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Bulletin SAF 1893


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Notes sur la paroisse de Tourc’h

M. le vicomte de Villiers du Terrage

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XXIII.

Le vitrail de l'églisé paroissiale de Tourc'h a été signalé
récemment par M. l'abbé Abgl'all à l'attention de la Société,
en raison de sa gl'aude ressemblance avec la maîtresse vîtl'e
de l'église Saint-Mathieu de Quimper . .
A cette occasion, je communiquerai à la Société quelques
notes que j'ai recueillies sur l'église de Tourc'h et SUl' deux
chapelles voisines, Sainte-Candide de Locundu et Saint­
Guénaël.

Eglise paroissiale. La petite paroisse de TOUl'cïl, si-
tuée dans le canton de Hosporden, anciennement séné­
chaussée de Conq, · Fouesnant et Rosporden, est 'aussi an­
cienne que les deux grandes paroisses èlu'elle sépare, Elliant
et Scaër (1).
Il en est question dans le Cartulaire de Landévennec
(folio 147), à propos de saint Batian ft qui le roi Grallon fit
une donation de difIél'ents domaines situés à Toure'h (in
plebe Turch), à Scaër (Scatlzr) et à Coray (in vicario Choroe) .
Les noms de deux de ces domaines, Lan Ratian et Penn
Guel~n se retrouvent encore aujourd'hui aux environs de
Coray sous la forme Lanrajen et Penvern.

Saint Ratian était un de ces disciples de saint Guénolé qui
quittèrent Landévennec avec l'assentiment de leur maître
pour aller vivre dans la solitude. Devenu le protecteur de ses
(1 i Rosporden et Sain t-Yvi étaient seulement des trèves de la paroisse
d'Elliant.

• voisins, il écarta par ses prières un fléau qui dévastait tous
les pays d'alentour, fléau qui, d'après l'annotateur du Barzaz
Breiz, ne serait autre que la peste d'Elliant.
L'église de Tourc'h est dédiée à saint Cornély, dont le
pardon se célèbre le troisième dimancbe de septembre. En
dehors de son vitrail, elle ne présente rien de remarquable.
Le transept et le chœur peuvent remonter à la fin du quin­
zième siècle. La nef est plus récente, et les chapiteaux des
piliers indiquent le dix-huitième'siècle. Le clocher a été élevé
ou, en tous cas, profondément modifié à la même époque:
on y voit plusieurs pierres sculptées appartenant à une cons­
truction antérieure.
Le calvaire est sans importance.
L'église possède trois cloches; mais les deux plus petites
remontent à 1873 et 1824 seulement. D'après les inscriptions,
parrain et marraine sont, pour la plus ancienne. M. Louis­
les
Hyacinthe de la Lande de Calan, maire, et Marie-Jeanne
Rivier; pour la plus récente, M. Bleuzen, maire, et Marie­
Isabelle Gourmelen. La grande cloche, d'après les registres
de la paroisse, a été baptisée le 12 aoùt 1781 sous les noms
de Corneille-Marie, les parrain et marraine ont été Jean
Coloree, fabricien, et Isabelle Le Guénel, femme de Guy Le
Bourhis, syndic. La cloche porte l'inscription suivante:
« L'an 1781, j'ai été bénite par Me G. Le Du, recteur de
( Tourc'h M. le marquis et Mme la marquise de Tinténiac,
« seigneur de fief. M. et Mme de Kerjan, seigneur préémi-
« nenCler. »
Au milieu de la légende se trouvent deux écussons accolés:
le premier, d'hermines au croissant de gueules (Tinténiac) ;
le second, fruste. A la fin, il y a sous une couronne un écus­
son double en forme de cœur, contenant, à gauche, une tour
(Kerjan) ; à droite, les armes bien effacées de Marie-Louise
de la Marche, femme de François de Kerjan, seigneur de
Kerminihy. .

