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FONDA1'ION DE LA CHAPELLE DE N. ~D. DE BON-VOYAGE
EN PLOGOFF
. ' Il est assez rare de pouvoir donner des renseignements
sur la fondation des nombreuses chapelles qui témoi
précis
gnent dans notre pays de la piété de nos ancêtres, nous
heureux de présenter à nos confrères de la
sommes donc
Société Archéologique l'historique de l'une de ces fonda
tions, rédigée par le fondateur lui-même.
Ce dqcument, que nous fournit le carton 21, série G, des
Archives départementales, 'est une sorte de journal dans
lequel le pieux ,fondateur ,note, un peu pêle-mêle, comment
lui est venu la pensé'e d'ériger la chapelle, et à quels inoyens
ilaeu recours pour la réalisation de son projet,
'1. - Le Fondateur.
" Le fondateur de la chapelle de N .-D. de Bon-Voyage, en
Piogoff, est Mre Jean-Baptiste de Tréanna, Sr de Lanvilio ,
hl firi du XVII~ siècle au chàteau de Kerazan,
demeurant à
et après la mort
en Cléden-Cap-Sizun. Il était propre neveu,
de sa' cousine Corentine de Kerisac, héritier de Mrc Nicolas
Sahlden, Sr de Trémaria, celui-ci fils de Jacques Saluden
et de Marguerite de Lescoët, conseiller au Parlement de
par le V. P. Maunoir lors de la mission
Bretagne, converti
Plovan en 1655.
qu'il prêcha à
Les Archives' départementales possèdent la premièrs partie
d'une vie demeurée manuscrite de M. de Trémaria écrite par
le saint missionnaire sous ce titre: Phef-d'œuvre de la grâce
de Jésus-Christ crucifié dans la vocation, conversion et fidélité
constante jusq'Lt'à la mort - M.. -,!11.. ,de Tréma1"ia, prêtre séculier
missionnaire. Dans ce manuscrit, dont la seconde partie
appartient à la bibliothèque de M. de Kerdanet, le V. P.
Maunoir raconte comment M. de Trémaria, véuf en secondes
noces (1) en 1655, ayant recommandé ses deux enfants à sa
sœur Marguerite de Kerazan, se rendit à Paris, d'où il revint
prêtl'e pour accompagner le Père Maunoir dans ses courses
apostoliques jusqu'à sa mort, arrivée le 24 juin 1673.
Un des enfants de M. de Trémaria était mort, restait sa
fille Corentine mariée à M. de Kerizac; mais étant morte
elle-même sans laisser d'enfants, son mari entra dans les
ordres et toute sa fOl'tune passa aux mains de son cousin
germain, Jean-Bapt.iste de Tréanna.
Celui-ci, veuf en 1681, fut aussi sur le point de suivre
l'exemple de M. de Trémaria et. de M. de Kerizac en recevant
la prêtrise; nous le savons par une lettre de sa tante Gilette
Corentine de Saluden, religieuse aux Augustines de Lannion,
21 octobre 1681 (1). « Je vois non obstant
qui lui écrivait le
toutes les inspirat.ions que Dieu vous donne,que vous écoutez
la voix du monde que non pas celle de Dieu; si
plutôt.
eût fait de même, il n'eût jamais été prêtre ... »
M. de Kerizac
M. Jean-Bapt.iste de Tréanna demeura donc dans le monde,
s'adonnant aux bonnes œuvres, jusqu'à sa mort en 1711.
. II. Fondation de la Chapelle.
Elle est racontée par M. de Tréanna lui-même dans une
pièce ayant pour titre: Vœu de la bâtisse de N.-D. de Bon-
Voyage et un Cantique breton.
(c Un gentilhomme de la basse Cornouaille, se voyant en
péril de mourir, étant tombé dans l'étang d'un moulin se
voua à la Sainte-Vierge et lui promit par serment qu'il ferait
bâtir une chapelle à son honneur, si elle voulait bien le
(1) M. Nicolas de Saluden avait épousé premièrement Lucrèce Symon,
morte avant 1647, puis sa parente Marguerite de Lescoët, avec laquelle
il ne vécut que fort peu de temps, puisque les dispenses pour ce mariage
le 7 avril 1655, et qu'avant
furent accordées par Alexandre VII, élu pape
fin de cette année, M. de Trémaria était veuf pour la seconde fois.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. - TOME XIX. (Mémoires). 5.
délivrer du danger où il était de périr. Dans ce temps-là le
gentilhomme ne fit pas réflexion sous quel titre édifier ladite
chapelle; mais quelques mois après le danger, se sou venant
tOUjOUl'S de son vœu, il fut inspiré de la faire bâtie sous le
titee de N.-D. de Bon-Voyag'e et de Bon-Poet ». Suit le
cantique breton composé de huit couplets de' quatre vers
chacun. Voici: comme spécimen, l'un des couplets:
E parres PlougOll eo ema,
Eo batisset ar chapel ma
D'nll Itroll-Varia veach vat;
Deorn de guelet a galon vat.
