue d'une épaisse couche
de bl'aie, ou, comme 'c'était probablement le cas pour la
Sauterelle, recouverte de clous à larges têtes, serrés les uns
contre. les autres, dont l'oxydation fermait les intervalles et
s'opposait à la pénétration des vers. Aussi pour la débar­
rasser des herbes, glands de mer, mollusques, qui s'atta­
'chaient à S0S flancs, ralentissaient la marche en augmentant
les fl'ottements au contact des couches liquides, fallait-il
Ct) Ou du moins encore non passé en pratique. Le premier navire de
guerre doublé en cuivre aurait été la frégate anglaise l'.-ltarm (1761)

recourir à de fréquents gl'attages, dans les relâches. 'Une
opération de cette sorte, à St-Malo, est payée au sieur
Onguent et à son équipe 60 livres.
L'on n'a plus les châteaux d'avant et d'arrière, jadis si
caractéristiques et si propl'es à dévolopper les motifs d'orne­
mentation. L'art décoratif, cependant, n'est point banni de
l'architecture navale, sïl trouve un moindre champ pour se
déployer. La sculpture sur boisflorissait au temps de l'an­
cienne marine et elle a eu ses maîtres célèbres. Pas de bâti-
. ment, si minime qu'il fût,qui ne montrât quelque gl'a­
cieuse ornementation à sa poupe et une figure de proue,
comme l'incarnation de la personnalité du navire, la
matérialisation de touchants souvenirs qui s'y ratta­
chaient, comme le foyer revivificateur des choses terres­
tl'es pour l'isolé sur l'océan. Les armateurs étaient fiers du
bel aspect de leurs vaisseaux et ils ne regardaient pas à
quelques frais de plus pour l'acci'oître. L'on est encore si
loin des masses sombres, informes, horribles à l'œil de la
marine cuirassée! La Sauterelle offl'e à sa poupe un cou­
ronnement sculpté, « deux termes et demi-termes » soute­
nant « un tableau Il SUI' lequel on lit son nom; à la proUe,
une figure qui ne répond guèrl3 à celui-ci, mais 'doit avoir
meilleur ail' que le chétif, quoique alerte animal, auquel il
est emprunté, un lion accroupi. Les sculptures sont l'œuvre
d'un sieur Lubet (son mémoire s'élève à 402 livres).
L'article de la timonel'ie comprend, entre autres objets
disséminés sur diverses notes, un compas de variation
(15 liv.), 2 compas de route à boîte de cuivre (40Iiv.), 1 à
boîte de bois (10 liv. ), 5 horloges (sabliers) d'une demi-
heure (61. 5 s.), 2 d'une demi-min'lte et une d'un quart de
minute (pour les calculs du loch), un porte-voix, des lunettes:
une grande « à 6 verres, avec les tuyaux en cuivre vissant
. l'un sur l'autre, de 5 pieds de long, fermetures à l'anglaise, »
(1l4 liv.), et deux autres de moindres dimensions (90 liv. et

60 li". ), etc. Le capitaine a un exemplaire d'un recueil de
cartes alors très en vogl1e~ le Neptune français « relié en
bazan ne ».
A cet article se rattachent les flammes et les pavillons.
L'on n'est plus au temps où. le navÏI'e trouvé en possession
de plusieurs pavillons de nations différentes était considéré
comme pieate. Les Dl1guay-Trouin et les officiers de la
marine royale réputés les plus honorables ne se font aucun
scrupule d'arborer les pavillons de leurs adversaires, afirr de
les tromper, de les approcher avec plus de sécUl'ité, d'être
plus à même de les cribler tout à l'aise de boulets et de
mitraille, lorsqu'après le coup dit « de semonce » le pavillon
d'abord hissé aUI'u fait place au pavillon du Roi. Pas de
IiaYÎI'es de guerre et de course qui n'aient un assortiment de
couleurs fl'ançaises, anglaises, hollandaises et espagnoles,
selon les circonstances. La Sauterelle a une flamme et un
pavillon ftançais, en toile neuve, achetés chez la veuve .
Lemaîtrs, à BI'est, pour la somme de 45 liv. : elle possède
en ou tre un grand pavillon de poupe, une flamme anglaise,
un pavillon hollandais, que l'armateur s'est procuré au rabais
dans l'arsenal, comme étant « à demi-usés n.
A signaler parmi les objets de cc fourrure») ou de garni­
ture des cuies de vache, (c des cuirs verds », destinés, au
moment du combat, à recouveir les objets qu'il importe de
protéger tout particulièrement contre les chances d'incendie,
les poudres, les bailles remplies d'eau, disposées auprès des
pièces d'artillerie, etc. (1)
Nécessairement, le corsaire a une chaloupe pourvue de tout
l'équipement habituel : c'est l'intermédiaire indispensable
(.1 ) Devant Alger, en If:iR'2, Renau, l'imenleur des galiotes à bombes,
montait L..t F/Ilil/inaille ; la galiote prit feu et l'équipage terrorisé, croyant
déjà entendre l'explosion des 200 bombes chargées qu'elle renfermait,
s'étaiL jeté à la mer: l1enau eut la présence d'esprit de recouvrir les pro­
jectiles de cuirs verts et il put ainsi attendre les secours que lui' apportè­
des chaloupes.
rent

entre le navire et ses rencontres, soit pour se l'endre à -l'appel
impératif d'un plus fort, soit pour contraindre un plus faible
à envoyer à bord, pour la visite des papiers.
La frégate est elle-même munie de longs avirons: ils
remédieront au défaut des voiles, déchirées par les projec­
tiles pendant le combat ou à leur inutilité, dans le calme,
lorsqu'il s'agira d'exécuter une évolution urgente, aux heures
critiques. Les gros navires de guerre ont aussi de ces avi­
rons, dont l'emploi est une réminiscence des services rendus
par les anciennes galères en certains cas particuliers (1).
L'artillerie, au milieu du 18 siècle, n'est pas très perfec­
tionnée (2). A bord des navires, on fait usage: 1 de canons
de fer, de calibres plus ou moins forts, selon l'importance
des vaisseaux, de longueur relativement grande, montés sur
affûts très bas, pleins, à lourdes roulettes, et qui se manam­
vren t à l'aide de poulies et de palans; de pierriers ou perriers
de fonte, petites pièces montées sur chandeliers, se char­
geant par la culasse au moyen d'une boîte à cartouche,
retenue à l'aide d'une goupille (3). La Sauterelle a 10 canons
achetés à La Hochelle: deux de 6 livres de balles
de fer.
(coûtant 280 liv. la pièce) et huit de 4 livres de balles (payés
150 liv. la pièce), ils ont été livrés après essais duement
constatés par le certificat d'un maître canonnier. D'autres
canons ont été achetés à Nantes, ou obtenus de l'arsenal,
canons de 3 et 4 livres de balles, à raison de 220 liv. pièce .
(1) Précisément, vers cette époque, il se fit à Marseille une tentative de
résmrection de ces bàtiments pour la guerre de course.
('2) La Caronade, court canon de fonte, aisément maniable, n'est point
inventée (les premières fondues en 1774 à f:anon, en Ecosse, d'où leur
nom), et la réforme de Gribcanval, qui n'aura pas d'ailleurs de consé­
q uences imméd iates pour la ma rine, est de 1775.
(:1) Système si pl'illlitif. .. et si dangereux que La Galissonnière fit rejetel'
les pierl'iers de l'armement des vaisseaux « comme armes plus nuisibles à
ceux qui les tiraient qu'à ceux contre qui on les employait 1/ (17.jG'. Mais
la facilité du maniement de èes pièces, qui n'exigeait qu'un seul homme,
assura leur conservation à bord des petits navires.