J'ai parcouru la collection des registres de la parois·se, qui
est fort incomplète pour le 17 siècle, et n'ai trouvé à signa­
ler que la mention de la résidence à Tourc'h d'un notaire et
la présence de deux prètres pour assister le recteur en 1680.
Il Y a cependant un baptême de . cloche, fait dans
des conditions particulières qu'il est intéressant de rap­
rappeler, comme se rapportant à l'histoire générale de la
Bretagne. C'est, après cinq années, un épilogue de la révolte
du Papier timbré. Je reproduis textuellement cette mention
dont la rédaction est incorrecte et l'écriture peu lisible.
« Décembre 1680. Et a été nommée par nobles gents
« Guillaume Changeon, sieur de Névars sénéchal de la
(c juridiction (1), cappitaine de la ville de Rosporden, et par
« dame Elisabeth du Livec,·dame du Kerminihy, la maraine,
cc et aultres lieux, qui ont signé pour leurs respects et les
» soussignants présents. Et ce même jour ont été les cloches
« rendues de cette église paroissiale après avoir été enlevées
« d'icelle et rendues au chateau de Conqau pour cause
« des troubles de la paroisse et batement du tocsin de son. »
Suivent les signatures: -
« Marie Elisabeth du Livec. Changeon. Callonaut.
cc Kerguennec. Yves Lebail, prêtre. Henri Pompoul,
(c prêtl'e et recteur. »
Rien n'indique que cette cloche soit jamais revenue prendre
sa place au clocher de Tourc'h.
Pendant le 18 siècle les registres ont été régulière­
ment tenus par le clergé, jusqu'au 7 juin 1792. A cette date,
figure pour la derniôre fois la signature du recteur de Tourc'h
Guillaume Guéguen. Suit une période de plusieurs semaines
pendant laquelle les registres ne portent aucune inscription.
Enfin, à partir du 24 juillet et jusqu'à l'installation d'un
functionnaire de la commune, le l eI' janvier 1793, les actes
(1) Goarlot, Coatcanton, Kerminihy, et juridiction royale de Rosporden .

sont signés « Guino, curé d'Elliant », qui fait suivre sa
signature de la mention suivallt.e, Cl. en ma dite qualité et
« sans entendre préjudicier au territoire de l'annexe de
« Tourch et en l'absence du vicaire du dit Tourch, »
L'abbé .Guino avait été député du clergé aux Etats géné­
raux et~membre de la Constituante. Rentré à Elliant comme
curé cO[lstitutionnel, il ne püt s'y maintenir en présence de
l'hostilité de ses paroissiens qui, d'après une tradition citée
par IVI. Kerviler, le saluaient du cri populaire Harz ar bléiz .'
« Au loup! Il L'abbé Guino est mort après le Concordat
réconcilié avec l'Eglise.
Vitrail. La maîtresse vitre de l'église paroissiale pré-
sente à sa partie Supél'ieure trois soumets contenant des
armoiries dont il sera question pIns loin.
La partie principale, bien qne divisée elle-même par deux
meneaux en trois parties ayant chacune 51 et 5~i eel1timètl'es
de largeur, représente d;'Cns son ensemhle un sujet unique,
le crucifiement de Notre-Seigneut'. C'est ce même sujet qui
est identiquement reproduit dans les trois parties centrales

du vitrail de Saint-MathieLl qui en contient cinq. Aussi pour
la décrire ne puis-je mieux faire qne d'emprunter les termes
dont s'est sel'vi M. l'abbé Abgrall dans sa notice sur le
vitrail de Saint-Mathieu (1). « Notre-Seigneur en c:'oi~, saint
« Longin à cheval lui perce le côté de sa lance; la Made­
« leine au pied de la cl'oix. Sous le lal'ron de droite on voit
«' la Vierge éplol'ée, soutènue par saint Jean et pal' une
« sainte femme; à l'ureière plan deux juifs debout puis un
« soldat casqué et un pharisien à cheval. Sous le larron de
« gauche, un centurion au costume très ric'he monté sur un
, « magnifique cheval, et au second plnn h~ prince Jes prêtt'es
« et un pharisien aussi à cheval. Le bon lal'l'on rend le del'-

(\) Tome XX du Bulletin, page \98.

