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Bulletin SAF 1893


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Messire Claude de Marigo et son époque

Abbé Favé

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Messire Claude-Guillaume de
ARIGO
et son époqu~
Par l'abbé ANTOINE FAVE .

En entreprenant nos recherches sur noble et discret

messire de Marigo, nous avions la prétention d'en trouver
un peu plus long que M. M. Le Vot et de Kerdanet au sujet
du populaire auteur de « nuez ar Zent ») : reconnaissons
qu'à pal'! quelques détails, nous n'en savons guère plus que
ces deux érudits.
Claude-Guillaume de Marigo, dit M. de Kerdanet (1),
ancien recteur de Beuzec-Conq, « où sa mémoire est encore
« chère à ses paroissiens. La Bretagne bl°etonnante lui est
« redevable : 1 d'une Vie des Saints, Quimper, Simon
« Périer, 1752, 2 v., in-8°, ib. Derrien, in-8° ; 2° Abrege eus
« an Aviel, Périer, 1758. »
- Prosper Levot (2) avoue ne rien savoir concernant les
lieux et époque de naissance et de décès de Marigo : il cons-
ta te la vénération gardée à sa mémoire par les paroissiens
de Beuzec-ConeI, . (( qui montrent encore avec un pieux res-
« peel dans le Jardin du pr'esby tère, une tonnelle de laurier
« où se trouve la table de pierre, sur laq uelle il écrivit ses
« uuvrages. ))
La tradition locale et les souveüirs familiaux dont nous
avons retrouvé l'écho nous rapportellt :
1 ° Qu'il naquit dans la rue Neuve, de Quimper; 2° qu'il
apprit le breton à la sueur de son front; 3° qu'il était homme
(l) Notices sur les écl'ivains et artistes de Bretagne, p. 287.
("~) Biographie bretonne, t. Il, pp. 407, 408.

d'une Coi vive et d'une humilité rare; 4° qu'il mourut âg'é
d'environ 70 ans; et 5° que la destruction de la tonnelle de
lauriers où le saint recteur écrivait le Ruez a" Zent, fit du
bl'uit dans le pays et attira au recteur bien des récrimi-
natlOns. . '
Qu'il eut habité la rue Neuve, c'est possible; qu'il y fut
c'est plus difficile à établir. Nous avons feuilleté les
registres des baptêmes de la paroisse de Lanniron, rue
Neuve, Sainte-Catherine, de 1685 à 1702, et nous n y avons
trouvé à relever le nom d'aucun Mal'igo: encore moins de
Claude-Guillaume. Guidé par un effet de consonnance, pal'
nom de Pare-Marigo, situé aux issues du manoir de Ker­
gonan, paroisse d'Ergué-Armel, nous avons recouru aux
registres de cette paroisse, mais sans aucun résultat.
Seuls les registres de Concarneau et de Beuzec nous don­
nent deux dates sur lesquelles on puisse établir quelques
timides présomptions pour arriver à savoir, par à peu près,
quelque chose sur l'époque de la naissance et du décès de
Marigo. . .
En février 1722, Vincent Ropert est encore recteur de
Beuzec-Concarneau : René Deslart est son curé, M. Le
Manchanc et J. -F. Chacun sont prêtres auxiliaires, attachés
à cette « annexe de Beuzec ».
En octobre, du même an, Marigo avait pris possession du
bénéfice de Beuzec, où il signe aux registl'es, le 18 octobre;
et à Concarneau, le 28 du même mois.
A Beuzec, il trouve comme curé Guillaume JUca, et comme
prêtres de la paroisse, Vincent Tanguy, Paul Guillou, J.
Tromeur (1741), curé en 1742, J .-F. Riou, et Mathurin
Boscher.
A Concarneau, desservaient l'église priOl'ale de Saint­
Guénolé: J .-F. Chacun, Charles-Corentin Chapeau, M. Le
Manchec, Henri Salsa, Math. GIoux, Degois et Eustache
Bolloré .

L'Inventaire des titres et pièces de l'abbaye de Landé_
vennec dit que la plus ancienne pièce qui mentionne ce
prieuré remonte à 1499 et que la plus moderne est de 1727.
« Ce prieuré fut cédé par pure charité et uni à l'hôpital de
« Concarneau, moyennant 20 sous de redevance (v. le re-
" gistre capitulaire, de 1715 à 1727, et le rentier).
Cl.-G. de Marigo arriva donc à Beuzec, en octobre 17~2,
et eut à pourvoir probablement à la sécularisatien définitive
du prieuré rem!s au spirituel à la garde de Beuzec. En juin
1743, il disparaît, et en aoùt, il est remplacé par Charles-
Corentin Chapeau, curé de Concarneau depuis plusieurs

annees.
Quel âge pouvait avoir Marigo quand il devint recteur de
Beuzec, en 1722 ? Supposons qu ïl eut alors 35 ans : s'il est
mort à 70 ans, comme le veut la tradition locale, il lui restait
à cette date, 35 autres années à vivre: ce qui mettrait sa
mort vers 1757 et sa naissance vers 1687. .
la première édition de l'Abrege eus an AvieZ est
Mais
Ou bien comme aux âmes bien nées la vertu n'attend pas
le nombre des années, il a pu devenir bénéficier vers ses 25
ans, ce qui ferait une modification de 10 ans environ dans
nos calculs.
Marigo sans doute élevé à Quimper, y était-il né ? Nous
ne le croyons' pas, et puur cause. N'aurait-il pas, plutôt,
reçu le jour dans la Haute-Cornouaille, dont sa famille était
originaire et qui y possédait de grands biens, notamment
dans la paroisse de Kergloff.
Sur la famille de Marigo, nous avons les renseignements
que nous fournissent le Nobiliaire, de M. Paul de Courcy,
et les Montres et. Réformations de la province de Bretagne.
de 1426 à 1535.
D'après le Nobiliaire, les Marigo sont seigneurs de Ker­
guiffiou, paroisse de Mévillac, de Rangoët, paroisse du

