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Bulletin SAF 1895


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Notes sur Saint-Eloy en Basse-Bretagne

Abbé Favé

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NUTES SUR SAINT ÉLOY EN BASSE-BRETAGNE

Par l'abbé Antoine FAVÉ.

Lé saint Roi Judicaël exerçait sa domination, douce et
bienfaisante, ~ur la contrée qui comprend l'~rgoat jusques
aux confins de l' 4rvor. Les Leudes de Gaël avaient fait
quelques entreprises et réquisitions de l'autre côté de
Rennes, sur le domaine des Francs: le Roi Dagobert prit
la chose de fort mauvaise grâce. Il avait sous la main une
armée victorieuse, qui venait de terminer contre les Gascons
une campagne dont le prestige et les faits d'armes étaient

publiés au loin: le Roi des Fr'ancs avait à licencier ces
braves troupes ou à les garder dans l'inaction. Puisqu'il
trouvait la bonne chance d'un casus belli, il pouvait en pro-
fi'ter poui' précipiter cette armée sur notre Bretagne et amener
à composition les Bretons, fiers et remuants, et assez portés
à oublier les égards dus à son voisinage redouté. Etant
donné le caractère de Dagabort, chez qui un simple grattage
faisait retrouver le barbare sous une légère couche de vernis
" byzantin, la situation pouvait s'aggraver rapidement et
devenir irrémédiable. La douceur, la persuasion et une pru­
dence bien calculées étaient' capables seulement de triompher
de ce tempéramment primesautier et rétif.mais il savait accep­
ter,heureusement,le contrepoids qu'il trouvait qans la sagesse
de son conseil. Son chancelier Saint Ollën était là : sans
rien brusquer, sans prévenir le Roi par une insistance qui .
n'aurait fait qu'exaspérer son ressentiment, on obtint beau­
coup: un délai, puis un ultimatum signifié par un envoyé,
homme à savoir ménager une paix honorable pour les deux
parties en empêchant la guerre de devenir inévitable .

Laissons à notre bon Le Baud, dans son Histoire de
Bretagne (p, 86), le soin d'enregistl'er le résultat du conseil,
~vec la saveur particulière de son style: « Pour celle léga­
« tian par:lairefut eslu Eligius Evesque de Noyon, pour
« ce qu'il fut regardé qu'il estait homme féal: lequel
f( Eligius qui puis \fut ennumbré au Cathalogue des Saincts
« et appelé Sainct Eloy . . )
Le Baud va trop vite quand il fait un évêque de Noyon du
chef de la léO'ation venue trouver saint Judicaël: il n'était
que laïque, un laïque d'ayenir, il est vrai, mais qui ne devait,
que longtemps après, être appelé à porter la mitre et la
crosse.
Tous les historiens, y compris ceux dont les « Preuves de
l'Histoire de Bretagne» donnent les extraits' et citations;
dom Lobineau dans la Vie des Saints (p, 146) ; dans sa
grande H/stoire; Albert Le Grand, André Duval {dans les
Fleurs des Saints de Ribadaneira, et tant d'autres, donnent
la même appréciation sur les qualités du négociateur: on ne
pouvait mieux choisir.
Saint Eloi se prit si bien avec Judicaël, il apporta tant de
tact. à concilier les exigences du Roi, son maître, avec les
nécessités d'un accomodement si désirable, qu'il persuada
au pl'ince breton de le suivre à Clichy ou Croïll (?), p'our
arrêter, par cette démarche, le ressentiment de Dagobert. Ils
firent route ensemble, à grandes journées, avec une suite si
nombreuse et si importante que saint Ouen, l'historien de
saint Eloi: son ami, allait jusqu'à la comparer à une armée.
La paix menacée fut consolidée et notre Judicaël en béné­
fic 'a à plusieurs titres, en y trouvant et gagnal?t deux amitiés
fidèles et précieuses, et sur terre et au ciel; l'amitié affec­
tueuse et dévouée de saint Eloi et de saint Ouën. Notre pays
ne faillit pas à la reconnaissance qu'il devait à ces deux pieux
diplomates: tout en affirmant les devoirs de leur loyalzsme
(lealdet, loyalty), ils avaient évité d'outrager ce que Q.os pères
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXII. ( émoires). 7.