«( nier soupir, et son âme, sous la fo'rme d'un petit enfant nu,
« est portée au ciel par un ange, tandis que celle du mall­
« vais larron est emportée par un démon hideux. »
Il faut ajouter que ce dernier vitrail présente de nom­
breus~s lacunes: toute la partie inférieure n'e~iste plus,
tandis qu'à Tourc'h l'ensemble de la composition est fort
heureusement complété par plusieurs groupes de soldats se
disputant les vêtements de Notre-Seigneur. TOlIS ces per­
sonnages portent de riches costumes du 16 siècle aux bril­
lantes couleurs.
Le vitrail est d'un bon style et intéressant à plusieurs
points de vue. Il est en assez bon état, mais, pour en assurer
la conservation, il serait indispensable d'exécuter quelques
travaux urgents de consolidation que les ressources minimes
de la fabrique ne lui permettraient pas d'entreprendre. La
restauration du vitrail de Saint-Mathieu, qui se fera pro­
chainemel1t: serait nne occasion favorable, si la Société pou­
vait obtenir pour la paroisse de Tourc'h, ou .lui accorder,
elle-même, la subvention nécessaire.
Le vitrail ne présente pas de lacunes: quelques panneaux
sembleraient, à première vue, être en verre blanc, mais, en
les regardant avec attention, on trouve partout des traces
de la composition primitive. La photographie l'indique très

nettement. Il y a seulement une décoloration partielle qui a
malheureusement atteint la partie basse du panneau de droite
où une date se trouvait inscrite. On lit sans peine l'an, et
avec une difficulté cI'oissante un t', UI1 5 et un deuxième 5,
ce qui ferait remonter le vitrail aux environs de l'année

Cette date est du reste parfaitement d'accord avec le style
du vitrail, et elle se trouve vérifiée par les indications conte­
nues dans les soufflets où se voient les armes des deux
seigneuries qui se partageaient le territoire de la paroiss.e de

Toure'h, c'est-à-dire, Kerminihy, paroisse d'Elliant, mainte­
nant Rosporden, et Coatheloret, paroisse de Tourc'h.
Toutes deux relevaient directement des ducs de Bretagne,
et plus tard des rois de France, dont les fleurs de lys devaient
probablement figurer en supériorité dans le premier soumet.
Cette cil'COnstallce a pu en provoquer la destruction en 1703.
A cette place on voit maintenant une gloire analogue à cene
qui existe à la grande vitl'e de l'église de Hosporel-en et qui
date du commencement de notl'e siècle.
Le soumet de gauche contient les armes suivantes. Ecar- -
telé: au premier, d'argent à trois molettes de gueules (Ker­
minihy) ; au deuxième, au chêne de sinople enqlanté d'or.
au franc canton de gueules cll/lrgé de deux haches d'armes
d'argent' adossées (Plessis-Nizon); au teoisième, parti de
Plessis-Nizan et de gueules aux trois croissants d argent
(Kerflous) ; au quatrième, cl'argent à la croix cle sable (?) .
Je. n'ai pas trouvé l'explication de ce quatrième quartiel',
mais les trois premiers suffisent pour reconnaître les armes
de Laurent du Plessis qui possédait la seigneurie de K81'mi­
nihyentre 1540 et 1562, Ces al'mes sont décrites dans les
aveux de cette seigneurie, qui, à propos de la paroisse de
Tourc'h, revendiquait entre plusieurs autl'es droits, celuI
(( d'avoir un écusson en la maitresse vitre du côté de l'Evan-
,.. , (( gile, qui est d'argent à trois molettes de gueules, écar-
( telées (sic) et contre écartelées des al'mes du Plessis et de
« Kerflous qui sont maisons alliées du Kerm:nihy » (1)
Au soumet de forme est caeactérisLiqne chl i6 '~ siècle. Les armes d'argent
au grêlier d'azur figurent égalemcnt aux soufflets supérjeurs
li) La famille du Plessis-Nizon est représentée clans noLre SociéLé pal'
son pl'ésident. La famille cie !{erflous, ramage cie Tl'émi ll ec, s'est fondue
dans Billoarl de Tl'émillec et de Ken3ségan, famille dont un membre, le
dernier gouverneur de la Louisiane est bien connu suus le nom du chevalier
de Kerlérec,