Stival, du Spernoët, de la Ville-Neuve, de Gu rmeur, ~a­
roisse de KerO'l"ist. Ils justififmt d'une ancienne extractIOn
et il la réformation de 1669, ils produisent neuf génératlOns.
Ils portent écartelé au 1 et 4 de gueule au lion d'or, au 2 et
:3 à 3 l'cncontres de cerfs de gueules. Eon vivant en 1426, pa­
roisse de l\lérillac, aieul d'Yvon. La maison se fondit au
XVIIIe siècle dam; les familles de Trédern et de Gouzillon,
à la HéCormation de 1426, paraît Olivier de Marigo; à celle
irio
de 1536, Chal,les l\Ial"igo, seignem' de Kergv , Trève de
Kergrist, en COl'nouail1es, et en Vannes, pour le Rangoët,
pal"oisse du Stival, Raoul de Marigo.
Quoiqu'il en soit du lieu du naissance de messire Clallde­
Guillaume sa famille a donné à Loc-Maria de Quimper, une

prieUl'e (1732-1772), et une supérieure aux dames de la Re-
traite (1783-1~91). .
Mais au demeurant, l'humble recteur de Beuzec-Conq ne
serait-il pas le fcère du « sieur de Marigo, gentilhomme de
« la province, président au présidial, lieutenant de l'Ami­
It rauté et président-juge des Fermes de Quimper-Corentin,
« en 172G » ?
M. le vicomte Aymul't de Blois a eu la bonne fortune de
conserver à notre histoire provinciale, et le mérite très grand
de rééditer l'exemplaü'e d'un 1\lémoil'e, peut-être unique
désol'mais. C'est la Requête que son oncle, le président de
BOlsbilly présentait « au Roy contre les fermiers généraux
« des fermes unies de Sa IlJajesté, du 8 juin 1780 ».
Or, ce type de magistrat qui ne marchande pas la justice,
. sans peur et sans reproche, en face des tripoteurs d'affaires
et des manienrs d'argent du temps, s'appuie sur les arrêts
du président du Marig"o, au présidial (p. 31 du mémoire).
La même énergie que mettait le président à poursuivre
l'iniquité, à pâlir d'ind/gnation en lace des prévaricateurs,
nous la retrouvons dans le recteur de Beuzec-Conq, et c'est
ICI que nous voyons un argument tendant à démontrer que
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XX. ( ). 12 .

le Buez ar Zent, de Claude Marigo, est un témoin que l'on
peut consulter avantageusement pour se rendre compte de la
vie morale de nQs compagnes dans ce passé d'avant 1789.
La monarchie pour répartir l'impôt entre les contribuables
avait dû faire appel à ces derniers. Par l'ordonnance du 21
novembre 1379, Charles V fit élire les asséeurs et les collec-
teurs des aides par « les habitants mêmes des villes et pa­
« roisses ou par la plus saine et greigneure partie, tel et
CI. tant comme bon leur semblera, en leur périlz » .
Albert Babean (Le village sous l'ancien régime, p, p. 240
et suiv. ) nous renvoie à l'ouvrage de Boisguilbert: (Le détail
de la France sous le règne de Louis XIV) pour nous rendre
compte de la partialité, de la vénalité, de l'incapacité que
montraient souvent ces collecteurs et asséeurs.
Boisguilbert les montre déchargeant les parents et fer­
miers des seigneurs, se laissant corrompre par les riches,
se réunissant au cabaret, pendant trois mois, sans rien tel'­
miner et soulevant des haines et des récriminations.
Lorsque le rôle, ou mandement était achevé et véri4é, il
était publié un dimanche à l'issue de la grand'messe, afin
que nul n'en ignorât le contenu : publicité nécessaire pour
empêcher les injustices trop graves qui auraient pu résulter .
de taxes fixées sur l'apparence plutôt que d'après la réalité.
L'égail était la répartition de la somme portée au mandement
sur chaque contribuable, à proportion des terres roturières
qu'il possède dans une paroisse: c'est cette proportion qui
doit être la mesure de chaque imposition.
Potier de la Germondaye (Introd. au gouvernement des
la jurisprudence du Parlement de Bretagne,
paroisses suivant
partie III, art. 1 cr, p. 300) après avoir donné un aperçu des

lettres patentes du 20 août 1726, nous fait connaître que
(\ par plusieurs arrêtés, les égailleurs, asséeurs et répar­
« titeurs ont été Jugés responsables de l'injustice de leurs

« cotisations » et il renvoie à Duvail et Sauvageau, 1. 1 ,
ch. 184 et 238. .
est lue dans les campagnes de Cornouailles, en publIc, a
l'issue des vêpres. .
C'est le 23 du mois d'avril. Le prêtre debout sur les mar--
ehes de l'autel vient de raconter dans le texte de Marigo,
l'histoi.oe de Saint-Georges, martyr. Dioclétien réunit ses
officiers : il faut en finir avec les chrétiens, 'sans regarder
aux moyens à employer. Saint Georges seul se lève pour
' protester, que l'Oll doit la justice à toùs et que les chré:-
tiens étant innocents, les punir serait aller contre la justice.
Mais c'est ici que le moralisateur, ce qui vaut mieux qu'un
moraliste à la façon de Théophraste, se porte comme jus­
ticier dans ces Réflexions du Buez ar Zent, qui ont fait tant
de bien. En attendant ces réflexions vengeresses, le collec­
teur, l''égailleur coupable baisse la tête, en face de toute la
paroisse, et le rouge gui lui monte au front est un accomple
sur la just.ice éternelle qui réglera les comptes du répartiteur
de mauvaise foi.
« Et vous, d:t Marigo, avez-vous eu aussi le courage de
« soutenir la vérité et l'innocence dans les occasions où vous
« pouviez où vous deviez le faire. Quand vous voyez le pauvre
« monde grevé et foulé) n'en venez-vous pas, peut-être, par
« un respect humain et une certa ine complaisance conpable,
« à soutenir, à aider, à favoriser les g:vands et les riches?
« Combien de gens sont injustes sur ce point, parce que,
« hélas pour eux;, ils n'ont nul scrupule sur cela. Par exem­
« pIe ceux qui sont mis pour répartir les imp6ts, les
« droits, à faire l'assiette des tailles dans une paroisse;
« et eux, croient-ils ~tre ~ans reproche? On VOlt souvent
« beaucoup d'injustice clans la confection des rolles : et cela
peut-il arriver sans qu'il n'yen ait beaucoup de coupables?
« Les asséeurs doivent faire attention qu'ils ne peuvent

