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III.
NOTES
AVANT 1.789
« Dans la Bretagne, l'habitation des laboureurs est à peu
près partout la même; presque toujours elle est située dans
un fond, près d'un courtil. Un appenti couvert de chaume
les charrues et les instruments de labourage; une
conserve
aire découverte sert â battre les grains. On n'y voit point de
O'1'anO'es, les blés battus se déposent dans les greniers de la
maison principale, ou se conservent en mulon. Autour des
bâtiments, règnent dés vergers enchanteurs, des champs et
des prairies toujours entourés de fossés couverts de chênes
ou de frênes, d'épines blanches, de ronces ou de genêts; on
ne voit point dans le reste du monde de paysages plus riants,
plus pittoresques. Tous les fossés sont tapissés de violettes,
de perce-neiges, de roses, de jacinthes sauvages, de mille
Heurs des couleurs les plus riches .... )) C'est en ces termes
1794-95, Cambry décrivait l'aspect extérieur de nos
qu'en
fermes de Basse-Bretagne ('1).
Bien longtemps avant Cambry, cet aspect d'ensemble était
le même, et disons que, depuis, il a relati vemen t peu changé.
Nous ne pouvons nous figurer les alentours de nos fermes
que couverts d'arbres séculaires.
cornouaillaises d'autrefois
Le déboisement à outrance à juste tHre inquiète nos législa
mais il n'en était pas ainsi avant 1789, quoique Cambry
teurs;
taxe, quelque part, d'insouciance coupable, à ce sujet, -les
administrateurs de l'ancien régime. Il nous semble, toutefois,
que la Maîtrise des Eaux et Forêts de Carhaix prenait soin
d'appliquer strictement les ordonnances sur la matière et
(1) V y:1ge dans te Finistère. Edit. de Fréminville, p. 3~.
BULLETIN ARCIIÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXII. (Mémoires). 3.
tenait Ja main à l'exécution des édits de '1669 et de 1700,
comme nous l'indique une déclaration du 12 juin que nous
avons sous les yeux et qui nous initie à la pratique suivie
ordinairement pour la coupe , des bois:
« Extrait des déclarations des Eaux, Bois et Forêts de la M:.lÎtrise
de Cornouaille, Léon et Tréguier, établie à Carhaix.
« Dn douzième juill mil sept cent quarante-cinq, a comparu
M' Charles Petijan, p' de Marie Guenno, demeurante au lien dn
Melenec, paroisse d'Ergué-Gabéric, lequel a déclnré qlle la ditte le '
Guenno désire faire exploiter tous les bois chêne, hêtr(', chateigner,
ormeau et frène qui luy appartenait situés SUl' ses droits aud. lieu
du Melenec, éloignés de Quimper prochain port d'une lieue, lesquels
sont vieux bois sur leur retour et non [lropres a construction ny
radoub des vaissaux de Sa Majesté: Pour quoy et pour en avoir
l'exploitation dans le temps de l'ordonnance de 1669 et édit de 1700,
il fait la présente soumission dont il a requis acte et a signé ainsy.
Signé: Petijan, procureur.
« Delaquclle déclaration et soumission a été rapporté acte par
le sous signé greffier a valloir et servir comme il appartiendra, luy \
déclarant que la présente ne vaudra que pour un an seulement,
suivant lintention du conseil lesdits jour et an que devant.
( Signé: Royon, greffier. »
Reçu douze sols, timbre et dixième compris. Droit. du procureur,
vingt sols. Total 1 1. 12 s.
Même en juin 1790, la Maîtrise n'avait encore rien aban
donné de ses règlements comme on le voit par l'extrait ci-
dessous du greffe: .
( Extrait des registres du gr"effe du siège royal de la Malterize
établye à Carhaix.
« Du cinq juin mil sept cent quatre vingt-dix, de la part de
Hervé Lizien, ménager, demeurant au village du Mélénec, paroisse
fHire abbatre le nombre
d'Ergué-Gabéric, a été déclaré qu'il désire
de cinquante pieds d'arbres essence de différents bois, lui apparte-
nant sur ses droits audit village du Mélénec, distant de Quimper de
trois-quarts de lieue. Dont acte.
