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Bulletin SAF 1894


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Le couvent de Saint-François de Quimper (fin)

M. Trévédy

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XVI.
LE COUVENT DE SAINT-FRAN OIS
DE QUIMPER
SUITE ET FIN (1)

Quelq ues épisodes de son histoire .

X. - Privilèges du Couvent .

Parmi les débris des archives du couvent restent deux
lettres des Rois Henri IV et Louis XIV confirmant les pri­
vilèges accordés aux cordeliers par leurs prédécesseurs.
Ces lettres sont identiques, sauf quelques différences de
rédaction. Je donnel'ai les leUres de Henri IV (2).
Ces lettl'es sont datées du 18 mars 1595. Elles sont anté­
rieul'es ù l'édit de paix qui sera signé le sUl'lendemain
(20 mars) à Angers et vérifié au Parlement le 26 mars . .
Le Roi ou plutôt le maréchal d'Aumont ne se souvenait
plus de l'opposition violente faite par les cordeliers à la
proclamation de Henri de Bourbon comme successeur de
Henri III (août 1589); le maréchal ne leur tint même pas
rigueur de la part qu'ils avaient prise à la résistance-quand,
l'année précédente, il assiégeait Quimper.
. C'est sans doute par son intermédiaire que furent sollici-
tées les lettres du Roi; et: _ q \land le maréchal revint à
(1) Ci'-dessus p. 18,65 et 116.

('2) L'arrêt de la rour des Aides du 17 aHil 1;)95, rendu sur les letll'es
de JIenry IV, vise en outre:
1° des lettres de Charles IX du 28 janvier 1566 ;
2" des lettres de Henri III du 8 mai 1575, vérifiées le ter juillet suivant
Ces lettres dcyaien t être analogues à celles de Heri ri IV.

Qui~per, aux premiers jOUl'S de mai 1595, il put recevoir
les remercîments du couvent (1).
Voici les lettres du 18 mars 1595 (2) :
cs. Henry par la grâce de Dieu roy de France èt de Navarre
à tous ceux qui les presantes lettres verront salut. Savoir
faisons que nous désirans à l'imitation des feux roys nos'
prédécesseurs mesme de nos tres honnores (seigneurs) et
frères Charles et Henry derniérs décédés que Dieu absolve, .
bien et- favorablement traicter nos chers et bien amés et
devots orateurs les maistres général et provinciaux de tous
et chacun les couvans et monastères des religieux et reli-
gieuses des ordres de Sainct Françoys et de Saincte Claire
de celluy nostre royaume, et pour dautant plus les inciter à
prier Dieu pour la conservation d'iceluy, à iceux' pour ces
causes et aultres à ce nous mouvans avons continué. et
confirmé, continuons et confirmons et de nouveau en.tantque
besoing' est ou serait, (avons) accordé et octroyé accordons et
par ces ' presantes l'exemption franchise et des­
octroyons
charge de tous port, peages, subsides, passages et impots
à mettre ,sur touttes et chacune les
quelconques mis et

(1) Le maréchal d'Aumont a fait .deux séjours à Quimper. 1° Au
retour de Cl'ozon, fin de novembre 1591. Il passa l'hiver à Quimper ct en
partit, après les rois, pOUl' aller recevoir la soumission de Corlay, qui se
rendit après le 23 ianvier. Corlay figure au nombre des gal'nisons
royales dans un état dressé, le 16 février à Quimper, SUl' l'ordre du ma-
réchal. (Documents sur la Ligue. I. 195.)
Après cette soumission, on tl'ouve d'Aumont aux environs de Saint:
Brieuc où il menace Cesson. (Lettres missives de Henri IV, t. IV, p. 308-
31'2, 24 février.) On le voit à Bourbl'iac, le 20 février. (Mandement au
sujet de l'entretien des garnisons royales, p. 198-20'2). Il est à Quintin- et
Guingamp, les 27 et 28 avril. (D. Mol'ice Ill. 1636.)
2° Aux premiers jours de mai, après le départ des Anglais, le maréchal
à Quimper. A la fin de mai ou au commencement de juin, il repal'tit
revint
pour Rennes; mais en route Saint-Luc l'arrêta pOUl' le mener à Comper
où il fut blessé mortellement le 3 juillet. .
Moreau ne marque pas le second séjour du maréch'al. . ' .
(2) Je donnerai en note les quelques clrangements de rédaction apportés
aux lettI'es de Louis XIV.

