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Bulletin SAF 1893


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Traditions populaires sur les épidémies dans le Cap-sizun

M. Le Carguet

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TRADITIONS POPULAIRES
Sur les ~pidémies dans le Cap-Sizun .
1. La Lèpre. (1) .
La lèpre du moyen-âge qui a ravagé si cruellement la
Basse-Bretagne, a pénétré jusqu'au Cap-Sizun, à l'extrême
aurait eu même une longue durée:
pointe du Raz. Elle y
les nombreux endroits d'isolement des contaminés en seraient
la preuve.
Les traditions placent principalement le séjour des lèpreux,
le 10nO' de la voie romaine qui aboutit à Troguer, en face de
la baie des Trépassés.
Cependant on trouve: dans le Cap-Sizun, les tro:s prin-
cipaux genres de refuges des malheureux atteints de cette
maladie: les chapelles, les léproseries et les cabanes isolées .
Une chapelle de la Madeleine, patronne des lâdres, aurait
existé, d'après la tradition, à la limite des communes de
et de Cléden, au sud· du village de Kergunduy.
Goulien
Il n'en reste plus de traces. Il n'en est pas de même des
chapelles, du même vocable, de Pont-l'Abbé et de Penmarc'h
qUl eXIstent encore.
Dans tout le cadastre de la Basse-Bretagne, on trouve
beaucoup de lieux-dits' dans lesquels entre le mot: claon,
al" c'hlaoh. La traduction littérale de ce mot, ainsi employé,
Cap-Sizun, maladrerie; deux centres principaux
est, dans le
nom: un plateau, à l'ouest du bourg de Plogoff,
portent ce
. sur la route de la pointe du Raz, et une colline à l'est du
bourg de Cléden.
(1) Cf. Le Bulletin de la Sociélé archéologique du Finistère (1876-1877,
IV, p. 138; T. V, p. 167; T. XI, p. ~36.)

La tradition locale indique que sur le claon de Plogoff a
existé un h6pital. On ne sait s'il a servi aux lèpreux.
Cependant on y transportait les malades pour les isoler en
temps d'épidémies. Le souvenir de certaines de ces épidémies
est encore bien vif; elles feront l'objet d'une ' prochaine
notice.
Le claon du bourg de Clédena dû servir de léproserie,
car c'est dans cette partie du Cap que la lèpre a le plus
fortement sévi. Il a donné son nom à une colline, un vallon,
un ruisseau et un pont; non loin de cet endroit se
trouvent de nombreuses parcelles de terre appelées aussi
Corn-Madalen, II. le coin de la Madeleine » : preuves cer­
taines de l'importance et de la durée de cet établissement.
Ça et là, on "trouve encore les emplacements des cabanes
où auraient vécu, isolément, les lépreux. Ainsi, au nord du
bourg de Goulien, le champ des cordiers; et ti ar c'hlaoh
« la maison du malade », à 500 mètres nord-est de
Pennéac'h, gros village de PlogoIT, ti al l6r, la maison
du lâdre, et, en face d'Audierne, sur la rive g'a~lche
de la rivière, la maison du cordier. Il existe un vieux chant
breton de cacous, que l'on chantait encore, il y a très
peu de temps, pour faire endêver les habitants de cette
maison. De même, à Pont-l'Abbé, la plus grave injure est
de dire à quelqu'un: « Vous êtes de la Madeleine.» .
Nous n'avons pas étudié les églises du Cap-Sizun au point de
vue de leur affectation partielle aux lépreux. Néanmoins les
renseignements que nous avons puisés dans le cadastre et
recueillis dans les traditions, suffiront, nous le pensons,
pour établir l'existence de l'ancienne lèpre dans ' le Cap­
Sizun.
Quelle est l'origine des lépreux et des cacous qu'oil

leur asslmile ? ... -.
le docteur Lagneau,
entre autres
Plusieurs auteurs,

admettent les cagots du Béarn, ainsi que les cacous de Bre-
On leur a aussi attribué une origine juive. A Plougonvelin,
Juif erran t, expliquerait cette orlgme. .
Voici cette légende :
Les cacous . sont les descendants de ces juifs qui ont
préféré Barabas à Jésus, en demandant que ~e sang du Christ
retombe sur eux et sur leurs enfants.
En naissant, chaque enfant de cacous apporte, dans la
main, un caillot de sang. Le médecin· doit enlever ce caillot.
Si le caillot s'effrite et laisse tomber une goutte de sang sur .
la peau de l'enfant, celui-ci est atteint du ·mal et son haleine
empoisonne. SlIe caillot est enlevé toul d'une pièce, l'enfant
naît indemne.
Si un cacouS souffie dans un vase, ce vase se brise.
Dans le Cap-Sizun, il n'e.xiste aucune légende semblable.
Mais les traditions fournissent des renseignements sur la
lèpre même, comme forme de maladie.
Dans le langage populaire, les mots cacous, l6r et pas
sains (en trançais), ont des significations .bien distinctes.
Le mot cacous, que l'on prônonce habituellement erâg­
couz ou crâg-couich, ne donne aucune indication patholo­
g'ique directe. Quelle était la maladie des cac'ous ? leur état?
leur situation ? pourquoi étaient-ils des parias ? pourquoi
les astreignait-on à certains métiers dénommés vils ? .. les

tl'aditions sont complètement muettes. Tout ce qui concerne

les cacous a presque disparu des mémoires: il ne reste que
leur nom, encore est-il mal prononcé.
Sous le nom de gens pas sains (2) (le mot malsain n'est
jamais employé), l'idée populaire comprend toute la série

(1 ) Séance de ['Académie de médecine du 31 octobre 189'2.
('2) En gallois, aniac' h.