TOlites ces pièces Ile sout pas montées: plusieul's, destinées
à servir de réserve ou de rechange, sont deposées à fond de
eale. .
L'arsenal a encore fourni:

50 boulets ronds de 4, pesant 200 liv., à 85 1. le

800 bonlets ronds d'uu quarteron, pesant 200 liv.,
Ù 215 1. le milier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 » »
30 houlets i-t deux testes de 4, pesant 180 liv.,
li 141 I. le milier .............................. .
30 coups de mitraille de 4, pesant 180 liv., et
8 autres de 6, pesant 6t! liv., à 230 1. le milier ....

1.500 liv. de poudre de gllerre, à 611. le quintal.
100 g3rgousses de parchemin, à 8 s. la pièce (1).
175 autres de 4 à 6 s. pièce ...... " ......... .
Le surplus des munitions a été tiré du commerce.
La petite portée des pièces et la faiblesse de leurs calibl'es
n' empêchent pas que l'artillerie n'occasionne de gros ra­
vages, entee bâtiments minces de coques, à geéements
compliqués, qui se joignent toujours d'assez près. Aussi,'
de pal't d d'aull'e, on cherche à s'aborder, et pour éviter les
dégâts pOUl' soi-même et dans l'espérance de capturer
l'adversaire sans l'avoie trop endommagé; il Y aura double
pl'ont, en cas de réussite. L'abordage est préparé par les
feux de mousqueterie et le jet de grenades sur le pont et les
gaillards de l'ennemi. Les corsaires sont largement appro­
visionnés des Remes de main, utiles pour ce genre de combat.
Il y a SUl' la Sauterelle:
Des espingoles (petites pièces en bronze, à gueule évasée,
montées comme des fusils ou SUl' chandeliers, et que l'on
chal'g'e de 6 à 8 halles: 2 à 24 liv. pièce~ mentionnées SUl'
une note) ;
(1) Une certaine quantité de cbarges sont toute,s prêtes. Les gargousses
se remplissent au fUI' et à mesure des besoins préYus, dons la :)(lintc '
IJarbe, à la lueur de fanaux ,à vitrage de corne.

Des fusils (94 avec 18 bayonnettes, les uns à baguettes
de fer, les autres à baguettes de bois, sont portés SUL' un
à 6 et 8 liv. pièce, les baguettes de fer à 20 sous
mémoire,
à 30 sous la douzaine; sur d'autees
pièce, celles de bois
mémoires, 100 gargousiees neufs à 2 liv. pièce, 200 pieeres
à fusil à 26 sous le cent, etc.) ;
Des pistolets (100 paires cc propees pour l'abordage »), avec
crochet pour fixer l'arme à la ceintuee, fouenis à 181. 10 s.
la paire, par le sieue Deshomets, de Paris) ;
Des sabres (144, dits « de cuivre, double tranche, simple
coquille, lame de Vienne, retroussez, de 30 pouces, à 4 1.
17 s. 6 d. la pièce », fournis par le même) ; ,
Des haches d'armes (60 sur une note, à 54 sous pièce, et
60 sur une autre, à 2 liv.) ;
Espontons (coudes piques ordinairement eonfiées aux
mousses pOUl' défendre les sabords)_
. Sur le mémoire d'un marehand de Brest, à eôté de grands
et de petits sabres, destinés à l'équipage, je relève les arn'les
suivantes, destinées à quèlques officiers:
Pour M. Beauregard, ca pitaine, un sabre argenté d'a bor-
dage et un ceintllron galonné ........ ~ ............... .
54 liv.
« Deux épées à fond d'or de cuivre de 21 liv. chaque et
deux ceinturons de 3 liv. » ••••••.••••••••••••••••••••
POUl' le second capitaine un ceinturon et un foureau de
sa bre . " ............. '. . ............................ .
Pour l'écrivain une épée argentée et un ceinturon. . . . • 18
Pour le chirurgien-major un couteau de chasse et un
ceintllfon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 15
Les sergents ou gradés des soldats ont des épées c( dorées»,
à lame plate; ils' doivent être aussi armés du fusil ou de
l'esponton. ,
Un tambour avec ses baguettes a coûté 15 livres.
A ehaque relâche, le maître chargé 'des armes les porte à
terre chez un armurier, qui, avec lui, les visite, les nettoie

et les répare. Une note de Lémery, maître arquebusfer à
Bl'est, s'élève à 1161. 17 s. 6 d. « pour nettoyage et racomo­
dage ») des fusils et des pistolets, y compris « la pension du
capitaine d'armes» pendant le temps de l'opération . .
Bien autrement coûteuse sont les réparations du navire!
Le compte « du radoub, rétablissement et réarmement )),
à Saint·Malo, à la suite de l'échouage du 2 avril: dépasse
30.000 livres.
Ce qui est surtout à retenir dans les comptes d'armement

de radoub et de réarmement, ce sont les salaires des travail­
'leurs: ils n'accusent pas, sous l'ancien régime, un avilisse­
ment de la main d'œuvre aussi pl'ofond qu'on l'a prétendu,
et celle-ci (malgl'é que la situation ne soit pas brillante pour
les familles ouvrières) apparaît moins basse encore lorsqu'on
rapproche les tarifs des salaires des tarifs des principaux
objets de consommation. Le pain valait en moyenne 2 sous
la livre, la viande 6. Or, voici ce que gagnaient les ouvriers,
d'après les états des déboursés de M. Clément, à Brest ct à '
Saint-Malo: Les salaires des charpentiers, perceurs,
scieurs sont de 28 et 30 sous; il Y a des journées à 15 et à 20
mais il y en a aussi de 40 sous. Les menuisiers sont
sous:
payés à raison de 26, 28, 30 et 32 sous. Les simples journa­
liers touchent 15 ou 20 sous, quelquefois 24 et même 30 sous.
Les salaires ont augmenté cIe nos jours proportionnellement

à l'accroissement des prix des denrées; toutefois, il ne me
serait pas difficile de démontrer que les premiers ont monté
bie'n Hu-delà des seconds. Il en résulterait un avantage très
appréciable pour l'olnTier contemporain, si le surplus du
gain allait aux choses utiles; mais il va trop souvent aux
choses du luxe ostentatoire, quand il ne tourne pas à la
plus tristes habitudes. J'hésite donc à croil'e
satisfacti.on des
que le travailleur actuel réalise plus amplement que celui
jouissance du nécessaire.. .
d'autrefois la

