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Bulletin SAF 1892


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Les procédures criminelles en Basse-Bretagne (XVIIè et XVIIIè siècles)

M. le docteur Corre

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XVI.
LES PROCEDURES CRIMINELLES BN BASSE-BRETAGNE
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
PAR LE DOCTEUR CORRE (1)

La Bretagne, depuis que l'autorité royale s'est substituée
à celle des Ducs, est soumise aux lois de la monarchie, en
même temps qu'elle conserve certains droits déterminés par
sa Coutume. Celle-ci (déjà deux fois réformée, en 1539 et en
1580) et l'ordonnance de 1670 ' règlent, dans la Province, les
affaires criminelles. Les appels, gradués à plusieurs degrés
pour les affaires civiles, vont directement au Parlement de
Rennes, dans les affaires criminelles. Au-dessous de la Cour
suprême, il y a dans la région :
Des Juridictions royales ou sénéchaussées, groupées
autour du Présidial de Quimper, dont le ressort com-
prend la plus grande partie des anciens évêchés ' de Cor-

nouaille et de Léon: eux-mêmes répondant à peu près
aux bailliages ou comtés de l'époque ducale: l'édit de
Henri II (1551) avait établi cinq sièges présidiaux en Bre­
tagne, à Rennes, à Nantes, à Vannes, à Ploërmel (incorporé
à Vannes en 1552), à Quimper-Corentin ('avec la sénéchaussée
de Cornouaille, unie au siège présidial, celles de Carhaix,
de Chateaulin, de Concq ou Concarneau', Fouesnant,
Rostrenen, Chateauneuf-du-Faou, Gourin, Landeleau,
Duault, Huelgoat, dans l'évêché de Quimper; dans l'évêché
les sénéchaussées de Léon, de Lesneven, de Brest, Saint­
Renan, Morlaix; mais le nombre de ces juridictions fut
(1) Les matières du présent mémoire sont extraites des archives du
du département Finistère.

ultérieurement diminué par la fusion de quelques-unes
entre elles, Brest-Saint-Renan, Concq-Fouesnant, etc. ) ;
Des juridictions seigneuriales; les unes se rattachent à
des fiefs demeurés en · mains laïques, les autres à des fiefs
tombés en mains ecclésiastiques; dans le Léon, celles de
la vicomté ou principauté de Léon (Landerneau, Landivisiau,
Coatméal), de l'ancienne baronnie du Chastel (Lannilïs, partie
de Brest, Cléder), diverses dépendances des châtellenies de
Lesneven (Kerjan, abbaye du Relec, etc.), de Saint-Renan
(abbaye de Saint-Mathieu, Kergroadez, etc.); dans la Cor­
nouaille, celles de l'ancienne baronnie du Pont (Pont-l'Abbé),
du marquisat de Pont-Croix, de Cheffontaines (et Bodinio), de
Trevalot, de Callac, des abbayes de Landévennec, de Daou-
las et de Sainte-Croix de Quimperlé, etc. ; .
Des juridictions des Regaires ou seigneuriales, rattachées
au temporel des Evêques : le regaire de l'évêché de Cor-
nouaille comprenait « toute la ville close de Quimper et trois
ou quatre paroisses avoisinantes», puis des pièces importantes
en divers autres lieux; le regaire de l'évêché de Léon (( se
composait de trois membres, le regaire de Saint-Pol, qui
avait pour chef-lieu la ville episcopale et qui dominait en
outre une dizaine de paroisses, le regaire de Quéménet-lli,
dont la juridiction s'exerçait au bourg de Guisseni, le regaire
de Saint-Gouesnou, dominant dans une dizaine de pa­
roisses, . ayant pour centre et pour siège de juridiction le
bourg de Gouesnou, près Brest » (A. de la Borderie): puis
pour siège effectif la ville de Brest elle-même, dont une
partie relevait du regaire.
Les sénéchaussées royales et le Présidial ont seuls compé­
tence pour les cas royaux, qui s'entendent des crimes et des
délits alors considérés comme les plus graves. Pour les cas
dits prévôtaux) souvent les mêmes que les précédents; mais
visant des attentats accomplis hors des villes, sur les grands
chemins, ou par certaines catégoriès d'individus (vagabonds,

gens sans aveu, deserteurs, etc.), le Présidial intervient par
action directe de son lieutenant-criminel, ou, quand la
maréchaussée a toute compétence, fournit les éléments d'un
tribunal mixte, ' composé de magistruts civils (juges et asses­
seurs gradués) et du lieutenant du grand prévôt. Dans cette
dernièl'e OCCUl'ence: c 'cst au nom de celui-ci quc les jugements
sJnt rendus. Les jugements prévôtaux sont . sans appel. Au
contl'aire, les sentences prononcées criminellement par . les
autres barres sont soumises à rappel obligatoire en Tournelle
lorsqu'elles portent condamnation à peine capitale ou affiic-
ti ve (1). Les juridictions ou sénéchaussées seigneuriales et les
regaires ont fréquemment à statuer sur des crimes qui ne se
distinguent guère des cas royaux et prévôtaux. Aussi, entre
elles et les juridictions royales, existe-t-il des causes trop
communes de tiraillements et de conflits, d'ordinaire exaltées
par des rivalités jalouses de personnes. La lutte est surtout
accentuée entre les gens du Présidial et le regaire de Quim-
per (2). .
On sait ce qu'étaient, avant 1789, les procédés judiciaires.
Le prévenu, d'emblée, était traité comme un coupable. L'on
tendait moins à s'assurer de l'innocence d'un malheureux,
que ùes charges, même apparentes, qui le pouvaient acca­
bler; le véhément soupçon valait une demonstration caté­
gorique ! On recherchait fous les g'enres de témoignages,
jusqu'à obliger, par l'intermédia:re du clergé et par la voie
personnes en possession du moindre indice,
. monitoriale, les
venir à révélation, sous menace d'excommunication. Point
de débat contl'adictoire ; point de conseil ni de défense pour
l'accusé: il n'est confronté avec ceux qui ont déposé contre
(1) Cependant, par survivance d'habitudes très antiques, il semble que
ou dédaigné de se conformer à cette prescription, en
l'on ait parfois négligé
Bretagne.
(l) On en peut lire un curieux épisode dans la « Ténébreuse affaire»
racontée par Iv.f. Fatty (But. soc. archéol. du Fin., 1880) .

lui qu'au dernier moment; il ne lui est permis de répondre,
en leur présence, qu'aux questions posées par le juge et tou­
jours dirigées dans le sens d'une culpabilité acquise. S'il doute,
. le magistrat, pour me~tre en repos sa conscience, a recours
au moyen barbare de la question (1), destiné à arracher des
aveux. Quand l'information est terminée, le rapport de l'af­
faire déposé (les actes de la procédure ont consisté dans un
échange de communiqués écrits entre le ministère public, le
procureur du Roi ou fiscal, qui requiert les sentences, et le
sénéchal, qui fait droit par ordonnances conformes), le tri-
o bunal se réunit et délibère en séance secrète; à la pluralité
des voix l'arrêt définitif est rendu. C'est le bannissement hors
de la ville, du ressort de la juridiction locale ou. du ressort
du Parlement, après la flagellation, la marque, l'exposition
au pilori, ce sont les galères, le gibet, la roue ou le bûcher!
Le condamné apprend son sort dans la prison: il n'a plus qu'à
interjeter appel, sous l'a forme d'une humble supplique, ou
qu'à recourir à la clémence du souverain.
Mais celle-ci ne s'accorde qu'avec parcimonie. Les lettres
de grâce ou de rénûssion sont destinées à tempérer les sévé­
rités d'un code rigoureusement appliqué . selon la lettre, et
elles n'arrêtent l'effet d'une loi impitoyable, que dans le cas de
crimes commis par imprudence ou par nécessité de légitime
défense, ou bien: encore sous l'impulsion d'une folie avérée.
On ne soulève point d'ailleurs de questions de responsabilité
et l'on n'accepte comme démence que l'aberration mentale
de notoriété publique. Sur ce point, la médecine n'est pas
consultée, et il faut avouer, que, d'après les échantillons de
certificats délivrés par les experts à l'effet d'appuyer les
demandes d'interdiction et internement, elle eût produit des
lueurs trop indécises pour éclairer les magistrats .
(1) La question se donnait par le feu, en Bretagne, La question prépa­
ou d'aveu fut abolie seulement en 1 i80; la question définitive ou
toire
d'aggravation de peine, en 1789 .

Brest, 1713. Je soussigné, Honorre Gueyt (1), mailtre chirurgien
juré royal en charge, commis allX raports en cette ville et ressort
d'icelle, certifie que ce jourd'hui dix et septième nouvembre mil
sept sans traize, j'ai veu et visité dans ma boutique la Domée Anne
Legahaignou, fille d'Anne Maree, native du village de Kalloren, pa­
roisse de Plouzanec, ateinte de haut mal ou mal caduc, laquelle et
les laces (l'accès ou l'attaque) estant danS ma chambre,
to:nbée dans
a esté un hon demi cart deure avec de
dans lequel accident elle
convulsion, et dordinaire ces sortes de maladie sont subgetes à
:mmanter (augmenter); ces parans qui estoient avec elle mont dit
que cella i arrivoit d'ordinaire ciuq ou six fois par jour, plus elle et
privée de bon sans et de jugement et presqt;le impotaute, ne pou­
ne sachant presque pas se cervir de ces maobres et par con­
vant et
de savoir ni pouvoir rien faire pour gaigner sa vie.
cécant hors detat
Ce que je certifie véritable. A Bre"t, ce jour et an que ci dessus.
Gueyt. Raiceq trois livres catre sols.
Pont Labbé, 1745. Le fils et le gendre d'une nommée Coren-
tine Rioval, veuve de Jacques Kerdravant, sollicitent son interdiction
le pretexte que le chagrin l'a rendue
et son renfermement, sous
f'Ûlle-furieuse. Nous, Hervé Maubras, chirurgien juré et receu par la
communauté de Quimper, le Guillaume Jean Duplessix, sieur Du-
bois-JoUy, aussy chirurgien juré et receu par la communauté de
Rennes, et pélr aITét de la Cour, demeurant séparément en la ville
de Pont Labbé, toure des halles, paroisse de Loctudie, certifions que
ce jour trantie~m8 aoust mil Fept cents quarante cinq, environ les
dix heures du matin, ayant esté requis par Jacob Cozie et Jacques
Kerdravan d"examiner et visiter la nommée Corentine Rfoval, veuve
en seconde nopces de deffunt Jacques Kerdravant, du village de Bo­
dilleau, paroisse de Combrit, et estant rendu ches le sieur Maubras,
de nous, avons trouvé ladite Rioval accompagné de plusieurs
l'un
particuliers, devant lesquelles nous lavoos examiné, touché son
visité la langue, le !J poux,
avait la langue couverte d'une glutination billieuse aussy bien
le pallet, le poux et les tempes fort lents, les yeux changés,
que
les muscles des lèvres et de la langue gonflés,
égarés et enflamés
tendus et ternes, d'une conleur livide, avec la thégumen du visage
enflamé, ce que nous estimons estre causé par une révolution de sang
p et des billes, qui nous paroit estre
collaire ou chagrin et la suppression des menstrue, lesquelles ayant
depuis environ quinze jOUl'S fait tomber ladite Rioval en un assoupis-
(1) Je respecte l'orthographe des pièces, mais j'ai cru devoir ajouter des
signes de ponctuation, afin d'en faciliter la lecture .

sement litargie, avec contraction des yeux, de la bouche et perte de
voix, nous fait liOnnoistre que le cerveau est althéré en toutes ses
organes par la réplection de sang et d'humeurs flui y a esté porté
de la dure mère et aux vesseaux, comprimé les substances
au sinus
ce qui trouble la
corticale et medulaire du cerveau et du cervelet,
distribution et la filtration des esprits et cause la pesanteur de teste,
distractions ét actions involontaires, imbécilité et démance de ladite
cy sous la quinzaine les traite­
Rivoal,que nous estimons incurables,
mens propres et convenables :'1 ce mal ne peuvent rallier les esprits,
après a voir desemplies les organes, ce qui nous paroit véritable. En
foy de quoy nous signons et avons dressé le procès verbal à valloir
le repet­
et servir ainsy qu'il apartiendra, offre que nous faisons de
ter en justice, cy requis est. Au Pont Labbé lesdits jour et an. (Si­
gnatures).
Les rapports n'ont guère d'utilité que pour les constats.
Fréquemment, ils sont insuffisants pour établir la nature du
genre ùe mort ou les conditions rigoureuses des blessures. Le
plus grand nombre dénotent une ignorance profonde chez
ceux qu'on est convenu d'appeler les hommes de l'art.
Le caractère est violent et quelque peu brutal, dans la
province bretonne: l'éducation et les frottements sociaux ne
l'améliorent pas toujours, au sein des couches les plus éle­
vées; même entre eux, les nobles donnent parfois le spectacle.

aux réunions des Etats ou dans les cérémonies publiques,
d'un échange d'injures furibondes et de provocations très
regrettables, et vis à vis du bourgeois des villes, ils dédai­
gnent de mettre aucune retenue dans leurs façons arrogantes.
A la campagne, les relations sont moins tendues entre le
paysan et le hobereau, qui vivent à peu près d'une existence
similaire; le premier possède d'ailleurs au plus haut deg'ré
l'esprit de soumission et de résignation, et le second n'est
point très-exigeant; mais chez tous deux, il y a souvent des
explosions de colères ou de rancunes, qui se terminent pél.r
des attentats criminels. Dans toutes les classes, un vice,
depuis longtemps enraciné, donne plus de relief à la violence
du caractère et contribue à maintenir la grossièreté dans les

mœurs, c'est l'ivrognerie. (1) On découvre l'intempérance
comme le facteur principal d'un très gr.and nombre de coups
et blessures, de meurtres et d'assassinats; elle est encore la
cause de scènes scandaleuses: dans les églises. Les auteurs

de ces manquements sont ordinairement des nobles, auxquels
leurs prérogatives apparaissent sous des couleurs trop inten­
sives, après quelques verres d'eau-de-vie. A Lesneven, Claude
Thépault, écuyer, sieur de Creachallio, est poursuivi à la
requête du procureur du roi et sur la dénonciation du prêtre
de la trève de Landivisiau, pour avoir, étant ivre, proféré
des serments exécrables. A Brest, le sieur du Rest Bihannic.
sénéchal de la juridiction de Kerlech, à Ploudalmézeau, est .
condamné à verser une aumône à l'église et à faire des excu-
ses au recteur, pour injures et scandales au prône, où il est
venu ,épris de vin. Le cas du sieur du Heder est plus sérieux,
et le~ indécences du personnage à l'église de la Hennerie,'
pend~nt l'office divin, lui valent le rejet d'un appel au Parle­
ment et le renvoi de son afl'aire devant la cour de Lesneven
(je n'(~l.Î point trouvé le jugement définitif). Les ecclésiastiques
eux-mêmes ne sont pas à l'abri du reproche d'intempérance:
quelques-uns sont désignés sur l'inventaire des archives,
avec une mention d'ébriété fâcheuse. Dans les dossiers de la
sénéchaussée de Brest, j'en découvre deux, presque simul-

tanément, poursuivis à la requèto du procureur uu roi, pour
• méfaits qui relèvent d'un écart accidentel ou habituel: mis-
sire René-Honoré Le JoUic, rec'teur de Trébabu, accusé
d'avoir chanté les vêpres épris de vin, d'être sorti de son
presbytère, armé d'un fusil, sans soutane ni rabat, et d'avoir
blessé une femme; missire Paul Boucher, prêtre habitué de
Saint-Louis, à Brest, mis en cause, au sujet de difJél ents
troubles par lui causés en ladite église pendant les offices
(1) Cf. La lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignon; elle ajoute comme
correctif: « J'aime nos Bretons; ils sentent un peu le vin; mais toules
vos fleurs d'oranger ne cachent pas d'aussi bons cœurs.