. des bossués, suppurants, couturés, etc. Comme autrefois,
sous la dénomination de lèpre, on confondait une foule de
dermatoses disparates, ainsi cette catégorie comprend toutes
les maladies strumeuses, sous quelque forme qu'elles se
présentent. Leur mal serait contagieux, Il se propagerait
surtout, par le contact des lèvres sur les bords d'un vase
qui viendrait de servir à un contaminé.
Une tradition rapporte qu'autrefois, lorsque ces gens
buvaient à même une fontaine, l'eau se couvrait d'une couche
huileuse. Il fallait toujours éviter de se trouver sous le vent
leur passage.
C'est dans cette catégorie seule, des gens pas sains,
comme ailleurs parmi les cacous, que les mariages sont <
dépréciés. Cette dépréciation suit certaines familles, dans
tous leurs descendants, que les stigmates de leur diathèse
y a peu de jours, une ,bonne
soient apparents ou non. Il
femme de Primelin s'étonnait, devant nous, que les fils de
ces familles pussent être pris pour le service militaire.
d'argent ont souvent vaincu cette répugnance
Les mariages
à s'allier et amené des croisements. Cependant, si la lèpre
s'est transmise jusqu'à nos
tuberculeuse du moyen-âge
jours, c'est dans cette catégorie des gens pas sains qu'il
faudrait en chercher les traces. Aussi la nosologie de tous
tare tradition­
les membres d'une famille affectée de cette
nelle, serait utile au point de vue des recherches du docteur

Zambaco. (1)
Les gens lôr ont une parenté quelconque avec les cacous .
Sont-ce 'les descendants ou les .ascendants ? On ne le sait
pas. Leur mal, au dire de la tradition la plus répandue,
(1) Le docteur Zambaco, membre correspondant de l'Académie de
médecine, officier de la Légion d'honneur, a fait, le 23 août dernier, à
l'Académie, une communication tendant à prouver que la lèpre dégénérée,
atténuée, souvent fruste, mais parfois aussi complète dans ses manifesta­
en 'Bretagne, principalement dans le Finistère .
tions, existe

jette, sur leurs corps, ~llle sorte de farine. Parfois il les revêt
d'une couche d'écailles, comme celles des poissons. Ceux qui
sont atteints de cette forme de la maladie sont appelés
skantee. .
La maladie fait une poussée à chaque lunaison. Les
écailles tombent et se renouvellent chaque mois.
malad"ïe ne serait pas contagieuse. La transmission se

ferait par hérédité seulement .. Une seule fois nous avons en-
tendn dire que les l6r étaient insensibles à la douleur. C'est
un des signes caractéristiques de la lèpre. Mais nous n'avons
résultat de l'hypertro-
pû savoir si cette anesthésie était le
phie ou de la sclérose.
Toujours l'idée de la lèpre s'associe au mal des skantec
et des l6r .
Le remède populaire de la maladie consiste en lotions
avec le suc frais des feuilles de la fève commune.
Telles sont les croyances populaires du Cap-Sizun sur la
lèpre. Faut-il en conclure que la maladie ainsi nommée a
la forme tuberculeuse et
sévi sous deux formes distinctes :
la forme squameuse. Il ne nous appartient pas de traiter
cette question.
s'est borné à recueillir et à transcrire fidèle­
Notre rôle
par les vieillards. Une
ment ce qui nous a été conté
enquête sur la lèpre est difficile. Les personnes interrogées
malgré toute l'adresse des questions, sur une
se tiennent,
n'ont pas en racontant les autres traditions
réserve qu'elles
regardent en f~ce, semblant
locales. Elles se méfient et vous

vous demander : « Nous croiriez-vous atteintes de cette
maladie? »
Comme contraste, on cite, volontiers, même sans provo­
peut-être cependant pour vous mettre en garde contre
cation,
la contagion, les noms de ceux que la rumeur publique
indique comme pas sains. '
Audierne, le 16 octobre 1892.
H. LE CARGUET .

APPENDICE.
Nous donnons ci-après le sône du cacous, pour montrer '
les modifications et les tranformations que subissent les
chanteur à l'autre. Nous nous sommes
vieux gwerz, d'un
à· rendre la phonétique plutôt que l'orthographe
attaché
des vers.