pri~aient , par dessus tout: notre su~ceptib,ilité bretonne et le
souci de notre honneur. Aussi, comme un écho lointain dont
on ne perçoit 'pas toujours et la portée et le point de. départ,
le souvenir de ces deux saints èst resté profondément gravé '
dans le culte populaire, comme celui de bienfaiteurs de notre
nationalité.
parti de son royaume en roi et fut reçu en roi. Il
Judicaël
entendait bien être traité ainsi., (( more regio ». Au reste, on
're relève pas la moindre trace de vassalité supportée ou
reconnue par lui dans les lignes que saint Ouën a écrites
pour rapporter les négociations avec leurs incidents.(Ea: vita
Sante Eligii ab Audoeno scriptâ, c. XI/l, t. 5, Spicileg.)
(( Eloi prié par Dagobert d'aller en ambassade ' dans le
(1 pays de Bretagne, in partibus Britanniœ, vint
trouver le prince des Bretons; lui déclara les causes du
traité qu'il venait lui proposer, reçut un otage de la paix, et
dans le temps que quelques~uns s'imaginaient qu'il y avait
entre eux de grands démêlés et qu'ils se déclaraient mutuel­
lement la guerre, il gagna ce prince avec tant d'honnêtetés,
ménagements et de douceur: qu'il n'eut pas de peine à

lui persuader de venir avec lui. Cet ambassadeur après avoir
passé quelque temps en ce même lieu, il ' commoratus
ibidem aliquandiu » retourne en France, amène avec lui
grande armée, de ses parents: le présente
le Roi, suivi d'une
à Dagobert, à Croïll (d'autres disent Clichy), château du
Roi de France, et ils confirment entre eux l'alliance et la
paIx. »
On retrouve dans cette pièce l'exactitude et la concision
d'un procès-verbal auquel on peut ajouter foi.
Un fait incontestable nous semble acquis aux débats :

Saint Eloi a foulé la terre de Bretagne; il a respiré le même
air que nos 'pères, il a reçu et apprécié leur hospitalité et il

a pu constater ce que valait notre nation. Le propre diocé-
sain de Léon, qui ne fait pas mention du Roi Judicaël, ins-

crit au 25 juin la « F~te de la translation de saint Éloi,
« éD~qL~e et confesseur » , du rit semi-double. Des trois
leç0ns historiques, les deux 'premières relatent la vie du
grand pontife, depuis son apprentissage comme orfèvré, la
confiance de Clothaire qui lui est continuée pal"Dagobert
avec un caractère d'attachement encore ' plus grand; sa
bienfaisance et son énergie contre les Simoniaques et la
ce ' cancer honteux aux flancs de la France ét de
Simonie,
l'Église, développé si pl'ofondément depuis le temps de ,
Brunehaud. Evêque de Noyon, il le' devint en même temps
de Tournai; sa juridiction de légat du Saint-Siège s'étend
sur le nord, sur la Frise et sur les Flandres païennes, au-
jourd'hui si catholiques. La troisième leçon de la légende
raconte plus spécialement la translatîon proprement dite des
reliques du saint; mais, particularité surprenante, pas

une allusion n'est faite au voyage de saint Eloi en Bretagne!
Les réviseurs du propre de Léon, dira-t-on, avaient cédé à
un chauvinisme étroit en ne voulant pas enregistrer un~ J
humiliation de notre pays; ou bien ils n'ont pas 'admis cet

épisode par certains scrupules exagérés de critique: pou-
vaient-ils être plus exigeants que ces savants bénédictins de
l'Histoire de ' notre province qui ne passent pas générale­
ment pour les plus crédules de leur siècle? ' ou bien, ils
se sont contentés d'insérer à leur bréviaire les leçons toutes
laites à propos d'un autre diocèse sans attacher d'impor-
tance au détail de la légation de,saint Eloi en Armorique .
Cette dernière hypothèse n'est pas à repousser a priori:
toutefois, ce n'est · pas le Bréviaire Parisien , de Mgr de
Vintimille qui les aurait induit en ce silence; car, à la date
du 1 déeembre, il dit 'en toutes lettres :

« Egidius .... non minus accpptus Dagoberto quam Chlo-
( tario patri, et ab i'lo ad aremicorum regem, pacis com­
( ponendœ missus, reges ambos.felici fcedere sociavit. » -
« Egidius non moins bien venu de Dagobert que de Clo-

