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Bulletin SAF 1894


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Mémoire sur les clochers du Finistère

M. Bigot père

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XXIV.

MÉ OIRE SUR LES CLOCHERS DU FINISTÈRE
Ktlrait du Bulletin a1'chéologùpiJe de l'Association Br'etonne.
(Classe d'archéologie). Année 18:'58. (1)
Cette région de l'Armorique est bien la terre classique
des clochers. Ils n'ont point été oubliés dans le programme
de ce Congrès; la cinquième des questions qu'il nous pro­
pose est conçue en ces termes : « Décrire et dater les
clochers les pllJS remarquables du département du Fillistére,
en les classant d'après les différents types qu'ils présentent. ))
Permettez-moi, avant que j'essaie d'y répondre, quelques
réflexions générales sur cette intéressante dasse de monu-
ments; je les emprunterai au Dictionnaire raisonné de
l'Architecture française, par M. Violet-Leduc. Cet écrivain,
aussi éminent dans la pratique que dans la théorie de l'art
ancien, fait ObSeI\Ver avec beaucoup de raison que c'est dans
les clochers plus que ' dans tous autres édifices que se
reflètent le caractère, le goût et le génie distinctif des popu-
- lations qui les ont élevés. C'est ]e signe de la grandeur et
de la richesse de la cité: en même temps que l'expl~ession
(1) Cette étude si intéressante sur les clochers du Finistère présente bien
des lacunes, mais il faut se rendre compte de l'état de la BretagIte il y a
ép:::que à laquelle M. J. Bigot commença ce
une cinquantaine d'années,
travail.
Peu de routes et quels chemins ! Lâ photographie était inconnue, il
fallait tout relever et dessiner ensuite. Aussi ne sera-t-on pas surpris
qu'un gl'and nombre de ces monuments aient été omis.
Cependant M. Bi\!'Ot travaillait toujours à enrichir son œuvre et il laisse
les églises et
deux énormes volumes in-folio contenant presque toutes
chapelles du Finistère, plans, coupes, élévations, et des détails sur leur
ornementation.
Le Secrétaire, A. SERRET.

de sa civilisation religieuse et civile. Leur importance est
toujours en rapport avec le développement de l'esprit muni-
cipal. Au XIIe siècle spéc~alement, à cette époque où chaque
ville jouissait dans son enceinte des franchises octroyées
saboul'geoisie, le clocher était le véritable monument na-
tional. .
Plus loin, le même auteur, appréciant les clochers au
leur exécution, s'exprime
point ' de vue des difficultés de
ainsi: « On est souvent surpris, lorsqu'on a élevé un clo­
« cher, de n'avoir produit qu'un assemblage disgracieux,
« incohérent, donnant des silhouettes malheureuses. Toute
« partie d'architecture qui se découpe immédiatement sur
« le ciel, demande des calculs, et plus encore un sentiment
« exquis de la forme; car rien n'est indifIérent dans une
« pal'eille s:tuation. Le moindre détail prend des proportions
« autres que celles obtenues sur le papier ou sur l'épure, et
« il faut une longue expérience, une longue habitude pra­
cc tique des effets pour préjuger de l'aspect perspectif d'une
« combinaison géométrale. })
Cette idée que nous exprimions il y a un instant SUl' la
valeur significative des clochers n'est pas én contradiction
avec le sentiment qui portait saint Bernard à en interdire
la construction dans les églises de son Ordre, d'où l'emploi
des sculptures était également banni. En les retranchant
comme des édifices fastueux, plus propres à entretenir l'or­
gueil des cités ou des monastères qu'à recevoir les cloches,
il entendait surtout rappeler à ses disciples l'humilité et le
~:Iais ces conseils de l'austérité
renoncement au monde.
monastique, refoulant les instincts mêmes les plus légitimes
de notre nature, ne devaient pas être la règle commune
Pl'oposée par l'Eglise à l'ensemble des fidèles; aussi, par
tout le monde chrétien, les clochers ont continué de signaler
au loin des édifices religieux dont ils sont la plus noble
. décoration.

C'est dans la Basse-Bretagne qu'on peuf surtout contem­
pler les conceptions belles quelquefois, et toujours ingé­
nieuses et originales, que ce sujet a fourni à nos architectes.
Les clochers du Finistère spécialement en sont la principale
richesse artistique. On en rencontre de gracieux dans toutes
nos églises, dans toutes les chapelles de nos campagnes.
Leur~ formes varient à l'infini, et leur élévation, qui s'étage .
dans un ensemble plein d'harmonie, vient ajouter, dans le
point de vue, à la physionomie pittoresque des sites acci­
dentés du pays. Le tact sùr avec ,lequel nos anciens savaient
dresser ces clochers prête souvent les plus heureux elIets à
de très-petites pyramides. Pour en offrir un exemple, nous
citerons cette chapelle voisine de notre ville que l'on nomme
la Mère-de-Dieu. Quel amateur éclairé de l'art a omis d'es­
quisser ou de noter sur ses tablettes son petit clocher qui
couronne si gracieusement l'un des côtés du porche méri-
dional ?
Que si nous parcourons d'autres contl'ées, d'autres pro­
vinces,nous 'admirerons,dans les cités ou dans les villes,'des
tours remarquables par leui' arehitecture et leurs dimensions:
mais rarement elles sont terminées par les flèches qui de­
vraient compléter leur élévation. Les cathédrales de Paris,
- Amiens, Houen, Bourges, Nantes, Lyon, Heims, Toul,
Orléans et tant d'antres . monuments religieux, attendent

encore les leurs, Quant aux églises rurales, dans la plupart
des mêmes régions, elles n'ont pour clocher qu'une pyra­
mide en simple charpente.
D'où vient que dans notre pays la décoration des construc­
tions religieuses s'est portée de préférence vers les chochers?
c'est que la paroisse dont le clocher est le sym~ole, est
restée pour le Breton l'expressioll de la société civile et
religieuse où la divine Providence a marqué sa place; c'est
que les sentiments qui l'attachent à la famille, au foyer, à
ses amis, trouvent leur satisfaction dans l'élégance et l'élé-