le dit Hervé Lizien se conformera aux art. 5 et 7
( Parce que
de l'arret du Conseii du 21 septembre 170Q et à celuy du 1" mars ,
1757, portant que les particuliers ne pouront couper leur bois que
après en avoir fait leur déclaration au greffe de la maîterize
six mois
r(:yallo ùes lie.ux pOlll'veu que Ic~ dits hoi~ SOVCllt de l'ngt' tle cent
vIIIgt an~, fixe pnr l'ordonnance dn mois tl;':lOut lG69, et en sy
cOllform:lllt dans ln coupe et exploÎtntion, rt ne v:ll1dcra ln prcsé)nle
qUJ l)Our un an du jour de ,a date, snivnnt la décision du conseil. Il
Assez près de l'habilalion, nous I.rouyons des landes fleuries
sen"aient de domicile à des bandes
et des genêts dorés. Ils
prolifiques de lapins qui yenaient prendre leurs ébats Jusqu a
la porte de la ferme: aussi les vieillards se rappellent-ils avec
regret ce temps de leur enfance où on n'avait qu'à sortir de
la maison eL aller jusqu'au prochain bouquet de genêt pour y
cueillir un lapin à coup de fusil ou à la main, tout aussi aisé
que l'on entre dans une basse-cour pour y tordre le cou
ment
à un poulet.
Volontiers, on taxerait d'exagération les vieillards que nous
avons entendus, qui ont vu et entendu, eux aussi, les témoins
âge. Il y a quelque soixante ans, à Kel'voréden,
d'un autre
en Ergué-Gabéric, deux ex-jouvenceaux, aujourd'hui très
de garde au logis, le jour du grand par
yieux, étaient restés
don de Kerdévot : sans quitter le quartier, par manière de
distraction et de compensation, ils se livraient pendant quel
ques instants au noble plaisir de la chasse, et quand retour
les autres du pardop, ils trouvaient six infortunés
nèrent
un chaudron sous forme d'un , ragoùt.
lapins mijotant dans
homérique.
Le lapin payait de sa vie les dégâts qu'il causait: ce ron
geur était un terrible fléau pour le pàysan, et, somme tou te,
on ne se sent pas le cœur de condamner sans merci et impi
qui braconnait quand il le pouvait pour défendre
toyablement
sa propriété. Le · bl~aconnage était . parfois une nécessité,
comme la purge et la saignée.
Les droits de garennes avaient généralement disparu
au XIVe siècle. La chasse avait dégénéré en un im
mense braconnage. Cette situation avait appelé toutes les
sévérités de l'ordonnance du 13 août 1669, qui fait défense à
toute personne de chasser à feu et d'entrer de nuit à cet etIet
dans les bois et garennes à peine de 100 livres d'amende
( et de punition corporelle s'il échet D. Le règlement avait
comme principal inconvénient de ne pouvoir être appliqué à
tous les délinquants, et le nombre des braconniers leur assu
rait une sorte d'impunité. Du reste, comme le dit Dalloz, le
grand Dalloz, la police actuelle a gardé et l'esprit et la
lettre même de ces règlements plus faciles à appliquer,
aujourd'hui que l'on éclaircit les fourrés et que les landes ont
perdu la superficie que l'on a livrée à la culture. Aux environs
de Quimper, on voyait aussi, à proximité des maisons, beau
coup de chenevières « liors ar c.'hanab )), des courtils de
chanvre. Comme en Basse-Normandie, chaque maison, pauvre
ou riche, avait son clos à chenevière. » .
Dans un aveu de Hervé Lizien à écuyer Yvon de Kerforz, .
du 2 mars 163~, pour le village du Mélennec, je relève dans
la descripLion des terres octroyées et, plusieurs fois men
tionné de cette façon: tel parc de telle contenance « pouvant
« ensemencer deux combles et demi de graine de chanvre » :
(plus ou moins). Ajoutons que cet article répété explique
facilement les quantités de toile de chanvre que relèvent les
inventaires faits clans ce village du Mélennec sur chanvre, el
fil ou ouvré.
Le souvenir de ce t.extile, de cette précieuse urticée, a passé
jusque dans la poésie populaire du pays:
Quand les « Eginanerien )), quémandeurs d'étrennes, vien
nent frapper à une porte, faisant leur tournée de l'agutlaneuf,
un débat poétique commence entre eux et l'hôte de la maison .
Une des devinettes que posait ce dernier était celle-ci:
« Me m'eus eur wennig em liorz,
« Guellùc'h he rusken hag he c'horz, ») ('1)
(1) Ba1·zaz-Breiz •
vaut
arbre dant l'écorce
- J'ai dans mon courtil un petit
mieux que la tige.
La réponse se fait aussitôt:
( He ruslcen a ra lien gwenn,
« Hounez a so eur ganaben.» .
Son écorce fait du linge blanc, celui-là est un plant de .
chanvre.
les souhaits de bonne année que les mêmesétrenneurs, .
