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Bulletin SAF 1894


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Le couvent de Saint-François de Quimper (suite)

M. Trévédy

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DE QUIMPER
SUITE (1)
QuelqueS épisodes de son hist~ire . .
VI.. . Procès contre les débiteurs de .rentes.
Dans ma carrière de magistrat, comme j'ai plaint les plai­
deUl's des lenteurs de la justice! Nos prédécesseurs des XV

et XVIe siècles n'éprouvaient pas, à ce qu'il semble, ces com-
misérations ; et puis les degrés de justice étaient si multi­
pliés! Toute cause civile (même une c~use de cinq sols)
proche en proche parfois jus­
ne pouvait-elle pas aller de
qu'au conseil du roi? Les pro ces passaient du père aux fils :
et durant vingt, trente, cinquante ans « étaient comme
immortels.
Et pourtant on plaidait et souvent, et à propos du plus
mince intérêt, sauf à transiger quand on avait épuisé les
juridictions et les arguties de procédure! .
justice aux cordeliers. Trois fois seulement ils
Hendolls
se sont maladroitement obstinés à se laisser assigner. Ils
ont heaucoup plaidé; mais toujOUl'S contraints et forcés; et
ils n'ont soutenu (lue de bous procès qu'ils ont tous gagnés.
Heureux quand leurs victoires juridiques n'étaient pas
stél'iles ou ne llcyenaicnt pas l'occasion d'un nouveau procès!
Un exemple: cn16/.3, Holland Lescoët et son fils Guillaume,
hOUl'geois dc Quimper, s'opposenL violemment à l'exécution
(1) Ci-dessus p. 18.
(~) SUI' ces divers points. Hévin, cons. G. Const. des ducs. Ord. de
Vannes, 153'2, etc. Siluvageau J[ ('2 partie). Les procureurs avaient ima­
giné l'appel d'Ull juge à l'autre de la même juridiction! V. mon Orga­
nisation judiciaire en Bretagne avant 1789. (1893)
BULLETIN ARCHÉJOL. DU FINISTÈRE. ' TOME XXI. (Mémoires). 5 .

d'une sentence rendue contre eux au profit des cordeliers;
et ceux-ci sont- contraints de se plaindre au juge (1).
Si telle était la résistance d'humbles bourgeois, quelle pou­
être celle des hauts et puissants seigneurs auxquels
vait
pour son malheur le couvent Saint-François eut si souvent
affaire?
Je citerai seulement un fait à titre d'exemple (2).
Raoul du Juch,seigneur de Pratanroux(Penhars) ,avait, par
acte du 3 octobre 1519, donné au couvent une rente de trente
livres. Le 11 des calendes d'octobre 1534, Raoul fut inhumé
dans sa chapelle sous l'habit des frères. Il laissait pour héri­
tière principale sa fille Claude. Quelques années plus tard, en
1540, son tuteur Rolland (VI) de Lezongar la donna en ma­
riage à son fils Rolland VII, qui allait devenir, après son
père, seigneur de Pratanras. D'un premier mariage avec
Fresne (3), Rolland a vai t deux filles: Jeanne
Jeanne du
1550, et Marguerite qui mourut prématurément.
mariée dès
Claude lui donna un fils, Rolland (VIII) et devint veuve en ·
Bientôt consolée, la douairière de Pratanras se mit à dis­
tribuer ses seigneuries à des amis; et, son fils ayant vingt­
trois ans, elle se laissa charmer, après la reine Catherine de
Médicis, par Troillus de Mesgouez; elle l'épousa et lui fit
don de la seigneurie de Liscuis (Laniscat) ayant haute justice.
Lezongar demanda et obtint l'interdiction de sa
Rolland de
(1) 17 avril 16!t3, ajournement donné par Claude du Disquay, président
« pour les rébellions et violences commises contre l'exécution
au présidial,
de la sentence du siège. »
("2) J'ai déjà conté cette affaire (Prol)W!wcle à Pratanl'oUx, 188/),
mais j'ai quelques points à rectifier et à préciser.
(3) Inhumée aux Cordeliers le 8 des ides d'octobre 1538.
(4) Cette date qui rectifie la date. 15GO précédemment donnée est authen­
dOllll.erai plus loin un extrait de l'acte d'inhumatIOn dressé à
tique. Je
Saint-Julien de Quimper, et retrouvé par le baroll de H.osll1orduc. Les
nécrologes de Saint-François font défaut pour cette époque.