vation de la flèche ou du dôme de l'église où },ous ces liens
viennent aboutir. Cette flèche, que surmonte le ' signe sacré
de la Rédemption, est dans son élancement l'image des as­
pirations de l'âme vers le ciel, et, dans, sa destination, un

appel à tous les sentiments qui émeuvent le plus profondé-
ment les cœurs. Lorsqu'elle frémit sous la \wlée des cloohes~
. le son du métal argentin qui lui annonce l'heure de la prière
ne lui fait-il pas entendre cette même voix qui résonna en
bruits d'allégresse quand le prêtre bénissait son hymen ou
lorsque ses enfants reçurent le baptême, et dont les tinte­
ments lugubres marquèrent les derniers devoirs rendus à sa
famille? Enfin, n'est-ce pas le sommet du clocher qui appa­
rait de plus loin au marin fatigué par la tourmente de la
mer lorsqu'il revient au foyer? Le Breton aime donc son
clocher, parce qu'il aime sa paroisse, parce qu'elle résume

pour lui le monde tout entier. Aussi ce clocher ne saurait
être ni trop élégant, ni trop élancé. C'est sans doute à ce sen­
timent inné parmi toutes les populations bretonnes que nous
sommes redevables de l'inspiration qui a donné naissance à
tant de clochers, dont plusieurs peuvent passer comme des
chefs-d'œuvre, et à la structure desquels le granit se prête
si heureusement.

Ces clochers, pour le département du Finistère dont nous
ne cherchons pas à franchie les limites, rentrent dans . deux

classes bien distinctes, la première comprend ceux dont les
cloches dissimulées par l'enceinte de la tour, reposent sur
ces appareils de montants et de traverses que l'on est con-
. venu de nommer des beffeois. La seconde .embrasse ceux
dont les cloches, suspendu'es en plein air sur des erapau­
dines reposant sur des corbelets de pierre, n'ont pour abri
que la flèchè ou le dôme qui termine l'élévation de l'édifice .
. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que les premiers sont
les plus importants. Dans cette catégorie, nous citerons les
clochers de la ville de Saint-Pol, en commenç~ant par celui

de Notre-Dame de Kreisker, ceux de la ville de Quimper,
ceux de Pont-Croix, Saint-Herbot, Carhaix, Le Folgoët,
ploaré, Saint-Ugen, Goulven, Landivisiau, Bodilis, Pleyben,
Saint-Thégonnec, Saint-Jean-du-Doigt, Sizun, Lampaul­
Guimiliau, Lampaul-Ploudalmézau, Plouguer; ceux de la
ville de Morlaix, de Plounéour-1Vlénez, Commana, Lanhouar­
neau, Locronan, Lesneven, Beuzec-Cap-Sizun, La Martyre,

Penmarc'h, Rosporden, Sainte-Croix et Saint-Michel de
Quimperlé.
deuxième catégorie appartiennent, avec ceux de plu­
A la
sieurs de nos villes et de presque toutes nos paroIsses de cam­
pagne, les clochers plus nombreux' encore des petites cha­
y sont disséminées. Je me bornerai à en mention­
pelles qui
un certain nombre, en suivant l'ordre ùe leur impor-
ner ici
tance relative: telles sont ceux de La Roche, Saint-Houar-
don et Saint-Thomas de Landerneau, Le Faou, Gouesnou,
Plouvorn, Ploudalmézeau, Le Conquet, Lannilis, Plou­
guerneau, ,Plogonnec, Ploudiry, Plounéventel', Dirinon
Elliant, Rumengol, Saint-Hernin, Edern; ceux des cha­
pelles de Nivers et de Lanviern, en Edern, Esquibien,
Plouvien, Melgven, Berrien, Ploudaniel, Plouyé, GUIssény,
Plouhinec, Saint-Yvi; Briec, Laforest, Saint-Anne de Foues-
-nant, Confort, Poet-Launay, Pluguffan, Brasparts, Tré-

gourez, Coray, Logonna, Pouldergat, Pouldreuzic, Plovan,
Saint-Renan, Audierne, Plomoguer, Plonévez-du-Faou, Le
Cloitre, . Plougastel-Daoulas, Landudec, Plounéour-Trez,
Plouescat, Kerfeunteun, Pencran, Saint-Evarzec, Dinéaul,
Telgruc: Saint-Nic, Scaër, Bannalec, Gouézec,
Lennon,
Cast, Riec, Lanriec, Le Ménéc'hom, Quéménéven, Loqueffret,
Plogoff, Saint-Jean-Trolimon, Beuzec-Conq, Spézet, Notre­
Dame de Châteaulin, etc.
Je m'arrête en faisant remarquer qu'on ne rencontre pas
dans tout ce vaste département plus de trois ou, quatre édi-