des deux petites fenêtres latérales du chœur, qui n'ont con­
servé que ces fragments de leurs anciens vitra ux, Ces armes
doivent être celles de la famille à qui appartenait vers 1550
la seigneurie de Coatheloret, mais sur ce' point je n'ai pu
recueillir aucun renseignement,
Coatheloret était cependant une seigneurie importante
qui possédait plus de la moitié de la paroisse de Tourc'h et
y occupait une situation prépondérante. Elle a~ait « droit de
« juridiction, haute, basse et moyenne justice et patibu­
(1 laires à quatre piliers. » Le seigneur était (c supérieur et
(1 fondateur de l'église pàroissiale ...... , de la chapelle de
(c Locunguff (1), en la dite .paroisse et de Saint-Adrien, en la
« paroisse d'Elliant .... » La juridiction existait encore dans la
seconde moitié du 18 siècle et cependant aujoUJ;,d'hui le nom
de Coatheloret est inconnu des plus anciens habitants de la
commune .
Cette seign,eurie était certainement fort ancienne. Son
siège se trouvait à une motte féodale qui existe encore bien
conservée un peu au nOI'd de la ferme de Goëlarc'hoat, sur
une hauteur qui domine à la fois la vallée de l'A ven et la
route de Quimper à Gourin par Elliant et Scaër.
La ferme de Goëlarc'hoat, qui portait dans les aveux le
nom de manoir de Coatheloret, ne paraît pas en raison des
dimensions exiguës de' ses bâtiments avoir été une habitation
seigneuriale de quelque importance, ni même un simple
manoir comme il en existait un si grand nombre en Breta­
gne. Quelques restes de murs qui se voient entre le manoir
et la mott.e ne fournissent aucune indication.
Tout porte donc à croil'e que les diffél'entes familles qui
ont possédé la seigneul'ie ne résidaient. pas dans la paroise, ce
qui expliquerait la rareté d'aveux spéciaux et de mentions

(1) Maintenant. Sainte-Candide de Locundu.

sur les registres de l'église. Voici tout ce que j'ai pu recueil­
lir de renseignements sur la SUGcession des propriétaires de .
Coatheloret. .
A la ·fin du 1S siècle, le dictionnaire d'Ogée cite M. de
Quimer (sic). Il s'agit du marquis de Tinténiac, seigneur
de Quimerc'h, en Bannalec, qui a figuré au baptême de la
grande cloche de Tourc'h en 178l.
Antérieurement, deux aveux portant les dates de 1759 et
1752, mentionnent Joseph-Louis de Tréouret: seigneur' de
Kerstrat, Gomme seigneur de Coatheloret.
A la date du 5 décembre 1728, le registre de la paroisse
de Rosporden, mentionne le baptême d'un enfant ayant pour
parrain messire 1ouis-J oseph de Tréouret, seigneur de
Kerstrat, de Coateloret, etc., et pour marraine Elisabeth-
Renée Le Pappe, dame du Kerminihy. .
Il est à remarquer que les armes de la famille de Tréouret
sont d'aEg~n a~u_$anglier passant de sable et qu'elles

ont pu fort bien être sculptées à l'extérieur du clocher au
moment de sa reconstruction au 18 siècle. Cela expliquerait
la tradition affrmant l'existence d'une pierre sculptée faisant
allusion au nom de la paroisse, en breton TorcJh verrat .

uoi u'il en soit, la pierre n'existe plus.

