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Bulletin SAF 1893


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Meules et molettes préhistoriques, gauloises et romaines, trouvées dans le Cap-Sizun

M. Le Carguet

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XXI.
Meules et Molettes préhistoriclues, gauloises et romaines
trou vées dans le Cap-Sizun. Le Braou .

Epoques préhistoriques.
Les hommes de l'époque de la c( pierre polie», d'après les
les découvertes qui ont été faites dans les Palafittes et dans
beaucoup d'autres stations, connaissaient le blé: plusieurs
espèces de froment et d'ol'ge et, peut-être le seigle, quoique
cette plante paraisse plutôt se montrer avec« l'âge du bronze)) .
Ces époques sont toutes représentées dans l~ Cap-Sizun,
surtout l'époque néolithique, dont on rencontre les tl'aces et
les objets, presque à chaque pas.
Le premiel' instrument que l'on trouve, comme ayant
servi à utiliser le blé, est le caillou . Mais toute pierre n'était
pas bonne pOUl' cet usage. On rejetait toutes celles qui avaient
une cassure conchoïdale, ou des éclats tranchants. On dé­
laissait les silex et les quartz qui servaient uniquement de
percuteurs, ou marteaux, pour prendre les grès et les

gTanits fins.
Les pierres servant à écraser le grain, concasseurs ou

molettes, sont ordinairement de forme arrondie et de la
grosseur du poing (fig. 1). Elles présentent plusieurs facettes

faites par le frottement ou une légère percussion; un con­
casseur, trouvé sur la colline de Roz-Criben, qui domine le
port d'Audierne, présente dix de ces facettes.

Quelques-uns de èes instruments sont faits d'un galet un
peu allongé et aplati; sur les deux faces plates se trouvent
deux trous opposés pOUl' recevoir le pouce et le médius
(fig. 2. A).

D'autres sont échancrés, à l'une des extrémités, pour être
·mieux saisis à pleine main (fig. 2. B). .

On employait ces molettes pour écraser le blé sur des
pierres plates, ou meules. Les pierres du pays servaient à
usage; peut-être aussi les roches du littoral qui présen­
cet
tent des dépressions ou cuvettes, comme Carrec-ar-Slcuel,
le rocher de l'Ecu:elle, en Goulien. Ces dépressions sont,
pour la plupart, déterminées par la désagrégation des élé­
la roche; mais, il y en a aussi de faites par main
ments de
il y a encore très peu de
d'homme. Ainsi, à l'Ile-de-Sein,
pour recueillir les eaux
temps, on creusait de ces cuvettes
par l'évaporation des eaux de
pluviales ou le sel cristallisé
la mer.
Quelquefois aussi, ces meules étaient des blocs de roches
détachées, servant à deux fins, comme un usoir, bloc d'un
demi-mètre cube, trouvé sur la colline de Roz-Criben, et qui
pour écraser le blé et des
présente, à la fois, des cuvettes
rainures pour l'affûtage des haches en pierres.
L'usage creusait ces meules en forme de cuvette arrondie
ou elliptique. .
Quand la cuvette s'agrandissait, on prenait une molette
plus lourde, aplatie, et l'on s'en servait par frottement
(fig. 4).
Ce mouvement se faisait circulairement, ou, par va et
vient de toute la longueu.r du bras. De là deux formes de
meules: les meules rondes ou elliptiques (fig. 2, 3, 4), et
les meules allongées (fig. 5 et 6).
Ces grandes cuvettes, de 0 m. 30 à 0 m. 40 de diamètre,
se préparaient d'avance, avant d'être mises en usage. Les
découvertes faites, de 1881 à 1886, sur cette colline de Roz-
Criben, ont livré le secret de ce~te préparation.
Sur cette colline, se trouvait une vaste station néolithique,
au centre de laquelle était'une aire de 15 mètres de diamètre,
N.-O. à N.-E., par un mur de grosses
abritée des vents de
pierres de 1 mètre environ de hauteur. C'était le sol d'une
sa surface était couverte de cendres et, de
habitation. Toute

distance en distance, une quarantaine de pierres creusées,
les unes posées à plat, les autres renversées. Toutes conte­
naient une poignée de petits galets ovoïdes, de 0 m. 15 de
longueur, d'un gTain beaucoup plus dur que le granit des
meules. A quoi pouvaient servir ces petits cailloux, ainsi
disposés ? N'était-ce pas pour creuser et polir les meules?
Par le frottement de ces petits galets dans la cuvette qui
les contenaient, on obtenait le CL'eux et le poli voulu.
Une autre particularité de ces meules, c'est que toute la
partie plane, formant rebord sur tout le pourtour des cuvettes,
était enlevé (fig. 3 et 4) (1) .
II. Meules gauloises.
Ces grandes meules nécessitaient de larges molettes,
lourdes à manier.

