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Bulletin SAF 1892


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Origine de l’hymne Languentibus

M. de la Villemarqué

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XIII
ORIGINE DE L'HYMNE (( LANGUENTIBUS )) .
Une eereue semble avoie été commise dans le Bulletin de la
Société aechéologique par le président lui-même, et il importe
d'autant plus de la relever: on lit dans ce Bulletin, à propos
des Jaculatores beetons, à l'article de saint Goeznou
(t. XIV; 1887, p. 351) que l'auteur de laprose Languentibus

in purgatorio était abbé de Landévennec, qu'il vivait en 1350
et avait nom Jan de Lan Goeznou. Vérification faite de cette
assertion, voici, paraît-il, qu'elle serait la vérité. Si elle est

en contradiction avec les critiques bretons les plus autorisés
tels que M. Pol de Courcy (Nobiliaire de Bretagne, p. 259,
éd. de 1846) et M. Le Vot. (Biographie bretonne, t. II~ p. 143 ;
1857) et même avec l'opinion courante, elle n'en est pas
moins discutable. M. Le Vot s'exprime ainsi: .
«LA~GOUEZNOU (dom Jean), bénédictin et abbé du monas-
. tère dé Landévennec, vivait dans le XIVe siècle ... Langouez­
nou, témoin des miracles arrivés au Folgoat, après la mort
du })ienheureux Salaün, en 1350, écrivit en « bon latin »
l'Histoire miraculeuse contenant le 1nystère de Notre-Dame
du Folgoet ou Foulgoat, aufond de la Basse-Bretaigne, ad­
l'an 1350, et solennisé au premier jour de
venue environ
novembl'e, leste de Toussaints, ou à la my-oust, en mémoire
de sainct Salaün, extraite da tré~or de l'église du pai's
mes me où il est révéré. »
« Cette lég'ende (latine) existait encore en 1.562, continue
M. Le Vot, et fut alors communiquée pal' le R. P.
Rolland de Neufville, évêque de Léon, à René Benoist (doc­
teur en théologie, curé de Saint-Eustache, à Paris) et à
Pascal Robin qui en firent une traduct.ion (française) ou
plutôt une paraphrase, insérée d'abord dans la Légende de

René Gautier (XVIe siècle) à la date du 8 mars et ensuite par
le p. Albert Le Grand, dÇ.\.ns ses Vies des saints de Bl>etagne.
Elle a été reproduite avec un cantique (latin) du même
auteur (J. de Langoueznou) en l'honneut' de la bienheureuse
vierge Marie: dans la fl'ouvelle édition des Vies des Saints
(de Bretagne), Brest, 1837, in-4° (p. 7. ). »
A défaut du texte original dont la perte est tl'ès regr'et­
et dont la date précise est d'ailleurs inconnue, il faut se
table
contenter de la pal'aphf'ase français e faite au X VIe siècle et
des citations suivantes, repl'oduites pal' le P. carme Cyrille Le
pennec, en 1G29: lecfusejus (Salaün), nudu8 erat humus,
capitis cervical lapis, idque suu arbore tortuosa et mudicum .
a terra erecta juxta huncfontem ... Nullo unquan alio cibo,
patuve utens q.uam pane made/acto: « Sr;tlaun camecleret
panem, Salaun a depprè bara. »)
Quànt à l'hymne latin, vqici les paroles que prêté à Jean
de Langoeznou , le parapl,l.raste français de Paris, plus
admir'ateur des vertus du « simple et pau Vl'e Innocent ») que
du baragouin du païs, comme il qualifie irrévérencieusement
la langue bretonne: « Je, Jan de Langoueznou: abbé dudit
lieu de Landévennec: ay esté pl:ésent au miraCle (mystère)
cy-dessus, l'ay veu, ouy, et si l'ay mis par escrit à l'honneur
de Dieu et de la benoiste vierge Marie; et, afin que je puisse
mériter d'avoir place de repos éternel avec le simple et
pauvre Innocent, j'ay composé un cantique en latin pour les
Trépassez, auquel il y a six fois 6 Maria! 6 Maria! lequel
est encore jusques aujourd'huy solennellement chanté en
très grande dévotion en nostre Royal Moustier et par tous
les prieuréS' qui en dépendent, comme aussy .en plusieurs
austres lieux: et est tel qu'il s'en suit en latin. )) (Mystèr'e du
Folgoat, p. 71).
Suit efIectivement le texte latin. du cantique, accompagné
d'une imitation en vers français. S'il n'y il pas lieu de révo­
quer en doute ce texte latin, on düit'hardiement repousser