marchandises et denrées que les dits religieux et religJ.euses
conduiront ou feront conduire tant par eau que par
terre en leurs dits , couvans (1) l pour leurs provisions,
nouriture et entre tènement , selon et ainsin qu'il est
contenu dans les lettres de nos dicts (prédéc.esseurs) ....
dont les vidimtts sont cy attachés sous le contre scel de
nostre chancellerie sans que, pour raison de celles ....
l'on leur puisse demander aucune chose; ains voullons et
entendons icelles passer librement et franchement, et les
dicts exp os ans jouir et user des dictes exemptions, franchises,
pouvoirs et libertés ainsin qu'ils en ont cy devant bien et
deubment jouy. Faisons expresses inhibitions etdeffanse à
tou.tes sortes de peesonnes de quelque estat, qualité, et
condition qu'ils soient: de non injurier maltraiter, out.rager
ni chanter chansons diffamatoires, scandaleuses contre
l'estat et vocation d'iceux religieux ou relig'ieuses soit
aHans ou venans aux villes ou aux champs pour leurs affaires
en quelque sorte et maIiière que ce soit, et sy aucuns
seroyent sy téméraires que de ' voulloir contrevenir à ce que
dessuz,voullons qu'il soit pr?<.'édé sommairement à l'encontre
des contrevenans et que prompt.e et exemplaire punition en
soict faicte. Sy donnons en mandement à nos amez et feaux
conseillers en nos cours de parlement, ehambre de nos
. comptes, cours de nos aydes, baillifs, séneschaux, provols
'ou leurs lieutenant.s (2) et à ~ous auttres de nos officiers
justiciers et subjets (3) ainsin qu'illuy appartiendra q.ue ces
présentes nos lettres de continuation, confirmation et'octroy,

ils fassent lire, publier et enregistrer par tous les lieux et
endroicts où besoing sera et. du contenu en icelles faire
souft'rir et laisser jouir plainement et paisiblement les dits
(1) 1643 .... tant bleds, vins, bois, poissons saiés 'et des aultres provi-
sions à eu~ nécessaires.
0) 16D ... à nos gens tenants nos cours.... '
(3) HH3 ... chacun en deoit soy .... (chacun en ce qui le concerne).

religieux et religieuses contraignant a ce faire souffrir et
obéir tous ceux qui pour ce seront (â) contrainu're par les
voyes debues (dues) et raisonnables nonobstant opposition ou
pour lesquelles sans préjudice
appellations quelconques,
présentes ' n'estre
d'icelles nous voullons l'exécution des
aucunement retardée, et ail 'lJidirnus desquelles faictes et
par l'un de nos aniez et féaux notaires et
collationnées
(1) nous voullons foy y estre ad joutée comme
secrétaires
présent original. Car tel est notre plaisir. Nonobstarit

manqements, ordonnances .... à ce
aussy quelconques nos
Paris, le dix-huitiesme jour de mars
contraires. Donné à
mil cinq cent quatre-vingt-quinze et de nostre règne le
signé HENRY et sur le reply : par le roy
sixiesme. Ainsi
Potier et scellé du grand sceau à double queue. ))
Deux points de ces lettres sont dignes d'attention.
d'abord la défense faite à tous, « sous peine de puni­
C'est
tion prompte et exemplaire», de molester les cordeliers,
et de les maltraiter même en paroles. Cette défense, néces-
troubles religieux, est répétée dans
saire au lendemain des
les lettres de Louis XIV, en 1643, c'est-à-dire en pleine paix.
Elle démontrerait, s'il était nécessaire, que les plaisanteries
contre les moines ne sont pas nées au dernier siècle; et nous

avons vu que longtemps auparavant les pauvres cordeliers

de Quimper n'avaient pas eu à se, plaindre seulement de
et de chansons (2).
moqueries

Le second point à signaler, c'est l'exemption même accor-
dée au couvent. Les termes manquent de précision et vont
l'interprétation du Parlement.
donner lieu à
Les fermiers des devoirs ne laissaient pas, selon l'expres­
sion vulgail'e, le grain dans la paill!3 ; et, si l'on en croit les