Au 17 siècle, nous trouvons sur les registees des paroisses
de Tourc'h et de Rosporden, plusieurs mentions, comme
seigneur de Coateloret, de René de Canaber, seigneur de
. Kerlouet, qui habitait Carhaix. Il existe égalemeut un aveu
. de 1639, au nom de Bernard de Canaber.
Les armes de cette famille sont: d argent au grêlier de

sable accompagné de trois molettes du même (Kerlouet) au
ch~1 de gueules chargé de trois quintefeuilles dJargent
(Canaber). Elles sont sculptées à]a base du cloehol' et SII1'
la porte latérale de la chapelle de Sainte-Candide ct sont
également représentées dans le soumet supérieur de la fellêl J'C

de cette chapelle.

De même que les écussons sculptés, ce fragment de vitrail
porte bien le cachet de la fin du 17 siècle mais il est accom­
pagné dans les deux soufflets inférieurs de fragments cetaine­
ment plus anciens, contenant chacun un écusson: à droite,
parti: au leI' fascé d'or et de gueules de 6 pièces (Chastel­

Mesle), au 2 incomplet, peut êke deux fasces d)azur>. Ces
armes appartiennent à Auffray du Chastel, qui du chef de
sa femme Renée de la Marche a possédé la seigneurie de
Kerminihy, entre 1600 et 1631.
L'écusson de gauche qui paraît contemporain est: Échi­

queté de gueules et d'argent (Poulmic). J'ignore à quel titre
figuraient ici ces armes bien connues, probablement par
suite de l'alliance contractée par cette famille avec les Chas­
au 15 siècle .
tel-:\lesle

Antérieurement à 1600 je n'ai pu trouver aucun document
relatif à la famille dont les armes figurent au soumet de
droite du grand vitrail de Tourc'h. Ces armes, d)argent au
grêlier d)azur, répétées trois fois dans le chœur de l'église
sont bien certainement celles du se.igneur de Coatheloret.
D'après le dictionnaire de M. Pol de Courcy, elles ne peuvent
ètre attribuées qu'à deux familles, toutes deux de la Cor­
nouaille, mais avec une légère différence dans la couleur du
cordon,
Le grêlier est po nI' les Kel'gns, lié de gueules, et pOlir les
Kerfors, lié de mêm~, c'est-à-clil'e d'azur, ce qui tranche la
question en faveur de cette dernière famille.
Chapelle de Sainte-Candide. La chapelle de Sainte-
Candide est située au village de Locundu, autrefois LocunguJf,
à 400 mètres environ de la motte de Coatheloret, et sur le
chemin d'Elliant à Scaër, L'extérieur de la chapelle est très
simple. La grande porte et la fenêtre ont les caractères de
l'architecture ogivale du 15 siècle, Le clocher et les écus-

