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Bulletin SAF 1892


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Portraits d’Alain Fergent et d’Ermengarde

M. Trévédy

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VIII .

ICONOGRAPHIE BRETONNE
PORTRAITS D'A~AIN ~'ERGENT ET D'ER ENGARDE

D. Lobineau (p. 105 et 108), D. Morice (1. p. 90 et 98); ,
donnent deux dessins de Chaperon, gravés par Nicolas
Pitau (1), représentant Alain Fergent et sa femme Ermen­
garde d'Anjou, d'après des, tableaux existant dans l'église
abbatiale de Saint-Sauveur de Redon. L'auteur de l'Icono-

graphie Bretonne mentionne ces deux gravures; il signale
en outre deux gravures des mêmes tableaux dues à Stuerhelt.
Il n'examine pas si l'attribution de ces portraits est bien

certame.
On peut voir au Musée archéologique d'Angers la planche
gravée sur cuivre de Stuerhelt. Cette planche vient d'être
étudiée par M. d'Espinay, ancien conseiller à la cour
d'Angers, président honoraire de la Société d'agriculture,
sciences et arts, qui a succédé à l'ancienne Académie d'An­
gers. M. d'Espinay conteste l'attribution des portraits à
Alain et Erinengarde, et il en propose une autre.
En même temps qu'il creusait les plus lointaines origines
de l'histoire d'Anjou et qu'il pénétrait les mystères de ses
plus anciennes coutumes, M. d'Espinay a fait une étude
particulière du cos t'ume ; et c'est le costume d'Alain Fergent
et d'Ermengarde qui lui fournit ses principaux arguments.
____ •• _ , _________________________________ :0, ___ •• _'*" __ 21_::'_. ___ 222,_. _______ z iF
(1) Sans dou te le fi Is, mort en 1724.

Voici la note qu'il a bien voulu me remettre:

Portraits d'Ennengarde et d'Alain Fergent, donnés par
D; Lobineau et D. Moriee.
Le Musée archéologique d'Angers possède la planche
gl~avée sur cuivre par S'tuerhelt du portrait d'Ermengarde,
mais non celle du portrait d'Alain Fergent. D'après cette
planche, le costume est identique à celui du dessin de
Chaperon, reproduit dans les ouvrages de D. Lobineau et
de D. Moriee : même coiffure, même robe ouverte en cœur,
avec chemisette, robe longue et traînante, ceintur'e placée
tI'ès haut. La seule différence consiste en ce que le dessin
de Chaperon donne à Ermengarde un collier de perles avec
une croix pendante, tandis que sur la planche de Stuerhelt,

le collier n'est pas reproduit, et la croix est remplacée par
un fermail placé sur la chemisette. Sur les deux, Ermengarde
porte de petits pendants d'oreille en perles, qui très pro­
bablement n'existaient pas sur l'original et ont été ajoutés
par les graveurs suivant la mode de leur temps.
Sauf ces légères variantes, l'identité des deux planches
est une garantie de leur exactitude.
Le costume est celui du XVe siècle et non celui du XII~.
On peut consulter à cet égard tous les manuscrits, et l'his­
toire clLL costwne de Quichel'at. Il n'y a pas de doute possible,
b.nt pour le mal'i que pour la femme: ce sont des person­
nages habillés ù la mode du temps de Charles VII.
D. Lobineau met au bas de la gravure que: les tableaux
sont à l'huile et ne sont pas par conséquent du temps d'Alain
Fergent; il ajoute qu'ils doivent avoir été copiés sur quelque
vitrail on quelque miniature. Si D. Lobineau avait mieux
connu l'histoire du costume, il n'eùt pas fait cette obser­
VGtiOD. Au temps de Chades VII on peignait à l'huile et les

