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Bulletin SAF 1894


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Les cimetières préhistoriques

Baron Halna du Fretay

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Sépultures sous les roches brutes .
Dans un de mes premiers ouvrages, j'ai décl'Ït le grand
atelier quaternaire de Guengat (Finistère), le seul à l'ex­
trême ouest de notre continent, et je l'ai daté de la fin de
cette période, peu' avant le dernier diluvium qui avait recou­
vert d'une couche d'argile les blocs du gisement et cette
énorme quantité d'armes et d'outils taillés dans le silex et le
quartzite.
Aujourd'hui je vais parler encore de l'époque paléoli­
thique, mais à son début, dans la presqu'île de Bretagne;
nous sommes encore dans le Finistère, sur les sommets de
Poullan, au milieu des roches erratiques du terrain primaire.
Ici il n'y a d'apport d'aucune sorte et cet outillage eù
granit, si primitif et si curieux, ces armes du premier
homme ont été façonnées avec les débris de ces roches; les
premiers occupants, à l'âge quaternaire, ont trouvé là Jeur
seule richesse; ils n'avaient pas encore le silex qu'ils
n'avaient pas rencontré dans leur longue course à travers le
monde et que leurs successeurs ne devaient découvrir que
plus t.al'd, bien près de là.
pierres de chaque pays;
Ils avaient employé en route les
arrivés à Poullan, en vue de l'Océan, le rivage de la mer
leur a donné leur nourrirure. Ils y sont restés l~ngtemps ;
mais là il n'y avait que du granit, ils l'ont fait servir à tous
les usages.

C'est à ce début de l'occupation qu'il faut attribuer ces
sépultures sous roches brutes que je vais décrire tout à
l'heure. .
Plus tard les mêmes familles par leur descendance ont
élevé ces innombrables petits tumulus dont je parlerai bientôt
dans une autre publication et où j'ai trouvé, toujours comme
mobilier funéraire, les mêmes séries d'objets en granit
taillé. .
Je suis le premier à parler de ce genre d'outils ou d'armes
et de plus je précise les dates; nous ne sommes pas à l'époque
de transition entre les âges paléolithique et néolithique;
cette transition s'est faite naturellement, elle est marquée
par les petits tumulus et la même tribu, maîtl'esse du ter­
rain, a vu sans bouleversements la succession des deux âges
avec l'usage constant des sépultures sous les roches brutes,
grandes pierres roulées sur les cendres pour le premier, et .
des très petits tumulus très peu visibles pour le second.
l'histoire de l'homme presque à son début sur la
Voilà
terre au moment de la réunion des premiè1'8s familles.
je constate l'absence absolue du silex, chez ces nomades
Ici,
à peu près contemporains, de ceux qui ailleurs l'avaient
découvert et avaient su l'approprier à toutes les nécessités
de la vie; à leur arrêt au fond de la Bretagne, avec l'intuition
qu'ils ne pouvaient faire autrement dans cette lutte pour
l'existence, ils ont employé une autre pierre qu'ils trouvaient
au bord de la mer, séjoul' toujours préféré par les primitifs;
et si je n'avais pas été l'adversaire convaincu des auteurs qui
ont fait tant de coupures et d'âges différents, j'aurais pu
définir ma découverte nouvelle, en disant: l'âge du granit.
Dans un de mes ouvrages, paru en 1889, Les âges préhis-
toriques, j'ai dit qu'une grosse roche roulée sur la sépulture
avait été la première défense des cendres des morts; j'en
avais les preuves et je viens de confirmer, l'été dernier, par