J1lèl'e, 'l'roillus menaça d'un appel; et, pour prévenir 1e­
scandale d'un procès plus retentissant, Rolland abandonna à
Tro l'usufruit de Li scuis.
ïllus
Depuis 1552, la rente n'avait pas été payée. Les cordeliers
assignèrent.
Mais comment feront-ils exécuter une condamnation contre
le t'avori de la reine mère, gentilhomme de la chambre du
roi ?
La rente est hypothéquée sur toute la seigneurie de Pra-
tanroux, notamment sur le lieu · de Lestannou (Tréoultré­
Penmarc'h).Le procureur des frères croit faire acte d'habileté
en assignant la détentrice de Lestannou, Guyonne de •
Guyonne épuisera toutes les
Kerouant (Tréméoc). Mais
arguties de procédure, fatiguera toutes les juridictions; et,
protestante, elle portera jusqu'à la chambre de l'édit ce mau-
vais procès perdu d'avance . .
La procédure prendra douze années pendant lesquelles la
rente n'est pas payée; et c'est seulement le 10 juin 1581, que
sentence sera rendue contre Guyonne qui s'obstine (et pour
cause) à ne produire aucune pièce.
Elle est conùamnée, saut' son recours contre qui de droit,
c'e t-à-dire contre Claude du Juch; mais celle-ci n'est pas
: Troillus, plus puissant que jamais, est marquis de la
Roche-Coetremoal et vice-roi de Terre-Neuve. Contre lui
le recours n'est-il pas illusoire? .
Quoiqu'il en soit., Guyonne ne l'essaie pas, elle s'oppose
à l'exécution ct va recommencer ses t'olles procédures et
ajoutel' les frais aux l'rais.
Troillus et Claude sc ravisent enfin; et, faisant ce qu'ils
auraient dû faire ùès le début, ils interviennent et transiO'ent
(10 décembre 1582). Ils paieront aux cordeliers 250 écus
d'or soleil pour trente années arriérées, et 30 livres pour
chaque année à venil',

La première partie de la transaction s'exécute.
En 1588, dès les premiers troubles, le marquis de la Roche
avait été fait prisonnier par les Ligueurs: et il allait subir une
captivité de huit années (1). Vers le même temps, Claude
du Juch mourut (2). Elle avait perdu son fils (3), et elle laissa
pour héritier Jean de Baud, fils ou héritier de ce Jean de
Baud, seigneur de la Vigne Le Houlle, qui surprit Concar­
neau, en 1573, ne put s'y maintenir et y périt misérable­
ment (4j. Jean de Baud était huguenot, comme son auteur;
et la terre de Pratanroux « fut saisie sur lui comme contraire
• au saint parti. »
Jean de Baud eût ainsi une raison ou un prétexte de ne
pas payér la rente, et le receveur des saisies ne la paya pas.
C'est pourquoi, en 1593, les cordeliers présentèrent requête
au duc de Mercœur; et le duc s'empressa d'ordonner que le
receveur paierait la rente; mais cet ordre resta sans exécu­
tion (5). Enfin, le 20 août 1599, les cordeliers assignèrent
de nouveau; et, trois ans après, le 13 avril 1602, ils obte­
naient par sentence les vingt années d'arrérages échues
depuis 1582.
Cette sentence fut-elle exécutée, et la rente fut-elle désor-
mais annuellement payée? C'est ce que nous ne pouvons
savoir, et ce que nous n'oserions affirme!'.
(1) D'Hozier (CheValiers de Saint - Michel) ne mentionne pas cette capti­
M. de Courcy est mieux informé. Biog. Bret. v· La Rocbe (Marquis
vité.
de) il dit que Mesgouez fut mis en liberté lors de la trève de 1590,
moyennant une rançon de 4,000 écus. Cette. rançon ne fut pas payée inté­
gralement, mais Mercœur exigea de bonnes cautions et fit prudemment.
(Documents sur la Ligue. Bibl. Bretons, p. 2"U-'Z'23.)
(2) Saisie féoda,le de la terre deTroheïr, 2 mai 1590, après le décès de
Claude du Juch. Titres de l'évêché, Trohéïr. G. 17, Arch. du Finistère .
(3) Les biens paternels de Rolland de Lezongar, notamment Pralalll'as
étaient passés à Jeanne de Lezongar, sa sœur consanguine, veuve de Jean
du Quélénec et douairière de Bienassis, morte le 29 novembre 1.'.87. V .
plus haut, §
(1) Sur la surprise de Concarneau. Moreau, p. 6U et suivantes.
(5) Nous avons mentionné cette requête, § 1 , en faisant remarquer que
la rente n'était pas de 12 écus .