cc favoriser quelqu'un, c'est-à-dire taxer moins un quelcon­
« que, sans taxer trop les autres, et par là, sans leur faire
« tort. S'ils trouvent que l'année précédente, il y a eu excès
« dans la répartition, ce n'est pas une raison pour laisser
ct les choses en l'état où ils les ont trouvées: au contraire,
« ils sont obligés d'y mettre ordre en donnant à chacun
« charge selon ses moyens et faculté .
u En un .mot, n'importe qui tient à ètre sans reproche, et
cc être déchargé de restituer, doit, quand il est asséeur des
ft fouages et impôts publics, tenir la balance dans sa main.
« Alors, il ne doit plus connaître ni parent, ni ami pas plus
« que d'ennemi; mais il doit regarder dans sa conscience
« et ne voir que la vérité, et bieIÎ considérer comment, un
• j01),r à venir, il sera pesé et mesuré, au m~me poids et à
« la même mesure qui lui auront servi pour les attires ».
La tradition locale nous dit le profond souvenir que Beuzec
conserva de l'humilité de son recteur. On le dit; nous le
croyons: un assez mince détail nous y porte.
En examinant les registres de Concarneau, on peut le
constater. -Concarneau, ville militaire, avait un gouverneur
avec un Etat-Major brillant, des fonctionnaires de mar­
que, des représentants des ' meilleures familles du pays,

des commerçants opulents et heureux. Or, quand messire
de Marigo intervient pour les cérémonies des baptêmes, les
mariages et inhumations, ce n'est que pour personnes de
basse et humble extraction. Ce détail que nous relevons sur
des pièces écrites venant corroborer la tradition populaire
montre dans le recteur de Beuzec, un prêtre de la race de
Saint Yves de Kermartin .
En 1643, Marigo résigna son bénéfice: se serait-il retiré
au château de Keriolet, appartenant aux Trédern ?
Une Marigo habitait à Keriolet, mais hélas! les couronnes
tombent parfois en quenouilles, et c'est M. P. de.Courcy qui
plus lorsqu'il constate qu'au XVIIIe
nous le dit une fois de

siècle, les Marigo disparaissaient pour de.venir Trédern ou
Gouzi1lon. Le nom s'éteignit po'ur toujours, mais excepté
sur la première pag'e de ce livre, de ce manuel de morale,
qui lu, relu, a fait de notre Bretagne, de nos familles bre­
tonnes, le type de la loyauté, de l'intégrité des mœurs~ de ces
vertus nationales dont nous pouvons nouS glorifier.

Reprendre au point de vue de la pureté de la langue
bretonne Cl. de Marigo, serait, ce nous semble, chercher à
'enfoncer une porte ouverte. Toutefois la critique manquera:t
de limites si elle n'admettait pas que les écrivains et traduc­
teUl'S bretons, depuis le P. Maunoir, depuis l'auteur de Ar
Vuez Christen » (1650), depuis le Bris (1700) jusqu'à Marigo,
sont d'une correction parfaite lorsqu'ils oublient leur mal­
heureux système de calque du français. On trouvait bien des
perles sur le fumier d'Ennins ! Si Marigo a des défaillances,
comme en ce membre de phrase « ober reflexion var hon
laehete hag hon delleateri », il sait les racheter en nous
conservant certaines expressIons, qui sont de bonne source,
qui ne sont et qui ne seront jamais que le pur langage de
nos peres. .
qu'à relever et conserver deux
Mais ici, nous ne tenons
faits.

1 Le « Buez a,. Z ent », de sa nature, par sa rédaction,
par le public auquel il s'adressait, fut un livre éminemment
populaire: c'était le « Livre », le _ , Magister dlxit» au foyer
breton, et son influence, historiquement, y fut grande.
Aux portes de Quimper, pour ne parler que de ce que nous
savons; à Ergué-Gabéric, dans les maisons où nous
avons recherché les éditions du «( Buez ar Zent »; nous
ne retrouvons toujours que la 1 édition, celle, de 1752, et
non celle de 1849 et de 1861 : ce qui laisse à supposer que

Quimper et de Saint-Brieuc fut
le tirage de l'édition de
fôrt considérable.
2° Grande fut l'import.ance de ce livre populaire: pour
atteindre ce but~ l'auteur dut encourager le bien qu'il cons­
tatait dans les masses rurales et s'attaquer aux misères qu'il
y trouvait. C'est donc un témoin du temps que ùous assi­
gnons dans une enquête partielle sur la vie morale dans nos
campagnes, pendant l'époque antérieure à 1789 .
Dire comment on élève les enfants dans un pays c'est
dire ce que sera demain ce pays. Marigo insiste sur
la première éducation : « Ce sont les premières leçons
« qui laissent dans le cœur une impression ineffaçable D (1),
mais il y mieux que les belles paroles: (c Les bons exem­
« ples sont des instructions et des prédications plus élo­
cc qu_ entes )). (2) La mère, dans cette première éducation, 'a
le premier rôle: (3)
Si les parents ne comprennent pas leurs devoirs, «( cei
c( enfants envers lesquels ils auront été coupables seront
« leur-punition». (4) .
« Quand on commence à bien élevel~ les enfants dès la
« premiére enfance, la plupart du temps on a la consolation
« d'avoir autant de saints que d'enfants. Bien peu de rué­
« nages peuvent aujourd'hui se glorifier du même bonheur.
« Quelle est la cause? .: .. (5) Yi
Le saint recteur de Beuzec va nous le dire: la fOl diminue;
les distances sont grandes pour se rendre à l'église et les
routes sont mauvaises, mais c'est surtout la foi qui perd de
(c sa vigueur: cc beaucoup d'enfants restent encorejusqu'à
(c l'âge de douze et treize ans et même plus, sans venir à
cc confesse el cela par lafaute de leurs père et mère. )) '(6)
'(1) Il janvier, saint Théodose.
(2) 13 Janvier, saint Honorat.
(:.\) 24 jan yier, sain t Timothée.
(l1) Il janvier, saint Théodose.
(5) 10 juillet, les sept frères martyrs.
(6) 13 septembre, saint Maurille.

