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Bulletin SAF 1893


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Pluie de météorites à Crozon

M. Halna du Fretay

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XIII.
PL DIE DE NIETEORITES
CROZON (Finistère).
L'étude des météorites, qu'on appelle aussi aérolithes, est
un véritable tableau géologique.
Les météorites, fragments des masses planétaires, ont une
frappante analogie avec les types principaux des roches
terrestres; cet examen est donc pour ainsi dire celui de
certaines roches métalliques ou rocheuses de notre g'lobe,
et il peut même nous donner la connaissance de la composi­
tion des couches profondes de l'écorce solide de la terre; la
comparaison pourra toujours être une application utilement
faite aux blocs terrestres.
Le nombre des chutes connues bien authentiques est
d'environ un millier et le poids des échantillons varie entre
50 kilogl'., quelque'fois beaucoup plus, et l'infiniment petit.
Les météorites sont généralement recouvertes d'une croute
noire mate et ridée, peu épaisse, résultat d'une fusion superfi-
cielle causée par l'incandescence du bolide tl'aversant l'atmos-
phèl'e et le tourbillonnement des gaz chassés par une énorme

vitesse au moment de la dispersion des éléments dont il est
compose.
Dans ces chutes, la désagrégaLion est souvent considé­
rable et peut se répartir sur un espace de plusieurs kilomè­
tres de diamètre; ou on peut compter des milliers d'échan­
tillons et parfois des centaines de mille, de véritables averses;
d'autrefois il ne tombe qu'un seul projectile.
La composition essentielle des météorites est d'abord le
fer natif avec ou sans nickel. D'autres ne contiennent pas de
métal à l:état libre, puis il y a les variétés; les unes aux
parties pierreuses disséminées dans une pâte métallique, ou .
le fer natif, grenu, disséminé dans une pàte pierreuse .

Les rognons de forme ronde ou ovale sont souvent enca­
dl'és de gl'élphite et la composition interne est presque exac­
tement celle de certaines laves de l'Etna et de l'Islande ou
de la Dunite de la Nouvelle-Zélande; on découvre aussi dans
parties vitrifiées.
certaines météorites des
En résumé, ces corps venus de d'autres mondes considérés
dans toutes leurs vaeiétés ne cliffèeent pas de nos roches
tel'restI'es.
Les pluies de météorites peuvent contenir des brèches
dont la structure et toutes les particularités, les fragments
anguleux de la masse, les matières dans lesquelles elles sont
noyées, rappellent identiquement les br(:lches terrestl.'es, où
l'on voit les trachytes conglomérés, le strass en un mot.
On doit en conclure que clans les milieux d'où proviennent
les météorites, il faut voir comme pour notre globe un en­
semble g'éologique où, à la suite de la constitution normale
de roches distinctes, se sont exercées suecessivement des
actions de concassement, de charriage, de mélange .et
d'agglomération des divers débris dont la constitution pier­
reuse avec structure globulifère et compacte affecte les tons
les plus variés dans ses petits blocs anguleux à grains serrés
et parfois cristallisés
y a donc parmi les météores de formation extra­
terrestre de \Téritables brèrhes, opinion très contraire à celle
de quelques géologues arriérés qui ne voyaient dans les
météorites que des masses cosmiques composées spontallé-
ment. .
Dans le fer d'une météorite un autre phénomène peut êtl'e
constaté, suite de l'effet d'une chaleur considérable et d'lm
choc avec un autre corps; il peut se produire alors une
faille ou l'entrée d'un corps dans un autre; soit une météo­
rite dont le fer est le principal élément, incrustée dans une
masse de fer plus grande et ne formant plus avec elle qu'un
bloc unique après le refroidissement, ou bien un corps sphé-
ARCH EOlOGI
DU FINISTERE
__ Hôtel