Cet exemple démontre que durant cinquante années la
rente n'a été 'payée que deux fois, trente années arriérées en
1582, et vingt années en' 1602. S'il était ainsi des autres
rentes, on comprend combien il était difficile aux frères
leur budget; or, les nombreux procè? faits et
d'aligner
débiteurs n'étaient pas plus exacts que Bolland de Lezongar,
Claude du Juch, Troïllus de Mesgouez, Jean de Baud et
mème le receveur des saisies de Mercœur.
Et qu'on ne croie pas que ces difficultés aient tenu aux
• troubles de l'époque. Non! il était passé en usage de ne pas
payer les i'entes anciennes dues au couvent. Ainsi, au milieu
fl'ères doivent procéder pour obtenir
du siècle suivant, les
, de François de Penmarc'h, sieur du Parc Coetenez, le paie­
ment d'une rente de 12 livres fondée par Marie du Parc,
« fille aînée de la maison du Parc-Coetsquirioll » (1) La
condamnation est prononcée le 13 janvier 1641. Mais elle n'a
pas enCOl'e Bté exécutée quand Sébastien Troussier, sieur de
la Gabtière, Coetsquiriou, etc., venu aux droits de François
de Penmarc'h, intervient. Une condamnation est prononcée
2 mai 1649. ' .
Moins de vingt ans après, les cordeliers auront,à propos de
la même rente, à réclamer dix années de François Le Vayer,
sieur de Kerandantec, et il leur faudra obtenir contre lui une
sentence par corps. (29 octobre 1667.) (2) .
(1) Rentier de 16:)G. 26 oclobre.
(~) Titres du couvent. Fondation de Marie Duparc ff. '2. Arrèt de
Penmarc'h L.L. Arrèt Troussier FF. 2. Sentence du Parc FF. En un
autre endroit on voit le même Sébastien Troussier condamné, le 4 juillet
16\'2, à payer tl'ois années d'une rente de 15 livres due en vertu d'acle
28 mal's Il>13; il rait appel, el le parlement, par arrèt du 7 décembre
WU, conflrlllc purement et simplement contre Francois de Penmarc'h
sieur du Parc.
Jean TI'oussier, seignem' de la Gablière et du Pontmenard (Saint-Brieuc
de Mauron), etc., gourerncur de Guingamp, chevalier de Saint-Michel
arait épousé Jeanne du Parc, dame de Coetsquiriou. Leur fils Sébastien'
chevalier de Saint-Michel, obtint l'érection en vicomté de sa terre de l~

Et que d'autres faits du même genre nOliS révèlent les
débris des titres du couvent!
VII. La Ligue. Le gardien Jean Bonhomme.
Le couvent de Saint-François, avons-nous dit, échappa
aux violences et à la ruine que les guerres de la Ligue ap­
portèrent à d'autres couvents, comme Landévenec, Lan-

tenac, Le Relec (1); et pourtant les cordeliers de Quimper
avaient, bien plus que les bénédictins de Landévenec et de
Lantenac et que les cisterciens du Relec, pris part aux
événements publics.
A la nouvelle de la mort de Henri III (1 el' août 1589) à Quim­
per, comme en toutes les villes, la division éclata. L'évêque,
Charles de Liscouet hésitait, et tâchait de se ménager entre
les deux partis. Jean de Quélénec, capitaine de la ville,
.« n'était ni chaud ni froid (2). » Le sénéchal royal, Jacques
du Laurens, contrastait avec le capitaine et l'évêque. Mais
comme son zèle royaliste est maladroit! Il a dit: « Quand le
Roi serait un diable incarné je serais toujours son servi-
Gabtière (1635). C'est lui qui intervient en H:i4'~. Il meurt à 30 ans,