Mais au foyer domestique, la mère du moins préparera
son enfant pour les pratiques à venir de la vie du chrétien?
A celte question Marigo répond dans les Réflexions qui
suivent la vie de sainte Athanasie (1). « Athanasie dès l'âge
(1 de sept ans savait par cœur beaucoup de dévotes prières
II. et l'histoire de beaucoup de saints. Que savent maintenant
« les enfants de cet âge? « Bugaleachou, cliotachou, eur
Il gonehen pe eu,. ganaouen bennag : » des enfantillages, des
(1 cho~es idiotes, un conLe ou une chanson quelconque. Et
« voilà los premières leçons que l'on donne aux petits
CI enfants: ce n'ost pas étonnant si on voit si peu de religion
(1 et de dévotion chez ces enfants ! '»
Cet exerci('e si précoce de la mémoire, ce culte de la
divine :Mnémosyne est bien un des traits caractéristiques de
notre race. On reste stupéfait en voyant ce que certaines
têtes rustiques peuvent emmagasiner et débiter de légendes
et de ballades, sans une hésitation, sans un arrêt.
Messire Claude, dans l'extrait que nous donnons plus haut
ne semble pas admirer fort ' l'introduction des « S6nes »,
dans le programme d'éducation d'enfants qui n'ont pas
même sept ans. Cette opposition, il l'accentue en déclarant
bien haut le bien moral que produit le « Guerz » : cette
forme littéraire d'enseignement peut y aider puissamment.
« Si vous êtes joliment instruit « clesquët caër », si vous
« savez lire, au lieu de perdre votre temps à parler de choses
« inutiles, ne pouvez-vous pas vous mettre à faire une bonne
Il lecture qui serait profitable à vous et à la compagnie? Ne
« pou vez-vous pas encore enseigner le ca téchi~me aux enfants?
« Combien d'entre eux ne savent rien, hélas! et qui vivent
I( quasiment comme des païens, dans une ignoranee grande
Il de ce qui regarde le salut, par leur négligence à venir au
I( catéchisme, ou par la faute des parents ou des maîtres
(1) 14 août.

« cruels qui ne les y laissent pas venir. Quelle charité d'ins-
« truire ces pauvres enfants! »
« Si vous ne savez pas lire, ne pouvez-vous pas toutefois
« contribuer d'une façon quelconque au salut du prochain?
« Si vous savez un cantique spirituel, un guerz, vous
«( pouvez le chanter et l'apprendre aux autres. quand vous
« avez compris quelque chose de bon dans un sermon ou
« ailleurs, ~e pouvez-vous pas le dire à ceux qui ne l'ont
« entendu ». (1)

Marigo ici et en maints passages du « Buez ar Zent »,

suppose en connaissance de cause,une certaine instruction
élémentaire dans les villages : c'est que l'article IV des
statuts de 1710, pour le diocèse de Cornouaille, promulgué
par François-Hyacinthe de Plœuc, avait porté coup.
« Nous désirons extrêmement de rétablir les petites écoles
« dans les villes, bourgades et paroisses de notre diocèse,
« principalement en faveur des pauvres. Pour cet effet, nous
« ordonnons aux recteurs et vicaÏl'es de charger de l'ins
« truction de la jeunesse les prêtres les plus récem71wnt
« ordonnés: au cas qu'ils contreviendraient aux ordres qui
« leur seront donnés de notre part à ce sujet, les recteurs

« nous en avertiront afin que nous usions envers eux de
« notre autorité .... Et les rectèllrs auront soin que le caté­
« chisme soit fait dans les écoles une fois le jour à tous les
« garçons de leur paroisse qui y viendront et qu'on leur
« apprenne à lire et à écrire, etc. »
Mais pour former le cœur de l'enfant et lui faire com­
prendre la grandeur de la solidarité chrétienne, il faut s'y
prendre de bonlleur : « saint Pierre Nolasque, dit Marigo,
« n'étant que tout petit enfant regardait avec tant de pitié
« les pauvres qu'il pleurait rien qu'en les regardant, et pour
li le consoler il fallait lui donner une aumône à leur
« envoyer. »
. (1) 28 juillet.

t( Bel exemple pour les pères et les mères de s'habituer
CI à faire leurs aum6nes par les n'tains de leurs enfants.
« C'est un bon moyen pour leur inspirer la vertu de charité,'
« et pour attiret' sur leut's enfants aussi bien que sur eux­
« mêmes l'affection, les gràces et les bénédictions de Dieu ).
Grùce à Dieu, on tient compte encore dans nos campagnes
bretonnes de ce conseil de Marigo : Le chef de l'Etat en
chaque maison, la bonne et digne ménagère quand ils ont
. rendu pour le pauvre un décret de miséricorde et de chré­
tienne pitié chargent généralement de l'exécution de ce décret
aux chevelolx blonds, secrétaire d'Etat au minis­
l'enfant
tère de la charité, sùrs qu'ils sont que ' tout le monde y
profite.
Par une transition toute naturelle, nous arrivons à recons­
tituer dans l'œuvre de Marigo ses vues et ses préceptes SUl:
la constitution de la société qui est basée sur deux vertus:
Justice et Charité.
t( Les gens sans pitié à l'égard des pauvres, dit-il, ont tôt
Ct ou tard le déplaisir de voir diminuer leurs beins. Ils
« refusent à Dieu l'intérêt légitime de biens qu'ils n'ont rpçu
« qu'en dép6t et il n'est pas étonnant qu'il leur retire à la
« fin, le principal et le fond (1)
« Saint Charles Le Bon (2) baisait la main dans laquelle
« il mettait l'aumône. Il savait que le riche en faisant l'au­
« mône gagne plus qu'il ne donne; il savait que Jésus­
c( Chl'ist est dans le pauvl'e et que l'aum6ne est une chose
« saintt qui doit être faite avec respect. Et après un tel
« exemple, comment trouver du monde assez dur pour inju­
cc riel' de toute façon les pauvres et leur reprocher souvent
« la modique aumône qui leur est faite. »
(1) 22 février, saint Jean L'Aumônier.
(2) '2 mars, saint Charles, comte de Flandre.