Dans
à leur départ, adressent à la maisonnée, il est fait mémoire
de la chenevière :
« Ebarz ho liorz kanab gaé
« Abenn ma teuio ar mis maé!
(t Mae e bleun, eoen e greunen,
«( Hag e gouere ar wastel werm "
_ Dans votre courtil du chanvre gai, lorsque viendra le
mois de mai! En mai la 'fleur, en juin le grain, et en juillet
la galette blanche!
Le chanvre est la matière de l'habillement et en particulier
du (,erlinge.
Inillac, entre Léon et Cornouaille, avait jadis la spécialité
de cette fabrication, du moins pour la partie d'au-delà le Pont
de Landerneau. Les tisserands recevaient du Léon de bonnes
et fortes commandes. Une fois confectionnée, la toile de
chanvre était vigoureusement graissé et imprégné de lard
le plus sou vent éventé, puis sau-
onctueux, probablement et
poudrée abondamment de laine de mouton que l'on tassait de
son mieux; le métier reprenait la toile en cet état et la rendait
après avoir fixé la laine: une deuxième, une troisième couche,
' Oll plus, de toison hachée menu venaient couvrir la première,
et on remettait sur le méLier. Le résultat de cette opération
éLait une étoffe de bure, fleurant le suint de mouton et le lard
rance, mais d'une solicli té et d'une imperméabilité à toute
epl'euve.
A cause de ce parfum sui generis, la cape ou la souque-
nille, que l'on confec.tionnait avec le berlinge n,euf était
à un des valets de la ferme et le maître ne la
abandonnée
reprenait qu'après un an de fatigue, y trouvant un habit
d'usage d'une valeur fort appréciée, et pour ainsi dire
inusable. .
Nous approchons de la maison : adossé à l'éJifice, un
jardinet se trouve: c'est le liorz, ou mieux le liorûe (Liorz :
courtil, en italien: corte).
Là se trouve la poësie et la botanique de la famille: l'ulile
la rose, la reine ir;c::mtestée des fleurs, l'églan-
et l'agréable:
tine, le souci, la menthe, la bourrache et la mauve (~rr.ol garo,
malo), la verveine, et peut-être en compagnie, les six
caol
plantes sacrées des druides.
On y tmuve le remède pour les moments de souffrance,
pour les jours de réjouissance. Les gars von t y
l'ornement
chercher le laurier ou la citronelle pour o,'ner leur chapeau,
la fille du lieu, si elle est coquette et aime la parure, y
trouvera même de quoi agrémenter son pot de lai t :
« Deut da gutuill eur garlantez
« Da lakaot war ho podad leaz (1)
Il faudrait relire, la plume à la main, le Barzaz-Breiz de
M. le vicomte de la Villemarqué et les pièces que nous devons
aux recherches de M. Luzel, pour y relever les indications
qui accusent le prix attaché chez nous à la culture soignée
du liorzic, et l'inspiration qu'apportait son souvenir au génie
cre la Bretagne.
poétique
Le « Home » a, là, son compliment. Un des apôtres et des
derniers bardes de la Cornouaille, dans son sublime cantique
du Paradis, le vénérable serviteur de Dieu, Julien Maunoir,
à cette conception du jardinet rustique du pays cor
l:ecourt
nouai lIais, pour imprimer, dans l'esprit des auditeurs, la
conception du Ciel,'séjbur des Saints.
(1) Cf. la Ballade populaire: fi Da Filleule de !Ju,qu;:sctin ".
Jésus leur dit:
« Evel grizio l'OZ g,,"enn,
« Pe lili pe spern guern.
« E kornig eul liorz
« E m'och e creiz va forz.
« Chui so em baradoz
« Eyel bokedou roz
« A zjyleun dar mare
« Hag a vleun adarre. »
A côté du jardinet, se trouvent placées utilement les ruches
des mouches à miel. .
Le miel de Bretagne avait une gl'ande réputation, réputa
tion même de propriétés curatives, qu'-il semble tendre à
le changement dans les espèces de
perdre aujourd'hui. Est-ce
blé-noir et sarrasin que l'on confie à la terre et qui fleurissent
moins longtemps que les anciennes? Il Y en a qui le disent,
et nous ne prétendons ni les contredire ni les appuyer de notre
incompétence.
Ce qui est certain, c'est que nos braves gens de pères savaient
appréciel' pertinemment la saveur d'un rayon de miel, et dans
les bonnes maisons au moins on avait de douze à vingt ruches
ou « mèrps cl'abeilles » • .