divins. Dans les campagnes, le vice de l'ivrognerie est beau­
coup plus répandu que dans les villes. Mais il faut dire
combien dure et pénible était alors l'existence d'un prêtre
bas-breton., dans une trève isolée, parmi des paysans qui le
savent sorti de leur milieu et continuent à le regarder pres­
que comme un des leurs. Il n'a pas l'instruction qui permèt
à l'esprit de surmonter les épreuves de certains contacts, et
même il est obligé de faire comrùe ceux qui l'entourent, sous
peine d'être tenu en suspicion et de manquer du nécessaire.
L'abbé Guilloux nous a tracé un bien curieux tableau d'une
par:oisse au dix-huitième siècle. Le prêtre ne vit pas mieux
que le plus maigre de ses fidèles. Les émoluments fixes attachés
à sa charge sont insignifiants et le casuel est aussi très peu de
chose: une messe est payée de 6 à 12 sous. Le prêtre tra-
vaille de ses mains. «( A ce sujet, on rapporte que des gens
de Brandivy se rendirent en pèlerinage à une chapelle dont
ils trouvèrent le prêtre sur son aire-à-battre, les nianches
retroussées, en train de gagner sa subsistance. Etant encore
à jeun, il consentit volontiers à dire la messe, et lorsque les •
pèlerins lui prés~ntèrent l'honoraire d'usage: hélas! s'écria­
t-il, à la vue de six 'sols, pour une journée passée à battre
ici sous un soleil brûlant, c'est à peine si j'aurais cela! »
C'est parmi les malheureux dégradés par l'alcool, sus'pendus
de leurs fonctions en raison de leur inconduite, que les cher­
cheurs de trésors recrutent les prêtres nécessaires pour
assurer le succès de leurs opérations magiques: rien n'étant
plus agréable au diable, le dispensateur des richesses cachées,
qu'une invocation marquée à l'imitation des cérémonies de
l'Eglise, et accompagnée des oraisons d'un ministre sacré,
revêtu de ses ornements sacerdotaux, tenant en main l'hostie .
Les cas de pareils manquements sont d'ailleurs très rares
dans le clergé, et la calomnie en engendre sans doute url plus
grand nombre de fictifs que les tribunaux n'en démontrent
de réels. Je relaterai à cet égard la plainte portée devant les

jug~s de Lesneven (1673) contre le recteur de Lanhouarneau
par un groupe de paroissiens mécontents, plainte qui fu­
reconnue fausse et diffamatoire:
A Messieurs les Juges royaux de Lesneven.
Supplie humble Jean CueIT, (1) sieur de la Rivière, mar­
chçl.lld de toille, disant qu'il se void obligé de dénoncer à la
justic,e des crimes autant extraordinaires qu'ils sont énormes
et portent à la ruyne de la religion catholique, apostolique
et romaine. '
quatre ans que certains magiciens possédés
Il y a trois ou
par l'esprit malin, sous prétexte de chercher des trésors, ont
fouy soubz touttes les croix de cest évêché et en ont ruyné et
abattu la pluspart.
Robert Godefroy, chaudronnier de son mestier, missire
Yves Godefroy, recteur de Lanhoullarneau, et Jean Godefroy,

pl'. à Lesneven, enfant dnd. Robert, sont de cette espèce ou
pour mieux dire les autheurs de ces désordres, qu'ilz ont
portés à une telle extrémité que de profaner les choses les
plus sainctes pour favoriser leur magye et entreprises démo-
niacles.
:Par exprès aud. temps, il y a trois ou quatre ans, que led.
Godefroy père et enfans se rendirent en compagnie d'un
autre magicien dans son parc appertement scistuées près le
village de Kersenguar, en paroisse de Lanhouharneau, une
certaine nuit, ayans avec eux plusieurs laboureurs jour na IIi ers
gaI.'nis de palles (pelles), masses et pareils outilz, et y firent
travallier et percer la terre pendant trois ou quatre nuits,
pour y debvoir treuver un thrésor que le démon leur avoit
dicté y estre.
Pendant que lesd. laboureurs peircoient la terre de l'ordre
et comendement desd. Godefroy, led. pbre (prebstre), leur
hailloit des papiers escritz de luy des parolles saintes tirëes
(1) Il n'est que le porte-parole des habitants de Lanhouarneau, prétend-il.

de l'évangille, ailin se disoit-il que le démon n'eust pas eu le
pouvoir de leur mesfer (malfaire, nuire), et au jour et à l'is­
reprennoit d'eux lesd. papiers. Aussi led.
sue du travail, il
pbre (prebstre), apporta pendant lesd. nuitz sa
Godefroy
southane, surplis, estolle, bonnet carré et autres habitz sacer-
dotaux, et l'un des livres de l'Eglise, lisant continuellement
autres cérémonies de l'église, et l'autre magi­
l'évangille, et
cien incogneu tenoit un cierge bénit, et rune desd. nuitz l'un
des laboureurs ayant dict que c'estoit une grande sottize de
chercher cequ'ilz n'eussent pas trouvé', led. pbre dict en ces
mots: ha il manque de foy, et sur ce led. Jean Godefroy mit
l'épée nue en main et voulust tuer led. laboureur, comme
dernière fois, une desd. nuitz, croyant lesd. Godefroy
aussi la
rendu proche du thresor ilz furent au voisinne s'assu­
estre
rer d'uue charette pour le transporter.
Aussi il y a deux ou trois ans que led. Jean Godefroy fust
par réitérées fois chez certains labourers qui ont leur demeure
près ceste ville dire audit ..... (?) qu'il y avoit un thrésor en
terre soulz leur maison ..... , qu'il l'avoit appris dans un
escrit et ou son frère pbre prenoit
livre ou cela se tl'ouvoit
toutes les connoissances les plus belles. Les suppliant de
qu'il) eust fait percer souls lad. maison et pro­
consentir (
mettant leur bailler pour leur portion aud. thrésor des biens
et lui ayans lesd. frères déclarés n'y pouer
innombrables
(pouvoir)consentir sans en avoirplustostadv rtile srpropriet
il retourna encore quelques jours après (pour avoir) le résulat
dud. st' propriere (proprietaire), mais n'y avoit pas voulu con­
sentir
Non seulement led. Godefroy prest. abuse ainsy ausd
magyes des habits sacerdotaux, livres saints, il mesfait en­
core en toutes les fonctions de son béniilice et en l'adminis-
tration des sacremens, comme s'il voulloit les anéantir par
exprès. Il fut peins et surpris il y a deux ou trois ans q. fai­
semblant de baptizer un enITent sur les fonds haptiz­
soit
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XIX. (Mémoires). 15.

meaux et au lieu de lire les cérémonies statuées par l'Eglise
en pareil cas, il lis oit celles instituées par le sacrement d'ex­
trême-onction .
. ' Aussi environ led. temps il conféra le st. sacrement
d'extrême-onction à un enffent d'Ollivier Michel de Kerien­
gar, quoi qu'il n'estoit aagé que de cinq à six ans et partant
incapable dud. sacrement.
(de) puis les quinze mois, il conféra aussi led. sacrement
d'extrême-onction au cadavre de Guy Kerlidoit après son
. décès.
jour et feste de la Vierge, aux advens derniers, led
Que le
Godefroy, pbre, commença la grande messe sur l'autel du
rozaire sans estolle, et la messe bien avenue, après le Gloria
in excelsis, quelques uns des assistans furent obligés de luy
dire prendre l'estolle, ce qu'il fist au grand scandalle du
peuple, obligé qu'il fust d'oster à ladite fin la chasuble.
Que le jour et festede St.-Etienne, led. Godefroy, recteur,
ne dict point de messe, en sorte que la plupart des parois­
siens demeurèrent sans messe, à raison qu'il n'y .avoit eu que
deux autres messes dittes de matin par deux autres pbres de
lad. paroisse.

Que l'année dernière led. recto publia un mon (monitoire)
en lad. parroyse de Lanhouharneau au sujet de l'assazine
(àssassinat) commis en la personne du sr Mesurusas de Jar­
naige au bourg dud. Lanhouharneau, pendant lesquelles
publicâons et apprès icelles, plusieurs personnes s'estant
présentées and. recteur pour bailler leur nom, il les en dis-
suada et de déposer, par dire qu'iln'estojent pas tenus de
déposer et qu'il leur auroit fait bailler l'absolution, meme
bailler de l'argent aux uns et en offrit aux autres pour em­
pêcher de déposer, ce qu'il a aussi practiqné apprès la pu-
blicâon des lettres de réagrave. (1) ,
(1) Dernier monitoire fulminé •

Qu'un certain jour sur sepmaine, il y a environ un an,
led. recteur excéda dans l'église en sa sacristie, derrière le
me autel, missire Nicolas.Abaléa,· aussi prestre, et le blessa,
en sorte qu'il y eust du sang repandu et l'église interditte.
Aussi le reste de lad, sepmaine ny le dimanche suivant il n'y
eust point de messe ditte en lad. église de Lanhouharneau.
Cependant sans fé rebénir (sans avoir fait bénir de nouveau)
l'église, led. sr recle.ur s'estant accomodé avec led~ Abaléa
a depuis ditte et fait dire la messe par les autres prestres .
. Et enffin lesd. Godefroy père et enffans commettent toutes
sortes de crimes impunément et avec scandalle si grand que
mesme led. Robert a par réitérées fois excédé publiquement
led. prestre. Cependant l'appui qu'ilz, ont de certaines per­
sonnes de qualité fait qu'ils redoublent dans leurs mauvais
comportements, outre que leur viollence les fait beaucoup
redouter. Cependant le suppliant qui est domicilié de lad.
paroIsse de Lanhouharnea.u se void fortement intéressé et
obligé d'en porter ses plaintes à la justice et requérir qu'il
vous plaise, Messieurs, recevoir sa plainte et dénonciation'
des crimes et délitz cy-devant articulés sur icelle appoint. (1)

Les attentats contre la propriété constituent la très grande
majorité des crimes.
Les vols simples (larcins) sont distingués des vols quali­
fiés, parmis lesquels apparaît en première ligne le vol avec
et efIractioll~ encore aggravé par la condition
effondrement
auteurs (domestiques ), la nature des lieux où la soustrac­
des
tion a été commise (églises) ou celle des objets dérobés
(objets consacrés au culte).
Comme exemple de vol domestique avec · effondrement et
effraction~ je mentioHnerai l'audac :eux exploit, accompli à
(1) Pour avoir été reconnu fausse et dtffammaloire, la plainte n'est pas
moins très intéressante, comme teneur, à constater .

Brest, dans un hôtel, en 1768, par deux jeunes garçons C"ui­
siniers, et jugé en la sénéchaussée du regaire de Saint-Goues­
nou (Tanguy Lunven de Coatiogan, conseiller du Roi et pré­
sident 'au siège royal de l'amirauté de Léon à Brest, sénéchal
et seul j~ge de la juridiction des regaires de Léon, ayant pour
assesseurs Vincent Jourdan, écuyer, ' conseiller du Roi et
chevalier de son ordre, lieutenant général au siège royal de
l'amirauté, et noble maître Jean Lespaignol, avocat au Par- ,
lemeht) ..... « Nous, sénéchal et assesseurs susdits, avons dé­
claré ledit Jean François Boyer convaincu d'avoir, le qua­
torze novembre dernier, environ les six à dix heures et demie
du soir, entré dans la chambre au troisième étage dela maison
du Grand-Monarque, au-dessus de celle qu'occupait M. de
au Parlement de Bretagne, avoir descen­
Coativy, conseiller
du dans la chambre de ce dernier par un trou dans le plan­
cher, d'avoir foré le battant de l'armoire bois de sapin
près de la fenêtre et d'attache à la cheminée de ladite maison,
d'avoir pris de ladite armoire une cassette bois de noyer fer­
mée à clef, plaine d'or et d'effets même métal, de l'avoir jetté
par la fenestre dans la ruë, et ensuite d'en avoir porté dans
un mouchoir la plus grande partie dans un espèce de champ

près la carrière de la brasserie de cette ville et de l'avoir en-
foui dans le fossez du dit champ; avons également (déclaré)
le dit François Delpy convaincu d'avoir sollicité et déterminé
ledit Jean François Boyer à commettre ledit vol, de ravoir
prudament comploté, même d'en aVQir indiqué et sollicité les
moyens; pour reparation de quoy avons condamné lesdits
Jean François Boyer et François Delpy a estre pendus et
etranglés jusqu'à extermination de la vie à une potence qui
sera pour cet effet dressée dans la place vis à vis du Grand­
Monarque de cette ville, dépendante du ressort de cette juris­
diction, après avoir lesdits Jean François Boyer et François
Delpy préalablement fait amande honorable au grand portail
de l'eglise Saint Louis de Brest, ayant un écriteau derrière

et devant portant ces mots: « voieurs domestiques », où ils
seront conduits par l'exécuteur de la haute justice et y estant à
genoux, testes nuës et en chemise, tenants chacun une torche
de cire ardente du poids de deux livres; de demander pardon
à Dieu, au Roy et à la justice, et d'y déclarer qu'ils sont
repentant de leur crime et déclarons leurs biens meubles
acquis et confisqués au profit de cette seigneurie, .. » plus dix
livres d'amende et dépens liquides à 150 livres, non compris
les épices de la présente, taxées à 150 livres. En la chambre
du conseil de l'auditoire, au siège royal d,e Brest, prise par
emprunt de territoire. (Les condamnés se déclarent appe­
lants et sont transférés aux prisons de Rennes).
Les vols dans les églises sont très communs. Ils ne revètent
pas seulement le caractère sacrilège par les conditions du
lieu et la nature de la soustraction, mais encore par certains
actes profanatoires, quelquefois orduriers, accomplis avec
une intention de bravade. Ils sont fréquemment l'œuvre de
vagabonds de l'un et de l'autre sexe, étrangers -à la localité,
sinon à la région. Je me borne à reproduire une sentence
relative à un crime de cette espèce, qui soulève un point de
droit très exceptionnel, la réserve de l'appel dans une affaire
prévôtale, le jugement étant indivisible et les charges n'étant
pas également établies dans le sens de la compétence prévô­
tale pour des co-accusés domiciliés . .
Quimper, 1754.... Le siège, par jugement présidial et prevô-
tnl, A la charge de l'appel, après que lesdits Vincent Fablé, Philippe
Sinou et Catherine Tocq, accusez, ont etez ouïs et interrogés sur la
sellette en la chambre du conseil, a déclaré ledit Vincent Fablé
ntteint et convaincu d'avoir au mois de juin mil sept cent cinquante
trois, au moyen d'une fausse clef, ouvert la porte principalle de la
chapelle de Saint-Demet, paroisse de Plozévet, et y etant entré
la serure d'une armoire etant au côté du principal' autel,
d'avoir forcé
le calice et la patène d'argent et en partie dor~s qui
d'en avoir volé
le service de Indite chapelle, d'avoir denaturé lesdits
y etoient pour
ealice et patène et d'en avoir formé différens morceaux et pièces
d'argent arrondis, lesquelles pièces d'argent ledit Fablé a par luy

gens preposés vendus à différents particuliers, tant dans les foires
au bourg de la Trinité qu'ailleurs; et aussi déclaré ledit Fablé atteint
et convaincu d'avoir, il y a tl'ois à quatre ans, volé chez le nommé
Pierre Keravec de ladité paroisse de Plouzevet, soixante douze écus et
un rollet de vingt sols, lequel argent ledit F,ablé fut quelques jours
après forcé de rendre ,audit Keravec ; et aussi atteint et convaincu
d'avoir environ le mois de novembre de l'année mil sept cent cin­
quante deux, volê un tapis d'autel apparlenant à la chapelle de
au Pont Labbé, et véhémentement suspect d'avoir forcé les
Saint-Yves
premières serures du tronc etant au devant de la cha pelle de Sain t
d'avoir ouvert la seconde serure dudit
Roch, paroisse de Bodivit,
tronc et d'en avoir emporté les espèces qui y etoient; véhémente­
ment suspect d'avoir enfoncé et effondré les pannaaux d'embus de
d'entrée au midy de ladite chapelle de Sai,nt Roch, de s'y
la porte
etre introduit par l'ouverture faitte au moyen de cet effondrement,
d'avoir enfoncé et effoudré dans ladite chapelle une armoire et un
petit coffre, d'avoir pris et emporté de ladite armoire trois napes
une garnie de dentelle, une aube dussi garnie de den­
d'autel, dont
telle et d'avoir volé de ladite chapelle plusieurs cierges et bouts de
jaune: pour reparation de tout quoy a condamné
cierges de cire
ledit Fablé il faire amande honorable en chemise, tete nue et la corde
au col, tenant (à) la main une torche de cire ardente du poids de
deux livres, ayant écriteau devant et derrière portent ces mots vo­
leurs d'eglise et sacrilège, au devant de la principalle porte et entrée
de l'eglise cathédralle de cette ville, où il sera amené et conduit par
l'exécuteur de la haute ju;;tice, et là etant à genoux d'y déclarër à
haute voix qlle méchamment il a faits lesdits vols, dont ils se repent et
en demande pardon à Dieu, au Roy et à la justice, et ensuite ledit
en la place publique de cette ville, pour
Fablé conduit près la potence
y avoir le poingt droit coupé sur un poteau qui. sera planté devan t
ladite potence, par ledit exécuteur de la haute justice, d'etre ensuite
, ledit Fablé préalablement appliqué à la question ordinaire et extraor­
dinaire, pour avoir revelation de ses complices, a déclaré ses biens
au pl'offit de qui il appartiendra, sur iceux préa­
meubles confisqués
lablement pris la somme de cinquante livres d'aumone au profit de
la chapelle de Saint Demet et l'a condamné aux dépens du procez;
et pour le regard desdits Philippe Sinou et Catherine Tocq, a tardé
de faire droit jusques à l'exécution de la presente sentence envers
ledit Fablé ......
Dans les campagnes, les vols portent sur des effets et des
hardes, de la menue monnaie, des aliments', des produits de

récoltes, des ruches à miel, etc. Ils sont d'ordinaire accom­
plis de jour ou vers le soir, par des vagabonds~)U des men­
diants, qui ont profité de l'occasion d'une porte ou d'une
basse fenêtre laissées ouvertes, ou bien de leurs observations
antérieures, pour pénétrer dans les logis mal gardés. Les
femmes se distinguent en ce mode d'attentat, et même elles
s'associent pour exploiter un pays. La femme Urvoas, men-
diante, affiliée àu tiers ordre de Saint-François, dont le pro-
cès t'orme une très grosse liasse, avait dressé de jeunes
sel'vantes à dérober ici et là du linge et des vêtements, qu'elle
allait vendre aux ouvriers et ouvrières de la ville (Lander­
sont presque toujours punis du
neau, 1754-55). Les coupables
gibet, et, quand le vol a eu lieu de nuit, même sans effraction,
ils subissent parfois l'application préalable à la question.
La ( outume de Bretagne a conservé la peine de mort (sur­
vivance féodale qui vient à peine de disparaître du code
anglais) pour les vols de chevaux, et même pour les vols « de
bœufs et autres bêt.es de service et labeur. )) Philippe Pivin,
de la Roche-Derrien, valet meunier, transféré des prisons de
Landerneau dans celles de Lesneven, est accusé et convaincu
d'avoir volé plusieurs chevaux et juments sur des lieux de
foire pour les revendre à diverses personnes: le procureur
du H.oi requiert que le susdit soit condamné à être pendu sur
la place publique de la ville, après . avoir subi la question
ordina ire et extraordinaire (1772) .