Marigo rappelle que pour l'homme qui voit par les yeux '
de la foi, l'aumône est un placement avantageux et sans
risque: qui donne aux pauvres prête à Dieu, aussi insiste­
t-il sur ce fait que lorsque saint Jean-de-Dieu (1) ( quêtait
« pOUl' les pauvres, il disait aux gens: Ayez charité pour
« vous même, . ou faites du bien à vous-même (Ho pe~it
« carante~ evidoc'h oc't-" unan,' G-rzt vad clêoc'h oc'h
l( unan!) Disons tous la même chose quand nous donnons
« l'aumône : pensons et croyons qu'en vérité nous nous
(l faisons plus de bien à nous-mêmes que nous n'en faisons
« au pauvl'e. »
Mais la pratique de l'aumône, du secours au malheureux
demande une cel'taine discrétion et prudence, car il y en a
deux sortes : les bons pauvres et les mauvais pauvres.
Claude de Marigo le sait mieux que nous pour ce qui
concerne son temps et il n'hésite pas à stigmatiser ces der­
niers avec indignation et à relever les premiers avec un
touchant intérêt. La mendicité était une plaie à laquelle les
arrêts remarquables du Parlement de Bretagne essayaient
de porter remède (cf. notamment le règlement du 7 mai 1709
et celui du 19 avril 1723).
Les statuts et règlel1'l.ents du diocèse de Qu/mper (2), en
termes éloquents, du reste, présentent un sombre tableau de
cette multiplication des mauvais pauvres.
« Si tous ceux qui font profession de mendier et comme
« un trafic de leur misère, voulaient s'assujettir au travail,
« nous ne verrions que peu de pauvres parmi nous; et si
« les riches qui font profession de croire en Jésus-Christ,
« vivaient suivant l'évangile, les véritables pauvres seraient
« soulagés, et les uns et les autres ne viendraient pas dans
« nos églises jusques aux autels pour y rompre le silence
(1) Il mars.

('2) Article LU des statuts.

« des saints mystèees et y troubler les fidelles par leurs
« impol'tunités ».
Et Claude ùe Marigo dit à son tOUt' :
« Je ne puis m'empêcher d'ajouter ici comment il Y a de
« faux: pauvres (peaurien taus ), gens qui se livrent à cher- .' .
tIC cher l'aumôme, non pal' nécessité, mais pat' fainéalltise,
« ou pal' aval'ice, parce qu'ils tl'ouvent cela plus commode
« pour eux, ou bien parce qu'ils amassent, peut-être, plus
« dans leur jOlll'née qu'ils ne pounaient fait'e au moyen de
« leUl's bras (var houez /10 divreac'h). Cette sorte de pauvres
(1 est condamnable devant Dieu et devant le monde: ils
«. f~nt grand tort aux vrais pauvres, et en un mot, c'e::st un
« vol d'aum6ne. Et cependant, ils vivent ainsi sans scrupules
« ni remords. Hélas pour eux! » (i )
Mais il y a une autre catégorie d'indigents dignes d'inté­
rèt : « ar beaurien lnezuz » : les pauvres honteux! » A cette
époque les disettes se suivent: le pauvre petit cultivateUl'
peut résister avec une sombre énergie à la première année
de cherté, mais, généralement à la troisième qui survient
fatalement il succombe et après la gêne c'est la misère dissi­
autant que possible,
mulée
C'est la cause de ce malheureux que Marigo prend en
main, et cela, à l'occasion du 6 décembre, fète de saint
Nicolas qui, comme on le sait, sachant qu'un gentilhomme
tombé dans le plus. grand dénùment allait, par défaut de
ressources pour établir ses teois filles, les livrer au déshon­
neur, pourvut à leur établissement,
« Il y a des maisons pauvees, dit-il, qui avaient été dans
« l'aisance et se trouvent à la fin dans la plus grande misère,
(e qui n)osent pas déclarer leur nécessité par un sentiment
«. de honte qui semble excusable. Combien de larmes wnères
« ne versent,ils pas? Quelles angoisses et quelles trist~sses
(1) 10 mai, saint Antholiin.

c( ne sentent-ils pas ? A quel désespoir ne sont-ils pas
l( exposés ? Qu'ils sont dignes de pitié ces gens-là! Que
« c'est beau et agréable à Dieu d'exercer la charité à leur
c( endroit! JI (1)
(l Ces nobles sentiments de bienfaisance, ajoute Marigo, on
« les voit encore, grâce à Dieu, de notre temps etdans notre
« pays; on voit encore des g'ens bons et pitoyables à l'endroit
« des pauvres. Pendant la ch~rté dernière, en l'an 1742, .un
c( homme d'église de t'évêché de Cornouaille qui est encore en
« vieau momentoùfécris,aprèsavoir donné aux pauvres tout
II. ce qu'il avait, prit à crédit bien des tonneaux de blé pour
« secourir les nér;essiteux de son quartier_ A l'époque de
« la m.ême cherté, on voyait un ch~f de ménage de la
« campagne, en l'évêché de Léon, qui, rie se contentant pas
cc de soulager les pauvres qui venaient à sa porte allait
« lui-même, avec une charge de pains sur un cheval, de
« m.aison en maison, de vlllage en village, pour chercher
cc les p(J.uvres honteux et donnait une demi-tourie à l'un .
« une demi-tourte à l autre, selon le nombre des gens qui
(c se trouvaient dans la m.aison. Quel bien ne fit pas ce
« vertueux paysan pendant une cherté qui dura environ
« trois ans, " (2) .
11 est à regretter que nous ne soyons sur le voie pour
retrouver le nom de ces dignes personnes, alors que nous
avons à si peu de frais les histoires de Cartouche et de
Mandrin.
Marigo serait ce que l'on appelle maintenant
Messire de
un démocrate: somme toute, parlant comme il le faisait ce
et un prêtre.
n'était qu'un chrétien
cc Quelle sorte d'honneurs rend-t-on aux tombes des Princes
« et des Rois en l'église de Saint-Denis où sont conservés

(!) 6 décembre, saint Nicolas .