(1) 1 G43 ... conseillers et secrétaires ....
('2) Ci-dessus § II. Emeute. 1469. •

cordeliers, sans avoir égard aux lettres royales, ils contrai­
gnirent le couvent aU paiement des dt'oits dont les lettt~es
portaient exemption. De lù, plainte des Gordeliers (1).
. Leùr exposé,' que vous allez lire, ne vous semblera-t-il pas
empreint d'exagération? Et n'inférerez-vous pas des termes
de l'arrêt qui suit cet exposé, que le seul point débattu
devant le Parlement était la question de savoir quelle quan­
tité de vin était nécessaire au couvent ? Aux ' termes des
lettres l'exemption était limitée à la quantité nécessaire, et
cette quantité n'avait pas été fi~ée par les lettres·.
: Voici l'arrêt du 3 janvier 1598 (2).
« Veu par la court la requestre a elle présantée par les g'31'­
. dien et religie.ux du couvant de sainct Francoys de Kimper-
cprantin par laquelle ils remonstroient que nonobstant que
par les canons: uzances et privillaiges des Boys et aultrement,
ilz estoient exemptz de tous subsides et subventions de leurs
vivres et choses nécessaires pour leur nouriture, les fermiers
desdictz debvoirs de la dicte ville de Kempercorantin et
aultres circonvoisines sefforcent de contraindre et de faict
ont contrainct les dictssuppliants a payer les dicts subsides.
tellement que ils sont pt'esque cont.raincts abandonner leur
couvant et aller snbituer ailleurs en aultres couvans. A ces
causes requel'aient en conséquance de leurs privillaiges et
franchises confirmée par le Hoy . a presant regnant et des
précédants arrêts qu'il fust ordonné qu'ils demoureroient
(1) Les fermiers avaienl qualité pOUL' se portel' demandeurs en inler­
des lellres. Ils ont fait autrement. La quantilé exempte de
prétation
droits n'ayant pas été fixée par la lettre royale, ils auront jugé exagérée
les frères, et se seront opposés à toule intro­
la quantité réclamée par
de vin dans le couvent, jusqu'à la fixation pnr justice de la
duction
,quantité exempte. C'est ainsi que les cordeliers nous apparaissent comme
demandeurs.
(~) Le procès suivi par les cordeliers de Quimper en 1598 n'était pas
tirie notiveauté. L'arrêt qui suit nous apprend que des procès analogues
les franciscains de Pontivy, en 15~~,
avaient été soutenus et gagnés par

et pal' ceux de Rennes, na mois de juill.et 1598.

quites et exempts de tous debvoirs et subsides que l'on lem'
pourroit demander tant sur leurs denrées, breuvaiges et
aultl'es choses requises pOUl' leur vi vre, et que deffanses fus­
.sent faictes à toutes personnes de prandre et exiger deulx
aulcuns subsides à peine de le rendre au quadruple et de
tous dommages et interrests sans préjudice qu'ils ne puis­
sent faire appeller ceulx qui en ont abusé en leur endroict ....
(Ici le parlement vise plusieurs pièces dont l'énumération
finit ainsi: ) procès-verbal du sénéchal de Kimpercorantin
datté de l'an 1597, conclusions du procureur général du Roy
et tout considéré.
« La court a ordonné et ordonne que les dits gardieq et
religieux du couvant de sainct Francoys de Kimpercorantin
jouiront par provision bien et duement comme ils ·ont faict
au passé des exemptions et immunités accordées à ceulx de
leurs Ordres jusques au nombre de vingt pippes de vin, et a
faict et faiet exhibitions et deffanses à toutes personnes de
les troubler SUl' la dicte jouissance souz les paines qui 'y
eschoient. Faïct au Parlement il Rennes le troisiesme jour
de janvier mil cinq cent quatre vingt dix huict. »
Collationné et contrerollé, etc... .
voit~ le Parlement n'a statué que sur la quan-
Comme on le
tité de vin qui pourra entrer franche de droits au couvent.
C'était donc le seul point du débat. Le Parlement règle cette
quantité à vingt pipes pal' an. La pipe contient deux barri­
ques bordelaises de nos jours moins dix-sept litres; vingt
pipes égalent environ trente-sept barriques (l).C'est une pro­
vision assez large pour une communauté de douze ou quinze

(l) La pipe contient un muid et demi: le muid est de 288 pintes ; don~
la pipe sera de 28tl plus 144 pintes soit 432 pintes ou à peu près 432
litres. La barrique bordelaise est de 2~8 litres; Deux· barriques feraient
4;',6 li tres: il y a donc à retrancher 31 li tres par pipe, soit pOUl' Ie's 20
l)ipes 674 'litres, plus de trois barriques. Les' 20 pipes concédées représen-
taient clone à peu près 37 barriques bordelaises. '. .
BULLETIN ARCHÉOL, DU FINISTÈRE. TOME XXI. (Mémoires),16.