S6n ar c'hakouchlen .
E vont da gerc'hat dour gad ma fôd
Me rankontraz ar brava pod ; (bis).
Me rankontraz ar brava pod,
Ac eon guisked e kamolod, (1)
Ac eon guisked e kamolod griz,
Vel ma ve mab da eur markis .
. Ac eon goullen a ziganin :
(c Plac'hik ! plac'hik, ac fia zemeo din ? »
- « Ne-ked didan ar bodennou
« A ve gred an dimiziou !
« En eun illis pe eur vered ••.
« Dirag ar zent ac ar zentezed ...
, «Beo eo ma mam, ben eo ma zad
« GoulIen ho avis a zo mad. )
« Ac ma re me a zo ive;
« Ac demeomp ni hon da ou assemble. »
Goude ma voan-me demeet dezan
Da veIt e dad me a ias gant-han.
Pa voen éd a zivar-dro
Me glev ar rod 0 vont en dro,

Me glev ar rod 0 tipleuri
Vit ober chappou d'al listri.
Ac me goullen digant han :
- « Hac cracouchien a zo en guer man? »

(1) Etoffe faite de poil de chèvre avec laine, ou soie. (Le P. Grégoire de
Rostrenen. Dictionnair~ Français Breton.)

Ao eon a zisroeas douc'houtin
Ac ober diou pe teir faozad din :
(1 Dâl, ma mestrezic, eur façzad
« Evid ho kenta dont er mad !
« Dâl ma mestrezic, eur façzad,
Vit b~ lared crakouz d'a ma zad 1 »
" Ni n'homp ked hanved crakouchen
• Ni zo hanved labourerien. »
_ ' ~Iag on tromplet, ac be on,
1\le voar da biou a damallon ;
D'eur pot iaouanc euz a Gemper
Ene eo bed ma zervicher. .
«( Ma mam ganoc'h a o'houlennaon,
« Pebez habillanfant a guiskaon ?
(1 Ma merc'h, guisked ho habit guen,
« Vit mont da chom d'ar Vadalen ;
(1 Guisked, ma merc'h, ho habit gris
« Da eureuji da vab eur markis ;

« Ma merc'h, guisked ho habit rouz
« Vit eureuji da vab eur c'hrakouz ! Il
- Eur c'havel a bep tu d'an ti,
« Zo mab, ac merc'h, e peb uni!
Eur c'havel e peb tu d'an tan
« Zo mab ha merc'h e peb unan !
Me gouskfe kentoc'h var ar 'plouz,
Vit kousked e guele eur c'hrakouz !

Chanson des lépreux .
En allant prendre de l'eau avec ma buire
le plus beau jeune homme;
Je rencontrai
le plus beau jeune homme,
Je rencontrai
de camelot,
Habillé
Habillé de camelot gris,
Comme s'il était fils d'un marquis.

El lui de me demander:
« Fillette, fillette, vous fianceriez· vous avec moi? 1)
{( Ce n'est pas sous les buissons
(c Qu'on fait les fiançailles.
cc Dans une église, ou un cimetière ...
cc Devant les saints et les saintes ...
cc Ma mère, mon père sont vivants,
cc Il est bon de demander leur avis.
cc Les miens le sont aussi ·;
(c Faisons donc, tous deux, nos fiançailles .
Après les fianç.ailles
Je fûs, avec lui, voir son père.
En arrivant aux environs (de la maison),
la roue tourner;
J'entends
la roue grincer tristement
J'entends
des cordages aux navires.
Pour faire
moi de lui demander:
cc Des cacous sont dans ce village? 1)
Et lui, se détournant vers moi,
Me donna deux ou trois soufflets.
« Tiens, ma petite maîtresse, un soumet
« Pour ta première bien veuue !
« Tiens, ma petite maîtresse, un soumet
cc Pour avoir appelé caeous, mon père!
cc Nous ne sommes pas appelés des cacous,
cc Mais bien des travailleurs.
Si je suis trompée, et je le suis,
Je sais qui je dois blâmer ..
C'est un jeune homme de Quimper;
lui qui a été mon serviteur.
C'est
cc Ma m~re, à vous, je le demFtlldc,
cc Quel habillement dois-je mettre?
« Ma fllle, mettez votre habit blanc
« Pour aller demeurer à la Madeleine;

« Mettez, ma l1Ue, votre habit oTis
« ponr éponser le fils d'un marquis !
« Ma fille, mettez votre habit roux
• Pour épouser le fils d'un lépreux.
_ (1 Un berceau de chaque côté de la maison (la chambre),
• . Garçon et fille dans chacun;
Un berceau de chaque coté du foyer,
« Garçon et fille dans les deux.
« Je coucherais plutôt sur la paille
« Que de coucher dans le lit d'un cacous. »
(Chanté par Jean COTONÉC, qui l'a appris de Jeanne CHALl\I,
(emme Perrot, de Primelin.) . .
Voir l'air et la poésie des cacoux (Bulletin, T. V, p. 167 et 173) •