La construction fut commtmcée à la fin de l'année 1698
« sur ia montagne de Kerven, près le gmnd océan; en
Plogoff». Ce ne fut d'abord qu'une toute petite chapelle,
terminée en 1699, dans laquelle on disait provisoirement la
messe, mais qui était destinée à servir de sacristie lorsque
la grande chapelle serait terminée. Cette dernière fut exé
cutée « sur les dessins de M. Favennec de Pleyben, maltre
masson et al'chitecte ». On commençait à en poser la chal'
pente le 24 août 1702. En 1703 la chapelle était terminée.
Dans une note non datée, mais qui doit "remonter à cette
époque, M. de Tréanna s'exprime ainsi:
« On fera bâtir une maison où M. l'ingénieur de Brest le
jugera plus à propos, pour servir d'hôtellerie à recevoir les
pèlerins qui viendront visiter la chapelle de N.-D. de Bon
Voyage, que mon fils affermera peut-être 100 liv. de rente,
si la chapelle devient beaucoup hantée et visitée, comme le
Bon Dieu me l'a fait espérer, avant dix ans. »
Quelques années plus tard, M. de Tréanna veut parfaire
son œuvre par la construction d'uu mur d'enceinte'. « Ce
jeudi 15 juillet 1706, écrit-il, prosterné à deux genoux devant
mon crucifix et l'image de la Sainte-Vierge sur la table de
ma chambre de retraite, voisine de la chapelle de ladite
retraite (à Quimper, chez les Pères Jésuites), rai recom-
mandé à Dieu età sa très Sainte-Mère N.-D. de Bon-Voyage
le procès que j'ai avec M. du Parc, l~ voyer, pour me faire
payer la somme de 15 à 16,000 liv., que sa mère, Françoise
de Penmarc'h, m'est condamnée à payer par sentence rendue
à Châteaulin; j'ai promis de payer 30 liv. à N.-D. de Bon
Voyage pour faire une muraille autour de la chapelle pour
y faire un cimetière.,. ce que je promets de tout mon cœur
si le Tout-Puissant Jésus me veut bien accorder la grâce de
me faire payer de cette somme. Je lui demande 'cette somme
par l'entremise de N .-D. de Bon-Voyage, en Plogoff.
« Jean-Baptiste Tréanna. ))
III. . Moyens employés pour couvrir les frais
de la construction. '
Le pieux fondateur ne pouvait avec ses propres ressources
faire face à toutes les dépenses nécessaires à l'établissement
de la nouvelle chapelle; aussi s'ingénia-t-il pour intéresser
à son œuvre les hatitants du Cap, et la rendre ainsi l'œuvre
de tous. Il demande et obtient de Monseigneur l'Évêque de
faire quêter dans trente paroisses pour la chapelle. Puis il
ajoute:
« Demander à Monseigneur d'ordonner aux quatre pa
roisses voisines: Cléden, Goulien, Primelin et Esquibien,
de venir en procession (à la chapelle) le jour du pardon, qui
est le second dimanche de juillet. ))
« Demander à Monseigneur la permission de faire venir
les processions de Cléden, Goulien, Primelin et Esquibien,
à N .-D. de Bon-Voyage tous les mardys de la Pentecoste.
Il faudra s'informer si les susdites paroisses ont coutume
d'aller ailleurs dans les fêtes de Pentecoste. »
« Prier M. de Plogoff de dire la grand'messe à N.:D. le
mardy de la Pentecoste et le plus souvent qu'il pourra. ))
« Demander la permission à l'Evêque de faire pêcher les
poissonniers de Plogoff, Audierne, Penmarc'h et l'île des ,
Saints quelques jours de fête, pour la chapelle.» ,
« Faire mettre la lampe au plus tôt devant l'imagt;l de la
Sainte-Vierge et recommander aux poissonniers de Plogoff,
Cléden et Audierne, qui fourniront quelque huile de poisson
pour l'entretien de ladite lampe allumée jour et nuit devant
la Bonne Viel'ge, auront sa protection sur terre et sur mer
et un heureux succès dans tout leur commerce et leul's
affaires. »
M. de l'réarma rapporte comment son appel fut entendu
tout particulièrement à Douarnenez « Mlle Porz an bescond
de Douarnenez venue avec Mlle HaUegoët à Kerazall pour
aller visiter N .-D. de BOIl-Voyage, m'a donné un très
bon avis pour la quête d'huile de sardines pendant la
pêche, fin d'aoùt ou septembre; elle a promis d'aller elle
même, avec une autre, faire la quête chez les bourgeois et
chez tous les poissonniers de Douarnenez, Tréboul et
Poullan, po nI' remettre le tout dans une ,barrique ou deux,
qu'on logera chez M. Avril ou chez M. Bonnemez à Douar
nenez. La barrique vaut de 20 à 25 escus. Mlle Porz an
bescond a promis de ramasser tous les ans, pendant la pêche,
sa petite aumône d'huile de sardines pour la mettre dans
une barrique. On ramassera quelques sardines fl'aîches à
l'arrivée des bateaux" que l'on pourra saler dans une bar'