tableauX dont il s'agit ont pu parfaitement avoir été peints
de son temps. Van Eyck (1370-1450) peignait à l'huile.
Si la peinture des portraits est postérieure à cette époque,
s'ils ont été copiés sur un 'vitrail ou sur un manuscrit, ce
vitrail ou ce manuscrit ne pourrait être p1us ancien que
le temps de Charles VII : le costume en fournit une
preuve évidente. Les portraits peints ou leurs 'modèles ne
remontent certainement pas plus haut.
D'où provient leur attribution à Alain Fergent et à Ermen­
ga~de ? On n'en sait rien. Pure tradition sans base et qui
n'est probablement qu'u1.e supposition, imaginée pUl' les
écrivains ou par les propriétaires des tableaux. Pourquoi
aurait-on peint! au XVe siècle, le~ portraits d'Alain Fergent
et d'Ermengarde ? ... On a vu des portraits avec un costume '
ancien, dont on ignorait la date, et, avec la tendance natu­
relle à tout vieillir, on les a attribués à des personnages
fort anciens. L'histoire du costume est pleine de bourdes de,
ce genre. On a bien, à Angers, fait remonter au XIe siècle
un tombeau d'Adèle de Vermandois qui était du XIVe, et l'on
,a longtemps pris sa statue pour un type du costume du XIe
siècle, tandis qu'il était de 300 ans au moins plus récent.
La tradition veut qu'on représente les reines mél'ovin­
gien,nes en costume du temps de Philippe-Auguste, et
Marguerite de P,rovence avec celui du temps de Chades VIII;
et cela parce qu'on a pris pour modèles des statues ou des
miniatures d'une époque plus récente et que l'on croyait con­
temporaines des personnages représentés. L'erreur a fait loi;
elle est devenue traditionnelle .
La même chose a dû arriver pour vos portraits. Puisqu'ils
sont du XVe siècle, il est naturel de penser qu'ils repré­
sentent des personnages du XVe siècle. Françoise d'Amboise
s'est mariée à Pierre de Bretagne, en 1 142, âgée de seize ans.
Or les planches et surtout celle de Chaperon donnent à la
soi-disant Ermengarde des traits fort jeunes. On sait que

Françoise d'Amboise a souvent passé par Redon. L'hypo­
thèse la plus vraisemblable est d'attribuer les deux portraits
de Redon à Pierre II -et à sa femme Françoise d'Amboise.
C'est le costume de leur temps incontestablement.
M. Racinet, dans son Histoire du costume, donne le cos-
tume de la soi-disante Ermengarde comme étant du XVe
siècle, ce qui est exact; mais il ajoute que son origine est
inconnue; il eltt été facile cependant de la retrouver dans
Histoires de Bretagne de D. Morice et D. Lobineau .. »
les
III.

Quelques indications historiques et la confrontation de
représentant sans aucun doute Françoise
deux portraits
M. d'Es­
d'Amboise viennent à l'appui de l'opinion que
pinay appelle trop modestement une hypothèse.
En 1111, Alain Fergent, malade, se fit transporter à l'ab-
baye de Redon, croyant y mourir. Ermengarde accompagna
son mari pour lui donner ses soins. Revenant à la santé,
et fixa sa
Alain résigna le duché aux mains de son fils,
demeure près de l'abbaye, où il fut inhumé en 1119. Ermen-
garde veilla auprès du tombeau de son mari pendant six
années; puis, a/près un séjour en Palestine et à Fontevrault,
elle revint à Redon et vécut à l'ombré du monastère jusqu'à
l'extrême vieillesse; enfin en 1144, elle fut inhumée auprès
de son époux.
et Ermengarde avaient été les amis, les bienfaiteurs,
Alain
l'abbaye; les premiers parmi nos souverains
les hôtes de
bretons ils y avaient choisi leurs sépultures; n'est-il pa.s na-
turel qu'ils y revivent dans des images pieusement conser-

vées par les successeurs des moines leurs contemporains?
Telle est assurément l'origine de l'attribution des deux
et Morice n'ont pas imaginée, mais
portraits que Lobineau

qu'ils ont trouvée dans la tradition de l'abbaye de Saint­
Sauveur de Redon. Toutefois, on peut croire que cette
pq.r cours au temps où Albert Le Grand
tradition n'avait
écrivait (L637) : . en effet, ni dans sa Vie d'Ermengarde, ni
il ne mentionne les
dans celle de Françoise d'Amboise,
qu'à cette époque on
portraits de Redon. Il semble probable
ne savait à quels personnages les attribuer.
Lobineau suppose que les deux tableaux à l'huile re­
produits par le dessin de Chaperon ont été peints sur quelque
vitre ou miniature. Pour que ces images soi~nt ressem­
blantes, il faut ' que la miniature ou vitre ait été peinte au
temps d'Alain Fergent.
Soit ! admettons par hypothèse l'existence de ces pein­
XIIe siècle. Elles représentent
tures au commencement du
le duc et la ' duchesse très jeunes. Donc, de deux choses
que des portraits de fantaisie, ou
l'une : ou elles ne sont
la venue
elles nous reportent à une époque antérieure à
et d'Ermengarde à Redon, en 1111, bien plus à une
d'Alain
leur mariage en 1093. En effet, quand
époque antérieure à
Alain se démit d!-1 duché, il régnait depuis 1084, vingt-sept