hommes; et les cordeliers auraient eu mauvaise grâce à se
plaindre ... aussi ne se plaignirent-ils pas.
XI. . Destruction du couvent.
Au couvent de Saint-François tout le luxe avait été réservé
pour l'église que l'évêque Raynaud, fondateur du couvent,
du XIIIe siècle, et que les fa­
avait édifiée ou réparée au milieu
milles noblesyayantenfeu avaient ornée et même agrandie (1).
C'est sans doute aux mêmes donateurs qu'étaient dues les
richesses de la sacristie.
Il existe un inventaire de la sacristie de l'année 1637. Je
ne puis le donner in extenso ; mais il suffira de rappeler les
suivantes: 20 calices d'argent doré ciselé ou
énonciations
image d'argent doré de Notre-Dame avec
de vermeil, une
une couronne de perles fines; 56 ornements de toutes
sortes, chappes, chasubles, voiles, etc. ,
Les reliques sont ainsi décrites:
CI. Un fragment de la vraie croix, cheveux de la suinte
Vierge, chef de saint Thuriau, reliques de saint Antoine de
Padoue, de sainte Apoline: de sainte Catherine, vraie cein-
ture de saint Louis le cordelier, avec son Agnus Dei dans un
corporalier (2). ))
L'inventaire a été signé par Jean Beaujouan, procureur du
Roi à Quimper, en qualité de syndic des cordeliers. Le même
sa notice latine sur le couvent de Saint-François donne
dans
quelques renseignements sur le trésor de l'église (3) :
C'est sans doute à CI. l'image d'argent de Notre-Da~e »
mentionnée plus haut que se rapporte cette description de
(§ 28) : (( Un édicule en argent sous le vocable
Beaujouan
(1) La chapelle annexe de Notre-Dame de Vertu et la chapelle dite du
Juch avaient été construites par les Lézongar de Pratanras et les sei­
gneurs du Juch.
(Z) Cnrporalier, boîte où l'on serre les corporaux. Corporal, linge
se met sous le calice pour recevoir les fragments de l'hostie. Trévoux.
qui
(3) Notice, p. 17. .

Notre-Dame de Lorette. Il est soutenu dans les airs par urt
groupe d'anges qui semblent tressaillir de joie. Dans cet
édicule sout gardés nombre d'objets de piété à l'honneur de
Notre-Dame. »
Parmi les reliques, Beaujouan ne nomme pas les cheveux
de la Sainte-Vierge. Quelques lignes plus bas (§ 29) il si­
gnale (( la ceinture de jonc du cordelier Louis, archevêque
de Toulouse~ avec la bulle ou agntlS Dei qu'il portait cons-
tamment » (1). .
'L'inventaire ne mentionne pas et ne p0l,lvait mentionner à
titre de reliq'ues les restes de Jean Discalcéat (le déchaussé),
cet humble cordelier du couvent, mort victime de son dévoû-
ment, au cours d'une maladie 'contagieuse en 1349. C'ét~it
pourtant un des plus précieux trésors du couvent.
Jean . Discalcéat avait été inhumé auprès de l'autel de

sain,t Antoine de Padoue, à gauche de l'entrée du chœur.·
Plus tard. ses ossements furent ( levés d'une vieille chasse
et mis dans une autre plus honorable conservée sous un
petit dôme en forme de chapelle fait de treillis et de grilles .
de fer » (2). Cette première translation s'était faite avant
1580 (3), et le précieux dépôt était encore en la chapelle
saint Antoine, quand Beaujouan écrivait sa notice (4). Mais,
du temps même de Beaujouan et avant 1636, les restes du
saint cordelier avaient été transférés dans la chapelle du
Juch formant l'aile droite dll chœur et posés sur l'autel en
un petit ta:)ernacle couvert d'un voile de riche étoffe (5).
Sous l'épiscopat de Mgr de Cuillé (1739-1771 ), une châ~se
(1) D. Plaine remarque qu'il faut. dire évêque, l'archevêché de Toulouse
du saint cordelier (1317). Notice de
n'ayant été érigé qu'apl'ès la mort
Beaujouan. p. 'Hl.
. (2) Albert Le Grand p. 814. Éd. de M. de Kerdanet.
(3) Le P. Gonzague, cité dans la notice deBeaujouan. p. 4'2 cc In sacello
sanli Antonii extat ejus sepuItura craticulis ferreis circum septà. »
.( 4) Notice. § 10. p. 8 et 9. . .
(5) Albert Le Gr'and ' p. 814. Il éCt'ivait en 1630 .