DaDS quelques testamen ts, on voit tel parrain laisser une
ruche à son filleul en héritage, ou tel maître prendre la même
disposition pour un ami ' ou un serviteur dévoué. D'après
beaucoup de documents, cette coutume s'étendrait à tout le
Nord-Ouest de la France.
Les cires de notre p8.ys faisaient, jusqu'à la Révol ution,
commerce actif avec le port de Morlaix qui les
. l'objet d'un
transportait particulièrement en Espagne, en Hollande et dans
les pays du Nord. Le cabotage se chargeait de les envoyer sur
les marchés cie Rouen et du Havre, de Nantes et cie Bordeaux ,
Le chanoine Moreau, ra l'pelant la pros.périté de ce Penmarc'h
qui pouvait, de son temps, fou·l'nir deux mille cinq cents
fa-ire une République~ part, tout
arquebusiers, et prétendait
comme Saint-Malo, témoigne qu'on y faisait un grand trafic
de miels et de cires avec les Pays-Bas et la Moscovie .
Les pièces d'un procès taxées à 82 livres, que nous possédons
nous racontent que le jour de la foire de Saint-Corentin 1782,
Hervé Lizien, du Mélennec, fit marché avec Queinnec, mar-
chand d'Irvillac, pour lui fournir dès le lendemain deux bar-
riques de miel. Pour des raisons contingentes et urgei1tes, la
commande ne fut pas ~xécutée à temps: QLleinnec demanda
des dommages et intérêts et .justifia ses conclusions par la
livraison importante de miel qu'il s'était engagé à fournir
de réaliser.
auportde Brestetqu'il était venu,à Quimper,tenter
Nous avançons dans·le « pourpris», ce vieux mot que
Frédéric Godefroid retrouve dès 1313 écrit « porprise », dans
]e sens d'enclos, enceinte, clôture. (-t)
Sur l'aire, nous pouvons rencon trer une partie de la mois
son mulonnée, non battue, bien que]a mauvaise saison soit
En octobre 1747, Marie Morel ayant fait faire un
arrivée.
inventaire général à Kcrnoter (Ergué-Gabéric), requiert qu'il
« d'abord procédé au mesurage du blé noir, attendu qu'il
soit
y a une « 1J'1rtie sur l'aire, venté et qui pourrait se gatter
«( par les plu!Jes )). Si l'on traitait ainsi le blé noir de nature
si délicate et si porté à une germination rapide, que ne devait
on risquer pour les autres espèces de grains? Je retrouve
des inventaires le même détail consigné au mois de mai
dans ,
pour le seigle et le « fromen t pilatte )).
Nous trouvons de plus amoncelés les « fremboys », trempes
et fumiers.
Au Mélennec, en Ergllé-Gabérie, bien que le détail de ces
éléments de fertilisation fournis par le village fut élevé, on
recourait à la ville de Quimper, du moins de 1773 à 1779,
(1) Dietion. de l'ancienne langue rréil1\~aise -- passim .
comme nous le relevons par les quittaqces d.e CnaumetLe,
Administrateur de l'Hôpital g-énéral, de la somme annuelle de
deux cents soixante et dix livres données à Hervé Lizien,
« puur prix de la ferme des boües de la mlle. »
Il y avait o'énéralement dans les fermes de quelqu'impor-
tance « un établi de charpentier» avec les 6u.tils les plus usuels
de ce métier ('1); et p~rfois une forge particulière, co'mme
nous l'avons vu par l'acte 'CIe démission de Jean Nil1ouarn,
cie Kel'gana ppé, en Plogonnec, qui fait condi tion de pouvoir
à la forge clu village, à sa convenance eL quand il
travailler
le voudra (2). . .
On peut en juger encore aujourd'hui par l'état extérieur
des édifices de celui qu'ils pouvaient autrefois présenter au
voyageur. En Briec, sur la route qui conduit de Quimper à
ce chef-lieu, on rencontre le village de Trégagné, compose cie
trois tenues et dépendances. L'aspect est le même qu'il ·pou
vait ofIrir au temps de Louis XIV.
On y trouve cours très spacieuses, jardins, maisons mana
les en pierres cie taille, aux portes surmontées d'un cadran
solaire, puits bien soignés, et à l'horizon fort beaux coteaux,
prairies et bosquets toufIUS eLle souvenir cle'1emps qui sont
On peut y relever bien des détails que nous
déjà bien loin.
avons oubliés.
Abbé Antoine FAVE .
(1) A "ec u ne certaine r6serve d'a r doises et de planches débitées pour les
répara tions u rgen tes. .
(2) Acte cie '1737. . .