En 1649, Sébastien Troussier, sieur de la Gabtière, Coetsquiriou, etc.,
à propos de l'arrêt rendu en 1643, contre écuyer François de
intervient
Penmarc'h.
(1) A Landévenec, c'est un royallste, Troill us de Mesgouez, qui se
rend maître de l'abbaye. Il coppe les futaies, descend les cloches pour en
. faire des couleuvrines, et enlève jusqu'aux vases sacrés. Les moines fugi­
tifs dès 1595, ne sont pas encore chez eux en 1600. (M. du Chatellier.
Quelques anciens couvents P. 10 et suiv.) Vers ce même temps, Anne
de Sanzay, comte de la Magnane, ligueur à la façon de La Fontenelle,
des deux parts, s'établissait à l'abbaye de Lantenac(aujourd'hui
pour piller
de La Ferrière, canton de La Chèze, Côtes-du-Nord), avec sa
commune
de Tromelin, veuve du baron de 'Penmarc'h, transformait
femme, arie
en écurie et le réfectoire en étable, coupait le foin, percevait les
l'église
bénéfices et agissait en maître pendant vingt ans. (Documents inédits sur
p. '250.) D. Morice dit que de 1 GO 1 à Hi 10, l'abbaye fut en
la Ligue,
éconl)mal. (c'est-à-dire sans titulaire) Hist. II. p. CXIV.) Au Relec,
en 1598, nous trouvons Troïl\us de Mesgouez et le comte de la Magnane
T. XIX, p. au.).
pillant et ravageant l'un après l'autre. (Bulletin,
(2) Sur ce point et ce qui suit, Moreau, chap. III .

teur! » Déjà compromis par ces paroles vis à vis des Ligueurs,
il va les pousser à bout.
du Parlement doivent être publiées à l'au­
Deux lettres
dience qui se tient chez les cordeliers; mais pourquoi le
sénéchal ajoute-t-il à la publication « des paroles d'aigreur,
hautes et fières? » Le lieu était mal choisi et le sénéchal
allait s'en apercevoir. Comme il sortait, il dut passer entre
deux haies de bourgeois armés d'arquebuses; et il put en­
tendre un cordelier, qui, monté sur les marches de la croix
prêchait la résistance. (1)
du cimetière,
Le sénéchal rentra en hâte dans son hôtel (2) ; et sur
l'heure il galopait vers Brest. Provoquer l'émeute et fuir
devant elle, est-ce donc se montrer le fidèle serviteur du
roi?
Les cordeliers avaient déterminé le mouvement qui ca~lsa
la bl'usque retraite du sénéchal et donna Quimper à Mer­
cœur. Cinq ans plus tard~ ils encourageront la résistance à
l'armée royale; leur gardien, La Villeneuve, sera blessé
mortellement au moment où il travaille à un retranchement
dans le jardin du couvent (3) ; et pourtant, quand le maréchal
d'Aumont entrera en ville, les cordeliers n'auront pas à se
plaindee de lui.
après de longues années de troubles publics,
Toutefois,
il y avait beaucoup à faire pour rétablir l'ordre même dans
un couvent. Ce fut l'office de Jea:l Bonhomme, qui devient
gardien en 1602.
C'est le seul g'al'dien dont les titres du couvent nous per­
mettent de tracer l'image. Je l'ai fait ailleurs. J'ai dit que
(1) nens. foumi spar notre regretté confrère le major Faty.
12\ A l'angle de la place Saint-Corentin et de la rue des Regaires.
(Major Faty.)
(3) Ci-dessus § 1 • Ce fut le seul tué par l'ennemi avec Ollivier Endroit
qui avait été frappé au moment où il saluailles royaux du nom de frères, et
pauvre servante qu'un anglais s'amusa à tirer. Moreau p. '2 t 7 'H,)
une