vitrée prit la plaGe du c( tabernacle)) et elle la gardait encore
à la veille des dévastations du siècle dernier (1).
Au-dessus de la sépulture dans la chapelle Saint-Antoine,
statue de Jean Discalcéat posée sur un
était une petite
piédestal ou une console (2). Après ·la translation dans la
chapelle du Juch, et devant le tabernacle qui renfermait les
ossements, on appendit « le portrait du saint, dans un ta­
bleau bien travaIllé, don de Blanche de Lohéac », première
. femme de Guy Autret seigneur de Missirien (3). Ce tableau (
a disparu; mais la petite statue est encore vénérée dans la
cathédrale sauvée de la destruction, comme nous le verrons
plus loin.

Le décret des 13-19 février 1790 avait supprimé les com-
aux religieux de sortir de
munautés religieuses et ordonné
leurs couvents (4). Le clergé de Saint-Corentin recueillit
la cathédrale les reliques et les images les plus véné­
dans
Quimper, notamment les restes et la
rées des couvents de
statue de Discalcéat. .
Dès le 30 avril 1792, la nation vendait « la maison conven­
jardins, murs de'
tuelle des cordeliers, l'église, les cours,
la ville servant de clôtures et les barraques · adossées à
l'église (5) )) En vendant l'église, la nation entendait vendre
une carrière: aussi le procès-verbal d'expertise préliminaire
à la vente avait-il compté les pierres de taille des portes et
fenêtres.
D'autre part, l'église était pleine de tombes armoriées et
un décret va paraître, le 14 septembre 1793, qui ordonnera

(1) Abbé Thomas. Saint Jean /Jiscalcéat. p. 4.1 (1888).
de ces mots cl'un
(2) C'est, semble-t-i1, ce que nous pouvons inférer
acte: le petit autel de saint Jean Discalcéat.
(3) Albert Le Grand, p. 811.
(4) Duvel'giet', l, p. 118. .

construites clans la cour,
(5) . Ces barraques ou échoppes avaient été
en 1683, èlle cessa d'être cimetière.
lorsque,

' la destruction des arm~iries « dans les églises et autres
lieux publics »; et chargera les officiers municipaux de
« sous peine de destitution (1) », c'est-à-dire
l'exécution,
d'arrestation comme ,suspects (2). Une pareille sanctiou
assurait l'exécution et même l'exagération de la meSUP8 ,

édictée.
Saint-Corentin n'offrait plus un asile Sltr aux reliques;
et les saints, qui avaient fui mille ans auparavant devant les
Normands, allaient fuir devant les nouveaux barbares. En
prévision de violences sacrilèges, 'le clergé de Saint
Corentin distribua les reliques dans des églises voisines :
le bras de saint Corentin et les restes de Jean Discalcéat
furent emportés à Ergué-Armel dans la nuit du 8 au 9 dé-
cembre 1793. ' Il était grand temps!
Le 12 décembre, jour de la fête de saint Corentin (un
jour bien choisi!), une troupe furieuse conduite par
rimmonde Dagorn, envahit et mit à sac la cathédrale, jeta,
hors les évêques arrachés de leurs tombes, et entassa sur
des charrettes les statues de bois et les tableaux condamnés
au feu.
Dagorn se porta avec sa troupe à
Après cet exploit,
L'église devenue propriété particu­
l'église des Cordeliers.
lière avait perdu son caractère public et n'était pas comprise
dans les tèrmes du décret de septembre. Mais ce scrupule
n'arrêtera personne, et le propriétaire de la ci-devant église
lui-même n'oserait invoquer 'le décret. Les barbares icono­
pas les agents autorisés de l'adminis­
clastes ne sont-ils
tration ? Le soir de ce beau jour, quand « les pagodes
pr-étendues sacrées » seront livrées aux flammes sur le
c( toutes les autorités, même la
Champ de Bataille (3),
(1) Décret du 14 septembre 1793. Duvergier, VI, p. 208.
(2) Décrets du 17 septembre 1793. If. Sont -réputés suspects .... les fonc­
tionnaires suspendus ou destitués. »Duvergier, VI, p. 213.
(:1) M. l'abbé Thomas dit « Champ de la Fédération, p. 54 ». Ce nom,
devenu odieux était, dès 17~n, remplacé par le mot Ohamp de BalaiUlJ .