III. - L'équipage.
Le reCl'lltement d\lll équipage de 180 hommes n1est pOlnt
aisé. Les vaisseaux du Roi enlèvent les meilleurs parmi les
professionnels des classes: et ce qui reste de marins, classés
ou non classés, de sujets aptes à faire le service de soldats
ou de canonniers, n'est pas généralement trié sur le volet. Il
est épineux de constituer un bon groupement d'officiers et
d'officiers-mariniers, qui doivent être en proportions assez
fortes sur les hâtiments corsaires, car il y a des remplace­
ments à prévoir, des absences dont il importe de tenir
compte, lorsqu'il s'agira d'assurer la conduite des prises
aux plus prochains ports: pour cette dernière raison, il faut
aussi un gros contingent de matelots. .
L'état-major de la Sauterelle comporte jusqu'à 16 officiers:
un capitaine-commandant, 3 seconds capitaines, un premier
lieutenant: 3 seconds-premiers lieutenants, 1 second lieute-
nant, 2 seconds-deuxièmes lieutenants: 4 enseignes, dont
l'un remplit les fonctions d'écrivain chargé des écritures du
bord, de l'apposition des scellés sur les panneaux des prises:
etc. ; un chirurgien-major: celui-ci, le sieur Joulin, est en
même temps second lieutenant; il ne faut pas "trop s'étonner
de ce cumul, si l'on réfléchit à la pratique des choses mari­
times qu'acquéraient, presque sans y songer, des hommes
naviguant depuis nombre d'années; plus d'un chirurgien
devenait même capitaine de corsaire (deux sont signalés sur
un rapport do l'intendant de Dunkerque, de 1676, comme les
émules de Jean-Bal't ; le célèbre Thurot venait à peine
d'échanger la lancette contre le sabre, quand il exécuta ses
aClmirables croisières dans les mers du Nord) (1). D'a~lmô-
(1: Il ne paraît pas qu'on ait exigé des capitaines cOl'sail'es les examens
imposés aux capitaines caboteul's el longs-eourriers de métier;
techniques
on voit des bâtiments armés en coùrse sotÎs le commandement d'officiers
d'artillerie, de la gendarm" erie, du Roi, etc. D'ailJeurs, n'a-t-on pas
l'exemple des deux d'Estl'ées, qui passèrent sans transition de l'armée de
terre dans l'armée de mer! Puis celui de d'Estaing et de Bougainville!

nier, point: les règlements ordonnent bien d'embarquer un
aumônier sur les navires corsaires et longs-courriers d'une
certaine importance; mais comme il est très difficile d'en
recruter, même pour les navires du Roi, ils sont devenus,
rapport, à peu près lettre-mol'te. Néanmoins, l'ob­
sous ce
servance des prescriptions religieuses est recommandée aux
capitaines et souvent elle fait l'objet d'instructions particu­
lières des armateurs (2).
Sous le titre d'officiers-mariniers (maistrance), figurent
27 individus: 1 maître d'équipage, 2 contre-maîtres, 2 bosse­
mans et 3 quartiers-maîtres,. spécialement chargés de la
direction · des manœuvres, et partageant l'exercice de la
timonel'ie avec 3 pilotes côtiel's (catégorie utile entre toutes
à bord d'un navire que les avaries, la nécessité de se sous-
traire à l'ennemi, celle d'assure!' la conservation d'une prise,
. peuvent obliger très inopinément à se diriger sur les hâvres
les plus divers du littoral français), un maître canonnier, un
second-maître et 5 aides canonniers, un maître et 2 aides
chal'pelltiers, un calfat, un voilier, un second chirurgien et
un aide (frater), un armurier. . .
Un peu phJ.s de 100 matelots, pour la manœuvre, mais
aussi susce.ptibles de prêter la main au maniement des canons
et à la mousqueterie; 8 novices et 10 mousses; 8 volontaires
(jeunes gens faisant l'apprentissags de la mer pour obtenir

plus tard une commission réguiière de capitaine marchand
ou une place sur les vaisseaux du Roi), 8 soldats, ces der-
(2) On lit drlns les instructions d'un armateur de Bayovne au capitaine
Georges Forestier, appelé au commandement du corsaire la lJialle : /1 le
le capitaine fera observer et · ouservera iui même exactement les ordon-
du Boy, en tout ce qui a rapport à sa mission, et comme les choses
nances
qui concernent l'exercice de la religion s'y trouvent souvent compris~s, il
veillera d'une manière partieulière à ce que rien n'y soit négligé ... 1/
Ducéré, Flisloin; 1JJaI'it. de lJayonne. p, 29~.
L'institution des séminaires, pour la formation d'aumôniers de marine,
à l'initiative des jésuites, sous ll~ patronage du Hoi Louis XIV, Il.e
due
l'emplit que très imparfaitement son but. . .

niers choisis parmi d'anciens militaires, spécialement char­
gés de diriger la mousqueterie (un remplit les fonctions de
maître d"hôtel, un autl'e celles de cuisinier).
Pour former l'équipage au complet, il a fallu beaucoup de
peines et de dépenses: envoyer les premiers ofliciers recrutés
de port eu port, à la recherche cl"llOmmes, car, avec la mul­
tiplicilé des armements, la COllCUlTence est grande sur les
places maritimes. Il n'est poiut peI'mis de promettre aux
marins au delà des gages fixés par les règlements: c'est
donc uniquement par 10 miroitement de riches butins à
confFlérir, présenté aux imaginations, par l'exaltation des
"capacités du capitaine, à défaut d'une l"enommée suffisante à
elle seule pOUf' attirer les recrues, qu'on réussit à amener
de petits noyaux d'un point et d'un autre jusqu'au port d'ar-
mement. Les ém issa il'es de M. Clément se rendent à Concar­
neau, à l\Iorlaix, à Roscoff, à Saint-Brieuc, jusqt,'à SainL­
Ils font à lour arrivée publier l'objet de leur mission à
Malo,
son de tambour; jouent vis-à-vis des marins, " dans les taver­
nes, exactement le rôle de sergents recruteurs; ils ne mé­
nagent ni les paroles dorées , ni les bouteilles de cidre ou de
vin, se fendant quelliuefois d\ll1 déjeuner ou d'un diner, ...
aux frais de l'armateur, et quand ils sont parvenus à capter
la confiance d\m sujet, ils le conduisent chez le notaire, où
signe l'acte d'ellgagement. On délivre à la nouvelle recrue
une petite somme à t.itre de denier à Dieu ou d'avance, et on
attache fi son bonnet une cocarde aux couleurs du corsaire (1),
auquel il appartient désormais pour quatre mois.
J'ai sous les yeux un conlrat d'engagement dressé à Saint-
Malo le 26" octobre 1756. Il comprend les engagements d'un
premier lieutenant, du sieur Joulin, chirurgien-major et