(2) 11 septembre, saint Patient. • •

« leurs corps? Mais là voit-on quelqu'un s'agenouiller pour
« les pl'ier ? alors que l'on voit chaque jour les Princes et
« les Princesses, les Hois et les Reines courbés devant le
« tombeau de Geneviève pour la priel' et se mettre sous sa
(C pl'otection. Reconnaissons donc que la D1'aie noblesse con­
It siste dans la vertu)) (1)
En 1753, J .-J. Rousseau (2) publiait son fameux « Discours.
sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes ), et posait
ulle des questions les plus bl'lllantes touchant la constitution
et l'ol'ganisation des sociétés humaines. L'année précédente,
1752, l'humble recteUl' de Beuzec-Coner donnait sa solution
qui semblera à plusieurs la plus raisonnable et la plus sage
solution du problème posé par le Genevois.
C( Si vous êtes pauvres~ loin de vous plaindre ou de mur-
« murer à cause de la différence grande que vous trouvez
« entre votre état et celui du riche, adorez l'ordre voulu par
« la divine providence qui en a disposé ainsi: Dieu veut
« qu'il y ait en ce monde des gens riches et des gens pau­
« vres, des gl'ands et des petits : tout cela est un secret
« admirable de la providence : le monde en viendrait à
« tomber de langueur et serait désordonné sans cette diffé-
« l'ence et cette opposition de conditions diverses. Si tous
« étaient aussi grands l'un que l'autre,il n'y aurait llullement
« d'obéissance ni de soumission: si tous étaient également
« riches, ils se refuseraient le service et l'aide que l'un doit
« à l'autre. C'est donc un coup de la Providence, dit saint
« Augustin, d'entretenir tout le monde et en union et en
« action, par la soumission mutuelle, par cette opposition
(c de pauvreté et de richesse~ par la nécessité et besoin
« qu'ont les grands du secours des petits, et par le besoin
(1) 3 janvier, sainte Gene:vièv;:).
(2) Même ordl'e d'idées (ter mai) IOl'squ'il rapporte les honneurs triom­
phaux rendus aux reliques de saint Isidore le Laboureur « alors que
« toute la gloil'e des Princes retou1'7"/'e en poussière ~.

(f que les petits ont de l'assistance des grands, par l~impo8-
« sibilité que nous trouvons de nous passer l'un de lJautre
« par la loi que Dieu a marquée aux petits de rendre aux
« grands respect et obéissance, par la loi qu'il a marquée
c( aux grands d'exercer à l'endroit des petits la justice et la
« eharité et enfin par la loi de la peine et du travail qu'il a
« tracée en général à tous. » (1)

U ne des gloires les plus pures de notre Cornouaille et de
notre Léon, c'est. le rang qu'ils tiennent dans le monde par
l'apport de leurs aumônes au budget de l'œuvre si française
de la Propagation de la Foi. Dès la première heure, cette
œuvre vieille de plus d'un demi-siècle, trouva chez nous un
terrain tout préparé, un état d'esprit favorable. Ce n'était
pas une nouveauté pour la Cornouaille que de voir tendre la
main pour des malheureux qu'on n'aura jamais la satisfaction
de connaître et dont on entendra jamais les actions de grâce,
car là, la bienfaisance devient aussi impersonnelle que
possible.
LJœuvre de la Rédemption des Captits était du reste une

œuvre similaire, sous la haute et puissante protection du
Hoi. En 1766, les Etats de Bretagne votent une ordonllance
de 30 000 livres, somme forle pour l'époque, et « malgré
« l'épuisement de la province »J faisant le vœu que «ladite
« somme tournera de préjërence au rachapt des esclaves
bretons)) .
L'œuvre devait être régulièrement et fortement organisée.
Nous avons, en compulsant les papiers de famille du Mé­
lennec, en Ergué-Gabéric, trouvé deux pancartes qui, à
notre sens, indiquent que Hervé-Corentin Lizien, pour lors
propriétaire de ce village~ était un des zélateurs de la Hé-

(1) 12 septembre, saint Guy.

demption des captifs. Elle poete au haut une vignette aux
armes de l'oL'dt'e de la Meeci et deux religieux opéeant le
rachat de captifs. Voici la teneul' d'une de ces pièces:
« Les religiedx de Notl'e-Dame de la Mercy, dévoüés pal"
« leUl" Institut à la Rédemption des captifs, ont l'honneur de
« vous donnel' avis qu'ils sont actuellement en négociation,
« pal' ordre du Roy, pOUl' le rachapt des esclaves français
« détenus dans le royaume du Maroc, où ils souffrent une
« captivité plus duee et olt les rançons sont d'un plus haut
« prix que dans toute autl'e contrée de Barbarie. Les fonds
« Je cette œuvre se teouvent épuisés par la nombreuse
« rédemption que lesdits religieux ont fait au mois d'octobre
« 1750 à Alger, et dont ils ont exposé à vos yeux le touchant
« spectacle au mois de décembre suivant, ils espèrent que
« vous voudrès bien les aider de tout votre zèle pour retirer
(1 ceux-ci de ce dur esclavage avec d'autant plus d'empresse­
« mentque les occasions de faire des rachapts dans le royaume
« de Maroc, sont très rares. C'est dans cette confiance, que
« lesdits religieux de la Mercy s'adressent à vous, pour vous
li supplier, Monsieur, de soigner à ce que la quête pour
« la Rédemption des Capt?ls ne soit pas négligée dans votre
(C paroiss3 et aussi de faire tenir incessamment l'argent de
« celles. qui ont été faite jusqu'à ce jour ....
« Signé: F. C. PAYS,
« Religieux de la Mercy, et Procureur général des captifs."
Par le même document, les recteurs sont avertis que c'est
(' M. Cossoul, négociant à Quimper, à la Terre-au-Duc, qui
« a remplac,é feu M. Le Jadé dans la commission de receveur
• général des aumônes destinées en rachapt et au soulage­
« ment des captifs pour le diocèse de Quimper. »
« Que sur les représentations faites de la difllculté de faire
« tenir les quêtes pour les captifs au receveur général dans