ans; huit ans auparavant, en 1076, il guerroyait à côté de
son père et sauvait celui-ci d~un pas dangereux (1). En 1076,
il n'était d~nc pas un enfant; et trente-cinq ans plus tard,
entrant à Bedo'n, après le mariage de son fils, Alain n'était
plus jeune. De même, Ermengarde née, selon Albert Le
Grand, en 1057 (2), et mariée une première fois au comte
de Poitiers, avait trente-six ans, lorsque en 1093 elle épousa
portrait nous montre une toute jeune fille,
le duc Alain. Le
qu'a pu être Ermengarde fiancée du comte de Poitiers .
telle
Après ces constatations, impossible de supposer que les
portraits dess~nés par Chaperon soient la reproduction de

(1) Lobineau, p. 101.
(2) Vie deîa B.
garde, p. 542. Ed. de M.' de Kerdanetl

, peintures contemporaines d'Alain et Ermengarde. Quel
intèrêt d'ailleurs les bénédictins de Redon auraient-ils eu,
trois siècles au moins après Alain, à faire reproduire dans
grands tableaux à l'huile les images de ce duc et de sa
femme, en les costumant à la, mode du XVe siècle?
Voilà une premièl'e objection contre l'attl'ibution faite à
Alain et El'mengarde des deux portraits de Hedon ... En voici
, d'autres:

Le duc François 1 mourut au château de Plaisance, près
de Vannes, le 17 juillet 1 150. Dans son testament daté du
22 janvier précédent, moins de six mois avant sa mort, il
avait ordonner de l'inhumer « au cueur du benoist moustier
de Saint-Sauveur de Hedon, devant le grand autier, au plus

prez que convenablement faire, se pourra des marchepieds
devant iceluy grand autiel' .. . )) (1)

Ces expl'cssions ,témoignent que le duc n avalt pas
retenu sa place au chœur de l'église de Hedon,
plus forte
pas construit son tombeau.
raison n'y avait
Ce soin regarda son frère et successeur Pierre II. Celui-ci

assista avec sa femme, Françoise d'Amboise, à l'inhumation

de François 1 (2). Se bOI'na-t-il à construire le tombeau de
son frère? Au contraire: n'est-il pas permis de lui attribuer
la chapelle accolée au transept nord et qui présente les
XVe siècle? De nos jours, cette chapelle est
caractères du
encore nommée la chapelle du dl~C 07./; des ducs (3) bien qu'elle
n'ait renfermé le tombea,u d'aucun de nos ducs (4).
Quoiqu'il en soit de cette hypothèse, Hedori était sur la
route de Nantes à Vannes; nul doute que Pierre II et
" (t) Lobineau. Pl'. col. 'li 17. ,
('2) Albert Le Grand. Vie de la B. F'ranç,oise d'Amboise, p. 555.
(:3) M. de Courcy. Itinéraire de Nantes à Brest, p. ~4.
(~) De même à Tréguier on nommait chapelle au Duc la chapelle bâtie
pal' Jean V, qui, il est nai, y avait son tombea u. A. Le Grand, p.5:>5.

Fl'ançoise n'y aient passé souvent, et que chaque fois ils ne
venuS, selon leur pieuse coutume aLtestée par Albert
soieut
Le Grand~ · s'agenou illCl' et peie l' au tomb eau de Fran-
çois 1 (1). .
Ces circonstances suffiraient ft expliquer comment les
portraits de Pierre Il et de Franç :) i::.8 S 8 tl':)uvaient à l'abbaye
de Redon.