Le crime de fausse monnaie (fabrication, altération, expo-
sition et émission) est l'un de ceux qu'on rencontre le plus fré­
quemment dans les procédures du dernier siècle. Il est cas
royal oU: prevôtal, selon les circonstances ou la qualité des
personnes. H.arement il est relevé contre des individus isolés;
presque toujours, il est exécuté par des associations d'hommes
et de femmes bien organisées, et dont le rayonnement s'étend
sur les paroisses des deux évêchés, même sur celles des évê-

chés voisins (Tréguier et Vannes) : aussi la recherche des
coupables est-elle difficile; elle exige une augmentation des
pouvoirs de l'autorité prevôtale, conférée par lettres spéciales
du Roi, afin que les conflits de juridictions ne viennent point
entraver les poursuites et l'arrestation des gens suspects. Le
crime est puni avec rigueur, mais du supplice ordinaire, mal­
gré que la Coutume ait conservé l'atroce penalité d'autrefois:
« Les faux monnoyeurs seront bouillis, puis pendus. »

Le crime d'incendie, lui aussi, n'est plus puni que de la
potence, avec ou sans application préalable à la question.
Mais on retrouve 'un vestige de l'ancienne penalité, dans le
brûlement du cadavre, parfois ordonné après l'exécut.ion.
Claude Cabel, tisserant du Bourgneuf, paroisse de Duault,
convainct~ de vols et d'incendie, est condamné à être pendu,
son corps. detaché du gibet brûlé sur un bûcher et ses cendres
jetées au vent (1749) . .
III

Les injures et les propos diffamatoires s'observent princi-
palement en des catégories où l'éducation semblerait devoir
prévenir un tel oubli des obligations sociales reciproques',
qui reposent sur le respect mutuel des citoyens les uns envers
les autres.
Les sévices graves, les coups et blessures, sont relevés
dans toutes les couches de la population. Mais ce genre de .
crime revêt un caractère particulier, lorsqu'il traduit la nature
des rapports entre le peuple et certains privilégiés.
Voici .une odieuse tentative d'extorsion d'argent. commis
sur la personne d~un artisan par un avocat à la cour, Me Si­
mon Le Cerf, siBur de Landebec (jugée dans la juridiction de
Cheffontaines (1717-1721). François Le Faou, maître char­
pentier et marqueur de bois pour le Roi, était dans une
hôtellerie, à Quimper, et s'apprêtait à monter à cheval pour

rentrer chez lui, à Concarneau, quand la dame Le Cerf, elle­
même en voyage, vint le prier de vouloir bien l'accompagner
jusqu'au manoir de Kerustum (pat'Oisse du Petit-Ergué),
parce qu'elle n'avait point confiance dans son valet. Le Faou
accepte et la dame, lui faisant observer qu'il ne pourra arriver
de jour à Concarneau, l'invite à s'arrêter à Penfoullic, chez
son mari, où le valet l'accJmpagn,era. L'ouvrier se présente
sans la moindee défiance et tombe dans le piège qu'on lui a
tendu. Sous l'influence du vin, manqua-t-il de respect à la
dame, et celle-'ci, pour se débarasser d'un grossier galant,

aussi pour s'en venger, l'envoya-t-elle à son mari avec le do-
mestique, muni d'instructions secrètes? ou bien, à l'occasion
d'un hasard attendu, sinon recherché, la femme et le valet
aidèrent-ils Le Cerf à tirer satisfaction d'un vieux ressenti-
ment? Cela n'est poin t aisé à établir. Mais il ressort de toute
la procédure, que Le Cerf a agi avec la plus inique fausseté,
en des conditions qui laissent soupçonner le guet-apens, et.
qu'il a, au moins à un moment, obéi à un mobile de cupi­
dité honteuse; il jouit d'ailleues d'une assez piètre répu­
tation parmi les paysans. Le Faou expose dans sa plainte
les outrages et mauvais traitements qu'il a reçus. « Le Cerf
fit demand.er qui estoit à la porte. Le vallet respondit que
s'estoit Faou. Ille fit entrer et fit mettre le cheval de Faou
dans l'écurie, ensuitte il fit entrer le Faou dans la cuisine à
Penfoullic et fit tirer plein une eguere (aiguière ) d'argent
de cidre pour faire boire au Faou et à son vallet. Le Faou
beut quatre à cinq coup de cidr.e et pareillement le vallet de
Cerf ..... )) De la cuisine, on fait passer Le Faou au salon, où
Le Cerf se trouvait avec deux padiculiers inconnus de l'ar­
tisan. « Le Faou entre dans le sallon, Le Cerf le fit asseoir à
table, le fit boire deux coups de cidre, ensuite luy demanda:
n'est-ce pas toy Le Faou? Celuy-cy respondit ouy. Sistost
Lecerf luy porta deux soufflets, et immédiatement sort du
sallon, donne un coup de sifflet, apelle son vallet Jacques

pour luy apporter des cordes. L'un de ces inconnus qui estoit
dans le salon dit au Faou: « Tu n'as qu'à dire ton in manus,
tu seras tué, je ne sais ce que tu a fa't à monsieur, je ne scay
l'heure que tu moureras, à moins que moi et cet homme ne
le prions de te laisser la vie. » Et l'un d'eux disoit à l'autre
en leur langue bretonne: « S'est beaucoup que l'on tue un
homme dans son pêché et en nostre présence. )) A peine ce
discours est finy~ que Leced' entre d'un visage collère~ les
yeux estincellans, portant une corde, fait lever le Faou, luy
prend les bras pOUl' les lier derrière le dos. Faou voulut
resister, mais l'un de ses deux personnes luy dit qu'il valloit
mieux qu'il fut laissé lier par Le Cerf ..... )) Donc Lecerf lui
lia les mains derrière le dos et rattacha contre un lit. « !lIuy
porte ensuitte plusieurs soumets, but de temps en temps à
sa santé, luy jette au visage le reste de la boisson qu'il avait
dans le verre, luy disant: à ta santé, Faou. Ensuitte redou­
ble ?es soumet et les santés, cela pendant une heure d'hor­
loge. )) Lecerf détache Le Faou du lit et le fait asseoil' sur
une chaise au dossiel' de laquelle il le lie: et recommence les
soumets. Et comme Faou avait une malle avec lui, sur son
cheval, illa fait quérir~ la visite, y découvre un bonnet et
une perruque dont il affuble sa victime, en lui administrant
de nouveaux coups; dépit.é de ne point trouver d'argent, l( il
Faou luy consente une reconnaissance de tl'ente
veut que Le
livres. L'un des spectateurs luy dit qu'il valoit mieux lui con­
sentir un acte de trente livres que de souffrir comme il faisoit.
Le Faou respond qu'au lieu de .trante livres il luy donnerait
une reconnoissance de soixante livl'es pour avoir sa liberté
et se sauver la vie. Le Cerf commande aussitôt à son vallet
d'aller au bourg lui chercher un nottaire. )) Le valet part et
revient: déclarant que le notaire est couché et qu'il ne vien­
dra que le lendemain. Alors Le Cerf détache Le Faou de la
chaise et, lui laissant toujours les mains liées, le traîne à la
cave, de plain-pied avec le salon, «( et là le suspend contre

un crocq de fer attaché à la poutre et le veut pendre. L'un des
spectateurs suit et dit au Cerf qu'il n'eut point à pendre Le
Faou, parce qu'ils seroieut tous pendus. Le Cerf se tourna
vers le particulier, luy donne deux soufflets et deux coùps de
pieds pour le faire se retirer, et après avoir suspendu le Faou
au crochet ~1) se ret.ire dans son salon et laisse Le Faou ainsi
suspendu jusqu'à neuf heures du lendemain, auquel temps il
(le) fit détacher. )) Mais il fallut que Le Faou lui souscrivit
un billet de 12 livres, encore Le Cerf garda-t-il son cheval et
sa malle. Le Procureur fiscal de la barre seigneuriale de
Cheffontaines accueille la plainte de Le Faou, qui se porte
partie civile; information est faite par le sénéchal (Huchet
d'Angeville, avocat au Parlement) et, « en conséquence de la
permission du SI' sénéchal de Concarneau (2), des lettres
monitoriales sont accordées par l'évèque de Quimper: pour
éclairer l'enquête. Le Cerf est assigné, puis décrété de prise
de corps; sur les conclusions du Procureur fiscal, il est con­
damné à rendre à Le Faou son cheval avec l'équipage et la
malle, en bon état: s'il ne préfère payer pour leur valeur 60 li v.
au demandeur; à payer à celui-ci 30 li v., en réparation des
mauvais traitements quïllui a fait subir, et 30 liv. « pour les
dommages-intérêts résultant de la privation du cheval», non
compris les épices de la sentence et les dépens.
La sentence paraitra san:; doute trop bénigne: elle est
néanmoins conforme à lajurisprudence de l'époque: Le Faou,
partie civile dans le procès jugé criminellement, n'était en
droit d'exiger qu'une réparation civile, et, dans une question
limitée par l'intérêt privé, le ministère public n'avait pas à
prendre de conclusions à peine amictive.
Nombre de seigneurs, et non toujours de simples hobe­
reaux, sont d'une . brutalité révoltante dans leurs relations
(1) Par la corde des poignets?
(2) Le juge royal du ressort.

avec le monde de la roture. A Gouesnou, les fréres de San­
zay règlent leurs contestations avec leurs meuniers à coups
de nerfs de bœuf (1725) ; au même lieu, messire Ollivier de
Portzmoguer, s:eur de Villeneuve, règle les siennes avec ses
voisins à coups d'épée ou de fusil (1753). J'aurais trop à
faire: si je voulais résumer tous les cbssiers relatifs à des
entrainements de ce genre, dans lesquels l'alcool se mêle,
comme incitateur, à l'orgueil de caste et au mépris du ma­
nant: Même chez ceux là qui ont perdu leur dignité et leur
fierté originelles, contracté dans la débauche les fréquenta­
tions les plus viles, le dedain des gens du peuple se mani­
feste, après de singuliel's abandons, par d'épouvantables éclats
de méchanceté lâcli(~ et cruelle. Typique à cet égard est l'his­
toire du Sr de QUlstinit, que l'on dirait presque détachée de
Grand.; .Jours d' IUDer[Jne, si bien retracés par
celle des
Fléchier! (1 ) C'est bien en effet d'une sorte de Canillac ou de
Casse qu'il s'agit. Mais nous sommes en Basse-Bretagne, et
le bandit fieffé se montre sous des tl'aits paeticuliers : il ne dé-
daigne pas la société des petits, il est très familier avec tout
le monde, il a un e compagnie ordinaire très débraillée et il
est ivre du matin au soir et du soir au matin; jamais il n'est
rassassié de boisson et prétend tl'inquer avec ses paysans
comme avec ses hôteliers, seulement gare à ses invités du
moment! Il a le vin cruel. Je résume la procédure, qui s'est
déroulée à l'extraordinaire, devant la cour royale de Quim­
perlé, de 1659 à 1660.
Déjà Philippe Emmanuel de Kerlec'h, seigneur de Quis­
tinit, avait inspiré des craintes sérieuses aux siens sur les
conséquences d'une conduite trop déréglée. Le 22 juillet
1659, son parent le plus proche, du côté paternel, a formulé
contre lui, par l'intermédiaire d'un notaire royal de Saint­
Renan, une demande en interdiction, en raison de (( sa mau-
(1) Je dois la communication de c.e dossier à l'obligeance de 1\1. Luzel,
le saval1t archiviste d\l gépartement.

vaise conduite, qui menace de ruiner la. famille. » Mais avant
que la demande ait été l'objet d'aucun examen, un méfait de
la plus haute gravité est commis par l'incorrigible ivrognè.
Sur la paroisse de Kérien, le Sr de'Quistinit avait un fermier,
nommé Jan Le Merdy, qui vivait avec sa femme, une fille en­
core enfant et son frère Mathieu, dans la metairie de Kergui­

narc'h. Un soir qu'ils étaient couchés, on frappe à la porte de
leur logis et une voix commande d'ouvrir. La femme a reconnu
dans
le ton du maître, et quoiqu'elle redoute quelque scène,
l'espoir d'éviter pire, elle ouvre la porte~ Le sieur de Quisti­
nit~ armé d'un pistolet et accompagné d'un nommé Pont­
Gillarl, entre aussitôt, fait lever les deux hommes, réclame
du vin et oblige les paysans à boire avec lui. Puis il leur'
demande de les accompagner, lui et Pont-Gillart, pour por­
ter une bouteille de vin à la commère de ce dernier, une fille
Gourbellet, demeurant non loin de là, à Esquimarch. Les
frères Merdy n'osent refuser et l'on part. Mais au bout de
Jan rentre pâle, souillé de sang, avec une
quelque temps,
blessure au bas-ventre. Longtemps après Mathieu revient à
son tour, ivre, et il est surpris d'apprendre la blessure de
son frère. J an refuse de fournir des explications; il est soigné
par un chirurgien de Quimperlé, Labry, qui constate une
plaie par arme à feu, mais croit à un accident. Le malheu­
reux paysan meurt le troisième ou le quatrième jour, et des
gens du sieur de Quistinit font transporter le corps à l'église
de Kérien, où il est enterré sans prêtre, sans cérémonial, sans
autres témoins que ceux qui l'ont amené. Des bruits suspects
circulent. Sur une remontrance ' du Procureur du Roi. le
sénéchal de Quimperlé', René Le Flô, sieur de Branho, écu-
yer, fait une descente judiciaire. Mais, devant lui, les bouches
restent closes. Le magistrat ne parvient même pas à savoir
où le cadavre de Merdy a été déposé, c'est à qui s'enfuira à
point parler; car la vérite n'est
son approche, afin de ne
ignorée de personne, chacun attribue la mort du fermier à un