garde nationale, drapeau déployé, assisteront en corps à la
cérémonie (1 ) )).
Cambry a peint de visu l'état de l'égliseaprèslepassage des
patriotes»: « Quelle nudité! Quelles dévastations! Tout
est pavé de tombes brisées, retournées! )) (2) Sous prétexte de
maI'teler les armoiries, les « patriotes)) ont fouiHé les tom­
beaux, comme à Saint-Corentin; ils crQient en arracher les
restes des Rosmadec et des vicomtes du Faou; ils en reti­
rent les restes de bourg'eois de Quimper, ou même de
pauvres auxquels les cordeliers donnaient asile dans les

tombes abandonnées par les anciens seigneurs!
Cambry nous apprend que, en 1798, l'église était un ate­
lier pour la fabrication du salpêtre (3). La chapelle accolée
au mur nord dite de N .-D. de Vertus ou des Agonisants
devint une boutique d'épicerie (4).
Vers le même temps, les tombes q.ui pavaient l'église et le
cloître furent exploitées comme les pierres taillées d'une
carrière: des c.ours et des allées de maisons voisines sont
pavées de ces pierres. Quant au cloître, si élégant et si
simple en même temps, l'acquéreur le détruisit presque
entièrement (5). L'église fut louée pour divers usages, et une
partie de la nef devint l'atelier d'un sabotier.
(1) Comité révolu tion naire de Quimper. Dél. des 17 décemhre 1793
('2.7 frimaire an II) et 26 prairial an II (1'1 juin 179't). Dagorn avait été
« d'avoir à dessein exagéré les mesu l'es de
incarcéré sous la préven tion
répression à l'égard du culte catholique. » Dél. du 13 nivosc an II
('2. janvier 179'1). Dans la nouvelle édition de Cambry (1889;, j'ai donné
in extenso cette délibéra Lion, p. 'ln. .
(2) Cambry. Catalogue des objets échappés au vandalisme. 'le éd ition,

(3) Idem. p. '29.
(·1) M. de Blois. L'égliw des cordeliers (18'15), p. t 1.
(5) lVI. Bigot. ClrlÎtre de l'ancien couvent des cordeliers. Bull. Société
arch. XI p. 241. Il faut lire la description de ce charmant édifice, dont
l'habile architecte a donné un {ac sun.ile da us le porche de la sacristie de
Sain t-Coren tin.

Connaissez-vous une géographie illustrée de la France im­
primée en 1879, et qui passe pour classique, à cause peut
être du nom sous lequel elle s'est produite dans le monde,
Maltebrun? Dans ce livre, vous lirez que le sabotier travaille
encore dans l'église des Cordeliers (1). L'auteur aura vu cela

dans un livre imprimé un demi siècle .avant le sien, et; sans
autre information, il réédite ce renseignement ! .
Plut à Dieu que ce renseignement eût été exact en 1879!
On peut espérer que l'église et le cloître subsistant encore à
cette époque auraient été réparés; et, reprenant une nou­
velle jeunesse, ils seraient aujourd'hui un des ornements de
Quimper! -.
Mais la vérité est que, en 1845, la ville songeait à bâtir
une halle, qu'elle acquit une partie de l'enclos des Cordeliers
notamment le cloître et l'église; et que ces deux édifices
parurent gênants et furent condamnés sans pitié.
MM. de Blois, de Jacquelot, Rossi, Colomb et beaucoup
d'autres (je ne nomme que nos confrères à titre d'honneur)
protestèrent. Ils disaient: (c Jetez une toiture sur les murail­
les si saines de la vieille église; restaurez le cloître pour une
destination nouvelle: faites-en un marché couvert (2) )). Ils
avaient une arrière-pensée: ils espéraient que dans un avenir
prochain d'autres mieux avisés sauraient aller bâtir une halle
ailleurs~ et que l'église et le cloître, s'ils n'étaient pas rendus
à leur destination primitive, pourraient devenir un musée (3).
Au moins suppliaient-ils que les beaux détails de l'archi­
tecture fussent recueillis avec soin (4).
(1) La {i'1'ance illustrée. Finistère, p. 14, on lit au même endroit: a La
cathédrale date de t!i24, etc ... })
('2) M. de Blois. Eglise des Cordeliers, p. 1. M. Bigot. CloUre ..... ,
(3) Il faut bien reconnaltl'e que le musée placé là et isolé aurait offert
de sécurité que le musée actuel trop exigb et accolé à des maisons
plus
à l'incendie.
habitées, c'est-à-dire exposé
(4) M. de Blois. Egltsc ..... , p. 1.