fices religieux, où, au lieu de s'élever en pierre, le clocher
ne présente qu'une construction en charpeate.
Je vais maintenant essayer de classer ces clochers pal'
époque en rappelant leurs dates 101;squ'elles se rencontrent
sur le monument, ou en y suppléant, lorsqu'elles manquent,
par les caractères de leur style architectonique. •
La période romane ne saurait nous arrêter longtemps. Le
Finistère lui doit plusieurs édifices d'un véritable intérêt,
tels que l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, Loctudy,
Fouesnant, Lanmeur et Locmaria près de Quimper; mais
toutes ces églises sont veuves de leurs anciens clochers, à
l'exception de celle de Locmaria, dont la tour n'est rien
moins qu'élégante. Elle s'élève de la partie centrale, sous la
forme d'une masse cubique, couronnée d'une haute toiture
à quatre pans. Ses deux faces qui n'ont point été remaniées,
subdivisées par une colonnette en arcades plus petites.
Si nous possédons des clochers du XIIIe siècle, ils sont en
bien petit nombre. Je ne connais que celui de Rosporden,
celui de La Martyre et ceux de la cathédrale de Saint-Pol­
de-Léon, auxquels on puisse assigner cette date.
Le siècle suivant a pu voir s'élever le magnifique clocher
de Kreisker dans cette dernière ville.
Le XVe siècle a donné naissance dans ses premières années
aux tours de la cathédrale de Quimper; vers le même temps,
nous rencontrons le clocher du Folgoët et celui de Pont­
Croix, et à la fin de cette période, ou au commencement de
la suivante, celui de Saint-Jean-du Doigt.
Au XVIe siècle, ces constructions se multiplient dans une
progression frappante. Le clocher de Saint-Hm'bot est de
l'année 1517 ; ceux de Carhaix, Plouguer, Penmarc'h, Saint­
Michel de Quimpedé, Locronan et Beuzec-Cap-Sizun
s'éloignent peu de la même date. Le clocher de Ploaré
porte celles de 1550 et 1555; le clocher de Saint-U gen, la

date de 157H, et sur le clocher principal de l'église de Pley-
ben, qui se termine par un' campanile en dôme, on lit les
dates de 1584 et 1591. L'inscription suivante existe sur le
clocher de Landivisiau: Le 1 i octobre fut cominencée ceste,
1590, et dans la partie Supél'ieure on lit: 1597.
Le clocher de Goulven porte pour date 1593, 1595. Je dois
attribuer aussi an milieu de ce siècle environ, les clôchers
d'Esquibien, Landudec, Confort, Kerfeunteun, La Mère de
Dieu dans cette dernière c()"mmune, ceux de Loqueffret, de
Brasparts, de Pencran, de Briec, de La Forest, en la com-
mune de Fouesnant, de Rumengol, Logonna, Plovan et

P'ogastel-Daoulas .
Tandis qu'au XVIIe siècle l'activité des constructions reli­
gieuses se ralentit partout, le zèle des Bretons pour les
clochers persévère dans toute son ardeur. Chaque paroisse
s'impose des sacrifices pour que son monument rivalise avec
ceux des paroisses voisines, chaque frairie où section de
paroisse pour que le clocher de sa chapelle ne reste pas au- '
dessous des types fournis par les chapelles enyironnantes .
. Sur le clocher de l'église du Faou, ilOUS lisons: Ceste
thovr este fondée le 9 mars 1628 GOVVERNEVR: JAN
GVEHi\lEVH. Le clocher de La Roche porte pour date 1639,
Celui de Kerlas, dans la paroisse de Plonévez-Porzay, 1630.
Celui de Lampaul-Ploudalmézeau, 1629. Celui de Plogonnec,
1559. Celui de Plonéour-Ménez, 1665. Celui de Sainte-Anne '
de Fouesnant, 1683. Celui de Plouyé, 1684. Celui de Ploaré,
1693. C'est à cette même période qu'il faut assigner égaIe-
ment les clochers de Commana, de Plouvorn, de Saint­
Houardon, de Landerneau, de Châteauneuf-du-Faou, de
Plonévez-du:-Faou, de Satnt-Renan, de Ploumoguel', de
Lanriec, de Saint-Evarzec: de Telgruc, de Saint-Nic et de
Saint-J ean-Trolimon.
Le même mouvement se continue p.endant tout le C0urs du
XVIIIe siècle. Ainsi, le clocher de Plozévet porte pour date

1i04, celui de Trégourez, 1709, celui de Pouldreuzic et de
Saint-Yvi 1724, celui de Sizun 1728 et 1735, celui de Berrien
17tH, celui de Gouesnou 1772 et celui de Cast 1785. Nous
pouvons également attribuer à cette période les clochers de
Cléden-Poher, Pouldergat, Le Cloître", Plounéour-Trez,
Riec, Plogoff, Beuzec-Conp, Quéménéven, et en particulier
regarder comme des ouvrages exécutés dans cette dernière

moitié de ce siècle les clochers de Notre-Dame de Ménéc'hom,
d'Edern et de Lanviern et Nivers, ses deux chapelles. Il en

est ainsi Je ceux d'Elliant, Ploudalmézeau, Lannilis, Plou-
guerneau, Spézet, Audierne, Gouézec, Notre-Dame de Châ­
teaulin et Ploumoguer .
.l'ai peut-être abusé de l'énumération en citant le nom de
tant de paroisses; mais je tenais à justifier par des données
précises ce que je venais d'avancer sur l'historique de nos
clochers. On aura remarqué que si le XIVe siècle nous a
fourni le plus -beau de ces monuments dans le magnifique
chocher de Notre-Dame de Kreisker, ce n'est qu'au siècle
suivant que l'~sprit d'imitation commence à multipIler les
constructions culminantes. Au XVIe siècle, cette tendance se
révèle par un nombre considérable de clochers. La même
activité règne pendant le XVIIe siècle, et si on la voit se ra­
lentir au XVIIIe, c'est que le zèle des entreprises avait fait le
tour du pays et marqué son empreinte sur toutes les églises
paroissiales et s'ur leurs plus petites chapelles rurales .
. Je ne m'attacherai point à retracer les formes générales
des clochers que j'ai rang'és dans la première classé et qui
s'élèvent en tour massive jusqu'à la pointe qui les couronne.
Ces formes se diversifient beaucoup. Il me suflira d'en décrire
quelques-uns. Mais je dois m'expliquer.en peu de mots sur
la structure moins variable des clochers de la seconde caté­
gorie, dont je n'alll'ai pas alitant d'occasion de parler. C'est
un système qui paraît propre à la Basse-Brelagne, qui em­
prunte quelque chose de la disposition de ce qu'on est con-