. crime et désigne en lui-même le Sr de Quistinit comme le
coupable; mais on se tait par effroi. Les prêtres eux-mêmes
font des réponses évasives. Enfln: une petite fille dit que le
corps a été enterré « au haut de l'église, proche l'autel. » Le
sénéchal donne au curé l'ordre cIe réunir des ouvriers pour
. une exhumation: après beaucoup de difficultés, l'on obtient
l'assistance de quelques paysans, et l'on met aujour le cada­
v,re, sur lequel le chirurgien Gachet fait immédiatement les
constatations requises. A la partie inférieure du ventre, du côté
droit, il existe une plaie de l'étendue de la paume de la main,
« pénétrante jusques aux deux gros boyau lx s'appelant colom
et cœcum, )) plaie à l' ({ aspect gangrené, » produite par une
arme à feu chargée à plomb, et qui a dû causer la mort
. (15 décembre 1659).
Les interrogatoires du curé, de la veuve de Jan (un instant
soupçonnée d'avoir trempé dans le meurtre-de son mari et
tout au plus repréhensible d'avoir dissimulé, sous l'influence
de la peur, ses méfiances à l'égard de son seigneur), de
Mathieu . Merdy (il avait déjà déclaré avoir reçu lui-même
du Sr de Quistinit un coup de couteau à la tète, la nuit de
leur sortie) ; du chirurgien Labry et de plusieurs autres
personnes, établirent des probabilités contre le Sr de Quis­
tinit, non des preuves suffisantes de sa culpabilité: on s'en
fût contenté pour envoyer un manant à la potence, on les
troùva trop faibles poür condamner un noble à la plus légère
réparation. Peut-être aussi, la famille de la victime n'ayant
porté aucune plainte, et celle du coupable ayant promis de
payer son silence à la veuve, les magistrats s'estimèrent-ils
en droit d'abandonner l'affaire. •
Mais bientôt une autre aventure va ramener l'attention sur
le Sr de Quistinit.
Le 16 février 1660, â Quimperlé, le sénéchal et le procu­
reur du Roi étant chez eux, sont informés du tapage et du
désordre que font en ville, près de la porte de Gorrequer, le

sieur de Quistinit et un rassemblement d'individus autour de
lui, aussi de la rumeur courante que le sieur de Quistinit vient
de blesser à mort un sellier, Thomas Macra, dit Lamarche.
Les magistrats se transportent sur les lieux, et aperçoivent
le sieur de Quistinit, pris de vin, qui s'apprêtait à monter à
cheval: ils le font arrêter et conduire aux prisons, puis se
rendent auprès du blessé, atteint de deux plaies par arme
blanche et que le chirurgien Labry est en ' train de panser,
sans espérance de le sauver. Le rapport de ce dernier: déli­
vré le 17, constate une plaie pénétrante avec blessure du
poumon et hémorrhagie par la bouche, « et aussy dans la
poitrine à ce qui est à craindre, Il blessure semblant mortelle;
une autre plaie « à l'épine du dos, » l'une et l'autre « par
instrument pointu et tranchant des deux côtés, tel que espée,
baionnette ou autre chose semblable. » Il y a information
d'office, et divers témoignages ne tardent pas à établir la
vérité. Le sieur Macra a bien été blessé par le sieur de Quis­
tinit de deux coups de bayonnette et la scène s'est passée
dans l'hôtellerie où celui-ci avait l'habitude de descendre .
. L'hôte et sa femme déposent d'une façon très catégorique,
comme gens initiés de longue date aux façons du personnage
et n'ayant plus à ménager un client aussi compromettant:
C'était un dimanche. Le sieur de Quistinit s'est fait donner
un lit, puis a demandé du vin: suivant son habitude, il avait
des compagnons avec lui. On dîne, on boit et l'on reboit. Le
sieur de Quistinit a pourtant fini par se coucher, mais il s'est
relevé pour boire de nouveau avec un sieur de Cacaret (qui
N'a pas demeuré longtemps dans la chambre), et le sieur
Lamarche, très lié avec le noble seigneur, et venu là, 'sur son
invitation. L'hôte est obligé de vider plus d'un verre avec
eux, et quand sa femme monte, appelée pur aller quérir du
vin, l'on boit à sa santé. Toutes les bouteilles sont épuisées.
L 'hôte qui voit que le sieur de Quistinit est- déjà très ivre,
mais sachant qu'avec lui il ne faut rien brusquer, sort avec

sa femme, sous le prétexte d'un emprunt à la cave la plus
proche. Mais il n'est pas plus tôt dans l'escalier, qu'il entend

comme un bruit de bouteilles jetées dans la rue et des cris
poussés dans la pièce où l'on venait de boire. La femme veut
empêcher son mari de remonter, oblige son fils à lâcher une
épée avec laquelle il s'élançait, prévoyant quelque catastro­
phe, et, sur les entrefaites, le valet du sieur de Quistinit se
montre: son maître a commis un meurtre! On trouve La­
marche étendu sanglant: « Voilà, s'écrie-t-il, ce que mon
meilleur ami m'a fait. )) Il a été blessé avec une bayonnette
appartenant à l'hôte et appendue à la muraille.
Décret de prise de corps est lancé contre le coupable. Une
sentence du sénéchal, sur les conclusions du pl'. du Roi et à la
requête du procureur constitué par 10 blessé, accorde à celui-ci,
par provision, une somme de 300 l iv. pour médicaments, et
une autre de 600 liv. pour aliments, «( attendu qu'il sera obligé
de garder le lit fort longtemps, ' » au paiement desquelles
sommes ledit sieur de Quistinit est « condamné d'heure à
autre par touttes voy es et rigueur de justice deues et raison­
nables, mesme par emprisonnement de sa personne ... non
obstant opposition en appellation quelconque, le tout sans
préjudice de demande adjudication de plus grande somme. »
Cependant, le représentant de la famille ne perdait point
de vue l'interdiction de son membre taré, et sur sa requête
la cour rend une ordonnauere dilnventaire au manoir de Ker­
guimarch, où habitait le sieur de Quistinit avant sa détention.
La lecture de ce long inventaire est curieux à plus d'un titre;
elle nous initie à des détails d'intérieur et achève d'éclairer
sur les habitudes. du propriétaire. Les pièces sont nom­
breuses; mais dam; toutes on ne découvre que les vestiges
d'une splendeur évanouie. Les tapisseries sont usées et dé­
chirées, les tabourets et les chaises souvent sans garnitures,
et l'épithète de « méchant » est répétée à propos de.la plu­
part des meubles pour exprimer leur état piteux: dans 1'0[-

fice et dans les décharges, il n'y a que de méchantes tables,
de méchants buffets, de méchantes chaises, ..etc.; dans les
chambres, que de méchantes couchettes: l'une de plus belles
bordure de ses tapisseries déchirée, un méchant
pièces a la
tapis, une méchante table, de méchants vieux bahuts, etc. ~
etc. Il reste quelque vaisselle d'argent, qui, avec les tapis-
series, sera évaluée à 1387 livres 10 sols: le mobilier n'at­
teindra pas une valeur de plus 807 livres! C'est bien le logis
d'un ' débraillé, d'un hoinme insouciant du confortable, où
nulle surveillance ne s'exerce, où tout va à vau l'eau, et qui
révèle les souillures de l'orgie crapuleuse.
la double action introduite au
L'information continue sous
criminel par le procureur du Roi et au civil par la famille du
très nom­
sieur de Quistinit en vue de son interdiction. De
breux témoins sont entendus. Je citerai comme l'une des plus
la déposition de Jacques Gourès, écuyer, sieur
instructives
du ... (?) Il est très au courant de la conduite du sieur de
Quistinit, « lequel, depuis quelques années, s'est fort porté
dans les excès du vin et a eu auprès de luy quantité de mes­
chantes canailles, la plus part prévenus de crimes et lesquels,
soulz l'appuy dudict sieur de Quistinit, tenoient le pays
dict Quérien (ou Kérien) et les environs en .subjection, et se
d'autant plus craindre, que ledict sieur de Quistinit
faisoient
beuvoit et s'anivroit avecq eux, par ce que chacun croyoit
estant d'un esprit assez fassile 'pour se
qu'il les autorizoit}
laisser quelque fois gouverner par ses meschants esprits et
que surJa fin de l'an dernier, à ce qu'il croist, n'estant apre­
sant mémoratif du temps,.ledi.ct sieur de Quistinit fut audict
bourg de Querien et autres, de nuict, suivy qu'il estoit de
cabaret où il commist quan­
meschantes canailles, dans un
titte de desordres, par ce qu'il mal traitta ceux de la maison
et repandit trois à quattre baricques de vin, ce que le tesmoin
aprit de l'ho ste nommé Louis Tallebardon, quy se
dit qu'il
refugia avec sa femme en sa maison, et qu'il entendit tirer
BULLETIN ARCHÉOL. D·U FINISTÈRE. TOME XIX. (Mémoires). 1Q

deux à trois coups d'armes à feu vers ledict cabaret, et qu'il
à la voye ledit sieur de Quistinit, qui parloit et
recognent
reuchoit vers le mesme lieu, et que le lendemain matin envi­
ron deux heures avant jour, le nommé Bel1angé, beau-père
dudict Tallebardon, cabaretier, fust rendu entre deux hum­
mes en la maison du tesmoin, se plaignant d'avoir esté fort
par le dict sieur de Quistinit et de ses gens, et
mal traitté
mis en un estat qu'il disoit ne pouvoir se rapporter, et luy
et la bouche meurtris et ensanglan­
vist le tesmoin le visage
tés, et le jour estant venu, il alla audict cabaret avecq ledict
et des habitans dudict boürg et y vit du vin re­
Tallebardon
pandu sur la place du sellier et en sy grande quantité qu'une
personne y eust entré jusques presque amy jambe et des fucts
de baricques effondrés, d'où il y eust procès verbal des offi­
la jurisdiction du lieu. » Un nommé René Lepelle­
ciers de
sergent de la Cour, affirme également les habitudes
tier,
et de violence du sieur de Quistinit : il l'a vu, à
d'ivrognerie
la chapelle de Saint-Mellac chercher querelle au recteur,
et a essayé
qu'il a menacé de son épée; le témoin l'a des armé
de le reconduire chez lui; mais le sieur de Quistinit, rentré
par surprise,
en possession de son épée, a voulu l'en frapper
et, de nouveau desarmé, lui a lancé des pierres; c'est le soir
de ce jour-là qu'il a envahi le cabaret de Tallebardon avec
« quantité de gens}) et y a commis tant de desordre.
De Quistinit n'élève contre les témoins dont on lui lit les
sur les
dépositions aucune récrimination ; mais il chicane
faits, les nie, ou déclare qu'il ne s'en souvient pas.
Comme sice n'était pas assez, un sieur Martin Deshaneaux,
femme, damoiselle
écuyer, maître sculpteur et peintre, et sa

pour coups et bles­
Jeanne Pascot, introduisent une plainte
sures qu'ils ont reçus de ce terrible ivrogne, au mois de juin
bourg de Kérien. Ils réclament une indemnité de
4,000 livres, plus une rente viagère de 300 livres. Cette affaire
sur celle de Macra dit Lamarche,
inattendue vient se greffer

qui, de son côté, demande une somme de 6,000 livres pou,.
mtérêt civil, et une pension viagère de 300 livres. Il y a
la requête en interdiction sur laquelle insiste la famille.
enfin
tribunal prononce l'interdiction du Sr de Quistinit et.Ie
condamne à payer 1,000 livres de réparation à Deshaneaux et
à Macra, ainsi que les dépens du procès. C'était peu, et c'était
pourtant ce qu'on pouv'ait espérer,'la vente des biens meu­
bles séquestrés devant à peine suffire à payer les dom-
mages et ' intérêts, avec les frais de l'action judiciaire: et,
part, l'intervention des parties civiles se substituant
d'autre
pour ainsi dire à celle du ministère public et sauvant le cou­
pablede ses conclusions à une pénalité affiictive.
Les assassinats, bien qu'assez nombreux dans les dossiers,
apparaissent infiniment moins fréquents, par rapport au
et à la moyenne de la population,
chiffre des autres crimes
jours. Ils sont punis de la
qu'ils ne le sont devenus de nos
roue, chez les hommes, du gibet, chez les femmes. Comme
il serait fastidieux d'insister sur des attentats qui ne varient '
guère dans leurs formes caractéristiques et dans leurs con­
séquences judiciaires, je rapporterai seulement les pièces
capitales d'une affaire de cet ordre, évoquée de la juridiction
Pont à la barre du Présidial de Quimper.
Une nuit de janvier 1777, le nommé Jézégabel est assailli
et grièvement blessé, laissé pour mort dans les halles de
inanimé: le lendemain matin,
Pont-l'Abbé; on le découvre 'là,
porte en sa maison, où, sur la requète d'office du
et on le
Pr. fiscal, le juge fait descente, accompagné de chirurgiens.
Ceux-ci dressent un procès-verbal de visite extérieure,
rapport d'autopsie, car le blessé n'a pas
bientôt suivi d'un
tardé à succomber : ... « Avons trouvé audit J ézégabel une
la largeur de quatre pouces et de la longueur de
fracture de
six pouces, compliqué (sie) de quatre esquilles d'os, occu~

pant tçmte la partie moyenne et inférieure du pariétal goche
et toute la partie écaleuse (écailleuse) du temporale du

et commition (commotion) au servau et une
même cotté
epanchement de sang sur la pimère (pie-mère), ce qui a
mort pronte et subite audit Jézégabel, les­
occasionné une
quelles fractures nous ont parus avoir été faites par batons,
pierres, sabots ou autres instruments capables de produire
... » Les soupçons portent sur Jean Le Mao et
pareil effet
Louis Mahé, {( décrètés prisonniers », Jean Nicol père,
CI: décrèté en état d'ajournement personnel» (ce qui l'oblige
à se tenir à la disposition de la justice et à prendre
domicile en quelque lieu qu'elle fixera pour l'évolution du
procès) et Jean Nicol fils, en fuite. L'information est com­
mencée par le sénéchal de la juridiction de Pont-l'Abbé;
mais l'affaire est évoquée devant le présidial. Jean Le Mao
et Louis Mahé sont transférés aux prisons de Quimper et
Nicol père contraint de demeurer en la ville. Il y a sentence
règlement à l'extraordinaire le 8 novembre. Aucun'e
charge sérieuse ne pèse sur les trois accusés présents: 'au
contraire, les charges s'accumulent sur l'accusé contumax.
La sentence définitive n'est rendue que le 5 septembre 1778 :
« Le Siège, après avoir ouy et interrogé en la chambre du
conseIl, debout derrière le barreau, lesdits Jean Nicol père, Jcan
Mao et Louis Mahé, en ce qui résulte de l'état du procès, les a
renvoyés tous les trois ... (mots illisibles), toutes charges tenantes.
que les portes des prisons leur seront ouvertes,
ordonne néanmoins
si pour autre cause ils n'y sont détenus, et pour ce qui concerne
. Jean Nicol fils, a déclaré la coutumace bien instruite et acquise
contre lui. En conséquence et par le profit d'icelle l'a déclaré
le 7 janvier mil sept
duement atteint et convaincu d'avoir attendu
et assommé sous les halles de Pont-Labbé,
cent soixante-dix-sept
entre les dix et onze heures du soir, avec un bâton, levier de fer
ou autres armes pouvant produire le même effet, Thomas Jézégabel,
décédé du coup qU'lI reçut; pour réparation de tout quoi, condamne
ledit Jean Nicol fils à avoir les bras, les jambes, les cuisses et les
reins rompus vifs sur l'échaffaut qui sera dressé à cette fin sur la
place publique de cette ville; où il sera mis sur une roue, la face

tournée vers le ciel, pour y finir ses jours, et a ttendu la contumace,
sera le présent jugement e~écuté par effigie sur un tableau qui ·
sera attaché par l'exécuteur criminel à la potence qui ~era plantée
pour cet effet sur ladite place. A déclaré tout et chacun des biens
Jean Nicol fils acquis et confisqués au profit de Sa Majesté, et
dudit
au cas que la confiscation n'aurait pas lieu au profit de Sa Majesté,
sera -sur iceux pris une amende de dix livres. Condamne en outre
Nicol aux dépens du procès ... )
ledit
Je n'ai eu sous les yeux qu'une affaire d'empoisonnement,
mais très remarquable: instructive au point de vue des
procédés judiciaires et des moyens d'elpertise médico-légale
vers le milieu du XVIIIe siècles, dramatique et tristement
révélatrice de la condition des noirs esclaves; c'est un écho
de la criminalité coloniale en pleine ville de Brest. Malgré
les entraves que les réglements apportaient à la pénétration
et au séjour en France des hommes de couleur soumis au
régime de l'esclavage, les familles de fonctionnaires et les
officiers riches ramenaient souvent des Antilles et de la
Guyane des serviteurs dont ils avaient apprécié là-bas
l'intelligence et la fidélité: on économisait ainsi les gages
d'un domestique libre et l'on avait à sa discrétion un être
dressé de longue main à l'obéissance passive. On devine à
quel point la passion de l'indépendance, le désir de la pos­
session de soi-même devaient être surexcités chez des
malheureux vivant au contact d'individus, qui, aussi humbles
qu'ils les entrevissent, étaient pour eux des supérieurs et
leur donnaient le spectacle de la vie libre. La terreur mâtait
les timides. Les plus hardis songeaient à fuir, à se cacher,
mais où ? Jean Mor osa davantage: il pensa à se débarrasser
de son maître, un jeune enseigne de vaisseau, M. de Nort,
par un empoisonnement, afin de profiter de l'occasion d'un
convoi de rapatriement aux îles de nègres affranchis, parmi
lesquels il se serait glissé subrepticement. Sur le conseil
d'un mulâtre, Louis Rodin, cuisinier libre au ·service du

comte de Grasse, qui lui avait remis des graines vénéneuses
indiquant la façon de les utiliser (gr~ines dites de liane
en lui
à poison, provenant de Cayenne ou de la Martinique), il
mêle la râpure d'une ou de plusieurs de ces semences (?)
à la farce d'un poulet destiné au repas de son maître.
Celui-ci mange du plat sans défiance, ainsi qu'une
demoiselle Plusquellec, habitant dans la même maison,
et tous deux éprouvent bientôt des symptômes très in­
quiétants. L'officier, initié aux mœurs d'outre-mer, n'a
pas un instant d'hésitation sur la nature et la cause des
accidents: Jean Mor, son domestique, a voulu l'empoisonner.
Il appelle l'esclave, en obtient des aveux, informe ses chefs
presque simultanément, le Procureur du
de l'événement, et,
la marine, à Brest, le ministre secré­
Roi et l'intendant de
taire d'Etat à la marine, à Paris, se préoccupent de faire la
lumière sur un crime d'une exceptionnelle gravité à leurs
yeux. Un attentat commis contre un blanc, un noble, un
officier du Roi, par un nègre esclave, et en France! Qu'ad­
viendra-t-il aux colonies, si le bruit de l'aventure n'arrive
pas en même temps que la nouvelle ' d'une répression immé­
diate et exemplaire!
Jean Mor et Louis Rodin son arrêtés. (Janvier 1764.)
Le Procureur du , Roi, Bergevin, prend l'initiative d'une
poursuite d'office et affiche le plus grand zèle. Dès son pre­
mier interrogatoire par devant le Sénéchal, Jean Mor répète
ce qu'il a déjà dit à son maître. Originaire de la Martinique,
et depuis sept mois environ à Brest, il n'a jamais témoigné
,le moindre mécontentement contre son maître, « duquel au
contraire il se louait beaucoup, qu'il n'a jamais non plus
entendu parler de sa liberté. Il a cherché à l'empoisonner
graines comme de pyment dans un poulet. » Il a eu
avec des
ces graines, «qui donnent un, goùt exquis à la volaille, du
nègre (mulâtre) de M. de Grasse » : eet homme les aurait
rapportées des îles et les lui aurait remises, en lui indiquant