Lobineau (p. 64Q et 678), Morice (II. p. 62 et 157) donnent
deuX portraits de Pierre II ~t de Françoise dessinés pal'
Chaperon au couvent de Saint8-Clail'e à Nantes. Ici l'attri­
bution est certaine ·: nous .lisons da ns Albert Le Grand:
« Françoise donna aux frères-prêcheurs de Nantes le tableau .
qui est sur le grand autel représentant en relief doré les
mystères de la Passion de Notre-Seigneur, au couvercle
duquel se voit d'un costé son portrait à genoux, condu ite
par sainte Ursule, et de l'autre celui de son mari ... et aux
filles de Sainte-Claiee un tableau en t.out semblable (2) ... » .
Le tableau des clarisses de Nantes était, semble-;t-il, un e
copie de celui des frèl'es-prêcheurs; et Albert Le Grand
rapporte le don fait aux clarisses, au temps où Franço is II,
réparant les injus tices d'Artluu III, eut gTatifié Françoise de
cinq mille écus d'or, en compensation de ses meubles: c'est- .
à-dire au cours de l'année 1 .l:59. .

(1) A. Le Grand , p. 5T~ .
Après son veuv8ge, Fran~o ise passa ù Redon, oü Louis XI, venu en
pèlerinage cl Saint-Sauveur, lui avait donné rendez-vous; mais il ne faut
pas dire, selon le L exte de D. Taillandier, qu'elle bâLit « un couycnt à ·
Hcclon où elle se relira ». (IL p. 7d' . Le mot fleilon est ici imprimé pm'
erreUl' au lieu de IJondon. auprès cie Vannes. V. sur ce point Lobineau
et Albert Le Grand. Françoise y avaiL btHi un couvent pour les Carmélites
où elle prit le voile en 1467. Elle se Lransporta aux Coëls, auprès cie
Nantes, le 'l4 décembre 14i7, el mOUI'ut en celte mai.son le 4 noyembre .
1485. Lobineau, p. 678-731, et Albel'L Le Grand passim. .

Pierre et Françoise portent la couronne ducale : les por ..
traits originaux ont donc été peints entre 1450 et 1457.
Pierre II est mort le 2-2 septembre 1457, après une maladie
d'un an. Le visage émacié de Pierre, très différent de celui
qu'on lui voit dans deux autres portraits,.semble avoir été
la maladie du duc, au commencement de 1457.
peint pendant
Pierre, né le 7 juillet 1418 (1 L avait alors trehte-neuf ans;
Françoise, née en 1427, touchait à la trentaine: c'est à peu
près l'âge que leur donnent les deux portraits.

Le costume de Françoise diffèl~e de celui d'Ermengarde.
L'austère épouse de Pierre II a déjà pris la voie qui la
mains importunes
mènera au . Carmel. Elle a repoussé les
quand elle était jeune fille; et des ornements
qui la paraient
garde que ce que réclame sa dignité de
mondains elle ne
duchesse (2).
Son cou est nu sans aucun bijou. Sur le corsage seulement
pierres précieuses · entre les deux
une bande chargée de
surcot. La robe est bien
bandes d'hermines qui bordent le
moins ouverte que celle d'El'mengarde; elle paraît d'étoffe
plus simple; au lieu de damas, c'est un tissu uni, semé seu­
lement des hermines de Bretagne et des flilUrs de lys de
Thouars (3). La traîne, démesurée dans le premier portrait,
est très raccourcie dans le second ou pluU,t n'existe plus.
Dira-t-on que les visages ne se ressemblent pas? Mais

pour ressembler à leur modèle unique, pouvaient-ils se

(1) Morice Pro II . . coL 901.

(2) Albert Le Grand, p. 556.
(3) n ne faut pas voir dans ces fleurs de lys les fleurs de lys de France;
mais celle de l'écusson de Thouars qui etait d'or semé de fleurs de lys
d'azur au canton de gueule. Ce canton est figut'é au côté gauche de la robe
"ers la hanche: il entame une des fleurs de lys. Au bas de la jupe par der­
rière on voit deux bandes qui sans doute or et gueule figuraient les armes
d'Amboise. ) V. à l'angle droit de la gl'avure l'écusson de Françoise
miparli de Br-etagne et de Thouars Amboise. Nous tr'ouverons plus loin
ces armoiries figurées en èouleur dans un autre dessin. ,

ressembler entre eux? Le portrait dessiné à Redon nous
montre le riant visage d'une jeune fille de quinze ou seize ans,
comme était Françoise au temps de son mariage, en 1442.
Le portrait de Nantes peint àu moins quinze ans plus tard
nouS montre Françoise à trente ans, grave et recueillie,

vieillie par plus d'une tristesse et par les macérations. L'air
du visage n'est pas et ne pouvait pas être le même; mais il .
est possible d'observer des caractères communs aux deux
portraits: les sourcils très arqués et très fournis: les yeux
gTands, le froIlt large et découvert, le nez qui paraît le même.