venu d'a ppeler dans les autres pays le clocher arcade, mais
.qui l'emporte beaucoup par l'importance, l'élévation et la
grâce que nos artistes ont Su donner à leurs monuments de
cette espèce.
Leur tour carrée, dans son plan, supporte d'abord un
entablement dont la corniche est cernée d'une galerie en
avant-corps, traitée dans le style de l'époque. Huit piliers, dis­
posés troIs par t.rois (1) s'élancent ensuitede cette plate-forme
en dessinant sur chaque face une double travée qui est découpée
latéralement, un p,eu au-dessus de la 'moitié de l'élévation,
par des linteaux re~evant les pivots des moutons des cloches.
Ces piliers ont presque toujours pour couronnemeilt tine
flèche octogonale dont la base a pour ornement, sur chaque
face, un fronton très-aigu percé dans son t)7mpan de jours
soit en lancettes, soit en 'lobes flamboyants. ' Cette flèche,
flanquée de pinacles aux quat.reangles, a 'ses arêtes garnies
de tores à crochets, et ses pans sont percés à jour.
Ce que nous venons de dire sur cette sort.e de ' Clocher , se
réfère à ceux de l'ancien diocèse de Cornouajlle. 'Dans ' le
pays de Léon ils présentent quelques différences. Elles con­
sistent d'abord en ce que les cintres, qui à l'ouest et à l'est
terminent, en manière d'arcades, les vides ou interst.ices des
- piliers des clochers de la Cornouaille, n'existent pas le plus
souvent dans ceux de Léon, dont les piliers portent direCte­
ment des linteaux servant de supports à l'entablement supé-
rieur; ces linteaux sont seulement soulagés par des cor-
beaux qui s'appuient sur des pilliers. Cette disposition plus
hardie, mais peut-être moins gracieuse, s'explique par la
nature résistante des granits 'que l'on rencontre dans les
carrières de cette partie du département.
Une autre différence conslEte e,n ce que, dans les mêmes
clochers, une baie oblongue remplace souvent les frontons
(1) L'épaisseUl' de ces piliers varie suivant les dimensions des clochers,
de 0 m. 35 c, de face, SUl' 0 m. 00 c. à 0 Ill. 75 c. environ de profondeur.

aigus qui décorent
la base des flèches de ceux de la Cor-
nouaille.
On a pu remarqner, dans la classification chronologique,
qu'un certain nombre de clochers de cette catégorie remonte
au milieu du XVIe siècle. Les résolutions survenues depuis
cette époque dans le style des monuments religieux y ont
laissé leur trace, mais ·par de simples détails d'ornemen-
tatioll. Cette disposition est tOU.iOUl~S celle qui domine.
Melgven, Ploudiry, Le Conquet, Saint-Hernin, Plouvien et
Port-Launay ont vu s'élever, depuis quelques années, plu­
sieUl's de ces mêmes clochees dans la manière des XVIIe et
XVIIIe siècles. Je dois m'abstenir d'en parler par les mêmes ·
motifs qui m'imposent le silence sur les flèches de la cathé­
drale de Quimper, dont les travaux se sont également ac­
complis sous ma dil'ection.
ArJ'êtons-nous maintenant devant quelques-uns de ces
monuments qui sont l'objet de cette étude. Je ne prétends
pas ici suivre l'ordre de leur importance relative, je me
laisse aller un peu au hasard de mes souvenis. Toutefois,
le elocher de Kreisker domine tous les autres par une supé-
riorité si frappante que nos premiers regards doivent se
porter vers ce chef-d'œuvre de l'architecture bretonne.
. La ville de Saint-Pol a été richement dotée en édifices
possède une belle cathédrale ornée du côté
religieux. Elle
de son portail d'entrée par deux flèches, dont l'aspect sévère
est en complète harmonie avec une simplicité de lignes qui
ne se révèle qu'aux hom,mes profondément initiés dans la
pratique de l'art, et qui produit encore plus d'effet à
l'intérieur qu'à l'extérieur. Les combinaisons dont il
cherche à pénétrer le secret, et dont il admire les ré-
sultats, sont un sujet d'études plein d'intérêt pour l'archi­
tecte qui trouve toujours à apprendre dans cette contem­
pla.tion de l'œuvre des maîtres. Mais quelque attachantes
que soient ses impressions en présence de l'église eathédrale

de Saint-Pol, le regard est involontairement distrait et en­
chaîné par le clocher de Kreisker. Je ne pense pas qu'on
citer ailleurs une flèche se profilant dans les airs
puisse
avec plus de hardiesse, de grâce et de légèreté que cette
aiguille aérienne qui frappait d'étonnement le maréchal de
Vauban, passant à Saint-Pol, lorsqu'il visitait, dans l'année
1671, les fortitlcations .des côtes de la Bretagne et qui lui
arrachait cette exclamation de surprise: « C'est le morceau
d'architecture le plus hardi que j'aie vu. »
Le sommet de cette flèche s'élève à une hauteur de
79 m. 30 c. C'est un peu moins que ne lui donne M. Pol de
Courcy, qui le porte à 90 mètres dans une notice sur Saint-
Pol; mais c'est assez encore pour l'honneur d'un monument
dont les habitants de Saint-Pol sont si justement fiers.
1\1: Mérimée, dans ses Notes d'un voyage dans l'Owst de
la France, parlant de la tour de Kreisker, y reconnaît dans
règnent sous les baies de
les moulures perperidicula:ires qui