l'ique en rel' se trouve plus ou moins englobé ou empâté dans
une masse pierreuse viirifiée, avec laquelle il se trouve intl­
mement lié au moment de la chute par le changement de
température.
Dans l'examen de cet ordre de météores. la structure bien
étudiée des divers types de roches cosmiques, leurs' consti-
tutions si complexes ne sauraient faire écarter, d'ailleurs,
la comparaison avec les météores d'origine cométaire. Je
dois ajouter que les chut.es de météorites n'ont pas coïncidé
et ~l est constant qu'il peut
avec les pluies d'étoiles filantes,
exister dans certains nuages orageux une matière en fusion
qui a la possibilité d'arriver jusqU'à notre sol après s'êtl'e
divisée dans l'atmosphère. .
Il ne faut pas confondre ces observations rares, du reste,
avec les poussières extt'a-terrestres et d'autres dont l'ori­
gine est. absolument terrestre, suite d'un ouragan ou d'une
trombe qui peut transporter des résidus terreux ou des
détritus provenant de grands incendies; la distance du chan­
gement de place possible de ces matières . très divisées et
légèl'es peut s'élever à plusieurs kilomètres .
Dans les globules trouvés au milieu des cendres rejetées
par les volcans, comme dans les grêles de météorites, on
peut vérifier l'existence de grains produits par trituration,
afl'ectant par suite du frottement des formes diverses, résul­
tant aussi de la condensation brusque et de la cristallisation
des matières précédemment en vapeur et devenues de véri­
tables cailloux .
Dans un certain nombre de ces derniers phénomènes, il
ne faut pas d'ailleurs supposer de grandes dimensions, le
maximum de diamètre de ces pierres ne dépasse pas cinq
et leur forme, sans être régulière, est plus on
millimètres
moins arrondie souvent applatie , avec nombreuses dépr'es­

sidns ou aspérités irrégulières; leur composition est d'ail-

leurs variable et on y retl'ouve les analyses diverses des
corps tel'l'estl'es.
Les météol'ites nous donnent connaissance d'un autre
monde où nouS ne pouvons pal'venir et qui fait partie de l'his­
toire physiqlle ulliverselle de l'univel's ; dans l'antiquité, cos
chutcs qui ont tant effl'ayé n'ont pas été expliquées par les
hommes de cette époque, mais ont provoqué toujours leues
eroyances snpersti tieuses et l'idée de l'influence de ces
pierl'cs snr les événemeut.:;.
Il n'y a pas enCOl'e un siècle quc l'arrivée des corps célestes
sur Hotl'e D'lobe a été définie par l'explication d'une origine
e_-tra-terrestl'e et complètement étl'angère à notre planète. Ces
phénomènes se manifestent dans le monde entier, sans règle
de temps, de saisons ou de directions, sans que les orages y
aient aucune part, et pOUl' celui qui n'est pas trop éloigné
le bruit semble être celui d'une mousqueterie.
Les règles des chutes sont du reste très variables, et il "
n'y a de véritable analogie, malgré les compositions diverses,
qu'entre les échantillons des chutes qui tous se rapprochent
par leurs caractèees extérieurs, prouvant la séparation d'une
masse brisée, avec des formes plus ou moins al'rondies, ou
des figures irrégulières avec les angles et les arêtes émous-
sees.
Il est incontestable, d'autre part, que chaque projectile
isolé ou fais.,ant partie d'une chute forme une météorite com­
plète enveloppée de sa croùte conservant les traces de la
fusion pendant le trajet,
Bien des constatations ont été faites, mais bien d'autres
pluies, englouties dans la mel', ont échappé aux investiga­
tions ; un fait tr(~s important est ressorti de toutes les études
faites et des analyses les plus minutieuses: c'est qu'aucune
météorite ne nous a apporté nulle part un corps simple
étranger à notre globe.
Sous l'enveloppe noire qui les caractérise toujours, l'appa- "

reilce, après la cassure, comme l'analyse, nous donnent, en
même temps que la similitude, des différences considérables
en passant du métal pur à la pierre sans métal.
météorites ont UIle particulal>ité singulière
Beaucoup de
caractérisée par des cavités arrondies dans le genre des
cupules; on dirait l'empreinte plus ou moins profonde pro­
par la pression d'un doigt sur un produit malléable;
duite
ces dépressions que l'on remarque dans les météorites pier­
reuses sont plus sensibles encore sur celles qui sont métal­
liques.
Il faut voir là les eiTets de la pression considérable des
gaz au moment où la méLéorite a pris sa forme définitive
pendant sa course.
Les météorites sont la géologie d'un autre monde, où on
distingue spécialement: la famille du peridot, roche basique
type, l'enstatite, qui est un silicate magnésien offl'ant des
échantillons de roches très variées par des combinaisons mul-
tiples; .
Le fer natif:
Les syssidéres, qui, par leurs parties pierreuses, diffèrent
absolument du précédent;
La troïli te ;
Le proto-sulfure de fer qui se présente sous la forme de
rognons cylindroïdes entourés de graphite;
La schreibersi~,e ou phosphul'e de fer, de nickel et de
magneslUm;
Le magnésium, qui est très abondant dans notre monde
comme dans les régions extra-terrestres; il entre dans un
grand nombre d'espèces minérales appartenant aux autres
familles;
La pyrrhotine ou pyrite magnétique, mélangé souvent de ·
nickel et de graphite;
Le sulfure de earbone ;
phosphore;