Dans les stations gauloises, on trouve, en même temps
que ces meules plates, des pierres percées, s'agenceant,
deux à deux, pour faire un moulin .
Meule et molette, rendues cylindriques, étaient creusées,
de part en part, pour recevoir un axe en pierres ou en bois
(fig. 7). '
On s'en servait, en donnant, avec les deux mains posées à
plat, un mouvement de rotation autour de l'axe, à la pierre

superIeure.
A la longue, les faces en contact s'usaient et formaient
comme deux cônes opposés par leurs sommets (fig. 8). En
cet état, les meules étaient d'un usage difficile, et même
impossible, à moins de s'en servir par une demi-rotation,
de droite à gauche.
A la fin de la période gauloise, les meules reçurent 'un
perfectionnement dont le système ingénieux se retrouve
encore aujourd'hui dans le braou, le broyeur de l'Ue-de-Sein.

(1) J'ai encore trou vé, dans cette station. une hache schistoïde et deux
vases de l'époque des dolmens; l'un, en forme d'écuelle, l'autre, caliciforme,
avec des ornements en feuilles de fougère, alternant avec des bandes lisses.

La meule supérieure (A . fig. 0), reçut un pivot en pierre,
serré par des coins; la meule inférieuee (B), un galet plat
. encastré. Au centre de ce galet., est un petit trou déterminé
par le pivot de la meule supérieure qui s'y appuie.
Les deux meules sont percées de part en part: l'une, la
meule ' volante, reçoit le blé, et peut-être un levier coudé,
dans son ouverture un peu oblique; l'inférieure laisse passer
le blé. .
Dans l'oppidum gaulois de Castel-Meur, en Cléden-Cap­
Sizun, une paire de ces meules ' a été trouvée en place, au
coin d'une hutte. Elles étaient posées sur deux pienes, de
champ, Îaissant, entre elles, un intervalle pou'r recevoie la
farine qui s'écoulait par le trou central de la meule dor-
mante. (Voir la description de cette découvede dans l'An­
thropologie, juillet-aoùt 1890, nO 4. P. du ChâteJliel' :
Oppidum de Castel-Meur.
III. Meules romaines.
Les meules romaines sont aussi failes de deux piel'l'es et
d'un axe, comme les premières meules gauloises. Mais elles
plusieul's rapports:
diffèrent sous
L'axe est fixe dans la meule inférieure qu'il ne tl'averse
pas .
La meule dormante est taillée en cône et rentl'e dans la
supérieure (fig. 11), ou bien, elle est creusée en
meule
pour recevoir l'autl'e meule (fig. 10 et 12).
'cuvette
Mais la disposition la plus à remal'quer des meules ro­
maines est l'adaptation d'une balTe à la piel'l'e girante.
Tantôt ce leviee entee dans une rainure faite à la face supé­
rieure de cette meule (fig. 10, A) ; tantôt dans un trOll
latéral disposé pour le recevoir (fig. '1.1). SOllvent ce levier
est double (fig. 12).
D'après les dimensions des trous, ol'dinairement CalTés,
l'axe et la poignée devaient être en fer ,

Les meules romaines sont .presque toutes de petites di­
mensions pour être plus facilement transportables.
On s'eri servait, en les posant ~ur uné natte, la farine
tombant sur tOl1t le pourtour de la meule .inférieure.
IV. Le broyeur de l'Ile-de-Sein.
Le Braou (1) de l'Ile-de-Sein (mot d'origine inconnue),
c'est la meule gauloise avec un lev:er (fig. 14) .
. L'armature est la même: un pivot et une plaque.
, Mais, ) dans le Braou, ces objets sont en fer, et disposés
en sens inverse. Ainsi, c'est la meule inférieure quïporte

le pivot, ar meut) et la meule volante, la croix, ar groas.