la tour une imitation du style anglais. Cette remarque se
concilie très bien avec la tradition vague qui attribue 'cet
ouvrage à un architecte britannique et avec les évènements
de l'histoire contemporaine. Les longues guerres de la suc­
cession de Bretagne divisaient ce pays en deux camps. L'un
_des partis avait pour soutien l'alliance anglaise. Les rela­
tions avec la Grande-Bretagne se maintinrent encore après
le triomphe du duc Jean IV, redevable de ses succès ' au
secours de l'Angleterre. On conçoit très-facilement les em-
prunts qu'en de telles circonstances notre pays put faire à
l'architecture des Anglais. L'art, d'ailleurs, sait franchir les
préjug~s de race
limites que les dissidences politiques ou les
tracent entre les peuples. Nous en avons un exemple dans les
constructions qu'a réalisées dans l'Angleterre un habile archi- .
tecte français,M. Pugin. Et, de son côté, la Bretagne ne doit­
pas son nom, sa population et sa foi aux anciens habitants
elle
de l'île? Les premiers apôtres de cette pointe ~e l'Armo-

r.i.que ne Jurent-ils pas des missionnaires ·du pays de Galles '1
Ce sont des souvenirs de fraternité chers à ces deux familles

de "la Jllême race. Pourquoi faut-il que l'espoir que nous
et de fêter, dans ce Congrès les ·
avions conçu de recevoir
nobles rep.résentants de l'archéologie galloise n'ait pu se
réaliser ?,
. J'ai payé mon tribut d'admiration au clocher de Kreisker ;
n'est plus· pénétré que moi du mérite de cet ou­
personne
vrage, mais la perfection absolue n'est pas du domaine de '
Qu'on me permette donc de faire mes réserves
l'humanité.
sur quelques détails. Je commencerai par ces croisements
dont les évidements carrés forment l'ornemen­
de meneaux
tation de la partie inférieure de la tour. Cet emprunt au
style que les Anglais· nomment perpendiculaire ne me sem-
ble pas des plus heureux. N'est-ce pas, en effet, un contre-
sens de placer des vides répétés dans le soubassement d'une
construction dont l'extrême hauteur rend la charge si
pesante? Il résulte encore de là que les massifs des deux
longues baies supérieures tombent en porte à faux sur une
quatre rangs de
décoration évidée en forme de grille ayant
barres divisées par des meneaux et mesurant une surface de
13 m. 44 c. C'est un tour de force, voilà tout ce que j'en
puis dire.
Je hasarderai encore une autre observation sur les clo­
chetons qui accompagnent la flèche principale. Ce n'est pas
tout qu'une construction soit solide, il faut encore, pour
qu'elle soit établie suivant les règles de l'art, qu'elle offre
dans sa perspective les conditions apparentes d'une telle
structure, ,afin d'écarter de l'imagination toute idée d'insta­
bilité, c'est-à-dire, il faut que l'œil satisfait puisse faire re­
poser l'esprit. Or, ces pyramides secondaires, qui s'élèvent
â une hauteur de 14 rn. 20 c. reposent chacune sur huit
piliers qui n'ont que 0 m .. 20 c. de côtés, et sur ces huit
piliers, cinq. ont pour seul appui l'encorbellement formé par

. la corniche au sommet de la tour quadrangulaire, 'Cette '
disposition a pour effet de rendre un peu trop maigre la
lorsqu'on la considère en ligne diagonale,
flèche principale,
parce que chaque clocheton appal'aît trop détaché. Pour
diminuer le balancement de ces clochetons, et surtout l'action
sur la corniche qui leur sert d'assiette, 'le '
de ce mouvement
maître de l'œuvre a été conduit à les relier à la flèche pI'in­
cipale par des pierres en linteau destinées à les maintenir.
amarres sont une nécessité du système suivi , dans la
Ces
construction; mais elles n'en sont pas pour cela d'un effet
plus gracieux. Que l'habile antiquaire, dont la sollicitude
tant de zèle sur les monuments de ce pays et
s'exerce avec
arrêter les dégradations du
qui a si utilement travaillé à
vandalisme, me pardonne ces réflexions bien étrangères à
toute pensée de dénigrement. En signalant ces deux points
l'œuvre laisse à désirer, je ne fais ql,e rendre
dans lesquels
les impressions que j'ai ressenties chaque fois que j'ai
visitéce monument, aussi magnifique par l'élégance
de ces lignes que par la hardiesse de sa conception.
Cette hardiesse est précisément l'objet d'un reproche, de
M. Mérimée. Il faut, écrit-il, que le raisonnement vienne ici .
démontrer la solidité, et c'est un grave défaut. Je ne saurais
souscrire à la critique du savant inspecteur général des
monuments historiques, si ce reproche de hardiesse ne ,
s'adresse qu'aux proportions extraordinaires qui étonnent
et émeuvent l'esprit du spectateur; mais si sa censure a
pour objet ces évidements, ces porte à faux, ces déviations
je me ,suis
des règles communes de la stabilité monumentale,
déjà rangé à cet avis par les observations que j'ai émises
plus haut. Piganiol de la Force cite le clocher du Creisker
comme le plus ha di peut-être, et l'un des plus beaux et des
plus élevés qui soient en Europe. Suivant Cambry, quoique
moins élevé que les clochers d'Anvers et de Malines, il leur
est supérieur par son élégance. Le clocher du Creisker est