sons armoriés, dont il a été question précédemment, ne sont
pas antérieurs au 17° siècle.
La cloche, qui remontait seulement à 1824, a été remplacée
par une cloche neuve en 1891. Les parrains et marraines ont
été, pour la plus ancienne, M. Bartolot, de Kervéguen, et
Mlle Armande-Marie Kermorial, de Kerminihy ; pour la plus
récente, Mlle Marie-Jeanne Guyader, de Kervéguen, et le
propriétaire actuel de Kerminihy.
En plus des fragments de vitraux dont j'ai déjà parlé, je
ne signalerai à l'intérieur de la chapelle qu'une statue en
pierre de Sainte-Candide d'un bon style et fort intéressante
en raison de son ancienneté. La sainte est représentée en
costume d'abbesse, debout, tenant de la main gauche un
livre et dans la main droite le bâton d'une crosse qui a été
brisée. Le culte de sainte Candide, qui est également pa­
tronne de l'église paroissiale de Scaër, est peu répandu, car,
d'après IVI.l'abbé Abgrall, il n'yen aurait pas d'autres exem-
pIes eri Bretagne.
D'autre part, le nom même de Locundu appelle l'attention
et on peut se demander quel est le saint pel'sonnage, actuel­
lement oublié, que rappellent les noms des deux villages
voisins, Locundu-Tourc'h et Locundu-Scaër situés de part
et d'autre de l'Aven. Quel rapport pouvait-il y avoir entl'e
ce personnage et sainte Candide?
Je crois avoir trouvé l'explication dans l'aveu déjà cité
d'Auffl'ay du Chastel, où en 1619, le nom de la sainte dési­
gnée comme patronne de la chapelle, avait d'abord paru
inexplicable. Sur ma demanùe, M. Léon Maître a bien voulu
'étudier de nouveau le texte ol'iginal, et il m'écrit qu'il ne
peut lire autl'e chose gue sainte Veng u, patronne de Locun
guJJ. _
Cette lecture parait très admissible. Vengu serait alors
une forme intermédiaire, qui est devenue dans la langue

parlée Uengu ou Ungu, et qui dériverait elle-même d'une

forme GuengujJ où on trouve l'adjectif gu ou gui! « doux 1)
(primitivement cunel avec le mot g uen, blanc, comme équi-
valent de candide. .
J'estime donc que Locundu n'est autre chose que Loc­
guengu. Mais si sainte Guengu est complètement oubliée à
'fourc'h et à Scaër, son nom se retrouverait légèrement moJi­
fié dans le surnom de sainte Ninnoc Guenguestle.La légende.
de cette sainte, que M. l'abbé Abgrall m'a signalée, a été .
écrite par Gurhéden, moine de l'abbaye de Sainte-Croix, de
Quimperlé, vers 1100. Elle est analysée dans la Vie des
Saints, de M. de Garaby, et reproduite assez complètement .
dans l'édition d'Albert Le Grand, annotée par M. de Ker-
danet. Le texte complet Acta sanctae Ninnocae) se trouve
dans les Bollandistes à la date du 4 juin; il est long et diffus
et Dom Lonbineau l'écarte dédaigneusement au point de
vue historique. La légende est toufefois intéressante et elle
peut notamment servir à expliquer le surnom de sainte
Ninnoc, Guengustle, surnom qui, premier point à établir,
est correctement transcrit. Cela n'est pas douteux, car une
forme analogue, sent Urgustle, se trouve dans le Cartulaire
de Landévennec (folio 142).
Je ne reproduirai pas, même en l'abrégeant, la vie de
sainte Ninnoc, et me bornerai à rappeler les circonstances qui
ont précédé sa naissance. Le roi gallois Brochan,et sa femme
Meneduc avaient eu 14 fils (1) qui avaient tous quitté leurs
parents pour aller au loin prêcher l'Evangile. Le roi n'ayant
plus d'héritier de son royaume se désolait, et après avoir
beaucoup prié, fait d'abondantes aumônes, il finit par se
retirer sur une montagne pour jeûner et implorer Dieu.
Après quarante jours, l'avant-veille de Pâques, un ange lui
(1) D'après une autre légende dix fils et deux filles, d'après les légendes
galloiseS 24 fils et 26 filles. .,