« la ville épiscopale; pour en faciliter l'envoi ont été établis
« (l'autees receveurs dans les principales villes,
Sçavoir :
« A Quimper, Mon.sieue Cossoul, négociant à la Terre-
« 'au-Duc.
« A Carhaix, M. de Kerjégus Dupays, rüe Pavée.
« Au Faouët, M. Yves Bargain, procureur fiscal.
« A Saint-Nicolas de Bothoa,' M. du Rest.
« Au Port-Launay, M. Bernard.
« A Douarnené, M. Laplance.
c( A Pont-Croix, M. Kerlivain Pordolec.
« Au Pont-l'Abbé, M. Barbé.
« A Quimperlé, le révérend Père prieur des Jacobins.
« A Crozon, M. Véron, procureur fiscal. .
Pour cette œuvre, IVIarigo ne refusa pas res moyens
de publicité qu'il avait à sa disposition, y compris le « Buez
ar Zent ». Il saisit toute occasion pour se faire l'apôtre de
la Réden1ption.
Le 31 janvier, on célèbre la fête de saint Pierre Nolas.que,
l'instituteur de l'ordre et voici les réflexions que l'auteur

présente à l'attention des fidèles:
« Il n'y a pas de plus grande charité que d'~xposer sa
« liberté et sa vie pour délivrer les captifs et procurer le salut
« de ses frères. Saint Pierre Nolasque l'a fait, mais combien
« refroidie est maintenant la charité, qui cependant doit faire
'( le caractère de tous les chrétiens. Si la charité régnait dans
« nos cœurs, nous ne serions pas si indifférent ([(en digas)
- « pour tant de pauvres captifs qui gémissent dans un e.scla­
« vage si cruel et si dangereux pour leur salut. Bien des
« choses nous pourrions sacrifier, beaucoup de dépe,nses inu­
« liles que nous faisons: cela serait suffisallt pour acheter
« beaucoup d'esclaves auxquels nous procurerions leur salut
« en leur procurant la liberté. Pour eux bien que loin de nous,
C! nous ne devons pas les oublier quand nous trouvons l'occa-

« sion de les secourir par le moyen des offrandes (dre Doye nar
« prq/l que l'on fait pour eux dans les églises. Heureux ceux
« qui ont pitié du prochain parce que Dieu aura pitié d'eux, ..
« mais celui qui est dur et sans pitié pour ses fl'èl'es, comment
« pent-il espérer que Dieu sera misél'icordieu à son endl'Oit?»)
La fête de saint Jean de Matha (8 février) amène Marigo
à insister de nouveau sur la beauté de cette miséricorde pour
les pauvres 'capt ifs: mais au 27 octobre, en la fête de saint
Pierre Pascal, Evêque et mart,)"!', de l'ordre de la Rédemption
institué par saint Pi ere Nolasque, il cherche
nouvellement
ranimer la piété des chrétiens par le récit de la vie de ce

saint qui se dévoua aux captifs jusqu'à la mort.
Fait évêque de Jaën, il ne put oublier ses pauvres pri­
sonniers des pays barbaresques: pour eux il se fait mendiant
et quand il a rassemblé le plus 'd'aumônes qu'il peut, il part
au pays des Maures, pour racheter les uns et réconforter
la foi les malheureux dont il ne pouvait payer la rançon .
dans
Voyant son apostolat, les barbares l'enchaînèrent et le je:teut
au fond d'une prison. Aussitôt qu'à Jaën on apprit la capti­
vité dù' saint évêque, pas une âme qui ne concourut pour sa
délivrance. Une somme d'argent énorme est envoyée: Pierre
Pascal la reçoit avec émotion et reéonnaissance, mais au '
lieu de l'employer à sa délivrance, il rachète un grand nom­
bre de captifs abandonnés de tous. Il n'attendit pas long­
temps la seule récompense qu'il souhaitait de cette acte
martyre.
héroïque, le
A l'âge de 73 ans (1300) il fut décapité.
Et ajoute Marigo.
« Çombien de pauvres gens seraient délivrés de la capti­
l( vité, comhien de pauvres seraient soulagés rien qu'avec
l( l'argent ·qu 'on gaspille en folles dépenses, en luxe d'habil­
l( lements, en festins, au jeu, à la taverne! Et voilà ce que •
l( la vie de . ce saint dit et reproche à plus d'un: voyez ii
(1 vous n'en êtes pas ! )) .
llULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XX. (Mémoires). 13 .

Cl. de Marigo, dans les Réflexions qui suivent la vie de
chaque saint s'en rapporte souvent aux Statuts et Règlements
« du Diocèse de Quimper publiés au Synode général en 1710.
Souvent même il ne semble que les traduire. Ces statuts,
d'une clarté et d'une précision de termes rares "à atteindre
portent, du reste, art. XCIII, la disposition qui suit:
« Quant aux articles qui regardent le peuple, nous ordon­
« nons qu'ils soient publiés aux prônes des messes parois­
« siales trois fois lJannée, à savoir en Janvier, Mai et Sep­
« tembre, aux seconds Dimanches des dits mois. ))
Qu'on lise l'art. XXXIII de ces statuts déclarant l'obliga­
tion d'assister à la me~se à la paro~'sse, (c au moins de trois
« dimanches l'an)), et cela « suivant la doctrine des assem­
II blées générales du clergé de France, puis que l'on relise '
la Réflexion que Marigo ajoute à la vie de saint Marcel (:L6
janvier) et l'on constatera que cette Réflexion avec ses ~on­
sidérants n'est que la reproduction de ces Statuts dont le

prêtre retrouve l'influence heureuse chaque jour, tant la tra-
dition a de force. '
La paroisse, c'est la famille: l'Eglise paroissiale est une
maison de prières. C'est la Maison de Dieu, mais Marigo va
nous dire que de son temps, elle était, trop souvent, la

maison de tout lé monde.
« Toutefois nos Eglises sont profanées par. beaucoup de
« g~ns par suite de leurs irrévérences: leur manque de dévo­
« tion, leur immodestie. Partie entrent dans l'Eglise avec
« moins de respect qu'ils ne rentrent dans un tll a enor. (1) Par­
« tievont à l'Eglise habillés d'une façon peu honnête et conve­
«nable. Les uns restent regarder autour d'eux, d'autres s'ar­
« rêtent à parler comme s'ils étaient en une place profane.
« Une mère envoie avec elle ses enfants en bas âge, qui ne
l( font que jouer et faire du bruit: et lui font à elle-même pel'-

(1) Dans une maison honorable.