l'authenticité
du certificat .donné
à par
l'auleur

curé parisien, Jamais aucun abbé de Landévennec n'a qua-
lifié son monastère de nostre royal Moustier, et d'ailleurs
aucun abbé dudit lieu, excepté JEAN Le Porc (Johannes dictus
POl'CUS) n'a reçu au baptême le nom de Jean; après lui et à
la date qu'il faudrait, viennent Ives Gorrn'on, du Léon (Eudo
Gormon, de.l .. eonia), Alain Piezres et Armel de la Villeneuve,
de Languern. (M. de la Borderie, Cartulaire, p. 144). Non
moins imaginaires sont les paroles fr-ançaises attribuées à
ce prétendu abbé: « Moi, dom Jean de Langoeznou, abbé
du Moustier royal de Guennolé, dict en breton Landévennec,
au diocèse de Cornouaille. escris cecy. )) En 1350, époque
où l'on fait florir Salaün, sous U l'bain V, ce n'est pas ce
pape qui vivait, mais Clément VI (1342-1352). Pour donner
place à Jean de Langoueznou parmi les abbés de Landé- ,
vennec, il faudrait reco:1l1aître à Guy Autl'et de Missi1'Î.en
plus d'autorité qu'à dom Morice qui n'a pas voulu l'admettre
dans son catalogue de l'abbaye, et avoir la preuve que Jean
de Langoueznou doit figurer réellement entre Yves GOl'mon ,
mort le 7 juin 1344, et Armel, de Languern, décédé le 22
juillet 1362. Jusqu'à cette preuve, il sera permis de douter
de la paternité du cantique Languentibus .
Quel qüe soit l'auteur des paroles, la mélodie est remar-
. quâble et elle mérite d'être consel'vée.
Comme on sait, elle a été inspirée par le pauvre fou du
bOLS; c'est là vr'uimeîlt le lys qüe la légende fait sortir de
sa bouche, après sa mort, et elle est digne du chef­
d'œuvre en granit qui s'élève au-dessUs de sa tombe. Comme
les vers, dit-on, sont enfants de la lyre, et 'qu'il faut les
chanter non les lire, nous reproduieons la musique qui a
un caractère particulier et lout à fait populaire; mais il
serait nécessaire de posséder pour l'étudier la science de
quelque maître, de M. Charles Collin, pal' exemple.
Ce n'est qu'un cri modulé. La teadition est unanimep.our .

dire que le pauvr'e fou, du haut de l'arbl'e où il était. mont.~
et où il se balançait au-dessus de la fontaine glacée: chan­
tait toujours 6 .' o! o! o! 0,' o! six fois; puis, im+oquant. la
Sainte-Vierge, répétait: IYlaria! « C'estoit sa mode, . dit un
vieil auteur, d'entonnel' les louang'es de la Heine des
Cieux. » Il la tenait de la roi. Inutile de rappeler les
sept invocations à la Sagesse: à l'Adonaï, à la racine de
Jessé, à la Clé de David: à l'Ol'ient, au Saint des saints, au
Hoi des nations, à Emmanuel, au Pasteur d'Israël: 6 Sa­
pientia, 6 Adonai, 6 Radix Jesse, 6 Clavis David, etc.,
qu'on entend partout.: au temps rl8 l'Avellt. dans l'Eglise
un i verselle. .
Sainte-Beuve n'a eu gàrde d 'oublier <.:es beaux Rorale,
ces Consolamint, ni M. Taille ces « vraies larmes», « ces vl'ais .
cris )J, exprimant d'autant mo'ns que le cœue sellt plus
• vivement. (Littérature anglaise, T. l, 31, 168 passim.)
Avant ~UX, Bossuet avait signalé magistralement les 0 :
« dites 6, en silence; n'y ajoutant rien: ô adorer! ô louer!
ô désirer! ô attendl'e! ô gémir! ô admit'er! ô l'egl'etter ! ô
entl'er dans son néant! ô i'unaitre avec le Sauveur! ô l'auil'er
du ciel! ô s'unil' à lui! Ô s'étonner de sou bouheur dans une
chaste jouissance! <Î êtr'e doux et humble de cœur'! Ô êtee
ardent! Ô êtl'e fidèle! Qu'y a-t-il de moins qu'un 0; mais
qu'y a-t.-il de pl~lS grand Llue ce simple cr'i du cœur? T'oute
l'éloquence du monde est dans cet 0 .. et je Be sais plus qu'en
diee tant je m'y per'ds. (A Meaux, ce Hf décembre 1695 .
Lettres à la sœw' CornuaLl~ du Jouarre, publiées par M . de
Sacy, de l'Académie française). . .
Seulement Bossuet chante auprès d'un bereeall, et son
chant est un Alleluia; l'autelll' de Languentibus, au con­
hail'e, pleur'e sué une tombe, et SOI1 eœut' breton sanglotte au
souvenir des tl'ppassés de son pays, pour lesquels il prie la
Sainte-Vierge .
Nous empruntons l'annotation en plain-chant musical à
BULLETIN ARCHÉOL. ]JU FINISTERE. . TOME XIX. (l\iémoiresl. 13 .