Jean Bonhomme, docteur en théolog'ie, devint théologal de
Cornouaille. J'ai dit son désintéressement et sa libéralité
pour le couvent. J'ai dit aussi que le soin de sa charge le fit
l'adversaire en justice, mais l'adversaire toujours heureux,
des plus grands seigneurs de Cornouaille, les sires du Pont,
du Juch et du Quéménet.Ce dernier, aH temps de ces procès,
n'était autre que le fameux Henri II, duc de Rohan, chef du
parti protestant sous Louis XIII.
Je ne puis revenir sur les détails que j'ai donnés (1). Je
rappelle seulement que Jean Bonhomme construisit en 1609-
1610 un édifice qui allait survivre au reste du couvent et n'a
été complètement démoli qu'en 1887. Deux pierres retrou­
vées à cette époque, portent toutes deux le nom de Jean
Bonhomme et donnent ces deux dates. . .
Nul doute que l'inscription gravée sur une de ces pieeres,
ne soit une allusion à la libéralité de Jean Bonhomme

et ne fût destinée à en porter le souvenir à la postérité.
Nous aurons à reparler de cet édifice, dont une partie était
destinée au réfectoire, et dans lequel ont siégé jusqu'à la fin
du siècle dernier, le présidial et la plupart des hautes jus-
tices s'exerçant à Quimper.
NOTE
Hélène de Beaumanojr~' baronne de Pont (l'Abbé) etc .,
était fille de Toussaint de Beaumanoir, vicomte du Besso,
et d'Anne de Guémadeuc. A la mort de son père, le 7 mars
1590, elle était dans sa cinquième année; et son père recom-
manda de la marier à René de Tournemine, fils du baron de
la Hunaudais qui ne pouvait avoir plus de six ans, son père
s'étant marié en 1583. Le contrat de mm'iage est du 16 jan-
(1) Derniers débris du couvent de Saint-François. (Bull. de 11)87.) Tou­
en ce qui concerne la baronnie de Pont, j'ai quelques modifications
tefois,
à faire, et il ne faut jamais laisscr passcl' l'occasion ùe sc rccLiflcf'.
Voir note à la fin clu paragraphe .

vier 1599 ; mais la vie commune ne commença pas avant
1601, Hélène ayant quatorze ans et son mari quinze.
Ce mariage, dit le P. du Paz, n'eut pas un heureux
succès (1) )l. Impossible de parler plus discrètement. Cela
veut dire que, dès l'année 1604, Hélène fuyant, disait-elle,
les violences de son mari, s'enfermait dans le château de
Pont-l'Abbé, où son mari vint l'assiéger. Quelques semaines
après, la ville de Quimper put voir une troupe d'un millier
d'hommes prenant la route de Pont-l'Abbé. C'est Sébastien
ùe Rosmadec, marquis de Molac, qui de Dinan, dont il est
gouverneur, vient au secours de sa cousine avec une nom­
breuse noblesse. Mais la troupe arrive trop tard, Hélène
vient de se rendre.
La vie commune recommence entre les époux; mais pas
pour longtemps. Bientôt Hélène se refugia derrière les murs
de Dinan plus sùrs que ceux de Pont-l'Abbé: et sous la main
de son cousin. De là, elle intenta une action en dissolution
de mariage. Enfin son cousin Toussaint de Guémadeuc el
TOlll'llemine se rencontrèrent au pays c1e Hetz. Guémadeuc,
sur le coup, fut inhumé à Québriac le 4 décembre 1606 ;
tué
et Tournemine, mortellement frappé: languit plus d'une
année et mourut à Paris, le 28 février 1608 (2).
Peu de temps après, la veuve, à peine âgée de vingt et un
ans, épousa Charles de Cossé, marquis d'Acigné, second fils
du maréchal comte et plus tard duc de Brissac. Ce mariage
ne devait pas être plus heureux que le premier.
Dans ses Historiettes, Tallemant des Iléaux réprésente le
marquis comme un émule de Don Quichotte; mais il avait
des fantaisies moins innocentes. Il finit par emprisonner sa
femme dans uu de ses chùteaux, et de la forcer sous menace
(1) Généalogie de Beaumanoir.
("l) Ce rcnseignement, puisé pal' M. l'abbé Paris-Jalobert aux actes de
Québriac, recti/ic la dale l')~)U, donnée sa ilS doute au hasard, et la date de
du Paz « demie!' féHicr de WUU ». . .