« dre la messe et distraire les autres de leurs prières; c'est
« l'Eo'lise sans dévotion et sans respect.
« Eu Vél'ité, et serait-il enduré, je ne dis pas chez un
« prince, mais même chez un bourgeois, e ty eur bourc'his,
« d'entendl'e les enfants faire le bruit qu'ils font dans les
« Eglises, Une nourrice amène avec elle un enfant qui ne fait
« que criel' et troubler tout le monde: et encore petit-être,
Il u'a-t.-elle pas honte de lui donner le sein, même en vue de
« tous, ce qui n'est pas convenable, D'autres enfin envoient
fi avec eux leurs chiens, .
« Lezit al' guear al' vugale-ze pere no deuz quet c 'hoas a
« skiant. Na lezit ket ho chas da zont dho heul peo staguit.)) (2)
Voilà un tableau qui prêterait amplement à la photo­
graphie instantanée, mais voilà que nos graves « slatuts
synodaux » viennent sinon fail'e une retouche, ajouter quel­
ques détails lorsqu.'ils nous dénoncent les solennels « ma­
« guilliei's ou autres faisant du bruit, soit en demandant
« trop haut, so~t en faisant sonner les oblations dans les
« bassins, ou en avel'iissant d'allumer les bougies. }) (2e,
art. XXIII.)
traits mal'quent à l'esquise, les Statuts nous les
Quelques
pl'ocurent. (art. XLIV,)
Défense était faite « aux femmes et filles d'entrer dans le
« sanctuaire, de rester dans les balustres de l'Autel, et
(c d'occuper les places des ecclésiastiques pendant l'office.»
Ajoutez au tableau les cris et sollicitations des pauvres
mendiants dans l'Eglise et on comprendra la sévérité de
l'art. XXXVII" étant donné l'espèce, qui « met en usage les..
« peines canoniques » réservant à l'Evêque « expressément
« le POUVOzl' de les absoudre, )}

(2) (/ Laissez à la maison ces enfants . là qui n'ont pas encore de
cc raison, Ne laissez pas 'Vo,v chien.s VOltS suivre ou bien, attachez: Les! »

Dans nos « Notes sur la vie rurale en Cornouaille », nous
avons touché à une question qui troubla bien des paroisses,
jadis; la question des sépultui'es dans les Eglises. Les régle­
ments et ordonnances étaient bien clairs en leurs disposi­
tions. Les « Statuts » de Cornouaille (art. XL VIII.) les invo ...
quent et les appliquent.
« Plusieurs personnes de piété; disent-ils, frappés d'une
(c crainte respectueuse à la vue de nos autels qui sont comme
« autant de trônes de la Divinité que nous adorons d'une
« manière plus particulière dans les Eglises, ordonnent
cc tous les jours en plusieurs endroits avec beaucoup d'édi­
« fication, qu'elles soient inhumées dans le cimetière, per­
« suadées que, si Dieu nous commande d'entrer dans sa
« maison, qui est une maison de prière, ce n'est que durant
«. la vie pour lui pendre nos vœUx .... Mais comme nous pré­
« voyons que beaucoup de nos diocésains ne se laisseront
« pas toucher par ces considérations.... conformément
« aux arréts du Parlement, nous défendons à tous Recteurs,
« curés et prêtre's d'inhumer dans les Eglises, à la réserve
- « de ceux qui ont leur enfeu, qu'à la charge de payer préa-
« lablement le droit, etc .... »
C'est à .cette source de difficultés que s'attaque évidem­
ment Marigo, lorsqu'à l'occasion de saint Ludger (26 mars)
suit:
il écrivait ce qui
« Ce saint Evêque demanda par humilité d'ètre enterré dans
(c le cimetière. Ceux qui le demandent comme lui montrent
« qu'ils sont humbles, mais ceux qui veulent (à toute force)
« être enterré dans l'Eglise montrent qu'ils sont des superbes .
cc Pourquoi seraient-ils mieux donc pour mettre leurs corps
« dans l'Eglise, si par leur esprit superbe (dre ho superbite)
« ils en viennent à déplaire à Dieu. Pensons toujonrs dans
« notre vie et dans notre mort, à plaire à Dieu et à nous en

« approcher par notre humilité cc et ne prenons nul souci de
« savoir où notre corps ira pourir. » .

C'est bien le lieu .le dire : « Qui polest capere eapiat!»
La leçon était assez claire pour ceux dont l'orgueil de famille
avait dicté bien souvent des actes d'une cOlTection fort dou­
teuse, comme on peut 10 relever aux Archives du départe­
ment du Finistère. (Notamment une affaire à Goulven: près
Lesneven. )
Dans cette moitié du XVIIIe siècle, chez nous, la vieille
Coi bretonne a perdu de sa ferveur: les habitudes chrétiennes
Il ont plus la même régularité: les classes supérieures ne
donnent plus ces exemples qu'ils doivent au peuple et les
g~ns d'Eglise en prennent trop facilement leur parti. Les
Pardons, ces pieuses et saintes assemblées ont perdu leur
antique cal'actère religieux. Autrefois on y allait pour gagner
les indulgences et obtenir le pardon de ses péchés « main­
tenant on n'y va plus, dit Marigo, que pour en augmenter le
nombre» .
« Combien de jeunes gens font des pélérinages, mais bien
« peu par dévotion, heancoup vont courir les pardons mais
« pour leur plaisir seulement, pour voir et être vu : (evit
{( guelet hag eDit beza guelet) et il n'y a pas à s'étonner
{( s'ils retournent souvent à ta malson avec de nouveaux
« péchés. Ne sont-ils pas malheureux de changer le bien
« en mal et d'augmenter leurs péchés en ce lieu·même où ils
{( devraient en demander et en obtenir le pardon. » (1)
Cette observation laisse à eritrevoir bien des misères: '
l'auteur dont nous avons étudié la physionomie sut en les
indiquant en montrer le remède. Ce fut mieux qu'un analyste
et un descriptif; ce fut un grand Moralisateur .
ANTOINE FA VÉ,
Vicaire à Erg1.lé-Gabéric.

(1) Fête ds saint Thibaud.