des exemples multiples, cette affirmation de mon début
. comme écrivain, mais non comme ar?héologue. .
J'ai trouvé en même temps par l'examen du mobilier funé­
et la répétition des types, la preuve d'une ancienneté
raire
bien grande, d'où la conviction sans doute possible que
j'ét.ais en face d'une occupation quaternaire indiquée. par la
similitude absolue de ces outils et de ces armes en granit,
comparés aux indiscutables quartzite et silex taillés que j'ai
tl'ouvés sous les alluvions et qui ont été découverts dans les
mêmes conditions sue plusieurs points de la France et de
l'Europe.
J.Jes cendres, et j'insiste sur ce point très important de ma
découverte, m'ont indiqué d'autre part pour toutes les sépul­
tm'es fouillées la coutume constante et sans exception de
l'incinération à cette époque si reculée.
Ces preuves répétées, cet usage invariable, confirment
bien ce que j'ai déjà dit de ce rite funéraire dont il faut faire
remonter le début au premier usage du feu.
Si, pour l'histoiee préhistorique, des règles contraires ont
été til'ées par certains auteurs des usages actuels ou récents
de certaines peuplades sauvages, il ne faut pas tenir compte
de ces suppositions et voir là seulement une absence de la
pensée ne chel'chant pas à se reporter en arrière et le sens
natif et intelligent déjà des premiers hommes remplacé par
la négation même de l'instinct dans ces races abâtardies qui
Il 'ont su faÏt'e aucun progrès pendant près de neuf mille ans,
pal' suite de l'oubli complet des tl'aditions de leurs ancêtres.
Plusieurs de mes collègues qui doutaient encore sont venus
voit' ces dernières i"ouilles et leur conviction sur tous les
points est devenue complète.
Dans ces sépultm'es sous les roches brutes comme sous
l~s petits tumulus, il n'y a rien de ce que j'ai constaté partout
aIlleurs pendant tl'ente-six années de fouilles continuelles il
Il Y a pas urne et on trouve seulement parfois un débris

informe de poterie absolument pr.imitive; aucun récipient
pour les cendres, pas de corbeille en pierres comme s'Ous les
dolmens et les tumulus des âges postérieurs.
Les cendres et aussi le mobilier funéraire ont été déposés
à trés peu de profondeur sous la terre grattée à 0 m. 30 au
plus et remise ensuite, puis la grosse roche informe a été
roulée par les compagnons du mort pour préserver à jamais
les restes de toutes violations.
Les terres calcinées m'ont indiqué souvent que l'incinéra-
tion avait eu lieu à l'endroit même où la roche devait reposer
. après la cérémonie funèbre.
Voilà bien la sépulture tout à fait primitive, mais nous
disant aussi quel a été le profond respect des morts dès les
premiers âges de l'humanité. Ces sépultures sous les gl'andes
roches, lourdes, d'apparence massive généralement, très
longues, épaisses et larges, mises à plat en contact avec
le sol sur le côté le plus régulier, n'indiquent en rien le rite
religieux des menhirs qui ne devaient être élevés que bien
après.
des siècles
Tout ce pays de Poullan est un vaste cimetière et les
tombes se trouvent disséminés un peu partout. J'ai décou-
vert la plus grande agglomération au village de Kergoulinet,
où, sur un espace de quatre-vingts ares environ, j'ai fouillé
32 sépultures mêlées à un très grand nombre de roches natu­
relles incrustées profondément dans le sol.'
Ce terrain presque entièrement couvert de ce choas de
grandes roches et d'autres pierres facilitait le travail des
premiers hommes pour celles qu'ils pouvaient rouler; de là
l'idée d'une première sépulture et avec le temps la création
de ce cimetière .
Ces roches sont du reste très dissemblables et le côté mis
en contact avec là terre offrait généralement une surface à
peu près plane, mais il y avait des exceptions,. faute de .