(1) Il est fait menlion, sur plusieur's mémoires, de cocardes achetée~
pOUl' le compte de M, Clément et destinéee à l'équipage de la Sallte1'elle,
les unes blanches et vertes, les aulres, ~n petit nombre et sans clou le résêr­
vées pour le~ ofliciers, noires. " ". " " " " "
BULLETIN AUCHÉOL. DU FINlST]~HE. TOME XXII. (Mémoires). 2~

second lieutenant, de quatre volontaires et d\lI1 matelot­
intel'prète. Cest une pièce curieuse, où se découvl'ent les
précautions habiles de l'armateur pOUl' obtenir beallcoup des
, marins avec la réservation des plus amples. avantages en
faveur de la société.
Les signatai,l'es s'obligent à embarquer au premier ol'llee
verbal « pour du pl'emier tems ravo l'able sortir e faiee voile
du poet de Bl'est, aBer voyager sous le commandement du
Sr Beauregard ... en tels paeages sur mer, païs, royan mes,
côtes, lieux et endroits que le capitaine jugera à propos, ..
pOUl' Y faire la- course et guerre contre les ennemis de l'Etat,
pendant le tems et espace de 120 jours en mer )), non com­
pris la durée des relàches. « Pendant lequel tems les
engagés s'obligent d'ataquer et combatre en gens de cœur et
d'honneur, prendre et enlevel' si faire ce peut les vaisseaux,
biens, efets et marchandises des ennemis, les conduil'e,
amener ou envoyer au port de Brest ou en tel autre que le
capitaine jugera à propos... - Tous ct chacun dudit équipage
sel'ont tenus ... de servir et obéir au capitaine en toutes choses
licites et honnêtes sans faire ni exciter aucune querelle, sédi­
tions, blasphèmes, déserter du bâtiment, ni autrement l'aban­
donner sans avoir un congé du capitaine, à peine de tous
dépens, dommages et intérêts, même de restituel' les sommes
qu'ils auroient reçues d'avance et d'être privés de participer
aux prises, et en outre d'être punis suivant la rigueur d \3s
ordonnances comme déserteurs ... » Officiers et « autres
gens du même équipage)), chacuns en leurs emplois, don­

neront la main à tout ce qui intéressera les besoins du navire,
soit à la mer, soit au mouillage, soit enfin pour la décharge
ou le ravitaillement dan~ les ports de relâche, le désarmement
et le réarmem,ent. " « Pour le payement, salaires et récom­
penses duquel voyage de course, il est stipulé et accordé que
tous les gens de l'équipage... capitaine, oficiers et tous
autres auront le tiers net du produit des prises qui seront

faites, les frais des adJ·udications. le deoit de MO'r l'amiI~al
s'il est dù dans la suite (1), el tous autres coûts et frais légi-
times préalablement pris et levés SUl' le total des mêmes
prises et les cleuxautees tiees des prises apartielldra à l'ar­
mateur et consoI'S pOUL' leur bâtiment, victuailles et arme­
mens... Si qllelq u\m du même bâtiment est tué au combat,
sa veuve, enfants ou héritiers
ou meur't de ses blessures (2),
partici peront à toutes les autres prises et progrès dudit
voyage comme s'il n'étoit pas décédé. Ceux qui seront estro­
piés, outre leurs parts aux prises, seront récompensés sui­
vant les règlements et ordonnances du Roi.» POUl' met~re
les engagés « en état de subvenir et de s'équiper plus como­
dément de hardes et autres choses nécessaires pour s'embar­
quer », il leur sera payé des avances sur le pied de 301iv.
à l'officier mal'inier. 20 liv. aux matelots, 10 liv. aux soldats,
les deux tiers avant la sortie du bâtiment, l'autre tiers réservé
0: pour être payé 5 jours après le désarmement (3) )). Ces
avances seront remboursées à l"arniateur · sur les parts et
portions qui pourront leur revenir des prises. .
Ainsi, pas de salaire ! seulement un aléa de gain qui
dépendea des événements. Encore l'armateur osera-t-il
requérir que les frais occasionnés par les méprises involon­
taires du capitaine retombent à la charge de tout l'équipage!
Disons ce que rapportait à celui-ci une opération souscrite
en de pareilles conditions. La répartition des parts était faite
par l'état-major; leur nombre variait selon les grades, les
emplois, les services et.la conduite des individus; les mau­
vais sujets, ceux-là qui s'étaient montrés timides ou lâches
dans le combat, slIbissaient. une réduction, les déserteurs
perdaient leurs parts (elles étaient reversées sur le reste de
(1) Il élait alors suspendu.
('2) Cet arlicle, on le de..,.ine, n'est point dû à la générosité de l'arma,..
teur: il répond à une pl'escl'iption générale des ordonnances du Roi.
(3) En attendant le règlement définitif des parts de. prises.

réquipage). Le nombre des parts .établi servait à diviser le
chiffee du produit nel, calculé au tiers: et le quotient donnait
la valeur de chaque part. J'ai dit précédemment que les
pads avaient atteint la valeur de 73 1. 19 s. 6 d. pour la pre­
mière course, et de 10R 1. 14 s. 4 d. pour la seconde. Il
revenait au capitaine 12 parts, plus la valeur du coffre llu
capitaine ennemi et d'une partie des munitions du navire
captül'é; aux. seconds capitaines, 10 parts; aux. peem iers
lieulenuuts, 8 paets; aux secoaJs lieutenants, au 1 C l" en-
seigne à l'écrivain et au chiruro'iell-maJ'or () paets' aux
second et del'nier enseignes, 4 parts; aux officiers mariùiers,
de 3 à 2; aux matelots, de 1 3/4 à 1 1/4 ; aux novices, de
3/4 à une demie; aux volontaires, 1 et demie; aux soldats,
1 1/2 à 3/ ... ; aux mousses , une demie ou un quart de part.
Mais en tenant compte des mutatiolls. dans les emplois, des
. réductions pour diverses causes, les sommes touchées par
. les intéressés à la fin de la campagne ne répondaient pas
toujours aux calculs d'après les bases que je viens de
résumer. Au rég'lcment définitif, il revient:
Au capitaine 49131. 17 s., à divers otliciers 1529 L 7 s. 4 d.,
552 1. ou seulement 331 1. 13 d. ; à l'ollicier-marinier le plus
favorisé 573 1. 19 s. 5 d. ; des matelots n'ont pas à toucher
plus de 245 à 300 1., les individus à double trois quarts de
part plus de 122 1. .19 s. 10 d., ceux à double demi part plus
de 81 1. 19 s. 11 d., et un qual't simple ne produit que
13 l. 16 s. l ... d.
Pour la majeure partie de l'équipage, le pl'ofit ne valait
guère et restait hors de proportion avec la gravite des
chances à courir. Mais l'engagé n'entrevoyait pas les résul-
. tats de très loin. Il faillait vivre, et, à une époque où le
commerce était suspendu, la pêche elle-même interrompue,
nombre de pauvres diables étaient encor;e heureux de trouver
sur un corsail'e au moins la nouniLure assurée, avec quelques

chances de profit: aussi minimes CJlIe fussent celles-ci, elles
paraissaient bonnes, à qui ne possédait rien.
Pour être jnste, il convient de reconnaître que les frais
d'embauchage étaient considérables, quïls étaient accrus
pal' ceux d'héb~rgement d8s hommes et des officiers dans le
port depuis le jour de leue arrivée jusqu'à celui de leur
embarquement ou de la mise en rade, et que nombre de
vauriens, après s'ètre faits régaler et avoir touché des
avances, s'éclipsaient, obligeant l'armateur à de nouvelles
dépenses pOUl' les remplacer. .
L'article équipage est ainsi détaillé sur le compte général
d'armement:
Voynges de~ officiers 1'1 se rendre il Brest, idem
pour engi1ger des équi pnges, pensions et grati­