'la manière de les utiliser. Il a voulu les employer « de
l'avis dudit Louis, pour se défaire de son maître,afin
de 'passer dans les colonies (comme s'il était affranchi)
sur le vaisseau le Brillant actuellement dans le Port ».
Rodin de son côté nie tout ce que raconte Jean Mor.
Le comte de Grasse écrit qu'il a un intérêt personnel à ce
qu'on découvre la vérité et demande qu'on essaye de savoir
Ci. si le nègre qui le sert à Versailles a trempé dans le crime »,
comme certains indices, sembleraient l'annoncer, les graines,
ajoute-t-il, doivent venir d'un sauvage de Cayenne ... C'est à .
qui se prodiguera en avertissements. Cependant, le Procu­
reur du Roi estime que l'information ne marche pas comme
il eut été désirable. Il adresse une longue requête aux juges
royaux, dans laquelle il développe divers points à éclaircir.
Il est regrettable que l'on n'ait encore pu remplir la formalité
capitale, la représentation du corps du délit. M. de Rosily,
le chef de M. de Nort, qui a reçu les graines trouvées en la
possession du nègre (il y en avait cinq), les a envoyées à M.
de Choiseul, « ne pensant point qu'elles fussent de quelque
utilité pour l'instruction». Il a fallu demander le renvoi de
ces graines à M .. de Choiseul: elles sont actuellement
déposées au greffe « dans un petit paquet cacheté». Il y
aurait lieu de les présenter aux accusés, pour s'assurer
qu'elles sont bien les mêmes que celles désignées dep~is le
début de l'affaire. Il importerait de savoir si le nègre et le
mulâtre n'ont point été à Cayenne, « et si c'est là qn'ils ont
eu connoissance de ce genre de poison ou de tels autres dont
les esclaves se servent dans les colonies» ; s'ils ont eu
des relations avec le nègre actuellement au service de M.
de Grasse, à Versailles; si l'un d'eux ou tous deux (c n'ont
pas eu des habitudes avec un sauvage de Cayenne nommé
Gaspard, et si ce n'est pas celui-ci qui leur a donné ces
graines, a indiqué la façon dont il fallait les préparer pour
faire effet; de quelle espèce de liane qui croît à Cayenne

ils entendent parler lorsqu'ils disent liane à empoisonner, et
si la graine qui la produit opère sur les animaux comme sur
l'homme)) ; si le mulâtre a été cuisinier dans une maison
« où l'on servait à manger aux officiers de Tournaisis )), et
.si pendant ce temps aucun cas de maladie ou de colique n'a
été remarqué parmi ces officiers.
L'intervention des hommes de l'art a établi qu'après avoir
mangé du .poulet préparé par Jean Mor, M, de Nort et la
demoiselle Plusquellec ont présenté tout l'ensemble des
symptônes ordinairement occasionnés par « les choses âcres
et corrosives» : le rapport, signé de M. de Courcelles, pre­
mier médecin du Roi et directeur de l'école des chirurgiens
de la marine au port (où il enseignait la matière médicale et
les connaissances pratiques sur l'action des médicaments),
des maîtres en chirurgie Georges Demontreux et Dupont
Anthony, donne en effet un tableau assez précis des mani­
festations cholériformes consécutives à l'ingestion des subs­
tances irritantes-drastiques. Mais il faut déterminer l'espèce
et les propriétés réelles des graines incriminées. On confie
cette mission délicate à quatre chirurgiens, choisis unique­
ment d'après cette présomption, qu'ayant fréquenté les
parages du Nouveau-Monde, ils doivent être initiés à tous
les secrets de l'histoire naturelle et de la toxicologie colo­

niales! Le Sénéchal les réunit à son hôtel et fait ouvrir le
paquet aux graines: au lieu 'de 5, on en trouve 7 (dans une

autre pièce, il est dit 8, et dans une autre encore 4, avec
trois fragments d'une cinquième). On n'élève là-dessus
aucune réflexion et l'on procède à n'n examen. Les conclu­
sionssont bizarres! Les experts déclarent ne point connaître
graines, mais, sans la connaître, sans avoir
l'espèce de ces
pratiqué aucune expérience pour découvrir l'action d'un
produit que l'on a si grand intérêt à apprécier, sans même
savoir au juste quelles doses ont été administrées, ils se
prononcent contre tout effet nocif attribuable à « une aussi

petite quantité» de matière, celle-ci fût-elle suspecte! Le
Sénéchal termine ainsi son procès-verbal: les experts « nous
ont unanimement dit et raporté que quoyqu'ils ayent fait
plusieurs voyages à l'Amérique, ils ne reconnaissent en
aucune façon l'espèce et le nom de ladite graine, qu'ils dou­
tent même que l'effet de cette graine puisse servir à empoi-
sonner aucune espèce d'animaux, mais que quand l'effet en
seroit tel, la quantité de graine est trop modique pour
pouvoir produire aucun effet sur un chien ni autre espèce de
brutte ... » ,
Pourtant, il n'y a pas à mettre en doute la tentative d'em­
poisonnement. Les aveux d'un misérable qui avait intérêt à
taire la vérité: la coïncidence, chez deux personnes, d'acci­
dents particuliers avec l'ingestion d'un aliment additionné
d'une certaine drogue, fournissent à cet égard des preuves
assez fortes, pour que le procul'eur du roi concentrât sur
elles toute son attention. Laissant de côté les soupçons,
d'ailleurs mal justifiés, émis sur le compte du nègre au
service de M. de Grasse, et même au second plan les charges
discutables portées contre Rodin par Jean Mor, le magistrat
s'attache à rendre évidente la culpabilité de ce dernier. Il
obtient contre Jean Mor une sentence de condamnation à la

torture, qui, ratifiée en appel, reçoit son exécution à Rennes,
au $iège du Parlement.
« L'an mil sept cent soixante-quatre, le septième may,
en la chambre criminelle de la conciergerie de la Cour,
nous, messire Joseph Avoye de la Bourdonnaye, chevalier,
seigneur de la Brétèche, conseiller du Roy au Parlement de
Bretagne, et messire Luc Anne Dupont, conseiller du Roy
audit Parlement, comqlissaires en cette partie: aux fins de
l'arrêt de ce jour, ayant avec nous pour adjoint messire
Joseph-René-Jacques Blain, sieur de Saint-Aubin, conseiller
du Roy, greffier en chef criminel , dudit Parlement, et
maîtres Martin et Richard, huissiers de la Cour pour l'exé ..

cution de nos ordres, avons fait venir devant nous Jean Mor,
nègre esclave, condamné par arrêt de ce jour à être appliqué
à la question ordinaire et extraordinaire préparatoire, touttes
preuves demeurant en leur entier, duquel arrêt lecture luy
faite p'ar notre adjoint, lui avons fait prêter serment, ce qu'il
a fait, de nous dire vérité.
« Interrogè.... Répond se nommer Jean Mor, origi-
naire de l'isle de la Martinique, âgé d'environ 20 ans, de la
religion catholique romaine, demeurant avant ~on empri­
sonnement chez le sieur de Nort, enseigne de vaisseau du
Roy, ~n qualité de son esclave.
« Interrogé s'il n'a pas essayé à différentes fois d'empoi-
sonner son maître. Répond: non.
« Fait chausser ledit Mor d'escarpins de souffre (escarpins
de souffrance, en fer) et attacher sur le tourment (le banc de

torture) .
« Fait approcher dn feu pour la première fois et retiré.
« Interrogé... Répond que son maître ne l'a jamais mal
traité, mais qu'il est vrai qu'il lui a souvent demandé de le
rendre libre, et qu'il l'a toujours refusé, ce dont ledit inter­
rogé a été mécontent.
« Interrogé... Répond qu'il a commencé à connoître
Louis Rodin à l'hôpital de Brest, où ils se sont trouvés
ensemble, que lorsqu'il sortit de l'hôpital, son maître étoit à

Nantes, et jusqu'à son retour, il a été prendre ses repas
chez le sieur Jean, traiteur à Brest, chez lequel ledit Loui~

Rodin était en apprentissage de cuisine.
« Interrogé... Répond qu'il y a environ huit mois que
ledit Rodin est entré en apprentissage chez ledit Jean et que
souvent il s'est entretenu avèc lui de son mécontentement de
ce que son maître se refusoit à le rendre libre.
« Interrogé de ce que Rodin lui répondit lorsqu'il l'entre­
tenoit dU refus que son maître faisait de lui rendre la liberté.
« Fait approcher du feu pour la deuxième fois et retiré .

« Répond que le mulatre lui dit qu'il devait passer inces­
samment aux isles, et qu'il fallait que lui interrogé y eut

passé avec lui, quoique le sieur de Nort ne dut pas s'em­
barquer. » Sur ce qu'on lui représente que c'eût été là
une désertion, qu'il s'exposait à être recherché et sévèrement
puni au retour de son maître, et par quels moyens Rodin
lui avait-il dit qu'il pourrait éviter d'être recherché.
c( Répond que ledit Rodin lui conseilla d'empoisonner son
maître et lui donna pour cet effet des graines, que lui inter­
rogé emporta et mit dons un tiroir de la cuisine, chez la
demoiselle Plusquelec. .
« Interrogé... Répond que ledit Rodin lui dit avoir
apporté les graines de Saint-Domingue, sans lui spécifier
le quartier d'où elles provenoient, qu'il lui dit que c'étoit la
graine de Piment de bouc et propre à empoisonner (1),
qu'elle ressembloit à la graine qui lui a été représentée le
matin de ce jour.
cc Fait représenter par notre adjoint cinq graines divisées
en sept portions, de figures oblongues, de la grosseur d'un
petit pois et de la couleur jaune très pâle, et sommé de nous
déclarer si lesdits grains sont les mêmes et de même espèce .
que celles (sic) qu'il avait eues dudit Rodin, les mêmes qui
furent trouvées dans le tiroir de la cuisine chez la demoiselle
Plusquelec et pareilles à celles dout il a fait usage pour
tâcher d'empoisonner son maître. Répond que lesdites
graines font partie de celles qui lui avoient été données par
ledit Rodin, qui lui étoient demeurées de reste au-delà de
celles dont il avait fait usage pour empoisonner son maître,
et qu'il les reconnaissoit pour être les mêmes qu'il remit
audit sieur de Nort ... »
(1) L'accusé essaie de donner le change sur ses premiers aveux: le
piment-bouc, piment jaune ou piment doux des Antilles est absolument
inoffensif.

Ordonné le dépôt au greffe désdites graines, · en paquet
fermé, cacheté et scellé.
« Interrogé... Répond qu'il ne connoissoit nullement
lesdites graines et n'en avoir jamais entendu parler aupa­
ravant avoir connu ledit Rodin, que ce fut le 13 janvier
dernier qu'il en · fit le premier essay en ayant mis plusieurs
graines dans un poulet qu'il fit rôtir pour le souper de son
maître, qu'il en fit un deuxième essay le lendemain, 14,
dans un autl'e poulet qu'il avait fait rôtir de la même façon,
que ces deux essais ne luy ayant pas réussi, il ne réitéra
pas la troisième fois ... et eut la précaution d'écraser les
graines dont il usa ce jour (17 janvier), afin que leur
substance malfaisante se fut répandue avec plus de succès
dans la farce d'une poularde, qu'il aprêta le soir de ce jour
pour son maître, dans laquelle farce il avait mis de cette
graine écrasée au nombre de deux graines, qu'il en avait
mis trois pour le poulet du 13 et quatre dans celui du 14. »
cc Fait approcher du feu pour la troisième fois et retiré. »
N'a-t-il pas eu connaissance ou été le témoin des accidents
éprouvés par la demoiselle Plusquelec et · par son maître,
n'a-t-il pas, sur l'ordre de celui-ci, été chercher du petit
lait, du bouillon et d'autres breuvages adoucissants. etc.
« Fait approcher du feu pour la quatrième fois et retiré.
« Répond qu'il est vrai que son maître et la demoiselle
Plusquelec éprouvaient tous les accidens que nous venons

de 'lui expliquer, qu'il en a été témoin et a porté à son
maître pendant les susdits trois jours (de maladie) les
remèdes dont il a été obligé de faire usage, et avoue que ces
accidents doivent leur avoir été occasionnés par les ·graines
qu'il avait mis dons la poularde. »
Ne s'est-il pas, le 20 janvier, après avoir obtenu de s'on
maître 6 llvres, sous le prétexte de retirer des lettres de la
poste, rendu chez Rodin, pour lui rendre compte de ses
et de son projet de désertion, n'est-il pas, après
tentatives

une absence assez longue, revenu chez son maître, pour
s'assurer s'il était ou non encore vivant.· L'interrogé
convient des faits B:près u!!e cinquième approche du feu.
A-t-il appris à Rodin sa qualité d'esclave, lui a-t-il mani­
festé son appréhension de retourner comme tel aux îles,
suggérant ainsi au mulâtre l'idée de lui donner un mauvais
conseil; a-t-il communiqué son projet à d'autres personnes
qu'à Rodin, etc. Réponses ne modifiant en rien les pre­
rriières déclarations. Sixième, septième, huitième, neu­
vième et dernière approche du feu.
« Fait détacher de dessus le tourment et asseoir sur une
chaise. »
Le mulâtre, qui lui aussi a été transféré à Rennes, persiste
en ses dénégations; mais il ne subit pas la question.
Les deux accusés sont renvoyés devani les magistrats de
Brest, qui, le 14 avril, rendent la sentence dèfinitive: le
jugement est retardé pour Louis Rodin ; Jean Mor est
« condamné d'estre pendu et étranglé jusqu'à ce que mort
s'ensuive à une potence qui sera dressée à cet effet dans la
place où se tient le marché ordinaire de cette ville et ce ouï
préalablement appliqué à la question ordinaire et extraordi­
naire pour avoir révélation de ses complices (Alexis Labbé
de Lezengant, sénéchal; Claude Piriou, bailli et lieutenant
général au siège; Jean-Jacques-Mathieu Carquet, lieutenant).
Le 8 mai, sentenoe d'appel à Rennes. Elle réserve le juge­
ment définitif pour Rodin, établit la culpabilité de Jean Mor
et reconnaît la valeur des charges réunies contre lui, « pour
réparation de quoy (la Cour) l'a condamné à faire amende
honorable, en chemise, teste nue, la corde ·au col, tenant en
ses mains une torche ardente du poids de deux livres, au-
devant de la principale porte de l'église du lieu de l'exécution
du présent arrest, où il sera conduit par l'exécuteur de la
haute justice, qui attachera devant luy et au dos un placar
où sera écrit en gros caractères: EmpoisQ,t!-neur, et là estant