apparut pour lui annoncer qu'il aurait eu une fille et que
cette fille serait la cause d'une geande joie dans toute la Bre-
tagne. Cette promesse se l'éalsia et l'enfant baptisée après
sa naissance par saint C61umchill reçut de lui le nom qui
avait été indiqué par l'ange, c'est-à-dire Ninnoc Guengustle,
Cette fille grandit en sagesse et en beauté, mais arrivée
à l'âge de se marier, elle s'y refusa absolument, parce qu'elle
s'était promis de se consacrer au Seigneur. Ses parents
furent très attristés; ils finirent cependant par lui accordel'
la permission de s'embarquer pour l'Armorique avec ses
parrain et marraine. Elle débarqua à Poulilfin, en Ploemeur
(Morbihan), et fonda dans cette paroisse un monastère de
femmes, le premier, dit-on, qui ait existé dans les Gaules.
Il était situé à Lannenec, autrefois Landnennoc, en Ploemeur.
On peut donc dire que la sainte avait été vouée et consacrée
au service de Dieu par les paroles de l'Ange avant sa nais­
sance, ce qui permet d'expliquer le mot 9 ustle au moyen
goestla, consacrer, vouer.
du verbe
Si aujourd'hui les paroisses de Tourc'h et de Scaër n'ont
conservé aucun souvenir dans leurs offices de sainte Ninnoc,
Je sainte Guengu, ou de sainte Candide, on y voit encore
deux anciennes statues de cette der.nière sainte. L'une,sîtuée
à Locundu, a été déjà ci.tée et représente incontestablement
une abbesse. L'autre, qui est conservée à Scaër, était placée
sur la façade de l'église paroissiale démolie il y a une ving­
taine d'années; elle présente une ressemblance très grande
avec la statue de Locundu, par le costume, par la pose et les
attributs, consistant en un livre dans la main gauche et dans
la main droite une crosse qui est brisée à la hauteur de la
mam.
Il y a là une concordance qui permet d'affirmer que la
sainte patronne de Scaër et de Locundu était une abbesse; ·
j'ajouterai que cette abbesse ne peut être que sainte Ninnoc
qui a joui dans ces temps éloignés d'une grande célébrité

comme fondatrice d'un monastère peu éloigné « où la ferveur
« religieuse se soutenait avec la plus grande édification. »
Il serait au eontraire impossible de justifier la présence
de ces attributs si on voulait les appliquer au nom de Candide.
Ce nom a été porté par seize saintes dont l'histoire est en
général complètement inconnue, mais rien de ce que l'on
sait pour quelques-unes d'entL'e elles ne leur donne le carac­
tère d'abbesse. C'est comme vierge et martyre qu'est honorée
sainte Candide mentionnée seulement comme compagne de
sainte Ursule et pouvant, à ce titl'e, avoir été connue en
Armorique.
Il reste toujours à expliquer comment a dispai'u le nom de
sainte Ninnoc, si eette sainte a été réellement la première
patronue de Scaër. En tous cas, il n'y aurait pas là un chan­
gement de patron, fait ~qui s'est souvent produit et quelque­
fois sans que les motifs du changement soient lJien appré-
ciables. Il s'agirait seulement de la subtitution au nom d'une
sainte tombée dans l'oubli, d'un surnom qui en avait été
inséparable. Quand le changement se sera-t-il produit? il
est impossible de le dire, mais on peut supposer qu'il se rat­
tache aux circonstances qui ont amené la suppression du
monastère de femmes de Landnennoc au 11 e siècle et son
remplacement par un prieuré d'hommes dépendant de Sainte-
Croix de Quimperlé. -
Le surnom de la sainte traduit en latin par Candida (en
breton Candid, vulgô Canita) sera devenu le nom de patron
de l'église de Scaër. Dans la campagne plus isolée de
Tourc'h, le surnom a également remplacé le nom principal,
mais en conservant la forme bretonne contractée Guengu

ou Vengu jusqu'au çommencement du 17 siècle. A partir de
1619, ce nom disparaît et il n'est plus question que de
sainte Candide.
Il Y a en Bretagne et dans le reste de la France de nom­
breux exemples du changement de vocable des églises et

