Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes
XIX.
PAYSAGES ET MONUjlI~NTS DE LA BRETAGNE
Par JULES ROBUCHO:--.l'
Flétrissant les tristes exploits de la «( Bande noire)) et
déplorant les ruines amoncelées par elle sur le sol de notre
pays, Victor Hugo s'écriait en 1825: « Si les choses vont
encot'e quelque temps de ce train, il ne restera plus chez
nous d'autre monument nati'mal que celui des Voyage8
pittoresq uez dans l'ancienne Fran e. ))
Il parlait de l'ouvrage incomparable erltrept'is à cette
époque par le .baron Taylor avec la collaboration de Charles
Nodier et de M. de Cailleux. Rappelant ce mot du gI'and
poète, un critique distingué déclare dans deux articles que
tit.l'e de Monwnent national est celui qui convient aussi à
l'œuvre de M. Jules Hobuchon. Celui-ci a établi la base de
CAt admirable monument' avec les matél~laux pris dans le
Poitou et la Vendée; et voilà que pOlir en continuer la struc
ture et lui donner son plein développement il emprunte ses
la vieille Bretagne; déjà même il annonce qu'il
éléments à
va recourir sans tarder aux richesses sans nombre de la
Normandie 31'tistiqne, et qui sait où il s'arrêtera pour le
complet courronnement de l'édifice? ,
critique que j'ai cité, je salue l'apparition de's Pay
Avec le
sages et monuments de la Uretagne. J'avais déjà applaudi les
Paysages et monuments du Poitou, j'avais admiré le talent
et la profonde science des écrivains qui avaient prêté leur
concours à l'éditeur dont le cœut' patriotique et le zèle pour
le beau avait entt'epris de sauver de l'oubli les si belles
temps passé, j'avais contemplé avec joie les plan
choses du
ches photo gravées qui remettaient devant nos yeux les
magnifiques créations d'autrefois, les souvenirs de nos
vieilles gloil'es. Mais ma joie a grandi, le plus ardent de
vœux a été réalisé lorsque j'ai vu commencer cette publi
mes
cation des Paifsages et monuments de la Bretagne, quand j'ai
pu avoir la conviction que, après les essais et les travaux pal'
tip.ls tentés par les écrivains et le dessinateur de la BnETAGl'\E
CONTE~[POHAlnE: on allait entreprendre une exposition entièr'e
de toutes les beautés de la nature et de l'al't enfermées dans
ma chère patrie bretonne, on allait faire resplendir ce que
nos ancêtres ont construit, sculpté, ciselé, dessiné et colorié,
un mot, devant notre société actuell8: la
faire revivre en
vieille âme de nos pères.
On a déjà rendu compt.e de l'ouvrage dans divers journaux;
il a même paru 'un article d'un de nos vice-présidents, "1\1.
Luzel, dans un journal du département. Ici je demande la
pel'mission d'examiner en pal'ticulier ce qui vient , d'être
publié sur tl'ois des cantons du Finistère : Pont-l'Abbé
L~mhoul', Plogastel-Saint-Germain et Fouesnant. ,
Les deux écrivains qui se sont chargés de la rédaction du
texte pour cette région du sud-ouest sont: M. Paul du Chù
tellier, de Pont-l'Abbé, et son beau-frère, M. Ducl'est de
Villenetive. .
Personne mieux que M. du Châtellier n'était préparé pour
décl'ire les monuments de l'époque pl'éhistorique. Depuis
vingt ans et plus il les étudie avec persévérance; il les a
dessiné~, mesurés, comparés et explorés; il en indiquê la
distribution, la répartition basée sur la configuration du sol;
il en fait voir les gl'oupements plus considél'ables le long du
1 ittoral. .