1'Office des AIorts selon le rite romain) p. 102 (Saillt-Bl'ieuc,
chez E. Prud'homme 1874. ) Le motet latin est tiré de la Vie

des Saints de Bretagne, 2 éd. 18~37) p. 71.
Lauguelltibus in pmgatorio,
Qui purgantnr ardore nimio,
Et torquentur sine remedio,
SubvClliat tua cOll1passio,
o MAlUA !
Ifons es patens, qui culpas aLIuis,
Omnes sallas et nullum respuis ;
Mannm tuaL11 extende mortuis
Qui sub pŒmis languent continuis,
o MAlUA!
Ad te, Pia, suspirallt mortui,
Cnpientes de pœnis eru i,
Et adosse tuo conspectui,
Et gaudiis œternis perfrui,
o MAlUA !

Clavis David, qU<.B cœIum apetfs,
Nunc, Beata, succurre miseris,
Qui tormelltis torquentm asperis,
Ednc eos de domo carceris,
o MAnIA!
Lex justorum, nonna credent.ium,
Vera salus in te speralltium,
Pro dofunctis sit tibi studium
Assidue orare Filinm,
o "MAnIA l
nenedicta per tua merita,
Te rogmnus, mortllos suscita,
Et dimitteus eorum debita,
Ad requiem sis eis semita,
o "MARIA!
Le curé parisien (1562) traduit en français ce mot) de la
façon suivante:
o Marie! ô vierge de gloire,
Ayde aux captifs, en Purgatoire,

Qui sont trop ardemment purgez
Et sans nul remède affligez.
o Marie! ô large fontaine!
Qui l'âme' il tous rends toute saine,
Preste ta main anx trépassez
Qui de langueur sont oppressez .
o Marie! ô vierge bénine !
,L'amour de ta clarté divine
Letir faict ta face désirer
POllr se voir par toi bienheurex.
o Marie! ô la clef qui ouvres
La porte du ciel et secoures
Les misérables et chétif~,
Oste de prison ces captifs.
o Marie! Ô lov du fidèle!

o règle de vie étdrnelle !
Veuilles impétrer de ton fils
Pour les trespas~ez Paradis .
o Marie! ô vierge bénite ~
Nous te prions, par ton mérite,
De mettre les morts au chemin
Du repos qui dure sans fin !

mOlfiS
encore
Le P. Cyrille Le Pennee (lG29) a essayé
heureusement de paraphraser le motet latin:
Douce Vierge Marie, aye pitié des âmes
Qlli, dans le Purgatoire, endurent. grièvement
La violente ardeur des impiteuses flammes,
ton doux seCOUl'$, allège lour tonrment.
Et, par
Mais ni l'un ni l'autre n'a suivi le l>hythme latin à qua­
druple rime et en vers de dix pieds, avec césure au qua­
trième, et l'ail' ne peut se chanter sur leurs paroles. Si le
premier a reproduit les 0 caractéristiques, et les a même
répétés douze fois au lieu de six, il ne les a pas mis à la
rime, comme dans le couplet original. Pour répondre à la
. mélodie, il 'eût dû faire quatre vers français monorimes de

pt'ès conformes à l'essai
dix pieds, ù peu
suivant.
quelque

faible qu'il soit. :
Aux Trépassés souffrant ùe mille mnux,
En Purgatoire, épronvés sans repos,
Comme ln flamme épure les métaux,
Daignez donner secours cn lClll'S tra vanx,
o Marin!
Un poète qlli a clulnté la Bl'etagne en vers français dignes

d'elle, et qui eCLI; su tradllit'c convenablement le Languen-
tibus, exprime un regt'et à la fin d'une de ses chansons:

Ce chant qui de mon cœur s'élAve,
D'où vient ([u'en pleurant je l'achôyr. ?
a-t-il dit.
{Je même l'egl'ct a été épl'()llvé pal' les auditeurs du
Languentibus, aux 1'unéeailles de notre vénél'é confrère,
Mgr Lamarche; mais l'évêque eût-il approuvé la correction
du troisième vers du premier couplet, ce changement de
sine remedia en g7'avi supplicia?
Je ne pGlrle pas du nouveau couplet:
Summi Regis mater nt filin,
Quœ supplici ornnipotcntia
Pel' t1lium impetras ol11nÎn,
Sis defunctis semper propitin,
o Maria!
Quant à la mélodie originale, pourquoi ravoir remplacée
par un autre air 'r Quoique chanté admirablement, ce nouvel
air a surpris beaucoup d'auditeurs, et le président de la
Société archéologique a cru devoir demander la cause de
l'innovation à l'habile organiste de.la eathédrale de Quimper.
A sa respectueuse question , M. l'abbé Bargilliat a ré­
pondu:
« Il m'est impossible de vous l'enseigner en ce moment
sur l'origine de la musique de Langucntibus que nous
avons chantée au service de 'Mgr Lamarche. Nous l'avons
empruntée au recueil des Va7'ùE prœces, édité par les Béné- .

dictins de Solesmes; ils l'aul'ont recueilli dans quelqu'ancien
manuscrit, car ils s'appliquent à ne publier que des pièces
remontant à l'époque où le plaill-chant était conservé dans
toute sa pureté. )) .
En attendant une réponse qui ne peut manquer d'éclairer
les membres de la Société archéolog~que du Finistère, ils
font des réserves très naturelles.
H. DE LA VILLEl\lAHQUÉ.