Enfin, Ermengarde a la douceur angélique de Françoise que
Pierre II allait mettre à de si rudes épreuves sans réussir à

la lasser.
rapprochons du 'pol'trait d'Alain Fergent le
Maintenant
portrait de Pierre II dessiné chez les clarisses de Nantes.
Alain Fergent porte le costUme que porta Pierre II ... A-t-il
aussi son visage? .
Je l'avoue, les deux portraits ne se ressemblent guère;
mais le premier nous apparaît presque de face, le second
presque de profil, c'est une difficulté pour juger de la ressem­
blance. Rappelons-nous que ~i le prétendu Alain est Pierre II,
le premier portrait est antérieur de quinze ou seize ans au
second; et remarquons que Alain porte la barbe, .tandis que
Pierre II est rasé: deux circonstances qui concourent à
expliquer la dissemblance des deux portraits.
La barbe d'Alain FergEmt serait-elle une objection à l'attri·
bution de ce portrait à Pierre II ? .. Il est vrai que sur leurs
sceaux et leurs tombeaux nos ducs, notamment Pierre II:
sont représentés sans barbe. Jean IV seul porte (( une fort
grande moustache pendante » (1). Mais dans le portrait de
Redon, la moustache apparaît à peine; la barbe ne frise pas:
on dirait un premier duvet que le fer n'a pas encore touché .

(1) Lobineau, p. 498.

Comment reconnaître dans ce mesquin visage l'héroïque
Fergent ? Au contraire, cet air bizarre et fantasque, ce
Alain
sourire dirai-je le mot? un peu niais ,ne conviennent-ils
pas à Pierre dit le simple? Il n'est pas be~u et ce ne sont
assurément pas les charmes de sa personne qui déterminè­
rent Françoise, quand elle avait sept ans, à le choisir pour
époux de 'préférence à ses frères (1).
Une dernière observation. On pourrait se demander si les

deux portraits de Redon et ceux des clarisses de N!lnt_ es ne
la même main. La bordure de la · robe d!Ermen~
sont pas de
garde est la même que celle de la robe de Françoi·se. La
bordure des tapis qui couvrent les prie-Dieu dans les deux
est analogue à la bordure des rideaux­tableaux de Nantes
figurés dans les tableaux de Redon, et cette bordure res-
semble à celle de la robe d'Alain Fergent (2).

Nous n'avons pas fini. Après la confrontation de ces quatre
portraits, nous avons un autre examen à faire. Voici d'autres
images de Pierre II et de Françoise que nous fournit Mont­
faucon.
Au tôme 111 des Monurnents de la Monarchie française,
nous trouvons trois images de Pierre II, deux à la planche LI, .
p. 2G .l:, et une à la phnche LIX, p. 278 . .
Dans ce dernier dessin Pierre II est représenté à cheval,
armé,' portant la couronne snrmontée d'une longue plume.
(1) Albert Le Grand, p. 519. Cette gracieuse historiette pèche en un
point. L'agiographe loue Françoise de n'avoir pas, par humilité, choisi
du duché; mais la scène se passe en 1431 et François,
l'aîné héritier
com te de Mon tfort, étai t marié depu is 1131 •
. (! ) Remarquons pourtant que les rideaux peuvent êtl'e un enjolivement
du dessinalem. Dans les tableaux des clarisses les deux époux étaient
1"'ésentés par un saint et une sainte (Alb. Le Grand, p. 5-)9). Ceux-ci
devaient être debout derrière Pierre et Françoise, c'est-à-dire à la place
les rideaux occupent dans la gravure. . .
que