" t.a.lre~ son père, fut en voyé par ce premier ver~ le roi des .
!< Armoricains pour arranger la paix, ,et il réussit heureu-
« . sementdans sa négociation, en les unissant par un traité
« d' alliance ». ' . .
Les événements ainsi présentés n'avaient rien qui put en
-faire négliger une · mention dans l'office d'un diocèse Bas-
Bl'eton, et la question re'ste posée. .
En tout cas, le voyage diplomatique du saint fut de peu
·de durée: le temps pressait et il faillait aller droit au but:
il ne faisait pas une excursion de touri~te, mais bien un
voyage d'affaires qui ne pouvaient que lui laisser peu do
loisirs, malgré le texte de saint Ouën « Commora{us ibidem
« aliqurzndiu »). Un quartier de Basse-Cornouaille, près de
Qui~per, conserve dans ses traditions locales le souvenir
d'une visite que le saint fit aux bords de l'Odet, dans cette
vallée ravinée du Stang-Alla dont les beaux sites sont repro­
duits, chaque année, à une moyenne de trois exemplaÏI'es, par
les meilleurs paysagistes et exposants du Salon de peinture.
Cette '"aIlée se prolonge du pont Saint-Denis, en Ker­
feunteun, au pont Arc'huen, séparation d' Ergué-Gabéric et
du canton de Briec.
Le fait pourra surprendre, mais nous nous croyons en
droit de le maintenir, le vocable Stang-Alla semble inusité
dans le pays, pour toute désigner cette région. On-l'appelle
p.arfois Stang-O ::let, quoique ce soit beaucoup généraliser,
étant donné l'importance relative de cette partie dans l'en­
s.emble : Stang-Alar étant la partie supérieure de la vallée,
et le bas recevant le nom de Stang -Odet. Les deux plus
beaux points et les plus attachants des bords de l'Odet sont
en Kerfeunteun, Tréouzon (trêve de Cuzon), du côté d'Er­
gl,lé : .'v1eil-Poull et $tang-Alar ou Stang · sant-Alar.
Il me semble que cette donnée de tradition vaut bien une
e~plicatiol1 ingénieuse empruntée à la philologie,malgré tout
l~ respect qui luj est dû:. . .

Au nord du beau village de Créac'hergué~ dépendant jadis
du seigneur Evêque, sur la rive, au bas d'une colline très
esc~rpée, se trouve une fontaine abondante ayant pour déver­
soir un doué entouré d'épines noires. A quelques pas de là,
on vovait il ~r a nombre d'années une piene de la grandeur
et de la forme d'une table d'autel, d'un grain très fin et por-
tant au centl'e l'empreinte d'une cl'oix de la dimension de la
main; cette pierre: nous dit-on, pourrait êtl'e retrouvée, elle
porte des caractères gravés de forme carrée.
Une enceinte de pierres droites, que le chanoine Abgrall a
sans y attacher d'intérêt scientifique, fertile en lucefs ou
myrtils, faire croire à la 'Ç'énérable octogénaire que j'inter­
rogeais que là, peut-êt.re, il y a eu une grande ville avant le
(Je lui laissai, pour compte, cette supposition très
déluge.
personnelle. ) Dans ce quartier, on insiste pour affirmer
l'existence d'une ville disparue; d'anciens disent même que
l'emplacement actuel de la chapelle du Creisker marquait
le centre de la cité, et que son périmètre atteignait la rive
de l'Odet; c'est-à-dire Kermadoret et Stang-San Alar. Sur
la crête d'une colline, plus à l'ouest, on montre la Roch des
Chouans.
. L'ensemble du site est suggestif, saisissant par son silence
et le mystère dont il est imprégné: on sent sous ses pieds
un sol à légendes, comme il y a des terres à froment et à
sarras1l1.
Pour rcyenir à la fontaine, nous passons près d'un arbre
creux où se tl'ouve une statue de s~int Eloi que des mains
pieuses y ont placée. Le grand serviteur de Dieu en a goûté
l'onde fraîche et pure, ct « ad perpetuam rei memoriam » sa
bénédiction y a créé un prodige que l'on a constaté, au
moins une fois.
C'était au fOI,t de la moisson, le soleil dardait ses rayons;
la sueur perlait au front des batteurs aux fléaux, et la soif
se faisait sentir intense au gosier des travailleurs. Ils