à genoux déclarera que méchamment il a tenté à plusieurs
reprises d'empoisonner son maître, dont il se repent et
demande pardon à Dieu, au Roi et à la justice; ce fait
ordonne qu'il sera mené à la place publique du lieu pour y
estre attaché à un poteau avec une chesne de fer et ars et
brûlé vif, son corps réduit en cendre et icelle jettée au vent,
devant les juges de la sénéchaussée de Brest, et attendu ce
qui résulte dudit procès-verbal de torture contre Louis
Rodin, mulâtre, renvoye ledit Rodin devant lesdits juges de
Brest, pour prononcer à son égard jusqu'à sentence défini­
tive inclusivement, ordonne à cet effet que lesdits Louis
Rodin et Jean Mor seront transférés et conduits séparément

dans ' les prisons de Brest)) (ils avaient cté ramenés à
Rennes, pour l'examen de l'appel) et qu'il sera par le greffier
de la Cour l'envoyé au greffe de la sénéchaussée de Brest
des grosses de l'arrêt, de procès-varbal de torture, recol­
lement et confrontation dudit Mor et Louis Rodin, de l'inter­
rogatoire derrière le bareau dudit Rodin du sept de ce mois,
avec les graines de piment de bois (1). Fait au Parlement, à
Rennes, le huit may mil sept cent soixante-quatre.
« Et au reply de la dernière page de la minute du présent
fo 28 est écrit: arreste que ledit J eau Mor sera' étranglé
avant d'être brûlé. »
L'exécution du nègre a lieu le 2 juin.
Les attaques et les vols sur les grands chemins , sont
extrèmement communs dans la Cornouaille. Leurs auteurs,
presque toujours , appartiennent à des bandes, qui n'nt des
affiliations dans les villages et même dans les villes. Quel-
(1) Encore une désignation du p,iment de bouc. On a donc accepté la
. dernière version du nègre sans le moindre contrôle. Cependant, pas une
personne ayant vécu aux colonies qui n'eût pu reconnaître ce fruit et cer­
tifier son innocuité. Les accidents n'étaient pas attribuables à cette
espèce, mais à quelque autre de même apparence.

quefois, ce sont des individus isolés, mendiants, vagabonds,
artisans sans travail ni ressources, opérant par habitudes
professionnelles ou par sollicitation occasionnelle sous la
poussée de la misère et du besoin. Ce genre d'attentat est
justiciable de la juridiction prévôtale. Il est curieux de voir
des femmes s'y livrer avec autant d'audace et de succès que
les hommes les plus aventureux.

Le 12 février 1753, on ramasse blessée, sur le chemin de
Carhaix à Châteauneuf, une vieille femme, qui déclare être
de condition, avoir été attaquée et volée par une jeune fille,
servante en quête de place. Les deux femmes se sont ren-
contrées dans une auberge, l'une revenant de Rennes, à
petites journées et ,à pied, portant son mince bagage de
voyageuse dans un sac, c'est la dame de Kerléon, veuve de
messire René de Porsmoguer etàgée de 72 ans; l'autre,
domestique, âgée de 19 ans et déjà notée d'une réputation
détestable, à la recherche d'un ~mploi. mais sans grands
scrupules sur le choix de ses moyens d'existence, la fille
Catherine Legoff. Celle-ci a cru découvrir une proie facile
dans la vieille dame que le hasard a jetée sur sa route, et
aussitôt elle a songé à mettre à exécution un abominable
projet. La déposition faite par la victime (déposition appuyée
de divers témoignages irrécusables) nous initie sur la ten­
tative. « Douzième du présent mois, faisant route sur le
grand cbemin de Carhaix à Châteauneuf, elle rencontra,
vers midi du même jour, sur la porte du cabaret du Moulin­
du-Roy, une fille vêtue d'un jupon noir, jupe bleue et tablier
de ... , portant sabots à ses pieds, laquelle demanda à la

déposante où elle alloit ; qu'elle lui répondit qu'elle alloit au
bourg de Cledenpoher, à quoi ladite fille répondit qu'elle y

aloit . aussi et la suivit ; qu'en aïant avancée en route
ensemble, ladite fille devança la déposante de quelques pas

et ·sur ce qu'elle regardoit de tems en tems derrière elle, la
déposante lui demanda ce qu'elle regardoit; à qùoi ladite
fille répondit qu'elle attendoit un nommé Thomas, cavalier,
avec lequel elle devait être mariée à Châteauneuf; qu'en
causant ainsi elle fit passer la déposante par un champ en
friche et estant arrivée au lieu d'un fossé SnI' lequel il y
avoit des bouts de bois plantés exprès pour servir de bar­
rière, ladite fille, qui avoit passée devant la déposante, lui
donna la main pour passer; mais étant tombée sur ces bouts
de bois par la violence dont ladite fille l'avoit tirée, la dépo-
sante se sentit blessée par un de ces bouts de bois au bas-
ventre; que malgré les cris qu'elle faisoit, ladite fille ne
cessa de la tirer et de l'arracher dessus ces bouts de bois;
qu'étant enfin tirée, elle s'aperçut qu'elle perdoit beaucoup
sang, elle dit à cette fille qu'elle l'avoit tuée, à quoy elle

lui répondit qu'elle ne l'avoit pas fait exprès et que si elle
vouloit lui donner son paquet à porter, elle l'en débarras­
seroit d'autant, et qu'à la première maison elle la panseroit
de sa blessure; la déposante lui donna son paquet à porter,
qui consistoit en deux poches de toile qui contenoient deux
chemises, deux paires de souliers, une paire de bas bruns
de laine drapée, quatre coeffes, deux couteaux, dont un à
guène (gaine) et l'autre forme anglaise, plusieurs papiers
concernant un retrait de terre et un acte de partage et autres
papiers ; qu'en continuant ainsi de faire route, étant à la
dis~ance de deux cents pas de l'endroit où la déposante avoit
été blessée, cette fille lui proposa d'entrer dans un champ,
'pour éviter, disoit-elle, le mauvais chemin ; qu'y étant
avancées de quelques pas, ladite fille dit à la déposante:
vous n'irez pas plus loin, voici où vous mourrez, j'aurai
votre vie, votre argent et vos hardes, combien avez-vous
d'argent? à quoi la déposante lui dit de ' prendre son
argent et ses hardes et de lui laisser la vie, qu'à cette réponse
ladite fille se jetta sur la déposante, lui prit sa cape, son

tablier, et lui arracha ses poches, dans lesquelles il y 'avoit
quatre francs ou cent sols en menues monnaies, un cachet
de métail et un chapelet; que la déposante tomba des coups
de main que ladite fille lui donna au visage, et que, lorsqu'elll;l
fut renversée, ladite fille lui donna plusieurs coups de pieds
sur l'estomac et à la tête avec ses sabots, qu'elle lui mit
même les doigts dans la bouehe pour lui arracher la langue,
lui tourna la tête de côté et d'autres pour lui tordre le col,
qu'elle tira même des poches de la déposante un couteau
dont elle ,la menaça, mais qu'aïant sur ces entre-faites entendu
du monde, elle le ramassa, ainsi que toutes les hardes de la
déposante, dont elle se saisit et les emporta, en lui disant:
Si tu me suis, je t'acheveray ... » Recueillie par un paysan, la
vieille dame fit prévenir le seigneur du lieu et bientôt la
coupable fut arrêtée. C'est « une jeune fille de moyenne sta­
ture, visage plein et rond, grand nez bien fait, grosses
lèvres, yeux gris, sourcils et cheveux bruns, de forte corpu-

lence, )) originaire de la paroisse de Plouguernevez. Dans ses
réponses, elle conserve le plus grand sang-froid: elle soutient
qu'elle n'a point cherché à causer du mal à la dame de
Kerléon, qu'elle l'a au contraire aidée à se relever de ses
chutes accidentelles en terre détrempée ou rocailleuse,
qu'elle l'a débarrassée de ses effets, pour l'alléger. La
coquine ne se rend point devant plusieurs charges acca­
blantes. Décrétée de prise de corps, écrouée aux prisons de
Quimper, elle n'attendra pas son jugement.
Un soir, le 5 mars, messire Hervé-Gabriel de Silguy,
sénéchal du Présidial, s'entretenait en sa demeure avec le
procureur du roi de la maréchaussée, Huchet-Dangeville,
quand on le vint prévenir d'un tumulte aux prisons et dans
l'étroite rue (la rue Obscure) (i) où elles étaient situées. Les
deux magistrats requièrent à la hâte un sous-br;gadier et

(1) Depuis rue Royale.

BULLETIN ARCHOOL. DU FINISTÈRE. TOME XIX. (Mémoires). 17 .

un cavalier de la maréchaussée et se dirigent avec eux du
côté où on leur a signalè le tapage. Ils trouvent un rassem­
blement de personnes qui leur disent, que, depuis une heure,
bruits dans la prison. Ils frappent
on entend des cris et des
à la porte, et, après quelque attente, ils voient paraître à la
fenêtre de la cuisine la femme du geôlier, toute échevelée
trop hors d'elle-mème pour parler. Sur
et animée de colère,
sommations répètées, le geôlier se décide à ouvrir la porte
et les magistrats, accompagnés des hommes de la maré­
chaussée, pénètrent dans la prison. Dès leurs premiers pas,
ils se trouvent en face d'un couple très surexcité: « Allés,
leur crie la geôlière, leur indiquant son mari,
messieurs,
vous allés voir sa fille, sa gueuse, il l'a mise dans la cour,
entrez-y, vous l'y rencontrerez. A quoy le geôlier a '
est soule, je l'ai
·répliqué : Messieurs, ne l'écoutez pas, elle
corrigée, elle m'a beaucoup dépensé aujourd'hui et je la
corrigerai, elle m'a soté à la face et aux cheveux. Sur
quoilafemme répliquait: Comment, misérable, vous verrés. »
Tout s'éclaircit bientôt. Il y a, dans la chambre civile, sept
prisonnières dont les dépositions vont aider la vérité à se
dégager. Le renfermement n'est pas bien sévère '; les femmes
du cidre, et la fille Legoff, malgré qu'elle
ont voulu boire
à part avec une autre détenue,
fut placée dans un cachot
s'est offerte pour en aller demander au geôlier. Celui-ci
probablement l'a suivie jusqu'â la chambre, et, se laissant
aller à des galanteries que la bonne peste n'avait garde
d'écarter, il l'aurait embrassée. La femme, défiante et ja­
louse, avait justement l'œil à la serrure: brusquement elle
se présente, administre un soufflet à la fille, prend aux che­
veux son mari, et le tapage commence. Pendant ce temps,
la fille Legoff sortait, remarquait un coin de bâtiment
ruiné, d'où il était assez facile de grimper · sur un toit,
·pour de là se laisser choir dans un jardin voisin, proche
d'une route ... et elle prenait son élan vers la liberté. On ne

la retrouva pomt, et ce fut par contumace qu on rendit
contre elle une sentence définitive, le 8 juin 1753: «De par
le Roy, et au nom de messire Guy-Alexandre Piquet, che­
valier, seigneur de Melesse, prévôt général, commandant
de la Bretagne,... le siège, par jugement
la maréchaussée
prévôtal, en dernier ressort, a déclaré la contumace bien
instruite contre ladite Catherine Legoff, dument atteinte et
convaincue d'avoir, le douze du mois de février dernier,
grièvement maltraité sur le grand chemin de Carhaix à
Châteauneuf la dame de Kerléon, douairière de Porsmoguer,
de lui avoir volé, après lesdits mauvais traitements, quelques
hardes, nippes et autres effets et environ cent sols en argent,
de l'avoir laissée en l'endroit en danger et risque de périr;
pour réparation ds quoi ra condamnée â être fustigée nue
sur les épaules et battue de verg,es par l'exécuteur de la
haute justice aux carrefours et lieux accoutumés de cette
ville, pendant trois jours de marché consécutifs, et ensuite
flétrie sur les épaules d'un fer chaud marqué de la lettre V,
passé de quoi la bannie pour dix ans de cette province et lui
enjoint de garder son ban sous lesd. peines portées par les
à 20 livres
déclarations du Roy, a condamné lad. Legoff
d'amende au Roy, et ordonné que le présent jugement sera
transcrit sur un tableau attaché par ledit exécuteur à la
potence et lieu ordinaire de la place publique de cette ville
Quimper).,. »
L'histoire de Catherine Legoff est un simple épisode.
« Marion du Faouët », est un
Celle de Marie Tromel, dite
véritable drame en plusieurs actes. Marion a adopté la pro­
fession de voleuse sur les lieux de foire et les grands chemins,
à la tête d'une bande, de 1740 à 1755, avec
et elle l'exerce
des succès divers, entremêlés de déboires. Les documents
la concernent sont très nombreux, mais très éparpillés.
qui
Comme ils ont été résumés dans une excellente étude."

publiée par M. 'frévédy ; je renvoie à celle-ci pour l'examen
la procédure (1)
détaillé de

Malgré que les règlements de police et les lois soient sévères
la débauche et la prostitution, les mœurs sont mau~
contre
vaises. Les viols sont excessivement rares, mais l'adultère est
parmi les gens de ville, et, dans le monde bour­
assez fréquent
geois, dans celui de la noblesse surtout, le rapt de séduction
est commun. Le libertinage clandestin, principalement dans
campagnes, aboutit, comme de nos jours, à des recels de
les
infanticides: l'édit de Henri II
grossesse: suivis ou non d'
est en vigueur, et il livre à la potence nombre de pauvres
filles, trompées, abandonnées ou prises par force, qui ont
cacher leur honte en dissimulant leur état, quel­
essayé de
quefois aussi en perpétrant le meurtre du nouveau-né.
L'adultère notoire ou scandaleux, « avec connivence de la
part du mari» ou lié à un crime déterminé, est poursuivi
par le procureur du roi de la juridiction du lieu, ou
d'office
procureur fiscal, quand celle-ci est seigneuriale. Il ne
comporte d'ailleurs de haute pénalité qu'autant qu'il devient
crime qualifié par son association avec un attentat suscep­
tible de lui mériter cette aggravation exceptionnelle.
Juridiction de l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé,
1673. Sentence rendue à la requête du pro fiscal, demandeUl'
et accusateur d'office ... , « sur dénoncé du sieur Helloury de
» contre Jean Hémon et Henriette Le
ne vouloir estre partie,
« de crime d'adultère
Gauroc, femme dudit Helloury, accusés
et d'assazin commis sur la personne dudit Helloury, )) et con­
« d'avoir commis adultère ensemble et d'avoir par le
vaincus
moien de mauvaises herbes tâché de faire périr l'enffant
dontladite Gauroc estoit enceinte. )} L'amant a été arrêté et la

(1) Bulletm de ta Société archéologique du Finistère, t. XI, p. 70-143.