Ce dessin qui n'a pas le caractère de portrait est sans intérêt.
au point de yuequinous pccupe. Il en est autrement des
laplanche LI, p. 264.
deux dessins de
Le premier est la -reproduction de la statue de Pierre II
sur le tombeau qu~il avait fait construire pour lui et sa femme
au milieu du chœür de la cathédrale de Nantes. Il est vêtu
d'une longue robe avec chaperon et porte une aumônière. Le
seco1).d dessin est emprunté à une vitre de la même église; ici
Pierre est armé. Les costumes sont dissemblables, les deux
ilf,en-tiq'lles. On dirait que l'un de ces visages a
visages sont
eté copié s~r l'autre. 'En ce Gas, c'est la statue tumulaire qui
copie. En ~ffet, le tombeau a été construit pendant le
est la
règne de Pierre II; tandis que la vitre a été peinte avant
qu'il fût duc, témoin le lambel à trois pendants d'azur qui
marque sa q~alité de cadet. Nous pouvons conjecturer la
date de cette vitre. En 1447, Pierre et Françoise firent faire
d'iQlPortantes réparations à la cathédrale (1), et c'est selon
. toute vraisemblance à ce moment que la vitre fut posée. Fran­
'çoise avait vingt ans. Auprès de l'image de Pierre est 'une
même vitre et
image de Françoise d'Amboise prise dans la
assurément contemporaine de celle de son mari: elle nous
apparaît dans la fleur de la jeunesse. C'est pourquoi ces
images mér,itent notre attention.
Pierre II ne ressemblent pas au portrait
Les deux images de
d~ Nantes. Le visage est bien plus plein. Il
des clarisses
nous résoudre à croire que le portrait des clarisse.s ne
faut
ressemblait pas à Pierre II, ou bien qu'il nous montre le duc
malade, Mais ce qui a quelque intérêt, ces images,
déjà
malgré l'absence de barbe, rappellent le portrait d'Alain
Fergent. , '
Quant à Françoise, elle est simplement vêtue comme dans
le p()rtrait des clarisses (2), elle ne porte pas .la couronne;

. : (1) Albert Le 'Grand, p. 55~. .
(2) La robe est la même; et comme le dessin ,de Montfaucon est colorié
BU~LETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. / TOà1E XIX. (Mémoires). 9 .

mais sa coiffure n'est plus ce brillant échafaudage qui sur-
monte et charge le front d'Ermengarde. Le dessinateur et le
graveur qui ont mis la main à cette planche de Montfaucon
n'avaient pas, il s'en faut! l'habileté de Chaperon et de Pitau .
Mais il n'inlporte! L 'air '~ouriant et doux, les yeux grands,

les sourcils tl'ès arqués sont des points sensibles de ressem-
blance' avec le portrait attribué à Ermengarde et que M .
d'Espinay propDse de restituerrà Françoise ,d'Amboise~

VII.

Nous concluons avec M. d'Espinay que le portrait attribué
jusqu'ici à Ermengarde représente en réalité Françoise
d'Amboise. .

Cette conclusion sera-t-elle admise? En ce cas, bien que
portrait d'Alain Fergentavec les images
la confrontation du
de Pierre II soit moins démonstrative, il faudra de toute
nécessité admettre que le portrait qui faisait pendant à celui
. " de Françoise ne représente pas Alain Fergent mais Pierre n.

Mais ce qui importe surtout, c'est l'attribution du portrait
d'Ermengarde à Françoise d'Amboise; et, nous autres Bre-
tons, nous devons des remercîments au savant Angevin qui
' . le premier nous a montré · notre duchesse sous les traits
jeunes et gracieux d'Ermengarde. Voila dans ce portrait,
bien mieux que dans le dessin emprunté ' à la vitre de la
çathédrale de Nantes, ses grâces modestes qui charmaient la
cour de Bretagne. Bien plus: ne voit-on pas sur cet aimable ·
visage comme un rayonnement de la bonté qui rendit la
duchesse si populaire? N'oublions pas ce qu.e nos pères ont
dû à la pieuse épouse de Pierre n : non seulement elle fut
un modèle de charité sur le trône, mais, très supérieure à
il montre très clairement outre les armes de Bretagne celles de Thouars et
celles d'Amboise décritlis plus haut.

son mari, elle inspira les heureuses réformes accomplies
sous le règne de celui-ci.
Quand Pierre II mourut, .il avait mérité et il obtint les
regrets « du peuple qu'il avait extrêmement soulagé et des
. pauvres dont il avait été le père (1) ». ' .
. Les contemporains devaient plus à Françoise et ils lui
accordèrent bien davantage : quand elle mourut, le 4 no­
vembre 1485, après de. longues années passées au Carmel,
les Bretons décernèrent à l'humble religieuse un honneur
supérieur à ceux que la duchesse avait reçus pendant sa vie:
ils la mirent sur les autels en la proclamant Bienheureuse .
J. TRÉVÉDY,

Ancien président du Tr'ibunal civil
de Quimper.

-oOoo::e-::::o-o ..... -

(1) Lohineau, p. 665.