n'étaient pas qu'à moitié de mauvaise humeur, lorsqtl'entrés
dans la ferme ils eurent à vérifier que la cruche plac.ée Sur
la fenêtre était aussi vide, aussi sèche que Mançanarès ' aux
premières chaleurs de l'été. La servante en entendit de
toutes les couleurs: jurons, quohl":>ets et propos dés~gréables
à l'adresse de la fille oublieuse. La pauvre créature prend
son pot de grè's et descend à la fontaine de saint Alar; eIte
y arrive et plonge avec empressement le vase daris. l'eau
vive çle la source, . et s'en retourna à Créac'hergué, ,sans
perdre de temps, hors d'haleine. Les assoiffés goùtent au
breuvage et s'aperçoivent que le contl::)nu de la cruche était
u..n beau et gentil petit vin se laissant boire fort volontiers. Pas
une hésitation: voilà toute la maisonnée de se saisir de fous
les vases et ustensiles disponibles, y compris pipes etbarils, .'
et de dégringoler la montagne pour se rendl'e à la fontaine .
Leur déception fut 1lmère: ils n'y trouvèrent qu'une eau
claire, courante, susurant en un refrain moqueu.r. .
A mi lecteur, je vais vous dire tout le secret. Le miracle de
Cana se renouvelait chaque année à la fontaine de saint Eloi,
mais seulement une heure, par an : cette heure changeait
annuellement, et, comme l'heure de la mort, nnl ne pouvait
la connaître à coup sùr. Puis, comme il y a 3G5 jours dans
1'an et vingt-quatre heures dans le jour, il était difficile d'ae-
river à point nommé. La servante . de Créac'hergué joua de
chance: elle était tombée juste sur l'heure: « Couezet var an
heur", tandis que lorsque survinrent les autres du village
ï' l'heure était passée !.
Une fois traversée ,la rive de Slang sant Alar, on arrive
à Kermadoret, paroisse de Landudal, à une garenne assez
élevée, de niveau, pour ainsi dire, avec le versant qu ; lui fait
face de l'autre côté de l'Odet. Là se trouve une pierre de

l 60 de longueur et de O 75 de largeur. Sur le bord, on voit
parfaitement l'empreinte d'un pied dont le talon serait très
enfoncé, tandis que la partie antérieure, beaucoup plus

large, est facile à relever, Ce pied, le pied droit, a p,rès de
om31 de longueur, Là, autrefois du pays de Briec, Edern,
90uézec, et de bien plus loin, on venait {aire les trois
Lundis: on voyait venir dans le silence le plus pieux et la
componction la plus grande, des chrétiens qui s'y rendaient
trois semaines consécutives, au jour du lundi, pour y exposer
leurs besoins à saint Éloi, dont cette piel're consacrait le
souvemr . .
Quand il fit le voyage relaté dans la légende que je
je viens de narrer, il se trouva, paraît-il, assez embarrassé
pour passer le cours d'eau qui coulait à torrent à une époque
de crue extraordinaire, ri1ugissant et roulant ses galets avec
un tumulte peu rassurant. Il n'y avait pas de pont, ' mais le
saint avait, pour grande ressource, sa confiance en Dieu:
sans l'ombre d'uue hésitation, il prend son élan, et nar- .
g'uant, dit-on même, cet Odet tapageur et rageur (frouden­
nus), son pied atterrit , sur l'autre rive, laissant sa marque
dans la pierre du champ de Kermadoret, comme le ferait le
saut d'un homme sur une terre molle ou sur le sable humide.
Et voilà un vestige, au moins, du voyage de saint Eloi en

Basse-Bretagne, et gravé sur la -pierre, que la tradition
populaire présente aux chercheurs de légendes .

Chez le peuple breton, la dévotion au grand Evêque de
Noyon se retrouve d'une façon fort appréciable. Il ne se
doute plus de rien au sujet de l'ambassade du conseiller du
Roi Dagobert, mais il est fidèle à ' son culte comme spécia­
comme patron attitré, chez nous., de ]a race chevaline.
liste,
Quand cette dévotion, qui certainement a eu un commen­
cement comme toute chose ici-bas, ,a-t-elle germé avec tant
de force sur notre terre de Basse-Bretagne?
A quelle époque voit-on, chez nous, les premiers spéci-

mens iconographiques de l'Evêque-Forgeron avec insignes:
l'enelume, le marteau, le rel' à cheval, ou le coursier piaffant
et couvert d'écume?

Pour éviter t'Oute contestation où notre science pourrait être

. . prise' en défaut, et pour attendre la 2 partie de cette Etude,
conten tons-nous prudemment de rapporter ce que nous avons
vu dn culte de saint Eloi, protecteur des maréchaux-ferrants,
éleveurs, maquignons et t.outes autres gens qu'occupent le
soin et l'élevage du cheval. A ce point de vue, Je culte de

saint Eloi est particulièrement localisé.