Mais leurs doléances ne furent pas écoutées. Les restes
du cloître furent vendus à des particuliers qui les ont
dispersés (1), et l'acquéreur des matériaux de l'église fit

ébranler à la fois les clés de voùtes de toutes les
ogIves
qui, en moins d'une demi-heure, s'écroulèrent en masse
confuse (2).
Depuis lors, le terrain et les bâtiments que la ville n'avait
pas acquis en 1845 ont passé en d'autres mains. Le vieux
mur de ville tombant en ruines a été abattu en 1865; et
vingt-deux ans plus tard, l'ancien dépal'tenwnt de Saint­
Louis, qui ne méritait pas d'être conservé) tombait sous la
pioche. Ce dernier témoin du vieux couvent a disparu ,

Après ces destructions) il ne reste plus des Cordeliers
que quelques débris épars :
1 ° La porte nord de l'église avait été démolie avec pré-
caution; les pierres acquises par M. Colomb, conse iller de
préfecture à Quimper, ont été transportées par lui à sa
campagne de Trégon-Mab (Ergué-Armel) ; mais elles n'ont

pas été employées.
2° Quelques fragments de vitres, acquis par M. Go\vland)
propriétaire à Penhars, se voient encore au manoir de
Kerr'ien (commune de Penhars).
3° Quelques pierres tombales sont déposées dans la ('our
du musée d'archéologie.

l1 Les deux grands panneaux du mausolée portant la
statue du marquis de Mesle, au musée d'archéologie (A. 7. )
proviennent du tombeau de l'évêque Alain de Lespervez,
mort en 1455, et inhumé au chœur de Saint-François. Ces
(1) M. Bigot. CloîtTe ... , p. :H1.
(1) M. de Blois. Eglise ... , p. 2.
(3) V, DernieTs dL'bris du couvent de &lint-François, 1887 .

très beaux panneaux sont un çlon de M. Rossi, qui les a
d'une destruction certaine. (M. Le Men, Cathédrale
sauvés
de Quimper; p. 173, note 2) (1).
5° Le débris le plus précieux du couvent est la statue de
Jean Discalcéat, aujourd'hui vénérée dans le déambulatoire
de Saint-Corentin. Le 12 décembre 1793, cette statue,
enlevée de l'église et chargée avec nombre d'autres sur un
tombereau, était conduite au bûcher. 'Comme la charrette
passait rue de la Révolution (redevenue aujourd'hui rue
Sainte-Catherine), un cahot fit tomber la statue qui roula
sur le pavé devant la maison de la dame Boustouler. Celle-
. ci sortant sans peur enleva prestement la statue, et, l,a
cachant sous son tablier, l'emporta sans attirer l'attention (2).
La statue pieusement gardée reparut quand le danger de
destruction eut cessé, et elle fut replacée à Saint-Corentin.
Chaque jour peut être témoin de la vénération des Cor­
nouaillais pour saint Jean Discalcéat. Ils .le traitent en com-
patriote, en ~mi ; ils l'app911ent farnilièren13nt le petit saint
du. Ils lui demandent toutes sortes de services,
noir, santic
mais le prient surtout pour retrouver les objets perdus. Cette
dévotion est relativement nouvelle. En 1580, le P. Gonzague
écrivait qu'on demandait à Jean Discalcéat la guérison des
maux de tête: « Les malades, dit-il, passaiellt la tête à tra­
vers la grille de son tombeau, et se retiraient guéris (3). »
(1) J'ai mentionné nombre de pierres tombales pavant les cours et allées
de maisons voisines da Saint-François. J'ai le regeetde ne pouvoir signaler
comme existantes, les deux pierres que M. Rossi avait données au Musée,
lors de la dem ière démoli tion de 1887, et que j'ai décri les dans IJerniers
cléb"';s .... Le jour ou j'allai pour en prendre possession, j'arrivai trop
les instantes recommandations 'du déYoué donateur, elles
tard : malgré
ayaien't été lrouvées bonnes et employées par Ip-s maçons!
('~) Abbé Thomas. Saint Jean IJiscalcéat. p. 54. L'auteur a bien fait
de rappeler le nom de la dame Boustouler. L'acte courageux accompli par
elle est un titre d'honneur pour sa famille.
(3) Notice cie Beaujouan. p. '1'2 : (( Qui vero capitis dolore cruciantur in
morbo vindicati iIlinc
illius tumulum caput suum intromittunt, sicque a
abeunt '1.