femme est en fuite. « Les avons condamnés et condamnons à
es pris et appréhendés par l'exécuteur criminel de la
tre
haulte justice, la corde au col, menés et conduicts un ven­
dr~dy jour de marché aux patibulaires de cette juridiction,
pour y estre pendus et estranglés, y finir leurs jours, et, au
cas que ladicte Le Gauroc ne puisse estre appréhendée,
estre effigiée en un tableau qui sera pour cet effet attaché
ausdits patibulaires par ledict exécuteur criminel, où sera
escript un breff de la condamnation. " .
Dans le milieu maritime de Brest, où les absences du
mari se prolongent parfois des années, où la femme est
laissée à elle-même, sans argent ni nouvelles, livrée à la
sollicitation de la débauche et de la misère, les nœuds con­
jugaux sont fort relâchés, si relâchés même qu'on finit par
ne plus les sentir et pp-f les oublier. On s'en embarrasse
peu, si un hasard oblige qu'on s'en ressouvienne: le mari
reparaît à côté de l'amant, lui-même devenu un époux, mais
si le premier gêne, le second aide à sa suppression. Une
nommée Marie Ollivier, blanchisseuse, et, par surcroît,
faisant commerce de vieilles cartes, avait perdu de vue son
mari, le sieur Le Men, depuis plus de qnatre années. Elle
ignorait ce qu'il était devenu. Elle avait lié des relations
avec un àmant, et: ayant appris « par ouï dire» que son
mari était mort, elle avait .converti en hymen religieux son
union très profane, pour effacer un scandale déplaisant au
curé de la paroisse. Juste au lendemain, le mari d'antan se
présente! On lui fait bon accueil, son fils, déjà un adolescent,
et au courant de la situation, sa femme et son remplaçant, .
le soldat" de marine Brunet-Dupré. On ne lui cache pas ce
qui est arrivé: en excellent homme, il se contente de bien
boire et manger dans le gîte et ne s'effarouche pas d'avoir à
. partager le reste. Mais la femme est ennuyée, elle voudrait
bien se débarrasser de Le Men: « Je voudrais, répétait-elle,
trouver quelqu'un, m'en deût-il couster deux louis d'or, qui

creveroit ce malheureux, pour qu'il allât au diable, corps et
est-re pendue. » Et à une commère,
âme, devrais-je ensuitte
parlait de la ressemblance de son fils Alain avec Le
qui lui
Men: « Si elle eût sceu qu'illuy eut appartenu, elle luy eut
attaché une corde au col et une pierre au bout et l'eut jetté
la mer. » D'ailleurs, le fils partage les doutes de sa
dans
mère sur son origine, car il s'associe sans trop d'hésitations
tramé contre Le Men par la femme Ollivier et
au complot
Brunet ' : c'est lui-même qui présente au malene:ontreux
un bol de lait empoisonné avec de la mort-aux-rats.
revenant
Le trio est condamné au gibet.
S'il n'y eût eu que bigamie, l~s choses auraient fini moins
tragiquement. Le cas était considéré comme simple dé­
bauche à réprimer en raison du scandale de l'exemple, et
soumis à une pénalité grotesque : on exposait le couple à
la risée du public, chacun des délinquants paré d'un attribut
de l'autre sexe. Sénéchaussée royale de Brest, 1784-1786.
Une marchande de petits pâtés, âgée de 36 ans, Isabelle
Desarbeaux, et un journalier, âgé de 42, Sevestre, se sont
mariés, l'étant déjà l'un et l'autre et leur conjoint réciproqne
étant encore en vie: c'est de la bigamie en partie double!
La sentence est bénigne, malgré qu'il y ait eu la complication
d'un faux. toc Déclarons ledit Antoine-Marie Sevestre et laditte
Isabelle Desarbeaux atteint et convaincu d'avoir contracté
mariage en face d'église, le sept janvier mil sept cent quatre­
vingt-quatre; d'avoir pris lors la qualité de veuf et de veuve,
premier eut eu connoissance que Marie-Perrine
quoique le
. Le Men, sa première femme, n'étoit pas morte, et que laditte
Desarbeaux n'eût aucune certitude de la mort de Hubert Le
premier mary, d'avoir contracté ensemble le
Gac, son
mariage sur une paroisse étrangère à la leur et pour y
parvenir d'avoir fait fabriquer par le forçat Petit, décédé
pendant l'iustruction de la procédure, deux faux extraits
mortuaires pour la somme de 'neuf livres; pour réparation

de quoy les avons condamné et condamnons à être pris aux
prisons de cette ville, savoir ledit Sevestre ayant deux que­
nouilles attachées à sa ceinture, et laditte Desarbeaux ètre
coeffée de deux chapeaux de paille, ayant chacun un écriteau
devant et derrière portant le mot bigame, pour être battu de
verge par l'exécuteur de la haute justice, pendant trois jours
de marché consécutifs, et ensuite audit dernier jour de
marché être attaché au carcan pendant une heure, ayant les
mêmes écriteaux devant et derrière; faisons deffense auxdits
Sevestre et Isabelle Desarbeaux de cohabiter à l'avenir
ensemble, sous les peines qui échéent; les avons condamné
solidairement aux dépens taxés et liquidés sur le vue des
pièces à la somme de deux cent soixante-dix livres ... (épices
de la présente sentence non comprises, taxées à 72 livres) ... »

La subornation ou le rapt de séduction masque fréquem-
ment, sous l'apparence de l'emportement passionnel, des
instincts vicieux et pervers ou de bas calculs de cupidité. La
loi, par l'excès de son rigorisme, favorise plutôt qu'elle
n'entrave les actions qu'elle a' la prétention de réprimer.

Elle prononce la peine de mort contre les coupables, mais
ceux-ci, la plupart du temps de haute couche, échappent
au châtiment presque toujours, ou se tirent d'affaire avec
quelques dédommagements pécuniaires à leurs victimes.
Le sieur Mol de Vigeac, de la très noble famille de
Kerjan, était reçu dans l'intimité d'une famille honorable,
qui habitait la petite ville du Conquet. Il en profita pour
essayer de débaucher une toute jeune fille, mademoiselle
Charlotte Chauvin, demeurant alors avec son oncle et
. curateur, le sieur Dupont, malgré qu'elle eut encore son
père, Louis Chauvin, éeuyer, sieur· de Létang, et sa mère,
la dame Perrine Le Veyer. Il parla d'abord de mariage à la
naïve, puis, sous le prétexte de la présenter à sa mère, '

voulut la décider à le suivre au manoir de Kerjan. N'ayant
p0int réussi à obtenir d'elle un déplacement aussi risqué (il
n'avait pas été question de l'assentiment des parents), il
tenta « de la surprendre dans la maison de son oncle et de
la forcer de condescendre à ses désirs, mêlant l'amour, les
menaces de l'abandonner et de la malemettre dans le monde,
avec la force, touttes les fois qu'il l'attaquoit, et a continué
de la sorte pendant plus de trois mois. » La jeune fille, qui
avait eu le tort de garder pour elle seule le secret de menées
aussi déte~tables, et qui évidemment avait au fond du cœur
de la tendresse pour le galant, finit par se laisser conduire
au château d'une dame de qualité, où le sieur Mol « avoit
entrée», et quand elle y fut, seule avec celui-ci,
une forte
elle s'avisa seulement de solliciter permission de voyage
et de ses parents ! Elle était au pouvoir
auprès de son oncle
de son séducteur, dans un lieu isolé, loin de tout secours.
Elle. eut à subir un redoublement de violences, « au point
qu'elle s'évanouit un jour par la force des menaces et mau-.
illuy estoufa
vais traitements, desquels se voullant plaindre,
la voie en lui mettant un .mouchoir sur la bouche et luy
réitérant ~es promesses et serments de l'espouzer au plutôt ...
La chute vint. Maître absolu de l'esprit et du corps
de la pauvre enfant, le loyelace amena jusque chez lui
sa victime, et quand, s'apercevant de sa grossesse, la demoi­
selle Chauvin demanda l'exécution de promesses maintes
foÎs réitérées, « il a changé tout d'un coup de langage et de
l'amitié il est venu à la fureur et aux menaces de la maltraiter
et de l'enlever pour la mettre dans un lieu où elle ne voiroit
plus le jour. » Ill'eùt fait, si, à son insu, la jeune fille n'avait
à informer (un peu tard) son oncle et ses parents de
réussi
toute l'aventure et de la séquestration dont elle était l'objet.
Les plaintes et les justes revendications de la famille Chauvin
furent reçues avec le plus dédaigneux mépris dans la famille
des Kerjan, et même le sieur Mol s'appliqua à multiplier les

grossièretés et les vexations vis-à-vis du sieur Dupont, au
point de rendre l' existencl~ intolérable pour ce dernier. Ce
fut alors que l'affaire alla devant les juges de.la sénéchaussée
de Brest. Après une longue procédure, le 14 mars 1703: le
procureur du Roi requit contre Mol « qu'il soit condamné
d'avoir la teste tranchée sur un échaffaut qui sera .à cet effet
placé sur le grand marché de cette ville, sur ses biens
meubles et immeubles, il sera pris et levé une somme de
dix mille livres pour réparations à ladite Chauvin, laquelle
somme lui tiendra lieu de dot, comme aussi il sera pris une
somme de trois cents livres de rente annuelle qui tiendra
lieu de propre à l'enfant qui naîtra de lad. Chauvin de fait
dud. Mol, à laquelle il sera enjoint. au recteur de la paroisse
où elle accouchera d'administrer le sacremerit de baptême
audit enfant sous le nom et surnom desd. Mol et Chauvin
comme provenant du fait de leur débauche, et au surplus
que les autres biens immeubles soient confisqués au Roi,
sur iceux les frais de justice préalablement payés. » Mais la
famille de Kerjan était de trop haut lieu pour ne 'pas avoir
l'espérance de suspendre l'action de la justice. De son côté,
la famille Chauvin recherchait moins la punition d'un cou­
pable que la réparation effective du .déshonneur infligé à son
nom. L'affaire fut appelée au Parlement de Rennes. Les
parents de la jeune fille présentèrent un mémoire, où s'éta­
laient les preuves d'une généalogie suffisamment qualifiée
pour fléchir les oppositions du sieur de Kerjan et de sa mère.
Ceux-ci essayèrent de se dérober par des artifices de procé­
dure. Je n'ai point trouvé la fin de l'histoire, niais sûrement
elle ne consista pas dans le dénouement . tragique réclamé
par le procureur du Roi de la sénéchaussée de Brest.
Comme la loi a principalement pour objectif de prévenir
les mésalliances dans les familles nobles, ou les atteintes
portées à leur honneur, la jurisprudence atténue ses sévérités
lorsque les liaisons de surprise ont "lieu entre petits bour-

geois : les mélanges importent peu dans ce monde inférieur,
et les magistrats, assez indulgents, y terminent souvent les
affaires pBr des mariages. Sénéchaussée royale de Brest
1726. Le sieur Lespine Bellecour, employé aux Devoirs
des Etats de la prdvince, est reçu chez une veuve Sébault,
qui a la tutelle et la garde de sa fille Gilette, âgée de 18 ans,
et tient un modeste commerce rue Kéravel. Les deux jeunes
gens s'abandonnent à une inclinatiou mutuelle. Mais l'em-
ployé est ~ ppelé à Morlaix, et l'absence, aussi la réflexion,
chez un esprit très prosaïque et pratique, émoussent bientôt
sans doute les sentiments premiers. Il écrit d'abord à sa
« commère », la veuve, des lettres où il affiche une grande
préoccupation de la santé de sa chère Gilette ... devenue
enceinte, recommande « qu'elle prenne garde de se mettre
en compromis pour la langue du publicq, qui est très mau­
vaise à Brest», en même temps, qu'on ait soin de son ling~.
Une autre fois) il envoie ses compliments et une paire de bas

qu'illle porte plus, mais « qui pourront servir à sa pauvre
Gilette en mitenne. » Puis la correspondance devient froide-
ment polie)languitet s'arrête. La dame Sebault dènonce alors
la grossesse de sa fille et formule une plainte en subornation
contre son séducteur, qui a promis le mariage et n'en reparle
plus. L'affaire va jusqu'au Parlement. Le sieur Bellecour ne
peut nier ses promesses: toute sa correspondance fait preuve
égard. -La demoiselle ne demande qu'à oublier l'oubli
à cet
de son ancien amant. L'arrêt de la Cour tient compte d'un
rapprochement également désiré par les deux parties. « En
conséquence du consentement respectif dudit sieur Bellecour
et de l'exposante, il leur seroit permis sur la veue des charges
de s'espouzer, et pour cet effet les juges royaux de Brest
seront commis pour recevoir lesdites espousailles et les
faire faire en leur présence,... ordonne que la bénédiction
nuptiale ... leur sera administrée en présence du sénéchal ou
autres juges en cas d"absence de la juridiction royale de

Brest, dont sera raporté procès-verbal, faisant préalablement
les trois bannies, passé de quoy ordonne que les portes des
prisons seront ouvertes audit Lespine ... ))
Toutes les plaignantes ne sont pas de bonne foi. Il Y a,
parmi elles, des drôlesses qui ont spéculé sur leur abandon,
aussi quelques hystériques très compromettantes pour les
individus qu'une imagination déréglée les a entraînées à
désirer. J,e n'insisterai pas sur les faits et gestes de cette
categorIe.

Trop souvent, la débauche laisse après elle, chez la
femme, de tristes fruits, que, dans un parti-pris de vice
incorrigible ou dans un éclair de désespérance ou d'affo­
lement, des malheureuses essaient de faire disparaître au
prix d'un crime. On dissimule avec soin une 'grossesse
coupable, et, le moment venu, l'on supprime clandestinement
l'enfant! La loi est pourtant bien sévère, les moyens de
dissimulation sont difficiles: car le crime se double d'un
attentat sacrilège, et le clergé est un auxiliaire vigilant du
magistrat, pour prévenir les conséquences d'un acte qui,
seulement prive de la vie un nouvel être, mais encore .
non
l'arrache au baptême et à la sépulture ecclésiastique. Un
très' petit nombre de misérables échappent à la justice, et
toujours l'édit de Henri II est rigoureusement appliqué.
L'exemple n'empêche point les défaillances de se reproduire .
Combien sont pitoyables ces drames de la séduction qui
conduisent à l'infanticide, et combien ils ressemblent à ceux
d'aujourd'hui!
Un exemple entre cent de la façon dont les choses se
passent. Je laisse parler les documents:
Extrait des registres du greJfe de la juridiction des
reg aires de Léon à Saint-Gouesnou. « Du sixième aoust mil
sept cent vingt-deux, au bourg de Goueznou, à l'auditoire
du tablier du greffe, a comparu Ollivier Omnès, demeurant

au village de Kerlanou, parroisse de Guitalmézeau (Plou­
dalmézeau), assisté de Me Letersec son pr., lequel a déclaré
ne la maison où demeure ledit Omnès appartient à monsieur
e Kerpeoch-Mathezou, et est située au fieff de cette juri-
diction, qu'il dépend de sa ferme une petitte maisonnette
à la nommée Marguerite Mengant, jeune
qu'il a soufermé
fille, qui a accouché la nuit du dimanche à lundi dernier
d'un enfant inalle, ce qui est venu à sa connoissance parce
que il soubçonna ledit jour du dimanche qu'elle estoit
avertir monsieur
enceinte, ce qui fit que le lundi matin il fit
recteur d'y aller, affin d'en connoitre la vérité, que mondit
sieur le recteur ayant dit ne pouvoir s'y transporter, il fit
Jean Corre, prétre, sieur curé de laditte
mender mis
lorsqu'il fut venu, il lui donna l'ordre di
parroisse, auquel
aller ; et ,ledit sieur Corre ayant pris avec lui Laurence
Gourniel, matronne, demeurante au bourg dudit Guit.al­
Omnés jusques à
mézeau, ils furent ensemble avecq led.
laditte petitte maisonnette, et estant rendus auprès de la
porte, l'ayant trouvée fermée, ils en demandèrent ouverture,
à laditte Mengant, c,e qu.'elle reffusa de fair,e, disant qu'elle
d'un mal de teste, ue ledit Omnès voyant
estoit indisposée
lut
son insistance menaça d'enfoncer a porte si elle ne
ouverte de gré. Elle l'ouvrit enffin, et ledit Omnès, ayant
entré avecq mondit sieur le curé et laditte matronne dans
remarquèrent dans le lit où elle
laditte maIsonnette, y
marques qui lui donnèreut lieu de présumer
couchait des
qu'elle avoit accouché, ce qui fit que quelqu'un des autres
personnes qui avoient aussi entrés avec eux dans laditte
maisonnette arrachèrent dessus led. lit les bernes qui y
estoient et ses hardes estant osté on trouva un arrière fais'
un petit enffant malle, mais qui paraissait nouvellement
sieur le curé ayant demandé à laditte Mengant
né, que mondit
si elle avoit baptisé led. enfant depuis qn'elle avoit accouché,
et qu'il estoit venu mort au monde et
elle lui dit que non
encore accouchée sans qu'il n'y eut eu personne à son ayde
ledit jour de lundi à l'aube du jour, depuis lequel temps on
garde la mère dans la maison et l'enfant enveloppé dans une
auprès, et au dehors par des personnes que
desdittes bernes
Landégare a mis pour cet effet; ce qui fait que
monsieur de
Omnès vient faire la présente déclaration, affin que
ledit
avertir messieurs les juges pour qu'ils ayent à
, l'on puisse
descendre sur les lieux s'ils voyent le devoir faire ... »
Le sénéchal, sur les conclusions du pl'. fiscal, ordonne la
descente pour le lendemain. L'opération siexécute selon les