La dunite ;
Le nickel;
Le fer chromé;
Enfin toutes les associations de silice: variées à l'infini, et
trachytes et trass. .
tous les types
Après cette description complexe et cette étude difficile
des pierres tombées dont nos pères ne connaissaient pas
l'origine, j'arrive à une découverte qui m'est personnelle. Ce
travail est absolument inédit, j'ai pris date seulement en
faisant pal't de ce tl'ès important résultat scientifique à la
Sqciété archéologique du Finistère (procés-oerbal du Be bul-
letin de 1891), où il est dit:
(c M. le baron du Fretay, avant de lire un de ses mémoires
« annoncé pour cette séance, signale à titre de document
« historique et géologique une pluie considérable de météo­
« rites tombée à la pointe de Lostmarc'h, en Crozon, et des
" chutes partielles dans le reste du département. Ces météo-
cc rites affectent la plus grande variété, comme formes et
« comme dimension. »)
Je me réservais de décrire plus tard cette énorme chute
de météorites ancienne et ignorée.
Je cherchais en Crozon les souvenirs mégalithiques que
l'on rencontre presque à chaque pas dans cette presqu'île,
lorsqu'à la pointe extrême, près du village de Lostmarc'h,
j'ai découvert cette chute si remarquable de météorites, pluie
considérable et rare. Je n'en ai trouvé pourtant, j'en suis
certain, qu'une faible partie; la mer et le sable recouvrent
depuis plusieurs siècles peut-être cette grande manifestation
de la nature.
Ma vérification me donne l'assurance d'une chute de forme
ovale partie du sud et arrêtée au nord par de hautes falaises.
Ce qui reste visible se présente en pente vers la mer s11r.la
déclivité de la montagne et de falaises moins élevèes dont
les assises s'avancent vers la mer. .

Depuis longtemps les vagues ont lavé chaque jour ces
bases rocheuses du fond de la 'crypte, sur lesquelles les
grandes pluies ont fait glisser successivement une grande
partie de la couche de météorites.
Je trouve encore en mesures à cet amas une lo'ngueur de
120 mètres sur 80 mètres de largeur et une profondeur qui
a dû être de .1 mètre environ~ La superficie actuelle de la
chute est plus ou moins attaquée par les agents atmosphé­
riques, ce qui est une preuve de sa grande ancienneté. Je
suis 'allé chercher les beaux échantillons que j'ai rapportés
à l'abri de l'air, en fouillant dans la masse de graphite, pous­
sière noire, friable et grasse, extra-terrestre, sous laquelle. .
je trouvais les métaux et les pierres dont le premier aspect
était le ton noir mat.
Ceux-là sont admirable'ment conservés; les plus lourds
étaient en contact avec les roches mi-partie quartz et schiste,
dont le mélange forme la constitution de la falaise, de ses
abords et de ses assises. Hien n'indique dans ces roches la
moindre trace de partie ferrugineuses ou volcaniques.
Il faut renoncer à cette del'l1ière hypothèse. Nous n'avons
pas dans notre pays de roches volcaniques. Je n'en vois pas
la moindr,e indice, et ce n'est pas ici le cas de s'appuyer sur
cette vérité incontestable: que les roches terrestres volca­
niques donnent aux analyses les mêmes compositions que les
météorites; c'est ainsi probablement qu'un ancien archiviste
du département, M. Le Men, s'était trompé en signalant
comme pierres volcaniques des échantillons trouvés à Plou­
gastel-Daoulas (Finistère). Je ne les ai pas vus; mais je suis
convaincu, d'après la de.scription, que c'étaient des mé-
téorites.
Il n'y a aucun doute à avoir pour Crozon; l'espace couvert
relativement restreint, l'abondance des matières trouvées,
la nature des roches SUl' lesquelles elles reposent, la variété
des échantillons, les vitl'ifications, les fusions nous donnent