de mort à reconnaître un enfant supposé. Enfin Hélène
trouva moyen de faire parvenir sa plainte au roi : le mar­
• quis fut mis à la Bastille; et la marquise intl'oduisit une
nouvelle demande en dissolution de mariage. Par arrêt du
25 janvier 1628, le marquis fut banni du royaume à perpé­
tuité.
Hélène de Beaumanoir avait pour héritière principale
Marie-Françoise de Guémadeuc, fille de Thomas de Gué­
madeuc, gouverneur de Fougères, qui, meurtrier ' du baron
de Nevet et rebelle au roi, avait été décapité en place de
Grève, le 27 septembre 1617. Le cardinal de Richelieu avait
déterminé l'exécution; mais,après neuf années,quand il envi­
sagea l'opulence de Mlle de Guémadeuc,l'avenir brilla d'un tel
éclat à ses yeux que le passé se voila comme d'un nuage. (1)
Le 29 juin 1626, François de Vignerod, fils de la sœur du
cardinal, marquise de Pontcourlay, épousa Marie-Françoise
de Guémadeuc ; et, en 1629, celle-ci devint mère d'Armand
Jean, que le cardinal allait faire héritier de son nom et de ses
armes; c'est lui qui a perpétué la maison de Richelieu.
M. et Mme de Pontcourlay et sans doute le cardinal ne su­
rent pas attendre que la mort d'Hélène ouvrit sa succession;
et, le 16 janvier 1629, Hélène fit donation anticipée à :Marie­
Françoise de Guémadeuc de tous les biens dont elle pouvait
disposer. La signature du cardinal est au pied de cet acte de
spoliation. -
En se dépouillant ainsi au profit d'un seul, Hélène de Beau­
manoir éloigna d'elle ses autl'es héritiers. Elle s'enferma dans
son château de Lirnoëlan (commune de Sévignac, canton de
Bl'Oons), où elle vécut tristement. jusqu'à la fin de juillet
1636. Le 10 aoùt suivant, ene fut inhumée au couvent de
Sainte-Catherine à Dinan, qu'elle avait fondé en 1631.
(1) Sur ce drame, v. Sâgnrurie rt Seigne/ln' de Gudmadellc. (Soc.
d'Emulation des Côtes-du-Nol'd. 1888) .

Soyez la plus riche héritière de Bretagne pour faire de
tels maria ges
VIII.. Le couvent, le présidial et la ville .
Les anciens évêques de Cornouaille, défenseurs des privi­
temps des franchises de la cité,
lèg'es de leur fief et en même
n'auraient pas permis que la justice royale siègeât dans la
ville close. Respectueux du fief de Saint-Corentin, la
reille Anne et Louis XII firent bâtir, aux premières années
du XVIe siècle, un auditoire dans la Terre au Duc. C'était
ce (( beau logis vis à vis la porte et le pont Saint-Médard,»
le long de la rivière du Stéïr, dont Moreau a déploré la des-
tl'llCtion inutile (2).
La sénéchaussée royale avait vécu, semble-t-il, en bonne
juges des regaires, mais la création du
int.elligence avec les
présidial changea ces relations. Les présidiaux (3) fiers d'un
l'eSf>ort plus vaste que le département actuel du Finistère, et
jugeant nombre de cas en appel, voient de leurs sièges
mèmcs les murs de la ville close: à l'abri de la vieille
muraille siégent les jug'es des regaires dont les appels,
comme ceux du prési~ial lui même, vont directement au
pal'lement. Cette parité agace les présidiaux, et ils vont
elltamer une Intte d'influence qui ne finira pas.
La l)l'C'mièl'e entreprise à tenter, c'est de passer le Stéir,
et d'aller camper ... , je veux dire sièger dans la ville
close. Le moyen est bientôt teouvé. l e nouveau logis suffi-
(II Sur le marqllisd'Acigné Y. Tallemant des Réaux. Le Me1'cure F/'an­
{:!.lÏs nOlis apprend que SUl' la plainte de sa femme il fut une première fois
tl la Bastille, (XII. p. III G, août 16!ü.)
mis
11 faut lire une étude sur Hélène de Beaumanoir, pal' M. Raison de
Cleuziou. Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, 18,)2, p. 05 à 10:3-