chapelles. Ils paraissent quelquefois difliciles à expliquer: et
il faut alors remonter aux sources, comme le dit très judi­
cieusement un auteur, l'abbé Déric que je me garderais
bien de citer, s'il s'agissait d'étymologie. « Les différents
« noms que l'on a donnés dans les premiers temps aux
ct. mêmes personnes n'empêchaient pas de les reconnaître,
« parce que, soit qu'ils fussent latins ou celtiques, on savait
« ce qu'ils signifiaient et que les causes qui les avaier·lt fait
« donner ne pouvaient être ignorées, mais comme elles sont
« insensiblement tombées dans l'oubli et comme le ceJt.ique
« est relég'ué de nos jours s la Basse-Bretagne et dans
« le pays de Galles, la différence de ces noms est propre à
« jeter de la confusion dansThistoire si on n'a pas l'attention
«de remonter à la source. »
J'ajouterai qu'il faut étudier, non seulement les sources,
• mais encore les formes intermédiaires qui ont aussi leur
impol'tance. C'est ce que j'ai cherché à faire pour établir
l'identité de sainte Ninnoc et de sainte Candide, en attendant
la découverte d'un document qui permettrait de tranchel'
la question définitivement .
Chapelle de Saint-Guenael. Le village et la chapelle
de Saint-Guenael sout situés sur le chemin d'Elliant à Scaër
à sa rencontre avec l'ancienne route de Concarneau à Car­
haix, dite chemin · des Poissonniers, qui sépare les deux
paroisses de Tourc'h et d'Elliant.
La chapelle était construite sur les dépendances d'un
domaine de la terre de Kerminihy, dont le seigneur, d'après
les aveux était« fondateur, premier et seul prééminencier,
(J. après le Roy, en la chapelle de Saint-Guenel ». Elle était
plus grande que toutes les chapelles des environs. Du clo­
cher, qui était fort élevé, les corbeaux y faisaient leur
nid, ' on pouvait voir la mer, et le clocher lui-même se
au large des Glénans, formant le premier
voyait, dit-on,

point de reconnaissance pour les navires venant de la haute
mer.
Les vieillards de 75 ans ont encore vu dans leur jeunesse
cette chapelle dont le toit seul avait disparu. Dequis lors, le
du placitre a été envahi et cultivé par les voisins. La
sol
commune d'Elliant a revendiqué la propriété de la chapelle,
pour la démolir,et les matériaux ont été employés aux
mais
réparations de l'église paroissiale et de la chapelle de Bon­
Secours. L'emplacement du clocher est encore indiqué par
un amas de décombres .
point de vue du droit de propriêté, la situation était à
peu près la même qu'à Rustéphan, et le résultat définitif a
été le même, la disparition complète des ruines.
Le pardon qui suivait la fête de saint Guenael (3 novem-
bre), était très suivi, notamment par les marins de Concar-
Une fontaine voisine recevait la visite des p~lerins.
neau.
La procession allait d'abord rejoindre le chemin de Con­
carneau et le suivait jusqu'à une veille croix de pierre qui
existe encore et qui domine tout le pays. çest là que se
donnait la bénédiction; puis la procession prenait le chemin
d"Elliant jusqu'au village de Keraudrein et rentrait à Saint­
Guenael en suivant à travers les landes un vieux chemin
empierré (1).
C'est dans la chapelle de Saint-Guenael que les prêtres
insermentés ont continué longtemps à dire la messe pendant
la Révolution. On assure, m'a dit une vieille femme, que les
vases sacrés ont été cachés dans la terre. Elle ajoutait, en
baissan.t la voix: ceux qui ont voulu chercher le trésor ont

(1) Ce chemin conduisait à une motte et à une enceinte d'environ 40
mètres de diamètre qui occupaient un point culminant formant une sorte
de promontoire signalé par une cote 156 sur la carte de l'Etat-Major. Les'
en pierres sèches s'étaieat écroulés depuis longtemps, mais le tracé
murs
des douves était récemment encore très visible. Tout a maintenant disparu
par suite de défrichements •
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XX. (Mémoires). 24 .

été chassés par de mauvais esprits, et il en sera ainsi jusqu'à
ce que l'église soit reconstruite.
DU TERRAGE.
Vicomte VILLIERS
Kerminihy, novembre 1893.