fientions auxdit~, pendant la bâtisse et arme­
ment, autres voyages et dépenses pour parvenir
audit armemcnt ....... ........... , , ... .... , 11.1381. lOs. » d.
Dépenses pour les vivres aux engagés de l'équi­
page en forme de journée pom 'vivre pcndant
]' (1l"lTI enl f'Jl t ................................ ..
Avnuces faines aux équipages suivant \'::wtc
d'engagement. , .. , ... , ........ , ...... , . .. . .. 11 A20 4 8
l'lelliers il nirll et pour boire aux équipages,
déserteurs qui Ollt reçu. , ........ , ...... , ,. 1.509 . 2 6 '
IV. - L'h;ygiène et la discipline.
J'(l\'l'jyC Ù ce qu'cil} peut nppeler lJhygiène du corsaire, Elle
Il'est sans duute ni meilleure, ni plus mauvaise qu'à bord
ll'ull bàliment de g'llerre.
Les hommes n'ont de hardes et d'erfets que ceux qu'ils
ont pu se peocurer ' creux-mêmes: c'est là le côté le plus
défectueux, Point d\llliforme, sauf penl-êtl'e pour quelques
gl'ad(!s, Des galons d'or d d'argent mnrquent les insignes.
Je tJ'Otive mentionnée, c1HI1S une fourniture, une paiee de bas
rouges, sans doute destinée au capitaine, pour compléter un
costume plus ou moius l'approché de celui des officiees de la
marine royale (d'ailleurs l\1. Beauregard lui appaI'tient~ .

L'équipage couche dans des hamacs; il existe à bord
quelques matelas pour des couchettes d'olliciers ou pour les
cadres (sortes de lits suspendus) réservés aux malades et aux
blessés graves (douze cadres ont été cédés par l"arsena1),
On s'éclaire à la chandelle, et, pal' luxe exceptiollnel: chez
le capitaine, à la bougie. Du reste, on ne circule à l'intérieur
qu'avec des lanternes, à vitrage de corne, et les fanaux fixes
sont hermétiquement clos: on ne SaUl'élÏt prendre trop ùe
précautions contre l'incendie.
Les fournitures de linge ne sont pas tl'ès nomLreuses ni
très importantes. Sur un mémoire, il est l'ail mention de
« 10 peire de draps à 16 sous la peire, 8liv. (cela fHit rèver !),
et de « 4 douzaines de serviettes à 15 sons, 3Iiv.; () Ù 4 sous,
1liv. 4 s. » (c'était pour rien !), aussi de torchons et de
tabliers pour la cuisille.
Le chapitre de la cuisine, des tables et de l'HPP1'ovisionne­
ment est particulièrement intéressant. .
La cuisine ou « chambre à feu» devait êtl'e établie dans le
faux-pont, selon l'usage ol'dinaire à cette époque, à bord de
nos navires (i). Cette situation était déplorable, au point de
du danger d'incendie et de l'insalubrité; l'on semble
vue
avoit' consommé surtout du bois à bord de la Sauterelle;
miis si le bois était préférable au charbon, sous le rapport
de la salubrité, il augmentait le danger du feu: pour se
prémunir contre ce dernier, l'on avait eu recours à certains
ar'tifices de constr'uction : une partie de la chambre était en
maçonnerie, le reste en bo's recouvert de feuilles de euivre .
Ce qui me ferait penser que la cuisine était plutôt dans les
bas que dans les hauts, c'est qu'il est question d'un ramo-
. (1) Toutefois, je n'affirmerais pas que la Sau'erelte n'ait possédé une
cuisine installée sur le gaillal'd d'avant, ainsi qu'il en existflit déjà. StH
le fJeor(Jes, brigantin anglais captlll'é par le corsa ire de Borclellux la
Nouvelle-Saxonne, en 17;-'7, il Y avait « une cuisine cie fer (à revêtement
de tôle) sur le gaillard. »

nage de sa cheminée: un t.uyau quelconque" exigeant un
ramonage, devait avoir uue assez grande longueur.
I ___ a chaudière pour le coq, en cuivre, avec une cuillère et
une écumoil'e de même métal, pesant 87 livres, à 45 s. la
livre, revient à 105 liv. 15 s., (c plus pOUl' le fer descLttes,
15 livres à 7 s. ' 0 5 liv. 5 s. »
La batterie de cuisine de l'état-major se compose de mar­
mittes, chaudrons, casserolles, etc., en cuivre étamé.
Relevé une fourniture de 3 couteaux de cuisine (0 liv.),
signée par Nielly, maîtl'e coutelier à Bl'est: c'est l'ancêtre,
d'une famille devenue brestoise, qui a produit le contre-
amiral Nielly (1). _
Le matériel des tables comprend: pour l'équipage, des
gamelles de bois (une par plat de plusieurs hommes); pour
les officiers-mariniers, des assiettes et des couverts d'étain,
des pichets et des tasses en fayence, etc.; ponr l'état-major, 0
quelque vaisselle de fayence, « des gobelets de vers (verr à

30 s. lq. pièce », des cuillères et des fourchettes ( de métal »
ou ,( d'acier » à 9 liv. la douzaine assortie, etc.
n est fait melltion de caf8tièl'es, ( une d\tn pot et l'otl'e ,de
pinte », une «( de G tasses et l'autl'e de li )J.
o L'eau,l'ec \l e illi e aux aigllades (à Brest, à celle dite des
(J/wlre - /)ompes) (2) , est consel'vée dans des futailles, qui
sont aIlHll'inées au rond de la cale .
Pour lJoisson, le cidre et le vin. A Beest, on embarque
. à peu près excliJsivement du vin, tiré de Bordeaux (un con­
naissement de mai 1756 porte 8 tonneaux, une banique et
un tiel'çon de vin rouge, et 8 tonneaux de vin rouge d'une
autre marque). A S~illt-Malo, il n'es't guère embarqué que
Il \ Ce Niel ly, coutelier à Brest, éta it originaire de Provence, de Toulon,
je crois; il avait servi clans l'artillerie et s'était retiré de ce corps avec
un congé de sergent. .
('2) Ln distillation de l'eau de mer ne commencera à entrer dans une
phase à'expérimentation qu'après la remarquable conception cie Lind (1 ilil) ;
.le premier appal'eH sera installé SUl' un navire espagnol, en 1ï87.

du cidre (en maes 1757, 6 b~rl'iCJues; en: mai, il. balTiques,

à 15 livres la barrique). Il Y a quelques factuees relatives à
des foul'nitures de vins d'exll'<1, en bouteilles, ré;el'\,és pOUl'
la table des officiers: on le versel'a allxjolll's de joyeux arwi­
versaires ou de tl'lom phe (vin de BOllrgogne Ù LlO S. la bou-­
teille, vin de Chypre à 46 s. la bouteille). On reilcontl'8 allssi
quelques fournitures d'eau -de-vle (une de Lü vetles, ù 100 s.
la velte, de 205 livres ).
Les vivres sont variés.
A la mer, on consomme du bi:-;cuit~ après avoil' épuisé la
provision de pain embarquée, assez considérable pOUl' sllffil'e
aux besoins des deux ou tl'ois pi'emièl'es semailles (on la
conserve dans des bael~iques). Aux relâches, l'équipage
reçoit du pain frais. Cehli-ci, pal' suite de convelltiolls pas­
sées entre l'armatent' Oll son correspondant et les boulangers
ou boulangères, se paie très au-dessous de la taxe, 1 sol la
livre ordinairement, le fournisseUl' regRgne un bénérlce
honnête grâce à la quantité qu'il délivre. Du 26 févr-ier 1756,
au 20 mars, à Saint-Malo, « la Guibert » fournit 070 pains
de une livl'e à .1 sol, qui ne peuvent êtee destinés qu'à ]a
table des o[fit;iers. A Brest, une fournÎtul'e plus généeale de
~bl'ie Ap?l'e compl'end, avant la sortie de février, le 4,
16 pains lle :)0 sous (241iv.): 25 pains de 20 sous (261i\'.),
le 6, 2'1 pains lle 30 sous (3G liv.); 11 paius de . ~)O suus
(Lü l. 10 s. ), 12 pains de 20 sous (12 liv.) .