bien le roi de tous les clochers. Honneur te soit rendu, ô le
plus beau clocl1er â jour de notre chère Bretagne! ...
Le clocher ~e l'église, anciennement collégiale et main­
tenant paroissiale, de Pont-Croix, que j'ai précédemment
classé parmi les ouvrages du XV siècle, s'élève comme
Creisker de la partie centrale du transept. La tour
'celui de
qui supporte sa flèche, et dont chaque côté a 7 m. 20 c. de
est lourde et écrasée. Mais cette flèche, qui s'élève
largeur',
â une hauteur presque égale â celle du Creisker (l'une a
l'autre 32 m. 50 C' ce qui, eu égard aux dimen­
32 mètres,
sions des bases, établit un ang'le d'inclinaison â 'peu près
pareil entre les deux pyramides), rachète amplement cette
légère différence par la supériorité incontestable des détails.
Rien de plus élégant que la frise trilobée et la galerie â
triple rang de quatre-feuilles qui décorent la naissance de
sur laquelle la flèche prend son point d'appui.
la plate-forme
Cette flèche, sur ses angles, est garnie de tores relevés par
des crochets, et se distingue par des baies, dont les unes
sont plus élancées et toutes plus gracieuses dans leur orne­
mentation. Les clochetons, de forme octogonale comme la'
flèche, s'étagent et se combinent pour la perspective avec
lucarnes qui se dressent sur chaque façade, solidement
les
assis et sans porte à faux. L~ur ajguille, très dégagée, est
décorée à sa base par des frontons aigus. L'effet de cet
alté~é par un accident. La foudre avait ren­
ensemble a été
versé environ 6 mètres au sommet de la flèche. On s'occupa,
il y a environ un demi-siècle, de réparer le désastre. Le
goût et l'intelligence des œuvres du moyen âge étaient alors
profondément oblitérés. On crut l'avoir restauré convena­
blement en le terminant par une charpente recouverte en
Grâce au zèle de la Société d'Archéologie du Finis­
plomb.
tère et aux saines doch'ines dont elle s'efforce de répandre
les notions, espérons que nos édifices n'apparaîtront plus
désormais mutilés par de si déplorables reprises; mais qu'il

nOUS soit permis, en développant un texte que nous avons
M. Violet-Le Duc, de repousser '
prudemment emprunté à
erreur g'rave l'idée qu'il suffit d'une pratique
comme une
vulgaire dans l'art de bâtir pour aborder la restauration des
et particulièrement celle de nos vieux
anciens monuments,
clochers.
Je citerai comme exemple ceux d'Elliant, de Scaës, de'
Ploudaniel, du Folgoët et bien d'autres encore qui, il y a
quarantaine d'années ou au-delà, ont été reconstruits
une
en partie. Eh bien, tous sont tronqués, et ce qui reste de la
structure primitive forme un contraste choquant avec ce qui
par la seconde main. C'est que ces travaux sont
a été rétabli
des œuvres d'art; c'est qu'il ne faut pas uniquement envi-
sager le point que l'on veut compléter, mais qu'il est essen­
tiel de le comparer dans son unité avec l'ensemble dont il est
essentiel de relever le plan pour mettre en harmonie les
et tous les détails.
, lignes dominantes
Je reviens au clocher de Pont-Croix. La flèche est la plus
je connais, et parmi les moyens
légère de toutes celles que
mis en usage pour lui donner cette allure si svelte, je citerai
d'épaisseur des matériaux employés
particulièrement le peu
à sa construction, qui a été calculée avec une très habile
pour donner une solidité convenable, sans charger
_précision,
le soubassement d'un poids superflu. Mais lorsque je consi-
dère l'art et les soins d'exécution que celle belle flèche
annonce, je me demande si c'est la même pensée et la même
base; j'ai peine à le croire, d'autant
main qui en ont élevé la
plus qne ce soubassement n'est qu'un assemblage de pierres
de mauvaise qualité posées avec de l'argile. Il s'y était ma­
nifesté un mouvement très sensible. On en a arrêté les pro­
grès par des travaux de consolidation qui pourront conserver
jusqu'à un âge plus reculé ce bel œuvre que nous ont légué
nos peres.
visi~u forme un avant-corps , détaché
Le clocher de Landi

BULLBTIN ARCHÉOL. DO FINISTEl\X. ' .. TOMS XXI. (Mémoires). 24.

qUI ne se relie à l'église que par un seul côté; sa hauteur
est de 54 m. 50 c. et sa base, qui est de 4 m. 92 c. hors
d'œuvre, repose sur des murs de 0 m. 96 c. d'épaisseur, dont
latéraux sont ouverts en a'rcades de 1 m. 55 c. de
les deux
largeur. Les baies sont -toutes en plein cintre, si j'en excepte
quelques-unes carrées, à la naissance des flèches et dans les
bases des clochetons. Cette tour a des contreforts dont les
. faces sont ornées d'encadrements ou panneaux. C'est bien le
plus élégant clocher que l'époqu~ de la Henaissance ait vu
construire dans le Finistère, celui où les formes de cette
aient été le plus ingénieusement em-
époque de transition
ployées. '
Le clocher de Goulven a aussi son importance parmi ceux
très grand nombre que possède l'ancien diocèse du Léon.
Il s'ouvre également en avant-corps au sud de l'église, pour
former un porche par une arcade dont le cintre a pour appui
de chaque côté une colonne corinthienne. Au-dessus de
l'ordre inférieur règne un ordre composite dont l'entable­
ment soutient une galerie autrefois utilisée pour certaines
annonces qui étaient autrefois adressées aux habitants à
L'a hauteur de ce clocher est de 59 mètres.
l'issue des offices.
Par sa disposition, il rappelle beaucoup celui de Landivisiau,
dont il n'a pas toutefois la légèreté; mais son porche est
une imitation de celui de Pleyben, dont nous allons parler
maintenant.
. Ce clocher, dont nous avons déjà indiqué les dates 1584
et 1591, a 46 mètres de hauteur, et il est le plus élevé des
l'église de
trois constructions culminantes qui décorent
Pleyben; du XVeau XVIIe siècle, le goût et la rivalité des '
paroisses dans ce genre de luxe n'avaient d'autres mesures

que celles de leurs ressources. L'avant-c~rps ou porche
par un dôme ou
qu'il dessine au sud de l'église se termine
lanterne, dont le sommet central forme une seconde lanterne
qui tient ici la place que les flèches occupent ordinaire-