Si les communes de Combr'it, Pont-l'Abbé et Loctudy sont
assez pauvres en tumulus, dolmens et menhil's, on les trouve
pal' bontre très nombl'eux à Plobannalec; Treffiagat, Plo
meur: Penmal'cll, Saint-Jean-Trolimon et Tréguennec. Des
vestiges d'occupation très ancienne subsistent au jkokeumœ-
ding de la Torche de Penmarc'h, à l'oppidum de Tronoën et
au cimetière gaulois de Kerveltré; une vaste nécropole couvre
une surface immense près de la pointe de Lesconil; non loin
la chapelle de la Madeleine: en Penmarc'h: au village de
Lestrignion, on voit les restes d'alignements qui devaient
autrefois comporter six à sept cents pierres levées .
Les deux autres cantons de Plogastel et de Fouesnant
sont moins riches. Signalons cependant les deux menhirs
de Beg-Meil: ceux du Moulin-du-Pont, en Pleuven, le beau
ttimulus de Kerhué-Bras, en Plonéour-Lanvern, qui a fourni
32 belles pointes de flèch~ en silex et une en cristal de roche,
celui de Renongal'd, en Plovan, où l'on a receuilli en 1875
une grande pierre de 2 m. 95 sur 1 m. 50, couverte sur ses
deux faces de grav!1res fort anciennes composées de 158
cupules, traits divees et autres signes inexplicables.
Puisque nous en sommes aux pierees gravées et sculptées,
disons un mot d'un monument unique dans notre pays ~t:
je le crois bien, unique au monde: c'est le menhir-autel
de Kernuz.
champ nommé Cornic
Ce menhir,autrefois enfoui dans un
Sant-Alor (parcelle de Saint-Alor), près du village de
Kervadel, en Plobannalec, a été découved et Ü'ansporté à
Kernuz en 1878. Il a la forme d'un cône tronqué de 3 mètrrs
de hauteur et sur son pourtour sont sculptés cinq 'person-
nages principaux, un enfant et un animal, en quatre tableaux
011 panneaux divisés par des bandes verticales 'ornées de
zigzags ou de dents de scie .
Le 1 el' tableau représente le Mercure Gaulois, la tête
coiffée d'un pétase ailé, tenant une bourse de la main droite
et portant de la g'auche un caducée. De ce même...côté est un
enfant qui n'est autre chose que la figure de l'âme humaine
qu'il conduit dans un autre monde. Nous avons donc là
Teutatès ou le Mercure psychopompe, conducteur des âmes,
conformément à la doctrine gauloise qui croyait à la trans
migration des âmes après la mort .
Dans le 2 tableau on voit li n personnage appuyé de la
main gauche sur une ma~sue et brandissant de la dt'oite un
objet de forme allongée. Ne . serait-ce pas le Taranis des
Gaulois, ou Jupiter lançant la foudre?
Le personnage du 3 tableau a la main gauche posée sur
bouclier ovale et la droite levée s'appuyant sur une lance
dont la pointe en bas repose sur le sol; sans aucun doute
c'est Mars.
Le 4 tableau ret1ferme deux 'personnages: un homme nu
et une femme drapée, plus la figure d'un animal qu'il est
difficile de déterminer. On eroit voir dans ce groupe Apollon,
h~ Belenus des Gaulois et l\1inerve. leur Bélisana.
Ce monument, qui n'a pas d'analogue connu, je le répète,
appartient sans conteste à l'art Gaulois; il n'a aucun rapport
ayec les sculptures romaines dont il nous reste quelques
eÀ'''emplaires dans le pays.
D'après les légendes populaires, les tumulus et les dol
mens renferment d'innombrables trésors que les Gorriquets
et les fées -gardent avec un soi n jaloux; ils les étal81~t parfois
en plein jour pour les faire briller au soleil; mais ils les font
disparaître subitement dès qu'un indiscret ou un profane en
~ approche. Le savant qui a rédig'é la notice dont je m'occupe
a su par ses travaux et ses recherches opiniâtres s'emparer
de ces richesses enfouies sous terre. Les vitrines de son
musée de Kernuz regorgent de poteries, de haches de pierre
et de bronze, de pointes de flèehes et d'instruments en silex,
de monnaies gauloises et rOl}iaines, de bagues et de brace-
, let's en bronze, voire même de colliers d'or. Sa demeu.re est
plus hospit.alière que les maisons des vieux COl'rigan;
allez-y et l'on vous fera voir en détail et avec la plus grande
urbanité les trésol's admil'ables qu'il est parvenu à leur
ravlr .