Dans les relâches, l'équipage reçoit aussi de la viande
fl'aîch e. Une fournitul'e du 3 au 21 juillet 1767, faite par la
femme Gouez, bouchère à Brest, monte à 178:3 li\'. , payées

à raison de 6 sous la livre, 445 1. 15 s .
En même temps, les tables sont approvision li Ges de légu­
mes et de poissons fl'ais .
L'approvisionnement de mer ne fait point lrop mauvaise
figure, compal'é à celui du régime acluel (1) ; il est donble,

([) Voir !'lfygiène navâle de Funssagrives .

c'est-à-dil'e en gras et en maigre (cal' les jeunes et les
abstinences sont observés autant que le permettent les cir­
constances) ; il comprend, en maigre, des pois et des
« fayots », des betteraves, des carottes, des choux, de

l'aselle et des oignons « en barils », des sardines, de la
morue sèche, des œufs (30 douzaines à 5 sous la douzaine),
du fromage, et, pour l'assaisonnement, du beurre (en pots)
et de l'huile; en gl'as, du lard salé, des langues c( fourées et
à l'écarlate », des saucisses c( au saint do us ), du « beuf à la
daube ), du « gras double ». On embarque en outre
des volailles vivantes, qn'on nourrit à bord avec du blé
Je relève même deux sortes de conserves qu'on ne
noir.
s'attendrait guère à rencontrer, un baril d'œufs à la ... (je
n'ose écrire le mot que j'ai cru lire) et un baril « d'huîtres à
la doLe ». L'on n'oublie pas les déserts et friandises, pour
messieurs de l'état-major, des figues et des raisins secs, des
gelées de pommes et de castilles; etc. .
et le sucre n'apparaissent sur les notes qu'en
Le café
petites quantités (le sucre à 12 sous la livre, le café à 24 sous),
et le thé qu'à titre exceptionnel (à 50 sous la livre).
Sur le compte général d'armement, l'article « vin, ,eau­
de-vie, biscuit, pain frais, viunde et autres vivres, ctc. ),
s'élève à 7684 1. U s. 8 cl.
- Sous le rapport des vivres, les geus de la Sauterelle
n'étaient donc pas à plaindre.
L'armateur ne lésina pas davantage pOUl' assurer aux
malades tous les soins nécessail'es.
A bord, l'article du chirurg'ien comprend un matériel de
et d'infirrnerie assez important, un bon approvision­
cuisine
nement de linge, une boîte d'instruments, garnie d'après les
exigences scientifique::; de l'époque (longs cout.eaux à ampu­
trépas avec ses accessoires, tourniquets et garrots
tation,
pour l"hémostasie provisoire à la suite de blessures, etc.),
pour fractures, et un colIre (c à remèdes », sai-
des attelles

gneusement visité, avec la boîte d'instruments, avant le dé­
part., par les chirurgiens et l'apothicaire jurés de l'amil'auté.
Voici aIL complet « l'état du cofre de remèdes pour le vais­
seau la Sauterelle »; la nomenclature est celle de moyens
thérapeutiques bien .... enfantins! Mais gui nous assure que
la nomeuclature de nos moyens, à nous, même accl'US des
serwns plus ou moins immunisateurs, ne fera pas sourire
nos al'rière-nevellx ?
« TherinfJllc 1 livre 1/2 (9 liv. ), confection d'hyacinthe 6 onces
(4 1. 10 s.), diascordium 1 onces (1 1. 10 s.), opiate Salomon 3 Olwes

(1 1. 10 s.\, opiale antiscorbutique 3 onces (15 s.), cOllfection
,tlCJllennc lall\ermè~ ) 2 onces (1 1. 4 s.), vonfection bnmech 3 onces
(:J 1.), call1OlicuIl1 vin 6 onces (1 1. 16 s.), extrait de requelisse
oners (15 s. l, conserve de roses 2 ollces (10 s.), conserve de
cne'es (15 5.), Manne 1 liv. (6 1. l, sené
qllinal'odon (cynorrhodon ; 3
6 onces (3 1. ), rhub(1T'bc 4 onces (121.), casse 8 livres (32 1.), chalap
en pondre 3 onces (3 I. j, hyppecaquana en poudre 2 onces
(jalap)
'(3 1. ), pOtHlre carnnch ine (coro(1chini sive de Tribus) 2 onces (2 l.),
scamoné 1/2 once (1 1. 10 s.), leiJJttlre mirhe et aloès 6 onces
(1) 1. 5 s. ), elixir de propriété 1 once (2 1. ), lJOmme decopahu 2
(l 1. 10 ~. " bOlllme dn Péron liCJllide l once (2 1.), homme
onces
ù'nrcclIs 1 livr!) Cl 1. 10 s. ), thérébenlÎ'ne 2 livres (3 1. ), mercure
otlce (15 ~.), sel de végét(1l 2 onces Cl 1. 10 s.), sel d'ab­
doux 1/2
Silllllc 1 once (1 1.), sel de Saturne 1 onco (1 1. ), sel de santorée
1 ollce (1 1.), sel. .. ? 8 onces Il 1.), sel ammoniac 4 onces (1 1.),
chrislal minernl 4 onces (1 I.),nil.re purifié 8 onces (11. 4 s.), tartre
émétique 2 gr-os (10 5.), vitriol 4 onces (12 s.), alun de roche 8
onces (10 s.), yellx d'écrevisse 4 onces (4 1.1, entimoine diapboré­
tiqurl /2ollce (15 5.), corail rouge préparé 1 once (1 1. ), terre
sigillée 4 ollces (12 s. ), ~'(1ndr[igon 'en l::tnne 2 onces (2 1.), bol
c]'Annéuie nn 2 livres (6 1.), esprit de coclnri::t 3 onces (15 s. ),
esprit volMil de sel ammoniae 1/2 once (1 1. 10 s. ), esprit de téré­
onces (1 1. ), esprit de yitriol 1 once (1' 1.:, esprit de vin
henthine 4
10 ODces ('2 1. 105.), e:m de quanelle 4 onces (2Iivre~), eau vulné­
(4 1.\ e::tll de milice (mélissr) composée 4 onces (2 1.),
raire 1 livre
e:lll tl1ériaqllalle 3 onces (1 1. 10 s.),e(1u de rose ct de [llnntill 8 Ollces
nvec eau cordiale 3 onces (1 1. 10 S. i onu sli plique 8 onces (1 1.),
syrop de limon 6 onCAS (11. 10), syrop de eapilflil'e 6 onces (11. 4 s.)
d'abscinthe 4 once (1 1. 4 s. ), syrop de pnveau rouge 6 onces
syrop
de pavot IJlanc L l ouces (11.), syro[ldenerprun 80Dces
(11.105.), syt'op