La meule supérieure, seule, est percée d'un trou pour
laisser passer le blé; la meule dormante porte, sur le côté,
une rainure par laquelle tombe la farine.
Le levier a son point d'appui au plafond, dans un trou
fait à une planche qui relie deux poutres. L'extrêmité infé-
rieure, près de laquelle se pose la main po;ur actionner la
machine, est armée d'une pointe en fer qui entre dans le
bord de la meule tournante.
Comme la meule gauloise, le Braou repose sur une' cons- .
truction en pierres. .
Les pïerres qui composent les braou viennent toutes des

kiste-stone de l'Efvran, tumulus sur lequel est bâtie la
cro'x de l'Ile.
Autrefois, avant la construction du moulin à vent de l'lle-

de-Sein, vers 1875, il Y avait un de ces Braou) dans chaque
maison et, le premier ouvrage de · la ménagère était,
après la prière du matin, de moudre la provision de farine

nécessaire au pain de la journée.
(l) A l'Ile-de-Sein, le mot EmOl.t, s'emploie aussi au figuré. On appelle
eu,.. Vl'ao',. une femme bavarde, ou une femme de mauvaise vie, selon
à la meu.le supérieure qui tourne toujours, ou à la
qu'on fait allusion
• . meule inférieul'e girante. Dans le Cap, c'est une fillette qui ne reste
pas tranquille. .

En 1825, on essaya, à l'Ile-de-Sein, la culture du maïs
qui réussit bien. Mais on y renonça bientôt, les Braou ne
pouvant pas moudre ce gl'ain,
V, Le Braou d u Cap-Sizun,
Ce genre de moulin était aussi très commun dans le Cap­
Sizun,
A mon arrivée à Audierne, en 1880, je trouvais, pre~qlie
dans chaque village, des galets ovoïdes, très durs, percés
d'un godet sur une face, parfois sur les deux côtés, Ils
n'avaient encore attiré l'attention d'aucun chercheur,
A ma première demande~ on me répondit que c'ét.aient des .
Men-Braou ou MillinfJu , Braou, al'matures des anciens
moulins à bl'as, Ces moulins n'existaient plus; ils avaient
longue date, par les petits moulins à vent,
été remplacés, de
nombreux sur toutes les collines du Cap, A force de
recherches, j'ai réussi à reconsti tuer cet ancien instrument,
avec des débris trouvés à Primelin,
Le Braou du Cap-Sizun S8 compose de tl'Ois parties:
(planche II.)
1° La meule supérieure, creusée d'un entonnoir pour l'ece­
voir le blé, est mise en mouvement par un pignon et une
manivelle;
2° La meule dormante est percée, de part en part, pour
laisser passer un pivot et creusée d'une rainure latérale,
pour l'é'coulement de la farine;
comme celle de l'Ile-de-Sein,
3° L'axe, d'une longueur de 0 m, 30, et d'un diamètre de
o m, 06, est fait, tantôt d'un seul galet, t.antôt d'une tige de
bois ùrmée d'un gaJet. Il tl';wel'se la meule dOl·JlHl.l1te ('l t son
extrémité inférieure repose et tourne SUl' II n gond en pierre, .
An-Diz, le dé, qui purte ces cuvettes raites par frottement..
L'extrémité supérieure est fixée dans une plaque de bois
ou de fel', appelée le peiit./er ou la croix.
La croix est reçue ·dans une entaille de la meule supérieure .

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Le mouvement donné, par la manivelle, à cette meule, fait

tourner l'axe sur le dé.
La même armature, encilstrée dans des madriers, se
retl'ouve encore aujourd'hui dans les moulins à eau du Cap­
Sizun. (Pl. l, fig, 13.) Avec ces pivots, la rotation serait plus
légère. On retourne les dés dont le godet est trop profond;
de là les deux cuvettes sur les deux faces de la pierre. Ces
galets ne se trouvent pas dans le pays. On les tire, des envi-

rons de Crozon, d'un lieu appelé Lost-Marc'h.
Quand j'aurai mentionné le pilon et le mortier en
pierres qui servaient autrefois à écraser le millet et le Pilla t,
- espèce d'avoine sauvage (est-ce l'Avena strigosa ?), dont la
farine, amère et enivrante, était jetée, et dont le son était
seul employé à faire de la bouiI1ie, j'aurai clos la série des
instruments primitifs qui ont servi à utiliser le blé dans le
Cap-Sizun. .
H. LE CARGUET .

Objets décrits dans cette note et offerts au mus ée de
Quimper:
1° Armature d'une meule gauloise de l'oppidum du Castel l\fel1l',
en Cléden ;
2° Les millirou d'un ancien Braou du Cap;
3° Pivots et dés en pierres des moulins à eau actuels .