. (:)) C'est-tl-dire les jW1Cs 7J7'(!sùlia'lx composant la compagnie unique,
on donnait souyent le titre de sénéchau.w!e 7J1'ésidi'J.lt!. et dont
a laquelle
les membres formaient lu sélléchaussée ancienne et le présidial de créa­
tion nouvelle .

sant pour la sénéchaussée est insuffisant pOUl' le présidial.
Ne pourrait-on emprunter une partie du couvent de Saint­
François ? Les pauvres cordeliers se flattent d'obtenir un
prix de location et acceptent avec empressement la pro po-
sition.
L'occasion est favorable. De 1555 à 1583, les éyêques de
Cornouaille, l'un prélat italien, l'autre ambassadeur à Rome,
ne résident pas, et ne s'inquiètent guère de leur évêché admi­
nistré par des vicaires généraux. L'emprunt du local des
cordeliers est autorisé.
A quelle date ? C'est ce que nous ne pouvons dire avec
précision. Tout ce que nous savons c'est que, comme nous
juges royaux étaient installés aux Corde­
allons le voir, les
liers avant 1579.

Il avait été pl'omis aux religieux une rente de douze écus
payable par le receveur des amendes de fol appel (1). C'était
une indemnité plutôt qu'':!n prix de bail; mais, quelque mo­
dique qu'elle fùt, cette indemnité allait être irrégulièrement
payée. Ainsi, le payement de l'année 1579 resta en retard et,
pour l'obtenir, les frères durent donner assignation (2).
Pendant les troubles de la Ligue, il n'y avait plus de
receveur des amendes auxquels les cordeliers pussent
adresser leurs rédamations. En 1590, 92, 93 et 94, ils pré-
sentèl'ent requête au duc de Mercœur; celui-ci s'empressa
(1) Amende de fol alJ/lel. « Appeler, c'est dire le juge infâme. »
Chap. 1 i3. T. A. Coutume. C'est. pourquoi le seigneur n'entendant pas
qu'on suspecte son juge exige une amende de celui qui, a tort, a rendu ce
soupçon public. Henri II, dans l'éclit des présidiaux, eut bien soÎn de
maintenir cette amende. (l-Iévin. Questions féorlales, p. XX. ) Aujourd'hu i,
l'appelant est tenu de consigne!' l'amende, aux te!'mes du décret du 27
nivôse an X. - La routine est une belle chose!
(2) C'est cet.le pièce qui nous donne la date app!'oximali\"e de l'établisse­
du présidial aux Cordeliers.
ment

J'ordonner le paiement par le receveur des saisies en la
la paiX, en 1601, 1605, 1617, 1618, 1619, les corde- •
Après
liers sont de nouveau contraints de présenter requête au .
trésorier de France, général des finances en Bretagne, pour
obtenir leur douze écus dont le paiement est resté une fois
pendant douze années!
arrièré
Il parait qu'outre l'indemnité de douze écus, le roi s'était
chargé (et c'était bien le moins) des réparations. Or, cette
condition de l'emprunt du bâtiment ne s'exécute pas plus
que l'autre. En 1629, il pleut dans la chambre du conseil et
l'hiver menace pluvieux comme ceux d'aujourd'hui. Le
commis de la recette du roi se refuse à toute réparation; et
il faut que les cordeliers obtiennent une sentence de la
sénéchaussée fort intéressée à ce procès. Elle ordonne que
la réparation de la couverture sera faite en forme qu'on ne
« reçoive aucune incommodité, et qu'il n'y pleuve, et ce dans
la huitaine prochaine. »
Le receveur s'exécute; et, le 5 octobre, Guillaume Morvan,
couvreur, donne quittance de 7 livres 12 sols pour le travail
et de 14 livres 5 sols «( pour avoir fourny pour étoffes re­
quises comme ardoises, clous, lattes, chevilles, vitres,
dardelles.
Jusqu'ici les cordeliers n'avaient réclamé que contre le
r~ceveur des amendes de fol appel; en effet, d'après l'édit
des présidiaux, de 1551, le roi avait abandonné ces amendes,
quand il serait nécessaire « pour l'aménagement des cham­
bres d'audience. » (2) Plus tard nous verrons les cordeliers
(1) Bull. de 188'2, p. 259 et suiv; Le paiement se fil-il? On en peut
douter quand on voit ne pas se faire le paiement da la rente de Pratan­
roux ordonné par le mème mandement. Ajoutons que cc dernier paiement
été régulièrement fait. Le receveur des saisies ne pouvait être
seul eùt
substitué au receveur des amendes de fol appel.
('Z) Hévin. (juesttons féodales, p. xxv.