(1 1. 12 s.), sy rop de chicorée composé 4 0110es' (1 1. 12 s.), miel
rOS:.1t 8 onces (l 1. 4 s.), hnillc d':.1mande douce 4 onces (2 l. 8 s.),
huille de noix l livre (1 l. 5 s.), lluill e rosat 3 onces (12 s.), lluille
camomille 4 onces (16 s.), hnille d'hypericum 4 onces (1 1. ), hllille
térébenthine 3 onces (12 g.), ongant dalthc:.1 6 onces (1 l. 10 s.),
ongant de la mer (de la mère ) 1 li vre (3 1. 10 s.), de stirax 1 livre
1/2 (4 1. 10 s.), basilicon 1 li vre (3 1. ), ongaut rosat 3 onces (12 s.),
ougant pompholix ;unguenLllll1 diapompholigos) 6 onces (1 1. 4 s.),
ongant popllLenm 4 onces, ongant napolitain, ongant blancrasis
(11. albutn Rllasis) , 8 onces (1), ong:.1ut egyptiac 4 onces (2 1. ), em­
plâtre de Vigo c. : m. : (CUlll rnercurio), 4 ouces 3 1. 12 s.), emplâtre
divin 8 onees (3 1. ), diachylum 8 oneos (3 1.), emplâtre diapaline
8 onces (1 1.), emplâtre bethon iea 8 onces (1 1. 10 s.), emplâtre de
sigüe 6 onèes (3 1.), emplâtre diabotanum 3 onces (3 1.), emplâtre
de musil:.1ge 3 onces (15 s.), quinquina en poudre 12 onces (9 1.),
c:.1ufre 2 ouces (2 1. ), aloës 1 Oilce (11. 10 s.), mirhe 1 once (1 1. 10),
bal:.1uSle 2 onces (1 1. 10 s.), rose de Province 2 onces (11.), rapure
de corne de cerf 3 onces (10 s.), ra pure d'yvoire 3 onces (3 5.),
anis vert 2 onces (4 s.), gr:.1ine de lin 4 onces (4 s • .', :.1ntimoinc crü
4 onces (5 s.), ~alsep:.1reille 6 onces (2 1. 8 s.), sass:.1fras 6 onces
(15 s.), esquine (squiue) 6 onces (1 1. 10 \, poudre de gayac 8 onces
,5 s.), encens en l:.1rme 4 onces (1 1.), pillulies mercurielles 3 onces
(3 1.), cori <;Inde et haye de genièvre 1 et 6 onces (1 L), fleur de
souf['e 4 onces (12 s.), mouches ca ntharides 2 onces (2 1.), racine
de grallde consoude 4 onees (11.), camomille 4 Ollces \.12 s . .', melilot
4 onces (1 1. " sir['e (cire) jaune 8 onces (1 1. 5 s.), semence froide
8 onces (1 1.), vnlnér:.1ire de Suisse 6 onces (1 1. 4 s.), farin.e
réso lutive 1 livre (l 1. 10 s.), poudre de vipè['e 1 gros (10 s.), ext['ait
de laudanum l gros (1 1.), essence d'anis 1 gros (10 5.), silentium
liquide 2 gros (1 1. " préci pite rou3e 2 gros (10 s,), panacée
mercurielle 1 gros (10 ".), pierre infernal e 1 gros (2 1.), Kermrs
minéral 1 gros (3 1.), sutIran orientai 2 gros (1 1.), miel commun
6 livres (3 1.), amande douce 2 livres et pag uets de centaurée 12
onces (11. 12 s,), plante aroll1H tique 1 livre, blanc de baleine 1 once
(1 1.), aigremoine L l onces et capilaire 4 onces (1 1. 10 s.), fl eurs de
payot rouge 2 onces (1 1.), semence de pavot blanc 1 once (5 s.),
fleur de pas-d'asne i once, racine de fr:.1isier 8 ouces et racilie
d'ozeille 8 onces (1 1. 10), guimanve. et bouillon blanc 12 onces
(11. 4 s.), réglis:-;e 2 livres (1 1. 4 :'-;.), cbiendent 2 livres (1 1.1,
vnntouses (ventomes) 6 (3 1.), cmJelle 4 onces (4 1. ), cloux de

(1) Une pélrlie de la pièce, déchirée en cene place, d'ult l'absence d'indi
ca tion du prix de ces médicamenls.

gél'ollp 2 ollces (3 1.), noix (1e mm:cnde 1 once 2 gr. -(1 1. 5 ::i.), p.ün
il chant. POUl' r:01s de f1!Ïeneo, bouteilles de verre, 281iv. Le tout
t'nsemble 304 liv. (1).
« Reçu le contenu cy-dessus de M.
LegendrE', mai tre apotieaire à
Recouvrance, ce 20' j"nvier n57.
Honoré JOlllin, ll1i1jor. »
A tel're, lws hommes sont tl'aités à l'hôpital du ]ieu~ les
olTi~iel's mal'iniers et les ofIiciers de l'état-major chez un
hôte ou une hôtesse à leur choix, aux frais de l'armateur .
A Saint-Malo, en mars et avril 1757, il Y a un certain
nombre de malades .

2G hommes de l'équipage ou volontaires fournissent 300
joul'l1ées de traitement à l'Hôlel-Dieu, à 1G sous la journée.
Les f['ais de maladie du maÎtl'e voilier Macnemara, à
Saint-Servan, montent à ~H 1. G s . : pOUl' l'hôtelier 151. 8 s.,
pOUL' ]e chil'ul'gien, Me Dupuis-Houssaye, 7 1. (12 visites,
2 par jour, () L: 2 saignées du bras 1 1.), pour les drogues

Les fl'ais de teait.ement du maÎfl'e-canonnier se décompo­
sent ainsi (2 mémoires) :
A. - Etnt du traitement de la maladie à Sn pliee, canouier de la
Sauterelle, qui a commencé du 21' mny 1757 :
POll r 7 saignées ................... .
31. lOs.
POlit' 5 locs composés ...•.......... 10 »

Plus pour 2 lJlôdeci nes corn posées ....
Plus pOlir 2 !avemens . . .. . .. ' .' . .. . 3 Il
Plus !)Qll!' 2· ambrocations. . . . . . . . . . . 3 Il
Plus Jlour l'avoir vi~jté tous les joUrs. 9 »

(Signé) LA L..\.NCETTE (2) , chirurgien an rogilllrnt de Brie .

\ 1) .Te l'envoie, pour des expl ications sllr celle ph"rmncop(ie, au Codex
/iwdicam.enlarills , Pllris, 1i'It!, et (lU Fli1'171Ulalre 7'0111' l,t composition
des 1'umèdes usUés dans l'Iul/lital de t. J, marine de Brest Brest, n. Ma­
lassis, 1780.
(2) Un nom ou plutôt un surnom bien professionnel,

Plus pour un f'mplàtre de térehenthine.
De plus payé pOUl' conùllitte ....... .
POlU' les remèdes et rafrnicllissemeuts.