roches convenables avec impossibilité de l~s tal11e.r " elles'
étaient souvent rondes dessus comme dessous en forme de
poudingue.
Après ces constatations, j'arrive une fois de plus et avec
par d'innombrables preuves
une conviction complète amenée
à cette conclusion: c'est que d'autl'es réunioBs de pierre-s,.
mais celles-là levées, souvenil' de la période néolithique qui
a précédé la civilisation, les menhirs isolés O·H en aligne­
ments, les cromlechs en cel'cle, en ovale, en ellipse ou en
11e sont pas des sépultures mais des ffiOlllJlm,ents
rectangle
ayant cssentiellement un attribut religieux: se mêlan·t sou­
vent au souvenir d'un grand événement; ils sont en un mQt
en très gl'and ce que nous appelons auj~urd'hui des ex-vû-to.
A Kergoulillet, j'ai trDuvé un peu moins .de mobilier itIné­
raire que daùs toutes les autres sépultures du rnême- genre
aux envil'ons et en dehors des gl'anits taillés, armes et outils,
et du charbon, je n'ai const.até que deux objets importés de
tr'ente-deux kilomètres au moins, tous les .· deux en schis,te
dUl', L'un est une pointe d'épieu, l'autre une scie primi- .
tI'ès
live très curieuse avec encoche d'emmanchement semblable
à cellc du même gClll'e en quarlzite que j'ai trotlvées d'ans
le. ateliers et les stations quaterna' l'es.
la première époque, la coutume du mobilier funéraire
était à son début, cette habitude dans les cél'émonies funè­
bl'es s'est acccntuée beaucoup pat' la suite pOUl' diminuer
pres(lue JH'llsquemcnt peu après le début de notre ère.
On se demandel'a peut-être comment ces roches si lourdes
pouvaient. êtl'{: roulées et comment. j'ai pn al'river à les erotle­
vel' sans tlégl'adel' ce qu'il pO:lvait y avoir dessous.
compagnons du mOl't illcinéré n'avaient pas d'ol1tils
Les
pour couper les ar'bl'es, mais ils avaient le feu pour abaHJ'e
et mettl'e leurs puissants levicl'S à la mesure cherchée, .
Pour les eulevel' je me suis servi sur le dessus de la roche
d'une car'touchc de dynamite; puis d'un gl'and cric ·enlev.ant
BULLETIN ARCHJoJoL. DU FINISTÈRE. TOME XXI. (Mém()ires). 8 "

sans rien ébranler les grands quartiers de rochers; avec des
habiles et très habitués, l'opération se faisait vite
ouvriers
et bien.
d'un si lointain passé, ce respect si grand
Ces coutumes
des morts, ces grands efforts pour soustraire dans l'avenir
leurs cendres à toutes profanations caractérisent le début
d'une époque et d'un rité religieux autant que funéi'aire;
c'est indéniable; et comment ne pas trouver étrange l'assu­
rance des écrivains venant dire sans preuves absolument
par le fait même de la
certaines que ces mêmes hommes
religion des druides, faisaient la cérémonie barbare du sacri­
fice des vivants.
Dans la série des objets trouvés sous ces tombes, la répé­
tition des rondelles me fait réfléchir; pour moi, ce sont cer­
tainement des fétiches avec attribution religieuse, on ne voi~
pas de traces d'usage; la répétition des trouvailles indique
et il faut voir là l'imitation du
d'ailleurs cette conclusion
cercle céleste que ces hommes voyaient au-dessus de leur
tête .
J'ai trouvé là encore:

1 Des percuteurs en quartz et en agate;
2 Des plateformes en granit, pJats, taillés dans la pierre,
ustensiles de ètiisine.
Des granits grossiers taillés en tranchant, ébauches des
pierre qui devaient être perfectionnées plus tard.
haches en
Une herminette rectangulaire en granit avec sa poignée
assez bien arrondie.
Un certain nombre de maillets rectangulaires en granit et
en amphibole avec poignée pour la mise en mains. Je n'avais
jamais trouvé encore ce genre d'outils.
poing de toutes formes et de toutes tailles,
Des coups de
toujours en granit.
Des pierres de fronde, galets de la mer et d'autres en
granit taillé en forme de boulets. .

Des p::>intes d'épieu en gl'anit avec pédoncule au milieu de
la base pour l'emmanchement.
Les planches jointes à ce mémoire donneront l'idée de ces'
souvenirs de la pl'emière heure que l'on n'a pu voir dans
aucun autl'e musée et que l'on peut compter par centaines
daus le mien.
Je tel'mtne ; j'ai été dirigé dans cette étude par mon passé,
car les connaissances que je possède. dit-on, je ne les ai pas
puisées dans les auteurs: je les ai trouvées dans les preuves
sans nombre qui m'ont été fournies pendant ma vie déjà 1011-
O"ue d'al'chéologue cherchant toujours dans les stations et les

sépultul'es la vie réelle de 1103 ascendants aux premiers jours
du monde.
Baron HALNA DU FnET A Y,
Vice-Président de la Société œrchéologiqne du
Finistère, COr?'csIJondanl du rninistèr~ de
l'Instruction publique.
Chàleau du Vieux-Châtel, pal' Quéménéven,
20 septcm bl'C 18!)J,
(Lu pat l'auteUl' au Congrès ries Soeiétés saV:1ntcs à la Sor­
bonne. Pari~, 27 mal's 189 i).