adresser leurs réclamations au miseur de la ville, que nous
nommons aujourd'hui receveur municipal. Il semble que vers
l'époque où nous sommes arrivés (1630), en vertu d'arrange-
. ments que nous n'avons pas retrouvés, la ville se chargea de
fournir le logement du présidial, comme aujourd'hui les
villes fournissent les prétoires des justices de paix.
Mais Quimper n'avait pas d'édifice suffisant; il fallait
bâtir. Or, les finances de la ville étaient loin d'être prospères . .
A cette époque, les villes n'avaient pas encore adopté ce
mode d'administration qui consiste à dépenser sans compter,
en engagearft l'avenir par des emprunts excessifs. Toutefois
la ville résolut de donner satisfaction aux réclamations du
présidial.
Le 3 mars 1635, elle consentit à fournir sur les deniers
d'octroi la somme annuelle de 3,000 livres cc afin de bâtir et
construire un palais. » Mais il aurait fallu tenir cette pro­
messe; et c'est ce que la communauté ne fit pas, cc ses
deniers q'octroi ayant été divertis et employés à d'autres
afl'aires. »
Les douze écus dus annuellement aux cordeliers, n'étaient
même pas payés; et les frères, en 1648, obtinrent condam­
nation contre la communauté de ville pour quatre années
arriérées. En 1650, illenr fallut de nouveau recourir à justice
pour obtenir des réparations urgentes.
Le présidial était patient. La ville apparemment le savait
bien, et près de vingt années se passèrent avant qu'elle eùt
pris la truelle. Enfin, en 1653, le présidial assigna la ville:
il semble qu'elle résista; et deux arrêts intervinrent, un du
parlement, un de la cour des comptes portant condamnation
« de fournir les 3,000 livres par an jusques à avoir construit
et basti le palais,et cependant de fournir logement décent et
convenable. »
Il ne paraît pas que les arrêts aient imparti un délai et la
ville va prendre son temps.

Toutefois elle prit au sérieux les deux décisions rendues et
dont les dépens furent de mille livres; elle aménagea pour
le résidial un logement chez le sieur de Kerlaouénan (1),
installation provisoire dura peu de temps; puis-
Mais cette
' s 1659 nouS allons retrouver le présidial siégeant
que, '
aux Cordeliers.
(A stti'lJre.)
J. TREVEDY,
Ancien président du T-ribunal de Quimper

(1) Kel'laouénan était une grande terre, en l\lahalon et Guilers, qui avait
eu autrefois des seigneurs particuliers, Ils avaient une chapelle funéraire
aux Cordeliers, où quatre du nom sont mentionnés entre 1335 et 1376.
l{cl'Iaouénan fut acquis en 1630 par Françoise du Quélénec, femme de Gilles
de Visdclou, dame de Pl'utanras ; en 1657, il appartenait à son fils Claude
de Visdelou qui, de sénéchal de Cornouaille (Uj'2G-1(j34) devint conseillel'
au pal'lement (lü3'1), puis président aux enquêtes (1(j37). Il mourut le 4 mars
lü5t1; ct Kerlaouénan passa à son petit-fils, héritier principal, François­
de Virdelou, gonverneut' de Quimper en 1G83. (Bull. XIII, p. 51,
Hyacinthe
1 re partic.)