ment. Les clochetons dont elle est flanquéeaffeetent pareil­
lement la forme d'une lanterne. Le massif de cette tour n'a
pas malheureusement été fait avec assez de solidité. Les pier­
res n'ont été posées qu'avec de l'argile,. et un couloir central
le découpe sans nécessité en deux parties, ce qui diminue
la force. Tandis que les infiltrations d'eau facili­
beaucoup
tées par l'eniploi de l'argile aggravaient les inconvénients
la vibration des cloches .qu'on
de ce vice de construction,
placer sous le dôme, aulieu de les
avait eu l'imprudence de
asseoir plus bas, est devenue une cause de péril. Il s'est
produit dans les murs un mouvement et un bombement
est impossible de remédier complètement, sans
auxquels il
reconstruire à neuf. Mais par des travaux exécutés en 1848,
croyons avoir suffisamment comprimé les écarts de la
nous
maçonuerie et arrêté l'ébranlement pour conserver encore
longtemps l'un des plus riches clochers de l'époque de la
Renaissance que nous puissions citer dans ce département.
Les deux autres clochers sont un peu plus anciens. Ils s'élè­
vent sur le pignon occidental dont le plus important cou­
ronne le sommet par sa petite fl.èche. Le troisième n'en est
qu'un appendice; c'est la tourelle d'escalier qui, construite
à l'extrémité sud du même pignon, sur un plan octogonal,
_ s'amortit également en pointe fort aiguë. Cet escalier com­
munique au clocher qu'il dessert, par une galerie jetée en
manière de pont sur deux arcades og'ivales. L'agroupement
de ces trois clochers dissemblables, vu de la route qui con-
duit vers Brasparts, produit un effet des plus gracieux .
C'est sur les bords de la mer qui se brise à. ses pieds que
à une hau­
s'élève le clocher de Lampaul-Ploudalmézeau,
teur de 31 mètres. Sa date, qui est 1629, s'éloigne peu
de celle dn clocher principal de Pleyben, dont il rappelle
beaucoup les dispositions, diITérentes seulement dans la
partie .moyenne. Mais cette reproduction n'est pas une copie
En se soumettant à faire de ces imitations, nos aQ.-
servile.

ciens constructeurs de clochers restaient encore artistes, et
ils savaient modifier les proportions du type primitif, de
à obtenir de meilleurs effets pour les conditions du
manière
nouvel emplacement.
En fait de sites, jamais clocher n'est venu animer des
points de vue plus pittoresques que ceux qui entourent l'é­
glise de l'ancien prieur de Saint-Herbot. Le vallon où elle
est à l'ouest et au nord, abrité des vents par une
s'élève
et égayé par la verdure de ses
longue chaîne de montagnes,
prairies formant contraste avec l'aridité des cimes que l'on
par la routa de Pleyben à Carhaix,
aperçoit au loin sillonnées
route qui vivifie maintenant cet antique asile du silence et
de la prière. Le voyageur qui aborde ce lieu en venant de
Carhaix ne peut se défendre d'une surprise mêlée d'admi­
ration, lorsque d'un côté il aperçoit à sa droite le ruisseau
torrentiel qui alimente la cascade de Saint-Herbot s'échap-
per des rochers en flots d'écume pour arrosel' ensuite dou­
cement la vallée, et que son œil rencontre plus loin des bois
à la vue les débris du château du Rus-
touflus qui dérobent
quet, dont les belles vasques monolithes attestent la magni~
ficence de ses anciens seigneurs. Il fut bien heureusement
inspiré le pieux cénobite qui choisissait cette solitude pour
son ermitage, et il semble que cet ensemble poétique des
nature ait dominé parmi toutes les fondations
beautés de la
de nos monastères, car les paysages que présentent les
abbayes de Landévennec, de Saint-Maurice dE} Carnoët et
de Sainte-Croix de Quimperlé n'étaient pas moins atta-
chants. Le logis prieurial n'existe plus; il fut démoli par
une bande d'hommes furieux venue pour s'emparer du prê­
tre qui y faisait sa résidence; mais le vénérable prieur
s'avançait déjà vers l'Espagne, où il devait finir ses jours
dans 'l'exil. Le pays conserve pieusement sa mémoire, et la
chapelle de Saint-Herbot garde le calice à son usage, sur
lequel se lit encore son nom. On me pardonnera ces détails;

ce sont pour moi de précieux souvenirs de famille; petit­
neveu de l'abbé Le Guillou-Penenros, je . ne saurais les
écarter de ma pensée en visitant le monument qui les rap­
pelle. Le clocher présente l'inscription suivante: « L'an
15171ust cest portail consacré et mise ichi ceste pierre. »
La tour, qui a 7 m. 80 c. de côté, forme avant-corps sur le
pignon occidental et est flanquée sur ses angles d'épel~ons
dont la saillie: qui diminue . d'étages en étages, est ornée
de niches et de pinacles. La ' porte qui y donne entrée est
jumelée; elle .s'encadre dans une archivolte à plusieurs
rangs de feuilles et de rinceaux, dont le sommet ogival est
surmonté de cordons dessinant une ogive à contre­
courbe (1). Au-dessus règne une riche galerie et s'ouvre
une grande fenêtre évasée. Le deuxième ordre de la tour a
. pour ornement, sur chaque face, deux baies d'une grande
longueur, surmontées d'une décoration quatrilobée, dont les
dessins se reproduisent dans la galerie bordant la plate­
forme. Cette tour, dont la hauteur est de 33 mètres, n'a
jamais reçu sa flèche en pierres; on y avait suppléé par une
pyramide revêtue de plomb, qui a eu le sort commun de ces
sortes d'ouvrages pendant les guerres de la période révo­
lutionnaire, c'est-à-dire que son métal a été employé à faire
des balles. Cette suppression, exécutée sans les précautions
converiables, avait entraîné des infiltrati.ons dans l'argile.
resté à découvert, et donné naissance à des arbustes dont la
végétation agissait sur la maçonnerie. J'ai dû m'occuper de .
prévenir de nouveaux mouvements par des travaux de con­
solidation. La chute de la tour de Saint-Herbot serait une
perte bien regl'ettable ; elle entraînerait de plus la ruine du
vaisseau dont . les richesses architecturales ne sont pas
moindres à l'intérieur qu'à l'extérieur. Au nombre de- ces
richesses, il faut classer les sculptures en bois dont l'art de
(1) M. Mérimée donne à celte figure le nom d'ogive à con tt'e-coul'be ;
j'en ai vu souvent sur les tours de cette époque, uotamment à Hennebont.