Dans la majestueuse simplicité de ses bénédictions et
oraisons, le Rituel Romain a prévu et prévenu toutes les
nécessités et besoins où la communauté chrétienne se ren­
contre chaque jour d'avoir recours allx prières e~ aux béné­
dictions du Ciel.
Voici la formule qu'elle met sur les lèvres du prêtre appelé
à bénir les bœufs, les chevaux et tous les animaux qui cons-
tituent la richesse du laboureur : .
«( Benedietionem tuam, Domine, hœc animalia accipiant
« quâ, corpore .salventur, et ab omni malo, per interce-ssio­
« nem Beati'Antonii liberentur, per Christum Dom. nostr. »
En Bretagne, on confie la garde et protection des écuries
et étables à saint Eloi ; à saint I-lerbot ou saint Cornély, tout
en réservant une certaine juridiction à saint Antoine .
Dans l'ancien diocèse de Léon, le 25 juin éta it consacré
à célébrer la mémoire de saint Eloi,mais la fête était devancée
de quelques heures et participait d'une sorte de concom-

mitlance avec la fête de saint Jean-Baptiste (24 jui'n). Il est
vrai que le suffrage populaire, en se prononçant, tout en
gagnant par la force de la coutume, ne prétendait déranger
en rien les lois, du cycle liturgique.
En tout cas, il est à constater que c'est dans les chapelles
dédiées au précurseur de Notre-Seigneur, et au jour qui lui
est consacré, là où le culte de saint Eloi est connu, que les

pieux fidèles viennent honorer sa mémoire etlui adresser leurs
prières. Dès quatre ou cinq heu'res du matin, commence,

autour du sanctuaire vénéré, le long défilé des chevaux,
juments et poulqins. En Bas-Léon, aux abords de la cha-;­
pell"e, coule, généralement., un ruisseau; sur ce cours d'eau
vive, le cheval présenté au saint reçoit en passant le dimi­
nutif de Hubicon, SUl' la crinièl'e et sur la croupe le contenu
d'une écuelle d'eau puisée dans le ruisseau, aspersion qui

doit préserveF le noble animal de bien des affections et mi­
sères aiTérentes à sa l'ace (1). L'offrande, en retour, est d'un
sou, que le fabl'icien en charge encaisse au profit du saint,
sans préjlldice de toute a lIt l' e offrande plusimportante d'après
la dévotion ou le vœu du donateur.
Si l'offrande est faite en nature, elle consiste en paquet de
crin: .« eur bouchad reûn ». Ces offrandes., il me souvielit,
étaient si répétées qu'on les vendait à l'encan trois et quatre
fois l'an; les gens compétents achetaient ce crin de cheval
bon prix pour en confectionner des lignes de pêche fort
estimées pour la matière et la finesse du travail (2). .
Au sujet du défilé de la fête de saint Eloi, on peut relever
un détail: la procession « des chrétiens» parlant de l'église
pOUl' en faire le tour suit à l'extérieur le côté de l'Evangile
et retourne par le côté de l'épître; pour les chevaux, lïtiné­
rai·re contraire est suivi et pratiqué (3).
Dans les transactions, saint Eloi est invoqué entre ven­
deurs et acheteurs: bons et loyaux marchands; car, somme
toute, le bon saint peut faire faire aux deux parties une
bonne affaire sans donner d'accroc au précepte du Sinaï, si
précis et si terrible dans sa concision: « Non furaberl8 ! »
Nous aimons à nous figurer, sous la Ligue, le bl'ave
Jérôme d'Aradon, sieur de Quinipily, quittant Hennebont,
SOll gouvernement, allant pour le service des tl'Oupes de la

(1) Plouarzel, Lampaul-Ploudalmézeau, Ploudaniel; etc.
('~) Saint-Pabu.
(:3) Rosporden, Kerdévot, Le Drennec, en Clohars-Fouesnant, etc.

Sainle-U [lion faire la remonte des bidets dans le pays d2
Saint-Uenan et de Lannilis; peut-être se recommandait-il
lui aussi: comme les autres manants, au grand saint Elo,i
pOUl' tl'ollver bonne marchandise et honnêtes marchands? ,
En ce cas, s'il n'était pas le premier à le faire, il n'aura
pas été le dernier.

ANTOINE FAVE .