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Bulletin SAF 1894


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Les parties de coq

M. le vicomte de la Villemarqué

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XVIII.

LES PARTIES DE CO ..
Personne n'ignore que les gallinacés étaient sacrés pour
les Bretons: « ils ne permettent même pas d'y goMer Il, dit
César: Gallinam gustal'e fa . .') non putant. (De Bello gall ico,
Lib. V. C. XII). Serait-ce que les Gallo-Bretons, frappés de
l'identité du nom latin de Ga1li et de gallus, auraient vénér'é
le coq comme un symbôle de leur race? C'est ce qui a fait
inventer de notre temps le fameux coq gaulois, et porlé à le
donner pour insigne aux armées françaises, pendant quelques
années. Mais le jeu de mots n'en repose pas moins sur une
origine sérieuse; et s'il est difficile de le justifIer par aucun
texte, il ne l'est pas de constater la survivance chez nous des
traditions concernant le coq, comme oiseau sacré.
Elles ont souvent été mentiounées ici, et fait le sujet d'in­
téressantes communications. Nos proçès-vel'baux rappellent
celles de MM. Paul Peyron, Abgrall, Trévédy, Xavier de
Blois; sans parler d'un de nos ' anciens confrères, et de
M. Paul Sébillot, qu'on ne consulte jamais vainement, car il
connaît toutes les tl'aditions populaires (Il. Aujourd'hui je
me contente de rappeler des usages qui existent encore, l'un
en Bretagne, l'autre dans le Nord de la France.
En Bretagne, à Liffré, commune du département d'Ille­
et-Vilaine (je l'ai d~jà dit dans une note incomplète), 10l'sque
les foins ont été coupés et enlevés dans certaines prairies,
des jeunes gens arrivent sur les lieux, avec un coq, nne pelle
et une faux. Le coq est posé sur l'herbe, les pattes liées, et
,près de lui un jeune homme creuse avec la pelle un trou; le
trou fait (j'allais dire le tombeau), on y enterre le coq jus-
(1) Voir le Bulletin de la Société archéol :l!..riCiue du Finistère, T. XIII,
p. 65. T. XIV, pp. 15 et 65. T. XVIII, pp. 17, 2'1,33, '1:20.

qu'au cou. Alors, s'éloignant jusqu'au point marqué, un
jeune paysan, les ye~lx bandés et la faux à la main, s'avance,
à un signal donné, vers le coq; et quand il se croit p'rès de
il abai"sse sa faux, pour lui couper le cou. S'il le manque,
lui,
ce qui arrive souvent, ma]gl'é trois tentatives, et est le sujet
de gTands éclats de rire, un autre tente l'aventure, puis un
troisième jusqu'au plein succès, lequel est salué des accla­
malions de la foule, et le vainqueur, arrachant son bandeau
et brandissant sa faux ensanglantée, s'empal'e de la tête du
pauvre coq, qu'il promène en triomphe, autour du pré. Le
corps de la victime est ensuite déterré, et les jeunes gens
sont invités à le manger, rôti, le lendemain. Tel est l'usage
breton, certifié pal' M. Guitton, notaire, qui l'a vu pratiquer.
L'usage, à Romilly, près Cambrai, dans le Nord, que me
déc['ivait dernièrement une personne du pays, est moins
et plus poélique.
féroce,
Un dimanche, le 'lendemain de la coupe des foins, vers
trois heures du matin, on voit partir, pour une des prair'ies,
jeunes gens armés de lattes, et munis chacun d'lm mor­
des
ceau de craie blanche, et portant un sac. Or, dans ce sae est
enfermé un coq endormi. Arrivés dans le pré, ils tracent un
cercle dans l'herbe coupée, et, au pourtout' de ce cercle, ils
déposent leul' sac, qu'ils ouvrent en suite. Délivré et réveillé,
chaque coq se dresse sur ses pattes, bat bruyamment des
ailes, et se tournant vers le soleillevanL le salue en criant:
CoqtlCtico, coqtwcû. Aus3i souvent qu'ils poussent ce cri,
chaque jeune homme fait uile marque, sur sa latte, avec sort
morceau de craie; et le prix est donné à celui dont la latte
pJrte le plus grand nombre de marques. Ce prix est consaCré
aux frais d'un repas que paie le vainqueur, le dimanche soir,
a ses l'lvaux.
Mais on se demande si la coutume bretonne n'a pas un
caractèl'e plus ancien que le jeu de Romilly? Au fond, cette
coutume remonte à ce qu'il y a au monde de pIns primitif:

elle constate uno effusion de sang, de sang offert en holo-
causto à la Divinité .

Jo mG rappelle que dans mon enfance, on ne bùtissait pas
de maison dans ma yille llHtale sans al'l'oser les fondations
avec le sang d'un coq. Los maçons employés pal' le père
. d'lIu de nos llOnora'bles vice-président.s (1\1. l'abbé Peyron)
vinrent un jour ]0 trouver pour lui demander de se conformer
il la coutume: « De quelle coutume padez-volls, lour dit-il'(
(( De t.uee un coq, lVlonsieur, et de vorser son sang sur
les fondations. )) (1)
• Ufle traditiou orientale, rapportée par le poète Fyrdusy et
cOllsel'vée en Kabylie, n'a trait, comme l'usage du Nord) qu'au
salut adressé par les « héraults du jour Il au soleil levant : tous
les coqs tClTostres ne foraient que répondre, à la même
heure, au chant d'un énorme coq rouge du paradis musul-
mau. Ici, rien que do natl1l'el; un chant d'actions de grâces
au soleil, de l'etoul'. Pas <.le sang versé en sacrifice, signe
évident do l'origine religieuse indiquée par César. Où l'avait­
il prise"( Ce qui est 8ùr, c'est son 'universalité . .le la trouve
constatée par Platon, quatre cents ans avant Jules César.
Personne nïgnore que dans son Phédon, si bien traduit par
M. Cousin, il fait ainsi parler Criton, un des témoins de la
mort de Socrate:
cc Criton, prenant la parole: Socrate, lui dit-il, n'as-tu
rien à nous recommander à moi et aux autres, de tes enfants, •

et sur toute au tre chose OÜ nous pourrions te rendre service? ..
- (c Criton, répondit-il, et ce furent ses dernières paroles,
nous devons un coq à Esculape; n'oublie pas d'acquitter

cette dette. ))
i\-I. de la Martine traduit à sa manière:
AllX Dieux libérateurs, llit-il, qu'on ~acrille !
Ils m'ont guéri!
(1) M. P. Peyron constate l'usage et qu'il s'est même praLiqué à Quim­
jusqu'à l'année ,[8G2.
perlé

(luoiquïl on soit, le Goq était, en certain cas, comme on le
la matière d'un sacr ifice ofTert au Dieu de la méde­
voit,
cine; et le gl'and nom de Socrate reste pOUl' jamais
attaché à ce (lui n'est plus aujourd'hui' qu'un jeu, et qui était
dans le principe, à l'Ouest, au ~ord, et en Orient, un acte
de reconnaissance de la créatul'e envers le' Créateur.
IlEHSAHT DE LA VILLEMAHQUE .