M. Ducrest de Villeneuve, ancien colonel de hussards,
ancien préfet, connaît notre pays de longue date; il l'a par-
couru en tous sens, relevant dans de rapides et habiles cro
quis les détails de nos chapelles et de nos églises, les res.tes
de nos châteaux et de nos vieux manoirs. Il décrit la
physionomie de la contrée: le caractôre, les mœurs et les usa
ges du peuple. Versé dans l'histoire et la science héraldique,
il rait passer devant nos yeux les anciennes famines qui ont
joué un rôle dans les choses du passé.
Les églises de Pont-l'Abbé, Lambour, Loctudy, Pen
marc 'h, Fouesnant, etc." sont l'objet de descriptions savantes;
grâce aux patientes recherches faites dans les archives, il
peut reconstituer l'ancien château des Barons du Pont, ceux
de Kernuz et de Lestiala, dans des vues cavalières dignes de
Viollet-le-Duc. Parmi ses nombreuses vignettes, celle que
nous devons le plus admirer est, à mon avis, une noce bre
tonne de Bigouden, où danseurs, buveurs sonneurs et m~n
diants sont tous à leur poste. C'est un petit tableau de genre
digne de figurer au musée de Quimper, à côté de ceux de
M. Leleux et de M. Roussin.
maintenant de l'illustration et des belles photo
Que dire
gravures de M. Robuchon? Elles mettent devant nos yeux
les merveilles naturelles de notre pays et les chefs-d'œuvre
de notre architecture: les rochers sauvages de Penmarc'h,
les bords riants de Loctudy, l'embouchure de l'Odet à Béno
det et à Sainte-Marine; d'autre part l'abside de N.-D. des
Carmes de Pont-l'Abbé avec sa rose magistrale, la façade
découronnée de Lambour, les nefs romanes ùe Loctudy et de
Fouesnant, complétées par le détail de leurs bizarres chapi-
teaux dessinés dans le texte.
L'église de Penmarc'h y apparaît dans son ampleur monu
mentale, puis les ruines de Kerity et de Saint-Guénolé, et
celles de Languidou, en Plovan, où l'on a relevé une vieille
inscription de la fin du xn siècle:
GVILLELMVS.CANONICVS.ET.YVO.DE.RIVESCO
AEDIFICAVEHVNT.ISTAM.ECCLESIAM
D'autres vues intérieures des églises de Lanvern, Langui
voa et Tréogat évoquent en moi les souvenirs et les rêves de
ma petite enfance. J'y revois mes églises bretonnes avec
leurs arcades et leurs piliers de styles dive es et d'époques
difl'érentes, reliés et soudés entre eux d'une manièl'e plus ou
moitis COl'rect.e, mais toujours heureuse et originale; j'y
reconnais le mohilier tantôt riche et artistique, tantôt d'nne
pauvreté et d'nne banalité désespérantes, les autels à l'étable
avec les vieux saints dans leurs niches à colonnes torses, les
balustrades, chaires à prêcher, corniches sculptées, poutres
apparentes supportant un christ en croix, pavé bossué et
inégal, sur lequel ont passé Lant de génél'ations.
En un mut, tout ce qui a été fait dans cette première sét'ie:
publiée sur notre Finistère, me réjouit le cœur et me rait
bien augurer de l'avenil', lorsqu'on viendra à s'occuper des
autres régions où les richesses artistiques sont encore plus
belles et plus nombreuses.
J .-M. ABGHALL,
Prêtre, architecte .