rique pOUl' ètre vendues au profit de la chapelle. »
Pendant la construction de la chapelle, il se fait quêteur
lui-même. Le bois manque pour la charpente et il note sur
son cahier de dépense: « je veux aller demander quelques
arbres à Saint-Alouarn pour la gloire de Dieu et de sa Sainte
Mère. » Mais il faut des ouvriers pour travailler le bois, et
voici que les charpentiers du Cap viennent s' ofl'rir pour
exécuter le travail gratuitement. Car nous lisons sur le
manuscrit: « la nuit du mercredi de la passion, 12 avril i 702,
je fus inspiré de demander à tous les charpentiel;s du Cap
de venir les uns après les autres tl'availler à la chapelle, et
d'eux-mèmes sans les avoir avertis, ils sont venus la plupart
me pl'oposer de donner qu'elques jours à la bonne Vierge., »
Il fait quêter également dans les endroits où les hommes
se réunissaient pour jouer et se récréer « il faudra donner,
boëtes de tel'l'e à nos bons amis Garic et Ouvran,
écrit-il, des
fidèles serviteurs de la Sainte-Vierge, pour y ramasser quel
CJues aumônes de leurs amis, soit sur le jeu, soit en tout
autl'e occasion, pour terminer le clocher. »
1\L de Tréanna n'oublie pas qu'une chapelle dévote ne
saurait existe/' sans une fontaine. Un article de son livre
journal porte pOlll' tit,'e :
« Fontaines à N.-D. de 13011-Voya:~'e. On en fera une
au villao'e de Tararoul'. sur le chem:n de la chapelle à
Audiel'ne. On y fera élever une muraille sur le chemin où
l'on posera une image de la Sainte-Vierge portant son fils
entre ses bras. On y posera un tronc pOUl' recevoir les
aumônes des passants.
« On en fera une autre à Kerven-Izela, sur le chemin
à Audierne.
de ce village
«( La troisième se fera à Kerven-Huella, où est la plus
belle source.
Le pieux fondateur ne pouvait omettre d'obtenir des
cette chapelle: dont la construction
faveurs spirituelles pour
avait excité un mouvement si général de piété dans tout le
Cap.
« Prier le Grand-vicaire pour avoir des indulgences de
pOUl' toutes les fêtes de Vierge ». Plus loin il ajoute:
Rome
« S'adI'esser au Père Estin, jésuite, pour obtenir de Rome
indulgences pour ceux qui visiteront en état de grâce
des
la chapelle, tous les jours d'avent et de carême, toutes les
fêtes de Vierge et d'apôtres et le second dimanche de juillet:
qui est le jour de la dédicace de la chapelle. »
[1° « Miracles arrivés par la dévotion à N.-D. en sa chapelle de
Voyage Il, tel est le titre d'une pièce dont nous allons citer
Bon-
quelques extraits qui nous démontreront au moins combien la
'dévotion à la Sainte-Vierge sous ce vocable de N.-D. de Bon
Voyage, devint promptement populaire dans tout le pays.
« Louise Lapéré, femme de N ouel Porsmoguer de l'1sle
de-Saint, malade d'un flux de sang pendant deux ans et
s'estant recommandée à N.-D. de Bon-Voyage, fut guérie
incontinent et est venue à pied d'Audierne où son mari
l'avait rendue par son batteau pour remercier N .-D., et se
porte bien.
« Simon Lançon, du Dreff en Plogoff, estant allé sur le
rocher de Kervinec un jour et y pècher de beaux poissons
avec trois ou quatre, en un moment la mer se rendit si
grosse qu'elle couvrait le rocher de ses flots et ceux qui
y étoient se virent obligés de se recommander à N.-D.
de Bon-Voyage et la mer se sauva d'abord, et ils furent
sauves.
« M. Bauguyon(prêtre, directeurdel'hôpital de Châteaulin)
m'a dit à son retour du Cap , quand il a été prêcher au pre
mier dimanche de l'Avent 1705, à Ptogoff, avoir appris de
Jean Guillou, un miracle fait par la Sainte-Vierge au sujet
d'un maître de barque et de ses matelots sauvés du naufrage
et d'un péril évident de périr, sans la proteetion particu
lière de N .-D. de Bon-Voyage, à laquelle ils se sont tous
recommandés dans leur péril de mort. Il faut demander à
voir le tableau rendu à la chapelle, de la manière que la
Sainte-Vierge a apparu à tous ceux de la barque, pendant
la tempête qui arriva environ minuit dans un temps fort
obscur. Il faut avoit' une déclaration authentique du maître
de barque et matelots devant des prêtres et autres personnes
dignes de foi. »
Cette chapelle vendue au moment de la Hévolution, fut
rachetée par les paroissiens et est encore de nos jours un
des lieux de pèlerinage les plus fréquentés, particulièrement
par les marins du Cap.
PEYRO~,
Vice-Président de la Société œrchéologiqu,e.
PrètTe,