la certitude absolue d'une chute considérable de météorites,

document scientifique d'une tl'ès gl'anclB impol'tance.
Je ne donnerai pas l'analyse de chaque échantillon, je n'en
finirais pas; j'en ai plllsieurs, mais tOlljOUl'S ?vec des difl'é­
rences très notables d'un échantillon à l'alllt'e, aussi bien
dans les météorites métalliques que dans celles où on ren­
cont.re exclusivement la pierre ou le mélange avec le métal.
Les matières que je rencontt'e le plus souvent peuvent se
défInir ainsi:
Phosphore, fer souvent avec carbonate, presque toujours
sous)a fOl'me de rognons ou de nodüles, silice,' manganèse,
cobalt, nickel, selenium sulfuré, sulfure de l'el'! chrome; les
constitutions diverses associées au peridot et aussi presque
toutes les combinaisons dont je parle au début de ce travail
pour la composition des météorites.
termine .cette étude par la description de quelques-uns
des échantillons classés dans ma collection:
1 ° Une sphère, parfaitement . régulière, de nature métal-
lique: noire; diamètre 0 m. 30, poids 45 kilogr.; .
2° Plusieurs autres météorites de forme sphérique aussi,
légère à la forme ovale; diamètre
mais avec une tendance
moyen 0 m. 18 sur 0 m. 21, poids moyen 14 kilogr.;
3° Un très-grand nombre, même forme sphérique, métal­
liques, noires: de 4 à 12 centimètres de diamètre; dans une
de ces météorites, il y en a une autre de même nature,
encastrée, dont on ne voit que la moitié; son diamètre est
de 4 millimètres seulement; .
4 D'autres météorites métalliques, de moindre dimension,
et de forme ronde ou ovale, quelquefois un peu aplatie;
5° Une météorite noire métallique, de 0 m. 11 de diamètre,

encastrée dans un bloc de quartz vitrifié, de 0 m. 20 de
diamètre;
6° Une météorite métallique, sphérique, de 0 m. 22 de
diamètre, mais . terminée en queue dé poire à une extrémité.

On reconnaît parfaitement à l'œil l'effet de la pression de

l'air avant le refroidissement:

. 7° Des échantillons de quartz passés au noir et traversés
par des vein~s de quartz bla'nc vitrifié à l'apparence cris­
talline et d'autres larges veines brillantes de sulfure de fer;
p~usieurs quartz blancs ont des parties noircies inef(açables
et ne sont traversés ni par d'autres parties en fusion ni par
aucun métal ou dérivé:
8° Enfin les brèches compactes, à petits grains agglo-'­
rriérés de toutes les nuances, noyés dans un fond blanc,
d'autres dans un fond très foncé; ces brèches nombreuses,
tombées avec la grèle des météorites, sont de toutes tailles,
j'en ai fait polir plusieurs d'un côté et l'apparence est abso­
lument remarquable et du plus bel effet
Dans une des six salles qui forment la galerie du Vieux­
Châtel, j'ai placé uue table mosaïque, compoée uniquement
des p:erres du Finistère et qui a été toujours admirée pal'
mes visiteurs ; il Y a parmi ces petits cubes des brèches
météorites que leur éclat et leur composition apparente font
Classer de suite parmi les plus beaux et les plus rares échan-
tillons de roches. '
J'ai trouvé plusieurs fois des météorites isolées et une
entre autre dans cette même presqu'ile de Morgat-Crozon
où j'ai découvert cette pluie prodigieuse. Sa surface, très
ridée, porte aux deux extrémités de la sphère deux cupules
provoquées par le refroidissemeùt après la descente. Elle
devait être seule et il est évident que dans une grande chute
les échantillons, protégés un peu l'un par l'autre et par leur
entourage, doivent nécessairement conserver une surface
plus lisse. .

Baron HALNA DU FHETA Y,
Vice-Président de la Société archéologique d'LI, Finistère,
Château, du Vieux-Châtel, par Quéménéven (Finistère),
7 Juin 1893.