Vers 1626, Beaujouan écrit , (§ 10) que personne ne prie
en vain saint Jean Discalcéat (1) ; mais il n~ dit pas quelle
grâce spéciale on lui demande. En 1636, Albert Le Grand
dit que « plusieur~ pet'sonnes détenuss de grandes infirmités
en ont été délivrées par les mérites du saint (2). » Il paraît
probable que le nouveau pouvoir attribué ,à Jean Discalcéat
est venu de son voisinage aux Cordeliers avec saint Antoine
de Padoue, honoré dans l'Eglise pour faire retrouver les
objets pel'dus (3). Quoiqu'il en soit, les Cornouaillais ont fait
de leur compatriote un émule de saint Antoine. Celui-ci,
excusant la naïve substitution faite au profit du saint breton,
a sans doute admis le partage des attributions; et combien
d'heureuses trouvailles obtenues pour deux sous offerts à
santic du!
Outre ces débris, il reste des Cordeliers des plans dressés
par M. Bigot; des dessins de fenêtres fort belles que ,M.
Rossi père m'avait donnés et q\le,j'ai donnés à la Société arc/téo­
logique; un dessin original que j'ai vu à Quimper, repré­
sent.ant l'intérieur de l'église et montrant l'atelier du sabo­
tier. Enfin, l'église a dû être dessinée pour une collection de­
vues lithographiées publiée selon toute apparence vers 1840.-
L'année dernière, j'ai retrouvé à Rennes les Ruines d'li
Cloître des Cordeliers (4).
Le jour où nos èonfrères MM. Bigot v,oudront bien, au
moyen des plans et des dessins qui restent, restit.uer l'église
et le cloître des Cordeliers, la ville s'indignera que ces mo­
numents aient été saccagés en 1793 et détruits en 1845. -
Lapides etiam clamabunt f.

(1) Notice, p. 8 et 9.

(3) Sur ce point cf. Notice sur' leç nécrologes. p. 40, et Dolland,;ste,ç,
de sancto Antonio (13 juin), t. XXIII, p. '2'20-'2 i7 et 248.
(4) Je lis au pied de cette lithogt'aphie: Mayer deI. Lith. Thierry frères
à Paris. Victor Petit, litho

En 1884, je publiais ma pre~ière étude sur le couvent de
Saint-Fl'ançois. Dix ans ont passé, et j'achève cette étude
qui sera la dernière. .
Oserai-je le dire? Je ne croirai pas avoir perdu mon temps
si j'ai démontl'é contre le P. Gonzague, _ si mal informé du
couvent de Quimper (1), ' que le bal~on de Pont fut seule­
ment, avec beaucoup d'autres, bienfaiteur insigne du cou­
vent; mais que l'évêque Haynaud, en fut le vrai fondateur.
Le titre de Haynaud se fonde SUl' la tradition constante du
couvent: sur l'épitaphe gravée sur sa tombe p~r les fl'ères,
et (ce qui suffirait) sur des motifs très clairs et certains de
droit féodal que personne n'avait eneore examinés et mis
en lumière.
Si je rappelle cette discussion, ce n'est pas par amour­
propre d'auteur, ce serait une puérilité; c'est par un senti­
ment de respect p'our le. fondateur des Cordeliers. Jeréclame
un souvenir reconnaissant pour le pieux et grand évêque,
qui fut aussi ]e fondatenr de la cathédrale, où il n'eut pas sa
tombe et où rien ne rappelle sa mémoire.
Sur ce, je ferme mon dossier de Saint-François; je le
quitte avec tristesse, comme on quitte un ami avec lequel
on n'aura plus que de rares et courts entretiens ... Non
pourtant que je renonce à mes Études s'Ur Q'Uimper; mais
ces études aUl'ont un autre objet.
J. THÉVÉDY,
AnC'Ïen présidenldn n"-io'l.lnal de Qu,imper.

( t ) Sur neuf affirma lions du P. Gonzague comprises en douze lignes,
neuf sont erronées. Fondation du Couvent. (1890). p. 23;