Pour sa chambre ... '? peines et soins .. 12 »

En souliers ....................... .
(En tout) ........ " 921.
n. - Mémoire de cc que m'a roumi 1\'1'" Barrière de viande et
nutres choses nécessaires pendant ma rnalnc1ie à connnenCCT dn 20'
may à alljourj'[my 11' juin 1757, sç.avoir :
Pour la viande pOllf' faire dll bouillon ct ponf' nour-
riture depuis ma convalescence .................. . 161. 5s.
Pour 3 poulies pour faire du bouillon .......... . 2 H
POUf' des œufs ........... a 0 • •• • ••••••• - ••••••
POUl' du yin de .. ? on est employé avec des sim­
ples (sic), pour me frotter le corps et nne pinte que

je peux avoir buë par plusieurs fois. . . . . . . . . . . . . . 3

POllr de la tisane.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

Pour du tMe ct du sucro qn:m
311tl~e[rlent ••• . " . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . • . . . .. • •••
POUl' du paiu, du cidre et quelques autres rarrai-
chissenlellts .................................. .
Sans compter les nuits qu'elle a passée avec moy ny mon logis
le linge qu'elle m'a fournies dans mes sueurs, payé 12 livres .....
(Signé) Snlpice DEVEDEc.
La maladie du capitaine a coùté plus cher: 793 L 6 s. ; il ·
est vrai que dans cette dépense est comprise une canne à
pomme d'or achetée par le convalescent pour raider fi SOJl­
tenir ses pas ... ou gracieusement oITerte au nom de l'armateur,
en témoignage de la satisfaction des bons services de l'officier.
Quelques mo~s de la police et de la discipline, d'après
les mémoires des frais qu'elles ont occasionnés.
J ,a composition ' des équipages corsaires est très hétéro­
gène, il faut pOUl' leur donllcr la cohésion une forte disci­
pline; la même que celle prescrite à bord des bâtiments de
l'Etat, ordonnent les règlements. Mais avec des gens soumis
à de si rudes épreuves, auxquelles on n'ofi're que des profits
aléatoÎl'es, la tolérance s'impose. D'ailleurs, dès l'époque

de Louis XIV: il existe à bord des corsaires une habitude
très démocratique, sans doute, mais singulièrement opposée
au maintien d'une autorité trop inflexible ... , celle-là même,
qui, à l'époque de la Révolution, poussée à l'exleême, engen-
dl~era tant de séditions et de troubles, SUl' nos flottes, en
dépit de l'énergie des chefs et des représentants du peuple :
capitaine ne saurait prendre une décision importante sans
demander l'avis de ses officiers et de l'équipage ! Les ins­
tructions des armateurs l'exigent ainsi, et c'est là probable­
ment la raison sur laquelle ces derniers s'appuient pour
faire retomber sur les équipages les conséquences.,. pécu­
niaires des méprises commises La consultation faite, un
Jean-Bart n'est poillt en peine pour maitriser tout net les
récalcitrances; toutefois, comme la très grande majorité des
o capitaines n'ont pas la puissance autoritaire d'un Jean-Bart,
. il est assez naturel de voir les mêmes hommes qne le
sufl'rage ramène au niveau de leurs supérieurs, s'égaler à
ceux-ci en d'au tees occasions ou n'obéir qu'en murmurant.
Puis . l'on 0 embauche des sujets d'antécédents parfois si
suspects!
A bord, avec des officiers mariniers de moralité sûee, de
o fermeté éprouvée, on arrive pourtant à dompter les pires.
Une ligne que j'ai découverte au milieu d'un mémoire de
fournitures banales, nous apprendra par quel moyen :
« pour 37 douzenne de garsettes, 17 liv. )), quelle consom-
mation de bouts de cordes ... , correcteurs, quelle ampleur
dans la distribution des réprimandes ... manuelles, laisse
suppposer un pareil chiffre! L'on dispose aussi d'une barre
de jwdice (fers), il y en a deux sur la Sauterelle: mais on
doit faire un usage très modéré de ce. procédé de redl'esse­
mO ent, qui enlève des bras au navire et favorise même les
gOlHs fainéants de quelques-uIls. Mieux vaut l'emploi de la
garcette!
A u mouillage, commencent les tribulations des capitaines:

siils peuvent alors se débarrasser des plus tUl'bu1ents en les
envoyant passel' quelques jours dans la prison de l'amirauté,
ils ont à veiller 0 contre les escapades même des meilleurs.
L'air de la terre est mauvais au marin! Il lui souille des
rém iniscences de débauches grossières, auxquelles il ne
résiste point, et les marchands, les pêcheurs, qui viennent
accoster le long du bor(l se font uès volontiers les complices
intéressés des trreurs de bordées ou des désel·teurs.
C'est bien alors, on n'est plus maître des hommes: ils vont s'égrenant
dans les cabarets et les matsons inavouables, jusqu'à épui­
sement de leurs pauvres bourses, engageant même jusqu'à
leues futul'es parts de pl'ises, pOUl' assouvir leurs penchants
crapuleux.
LOf'squ'arrive le moment de remettre en rade, on envoie
à un huissier d'amirauté un ol'dee ainsi conçu:
«( De par le Roy,
«( Il est ordonné nux. officiers mnl'iniers et non mnriniers,matu-
lots, novicf's, volontaires, soldats et mousses du cori'aire la Saule­
Telle, commandé par M. de Beauregnrd, lieutenant de frégat~, de se
rendre incessamment à bord dudit corsnire pour appareiller demain
au matin ... , à peine d'ètre réputez déserteurs. Fait au bureau des
classes de la marine ... »
L'huissier lit et publie l'orthe dans les carrefoUl's « et
autres lieux accoutumés », réclame à l'armâteul' jusqu'à
24 liv. de vacations pour sa peine.
Et quelquefois il faut recommencer la publication, comme
départ de Saint-Malo, en recommandant à l'huissier de
battre la caisse et d'envoyer des soldats ramasser les
faire
t!'aînards ou les insouciants.
C'est aussi le moment, pour l'armateur 011 son correspon­
dant, de régler les fl'ais de geôle, dus pour les querelleurs
que la garde a ramassés ici et là : Louis Fleury, concierge
du château de Saint~Malo, réclame à M. Beauvais une
somme de 15 1. 12 s. (c pour la nourriture qu'il a doné à des

volontaires et matelots de la Sauterelle au château de lad.
ville.
Tout cela est déjà loin, bien loin. Que de détails ignorés
ou à peine connus révèlent ces notes à l'apparence rébar-
bative et froidement commerciale! Car ce sont bien des
factures, des états de comptes et auires pièces analogues
(une liasse de plusieurs centaines de papiers grands et
petits) ('1), que j'ai consultés pour écrire ce mémoire. J'avoue
que leur dépouillement ne m'a causé aucun ennui. Je sou­
haile que le présent résumé ait aussi quelque intérêt de
curiosité pOUl' mes érudits et bienveillants collègues .

DI' A. COBRE .

(1 ) Archives municipales de Brest, ancien fonds, II. H .