la Renaissance a décoré le chœur et le jubé. M. Mérimée les
Notes dJun voyage dans l'Ouest de la France
cite dans ses
comme des merveilles d'élégance et de bon goût. L'orne­
mentation intérieure du porche, les fenêtres: les verrières et
le · tombeau sculpté, où se voit l'image du saint, méritent
d'être cités (1). '
Les clochers des églises de Saint-Tl'émeur et de Plouguer,
dans la ville de Carhaix, présentent dans leur disposition
grande affinité avec celui de Saint-Herbat .
d'ensemble une
à cha.cun d'eux une
. Cependant la diversité des détails donne
physionomie particulière, mais ils demeurent bien au-dessous
leur modèle dont l'encadrement dans les
de l'élégance de
lignes du paysage de la vallée de Saint-Herbot relève si
la noble ordonnance.
avantageusement
L'église de Ploaré, dont la circonscription paroissiale
embrasse la ville de Douarnenez, occupe la cîme d'une
montagne qui domine ce petit port et s'annonce au loin par
son clocher haut de 51 m. 50 c. et large de 7 mètres. La
tour se distingue par la richesse de son ornementation et
par la multiplicité de ses galeries. La flèche, quoique bien
éloignée de la légèreté et de la pureté de st Y le de celle de
Pont-Croix, complète avec beaucoup d'effet l'ensemble de ce
l'artiste s'est livré à un bizarre capricè. Les
clocher. Ici
clochetons reposent en encorbellement sur des têtes humai­
nes d'énorme dimension. Si ce clocher ne se place pas au
premier rang des monuments de ce genre, il doit au moins
être placé parmi les plus importants de ceux qui appartien­
nent au XVIIe siècle.
Non loin de Douarnenez et au fond de la baie de ce nom
et pauvre agglomération à laquelle s'attache
existe une petite
encore le titre de ville en souvenir d'une prospérité aujour-
(1) Je ne proposerais pas de parler du saint, parce que Lobineau et
Albert. Le Grand n'en ont rien dit, et que son histoire est bien peu
connue.

d'hui complètement éclipsée: c'est Locronan. Son église est
considérable parmi nos monuments religieux, et sa tour,
ouvrage du XVe :siècle, était digne de l'édifice- lorsque sa
masse large de 9 m. 30 c. et haute de 30 m. 50 c., apparaissait
surmontée de la flèche qui en complétait l'élévation. Mais
tonnerre
cette pyramide n'existe plus. Vers 1806, un coup de
y ouvrit une brèehe. Ce dommage était-il facilement répa­
l'able? C'est une question sur laquelle nous ne saurions
aujourd'hui nous faire un avis. Mais ce qui est évident, c'est
que, puisque l'on se décidait à enlever les débrIs de cette
flèche, il fallait dresser des éehafaudages et procéder à cette
démolition pierre par pierre, de manière que les matériaux

pussent servir à une reconstruction. Au lieu de prendre ces
soins, on jeta des grapins de navire sur le sommet de la
pyramide fendue, et la population fut appelée à tirer sur les
rompirent plusieurs fois, afin d'arracher à
cordes, qui se
grands efforts la partie supérieure du monument. On y
réussit enfin, mais ce système de destruction barbare eut les
tristes effets que l'on devait attendre. Des blocs détachés de
après avoir enfoncé les toitures, renversèrent dans
la masse,
leur chute certaines partie de la voùte en pierre du vaisseau,
et ce n'est que par miracle que le tombeau si bieu sculpté de
- saint Renan et l'ensemble de l'édifice échappèrent aux excès
de ce vandalisme de l'ignorance.
Ce fa:t, qui s'accomplissait il y a un demi-siècle sans
qu'aucune réclamation se fît entendre, est un bien triste
témoignage de l'oubli des vieilles traditions de l'art et des
à cette époque de mutila­
profondes ténèbres qui voilaient,
tion, le prix inestimable de tant de monuments dont nous
perte. Grâce à Dieu! la lumière s'est faite, et
déplorons la
mille voix s'élèveraient aujourd'hui pour dénoncer et flétrir
la génération
de si malheureuses aberrations. Mais comment
nouvelle a-t-elle appris à comprendre la. valeur artistique de
admi-
ces œuvres du génie national et a-t-elle secoué cette

ration exclusive pour les monuments grecs et romains qui
qu'au méplis pour les conceptions du
ne laissaient place
moyen âge ? Qui nous a arraché à cet aveugle dénigrement
si souvent complice des dévastations méditées par l'impiété?
Nous le devons aux hommes dévoués qui se sont patiemment
mis à l'étude pour recueillir les notions de la science monu­
mentale, et aux disciples qui se sont fait un devoir de la
propager en enseignements .. C'est le triomphe de l'archéo­
logie qui a vu accourir sous ses bannières, dans chaque pays,
l'élite des citoyens jaloux de faire revivre les traditions de
et d'assurer la conservation de ses monu­
son histoire locale
ments. Cette tâche, l'Association bretonne l'a dignement
accomplie dans vos départements, avec l'aide de nos Sociétés
est le centre. Ce n'était pas assez
d'Archéologie dont elle
arts du moyen âge eùt son réveil, il
que le sentiment des
fallait que le retour à ces voies oubliées fût éclairé et dirigé
par ces guides dont l'architecte des édifices religieux est
toujours heureux de rencontrer les avis et le concours .

BIGOT,
Architecte diocésa'Ïn •

R rx, ,