formes accoutumées, et les deux chirurgiens qui ont accom­
pagné les magistrats déclarent que le nouveau-né a respiré:
qu'il a dû ,être « suffoqué et estouffé après avoir esté nê
vivant. )) La fille Mengant est ecrouée. à la prison de Pon­
taniou, le 8 aoùt, et sans retard interrogée par le sénéchal
des regaires, assisté de son greffier et d'un interprète.
L'accusée a 33 ans; sa profession est (( d'aller en journée
chez les ménagères. ))
( Interrogéeà qui elle attribue l'enfens dont elle a accouché.
- Hépond que c'est à Jean Le Melloc: meunier du moulin
avans de Porzal, de la paroisse de Ploudalmézeau, homme
marié et ayant sa femme en vie.
« Interrogée en quel temps et en quel endroit led.· Le
Melloc a joui d'elle pour la première fois. Répond qp.e,
un certain jour de l'hiver dernier, sans pouvoir positivement
citer en mémoire le jour, l'interrogée revenant de travailler
à la journée sans. qu'elle se souvienne non plus chez qui elle
avoit esté ce jour-là, passant environ l'heure de minuit dans
le champ nommé ... en ladite paroisse de Ploudalmézeau,
elle rencontra près du courtil dud. sieur Omnés, dud. Ker­
lannou: situé à une portée d·e voix de la demeure de l'inter­
rogée, elle rencontra ledit Melloc, qui la prit à la brassée
sans luy dire presque rien et la jeta par terre et ensuitte
jouit d'elle par force, sans qu'elle put l'empêcher, outre
qu'elle eut peur que led. Melloc ne l'auroit maltraitée ... , puis
qu'il se retira et la laissa là seule ... Que ledit Mellocne luy dit
presque rien et qu'elle a oublié ce qu'il luy dit ... Que ledit
Melloc demeuroit loin au moulin de Keruzin, paroisse de
Lampaul-Ploudalmézeau, éloigné de l'endroit où (il) l'attaqua
d'environ deux portées de voix. » Elle ne sait s'il y avait des
paysans qui auraient pu apercevoir Melloc ; la nuit était très
obscure: elle fut jetée par terre si violemment qu'elle n'eut
pas la force de crier; elle n'a parlé du fait à qui que ce soit;
elle ne s'est aperçue de s'a grossesse qne deux mois avant

son terme; elle ne pensait point qu'elle accoucherait si tôt;
surprise par les douleurs, elle a cru qu'elle allait mO,urir;
l'enfant est venu mort, elle l'a déposé à côté d'elle. Elle a
revu quelquefois M.elloc depuis son agression, elle lui a
appris son état de grossesse, mais ils n'ont eu ensemble
aucune relation intime. Elle n'a pas eu d'autre enfant. Elle
n'avait pas l'intention de céler ses couches, moins encore
celle de tuer son enfant. Son accouchement a été si subit et
si pénible, qu'elle a eu une faiblesse; quand elle a repris
ses sens, elle a vu que son enfant était mort.
Sentence définitive du 2 octobre. « Avons déclaré ladite
Marguerite Mengant, accusée, duement atteinte et convaincue
sa grossesse, d'avoir accouché la nuit du
d'avoir recellé
deux au lundi troisième août dernier, dans sa
dimanche
maison, sa porte fermée sur elle, au village de Kerlannou,
d'un enfant malle, et d'avoir
paroisse de Ploudalmézeau,
lit ;
estouffé ledit enfant, iceluy caché dans la paille de son
pour réparation de quoy l'avons condamnée à estre pendue
et estranglée jusqu'à ce que mort s'ensuive par l'exécuteur
de la haute justice, à une potence qui sera à cet effet levée et
érigée sur la place du Champ-de-Bataille de cette ville
(Brest ), fieff de cette Cour, l'avons condamnée en vingt livres
d'amende envers le Roy, déclare ses biens meubles acquis
confisqués au proffit de la seigneurie ... »
La condamnée déclara « estre avec respect appellante ». Le
Parlement n'aura fait que ratifier la sentence des juges des

regaires de Léon, peut-être en ajoutant le supplément
assez ordinaire du brûlement du corps, après le supplice .
VII.
Le suicide, antrefois si rare, devient de plus en plus
fréquent, au XVIIIe siècle, à mesure que les croyances reli­
gieuses s'affaiblissent, battues en bréche par les doctrines
philosophiques. On l'observe dans toutes les couches de
la population, parmi les civils et parmi les militaires. Mais
il semble encore une exception singulière chez les femmes.
Il est qualifié crime. Procédure est instruite contre. ceux qui

se sont volontairement donné la mort ; toutefois, mieux
traités que les délinquants vivants, les suicidés ont un
défenseur ou curateur d'of!ice, chargé de présenter les raisons
susceptibles d'excuser leur attentat et de leur éviter un
châtiment. Celui-ci, pour être rétrospectif et très indirect,
n'en est pas moins redoutable: seulement: c'est la famille
qu'il atteint. L'on n'exécute plus guère le traînement du
cadavre sur la claie ni sa pendaison par les pieds au gibet.
Mais on continue à prononcer la flétrissure de la mémoire
et la confiscation des biens du sujcidé, et ce sont les siens
qu~, par contre-coup: la sentence déshonore et ruine.
C'est parmi les dossiers de la sénéchaussée royale de
Brest qne j'ai découvert la plus curieuse procédure relative
au suicide .. L'bistoire est d'ordre passionnel. On la dirait
d'hier ou d'aujourd'hui, si l'on en supprimait quelques
détails qui lui conservent sa couleur de l'autre époque.
Les époux Desbois ont abandonné un petit commerce,
pour se lancer tous deux, jeunes et un peu bohèmes, dans
la vie de théâtre. Le mari se met à la tête d'une troupe
d'acteurs, qui va jouer en diverses villes du royaume, et la
femme, Marie-Jeanne-Rose, plus connue sous le nom de « la
Dumas», monte sur la scène, où, soit par les agréments de
sa personne, soit par ses qualités d'artiste, elle obtient des
succès. Succès doubles, de comédienne et de femme galante,
car elle est d'accès facile, avide de distractions et coquette,
et les amants ne lui manquent point. A Brest, la Dumas (que
son mari laisse très libre de sa conduite, ayant lui-même des
intrigues amoureuses particulières), continue l'existence
qu'elle a menée partout. Mais l'âge est venu, prématurément,
où, sous l'usure de la débauche, les charmes ont commencé
à se flétrir. La Dumas est délaissée par un comédien qu'elle
aime et elle a pour dernier entreteneur un simple commis
de marine, hors d'état de fournir à ses goûts de dépense et
de luxe. La femme pressent sa chute, entrevoit la misère,

la misère hideuse de la basse prostitution, et, dans un
moment de réflexion sinistre, froidement, avec un parti-pris
qui dénote le plus grand courage, elle s'empoisonne avec de
l'arsenic. Tout aussitôt, devant le bruit public et à la requête
du procureur fiscal des reg'aires de Gouesnou (la suicidée a
son logis dans la Grand'rue, dépendance partielle du fief
épiscopal de Léon), le sénéchal Sauveur de Coatiogan fait
une descente sur les lieux: accompagné de chirurgiens
(26 avril 1786). Les experts établissent des présomptions
suffisantes de suicide par empoisonnement, et, sur l'ordre
du magistrat, ils procèdent à l'embaumement, c'est-à-dire à
la salaison du cadavre, cc afin de le pouvoir conserver ». Le
10 juin, un décret de prise de corps est lancé contre le
cadavre. Mais l'affaire, jusque-là instruite par la juridiction

des regaires de Gouesnou, est évoquée par devant la séné­
chaussée royale.
On nomme un curateur au cadavre: il est interrogé le
17 octobre, par messire Ollivier Bergevin, sénéchal, premier
magistrat civil, criminel et de police, au siège royal de Brest.
Le curateur, procureur (avoué) auprès de ce siège, Florentin
Le Bronsort, a une tâche ingrate. Il n'a guère été initié à
l'affaire et il ne doit défendre sa cliente... défunte que par
réponses précises aux questions du sénéchal. Il ne connaissait
la Dumas « que de vue)), déclare-t-il, il ignore les circons­
tances de sa mort; ce qU'il sait, relativement à cette femme,
il l'a appris d'après le bruit public ou par des comédiens .
D'après divers renseignements, il a lieu de présumer que la
malheureuse était folle, du moins qu' « elle avoit parfois
l'esprit aliéné. » Il a connaissance cc qu'elle se mettait sur le
ton des filles entretenues. » Il ne peut dire si, comme on le
lui demande, elle vivait avec un sieur Jonquière, commis de
la marine; si elle s'est plainte avec dépit d'un refus de
bijoux que celui-ci lui aurait fait; si elle se trouvait si misé­
r.able, que la vie fut pour elle un fardeau, etc. Mais il l'a,

quelque temps avant son décès, « rencontrée dans la Grande
Rue, elle lui parut de la plus grande tristesse et elle se porta
le poing au front deux ou trois fois. » A-t-elle, deux ou
trois jours avant sa mort, acheté deux onces de mort-aux-
rats chez la dame Audiffret, tenant boutique d'apothicaire,
achat renouvelé le lendemain? Connaissait-elle la compo­
sition de la mort-aux-rats? Quel usage en voulait-elle faire?
- Le curateur répond qu'il l'ignore. « Interrogé si environ
les neuf heures et demie du soir du 25 au 26 avril dernier,
elle ne délaya pas dans un verre d'eau fraiche la mort-aux­
rats et ce pour éviter le dégoût de la pâte qui envelopoit
l'arsenic dont cette mort-aux-rats étoit composée, elle ne
passa pas le tout dans un linge, et, cette opération faite, elle
ne remua pas avec le doigt la liqueur en provenant, elle
n'avala pas dans cet état le poison qu'elle renfermoit. » Le
curateur ignore aussi ces détails; il a appris l'empoison-
nement par voie indirecte, mais le sieur Ouvray, comédien,
a dit devant lui « que cet empoisonnement est une suite de
la folie de cette femme. » Si 'ladite Dumas n'a pas monté
le théâtre à Limoges avec son mari; si elle n'a pas suivi de
Limoges à Paris le sieur Ouvray, si celui-ci n'est pas venu
avec elle à Brest, où ils ont vécu ensemble; si, abandonnée
par Ouvray, elle n'est pas tombée dans le désespoir? L'inter­
rogé a seulement su qu'Ouvray et la Dumas avaient vécu
ensemble. Si, après avoir pris le poison, elle a eu des
vomissements, des évacuations, des douleurs aiguës; si elle .
n a pas avoue aux premIeres personnes accourues aupres
d'elle qu'elle venait de s'empoisonner avec de la mort-aux­
rats? L'interrogé l'ignore. Si elle n'a pas écrit, avant de
prendre le poison, audit Ouvray, et de sang-froid, une lettre
cachetée en noir et ainsi conçue : « Je vous renvoie cet '
anneau, Ouvray, il servit à deux de vos victimes, il doit vous
être cher, puissiez-vous. être heureux et (il y a ici une
omission) vous pardonne ma mort comme je vous la par­
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XIX. (Mémoires). 18.

donne, car sans vous, ha! Dieu. )) Si elle n'a pas écrit aussi,
sur un papier plié, portant en inscription: « Mon nom
propre, pour mon extrait mortuaire, par rapport à mes
» et au dedans: « Mon extrait mortuaire, Marie­
enfants,
Jeanne-Rose 10bel, épouse d'Abel-Dominique Des Bois,
distillateur et parfumeur de Paris, décédée à Brest
confiseur
le ... » L'interrogé déclare qu'il n'a pas eu connaissance de
lettres, et, sur leur présentation, qu'il n'a jamais eu sous
ces
yeux une ligne d'écriture de la Dumas; si elle a écrit ces
les
lettres, « il est possible que ce soit par une suitte de l'allié-
nation d'esprit. » .
Le 5 mars 1787 seulement, sur les conclusions du pr. du
Hoi, le procès contre le « cadavre de laditte Marie-J eanne-Rose
Lobel» est réglé à l'extraordinaire. En même temps, l'on
instruit contre le garçon apothicaire qui a délivré la subs­
tance toxique sans se conformer aux règlements, le sieur
Durand, et contre sa patronne, responsable de la tenue de la
boutique; la demoiselle Audiffret.
Un incident sun·ient. Le cadavre de la Dumas a été
« embaumé et sallé », car il doit garder, en quelque sorte,
personnalité juridique . . Mais le procédé employé par les
chirurgiens, très sommaire, suffisant pour la conservation
d'un corps pendant une courte période, ne l'avait pu assurer
au cours d'une procédure aussi prolongée. Les restes de la
comédienne, déposés dans un cachot du Château, "exhalaient
-une odeur infecte, qui incommodait les prisonniers et le
. personnel de la geôle. Les juges, informés, ordonnent une
visite du cadavre par deux chirurgiens.
(( Nous, sous signés, Georges Hugot-Derville, chirurgien­
major de l'hôpital militaire de Brest, et Jacque Bédor, aussi
chirurgien dud: hôpital, tous déux jurés au rapport, demeu­
rant séparément, l'un dans la rue du Château et l'autre rue
Traverse de l'hôpital, nO 24, même paroisse de Saint-Louis.
Certifions et rapportons qu'en vertu 'de l'assignation à nous

donné par ordre de messieurs les juges du siège royal dè
Brest, nous nous sommes transportes en leur compagnie
jusqu'au Château de lad. villè de Brest, où étant arrivé et
ayant requis l~ geôlier et son garçon, lesquels ont ouvert un
petit cachot situé à droite sous le portique des prisons, au
près de la grande tour du château, dans lequel cachot avons
trouvé une grande boîte formant un carré alongé, dont une
extrémité plus large tle quelques pouces que l'autre; en
ayant fait faire l'ouverture, toujours en présence de messieurs
les juges, nous y avons trouvés, vus, reconnus et faiL vOÏl',
les ossemens d'un cadavre humain, que l'on nous a assurés
être celui de madame Dumas, dont quelques parties étoient
cachées par des étoupes et d'autres étoieilt à nuds, le tout
recouvert d'une végétation appelée moisissure,. effet consé­
cutif d'une fermentation non interrompue, qui (est) déterminé
par la pourriture; de toutes ces parties il s'exhalait une
odeur infecte, pénétrante, qui se portoit au loin et nuisoit
non seulement aux voisins, mais même aux passants;
comme il est prouvé que les mauvaises odeurs sont cause de
maladie, nous croyons qu'il est indispensable de faire
inhumer les restes du cadavre et qu'aucune considération ne
doivent l'empêcher. Tel est notre rapport; faisons offre dy
être répettés lorsque de justice nous en serons requis. ~)
Sur ce, le procureur du Roi, après la tépétition des chi­
rurgiens .et un nouvel interrogatoire du curateur, requiert
l'inhumation, que . le sénéchal ordonne par sentence du
28 mars : « Avons ordonné que par provision le cadavre de
laditte Lobel. .. sera inhumé en terre profane, dont procès­
verbal sera rapporté par des huissiers, qui demeurera
d'attache au procès, et que ledit curateur nommé de justice
audit cadavre continuera de l'être à la mémoire de laditte
Lobel » (il n'aura plus à se préoccuper d'une application ma­
térielle et effective de la loi toujours existante au cadavre lui­
même: mais le prononcé de la sentence est ici de pure forme) .

L'arrêt défmitif, sur les conclusions du Procureur du Roi,
est rendu le 12 janvier 1788 : .
« Avons déclaré et déclarons laditte Marie-Jeanne-Rose
Des Bois, ditte Dumas, duement atteinte et
Lobel, femme
convaincue d'avoir, dans le courant des mois de mars et
avril de l'année de mil sept cent uare-vingt-six, acheté à
deux différentes reprises, de Jean urand, garçon apothi­
caire chez mademoiselle Gilette Audiffret, environ quatre
onces de pillules diites mort-aux-rats. composées d'arsenic
enveloppé dans neuf dixièmes ou envIron de mie de pain et
de farine, d'avoir délayée lesdittes pillules dans de l'eau,
d'avoir ensuite passé le tout par un linge et de s'être rendue
coupable de suicide- , en prenant volontairement ce breuvag'e,
vingt-cinq avril dit ou environ les neuf heures du soir,
pour réparation de quoy avons condamné et condamnons sa
mémoire à perpétuité et avons déclaré et déclarons ses biens
et confisqués au profit de qui il appar­
meubles acquis
tiendra, .. »
Mais la Dumas ne possédait plus rien qui vaille! 11 faut
cependant que la justice rentre dans ses frais : elle associe
ingénieusement, dans le paiement des dépens, et par soli­
darité, le garçon apothicaIre et sa patronne, pour vente
irrégulière d'un produit toxique.
C'est en réalité la demoiselle Audiffret, dont le garçon a
c-ommis une infraction banale, à solder la note
qUi aura
ultime ... plus de 800 livres. (1)
P. S. Dans le cours de ce travail, on a mentionné la
juridiction de Conq-Fouesnant et Rostrenen: c'est Rospor­
den qu'il faut lire au lieu de Rostrenen .

- (t) Il ne faut pas s'étonner de voir une femme à la tête d'une apothi­
cairie. Dans les profes~ions non libérales, les maîtrises étaient une pro­
priété, susceptible de transfert, la veuve du titulaire et ses eQ.fants la
pouvaient administrer eux-mêmes, sans posséder les certificats profes­
sionnels, à la condition d'avoir un gèrant capable, admis pal' la corporation.