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Bulletin SAF 1891


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Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille (suite 3)

M. Trévédy

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II (Suite).
PÊCHERIES & SÉCHERIES
DE LEON ET DE CORNOUAILLE .

(Suite)
III .
. PENMÀRC'H .

Les lieux principaux de pêche et de sécherie en Cor-
nouaille paraissent avoir été, dès le XIIIe siècle, les environs
de Concarneau et les côtes de la baronnie de Pont-l'Abbé.
Dans ces parages un point surtout attire l'attention, c'est
Penmarc'h.
, On a souvent imprimé que Penmarc'h était une grande
ville; et l'imagination trace des rues à perte de vue entre les
quatre églises ou chapelles de Saint-Nonna, aujourd'hui
paroissiale, de Saint-Guénolé, de Notre-Dame-de-la-Joie et
Kérity. Or, de l'église paroissiale, à l'est, tirez une ligne
sur Saint-Guénolé au nord-ouest, puis vers Kérity au sud­
ouest et revenez de là à Saint-Nonna ; vous aurez circonscrit
un triangle à peu près régulier dont chaque côté mesure au
moins 2,200 mètres. Calculez la surface du triangle: elle est
de plus de deux cents hectares ; plus de treize fois la surface
de la ville close de Quimper.
Etait-ce là toute l'assiette de la ville de Penmarc'h ? Non,
sans doute. On ne peut supposer l'église paroissiale cons-
truite presque en dehors de la ville: il faut donc étendre la
ville vers l'est et augmenter d'autant son périmètre. Com­
ment admettre aussi que les autres églises ou chapelles aient
été systématiquement bâties aussi loin que possible du
centre de l'agglomération urbaine?
Pour ces motifs: je crois prudent de m'en tenir à l'idée

que Moreau nous donne de Penmarc'h quand il le nomme

bourg et non ville, et à la description qu'a faite dom Tail-
landier du bourg de Penmarc'h.
ville
RemarqUons-le, en effet, Moreau qualifie du nom de
des agglomérations bien moins populeuses que Penmarc'h,
par exemple Quimperlé: (1) il ne refuse même pas ce titre à
Concarneau. (2) C'est, me dira-t-on, parce que ces lieux
étaient clos de murailles. Soit! Mais il donne le même nom
à Carhaix, à Quintin, à Châteauneuf-du-Faou et à Pont­
Croix, (3) qui n'étaient pas fermés et dont la population n'a
jamais été com'parable à la population totale de Penmarc'h.
Le chanoine, qui avait assurément vu Penmarc'h, avait
raisons; et la description que dom Taillandier donne de
ses
Penmarc'h nous présente la même pensée. L'auteur avait
sous les yeux non seulement l'histoire du chanoine Moreau,
perdus
mais les mémoires de Sourdéac, malheureusement
pour nous. Or, que dit-il? (4) '
« Penmarc'h était un des bourgs les plus considérables
France et le plus. riche de Bretagne. J
Ainsi, pour l'historien, Penmarc'h n'était pas une ville,
mais un bourg; et qu'entendre par bourg? L'auteur va
s'expliquer:
« Ce bourg ... est composé de quantité de hameaux de
soixante ou quatre-vingts maisoI'ls distants les uns des
autres de la portée de l'arquebuse. ))
Les chapelles qur subsistent encore ou dont nous voyons
marquent sans doute la place de plusieurs de ces
les ruines

hameaux, dont les principaux étaient le bonrg actuel et le
port, Kérity: ce sont ces deux points que les habitants
avaient fortifiés en prévision de l'attaque de La Fontenelle (5).
(I)P.7ô. .

(4) II, p. 465.
(5) Moreau', '274. Dom Taillandier veut parler de Kérity quand il nomme
Kerouzy (II, p. 445).

C'est au voisinage de ces deux points que la tradition
place la Grand'rue (nom ancien qui se trouve dans toutes les
villes et mêmes bourgadesi, la rue des Marchands, la rue
des A rgentiers ou Orfèvres, on dit même des lttifs. Mais il
est impossible aujourd'hui de reconnaître la trace de ces
rues. Fréminville visita Penmarc'h en 1819 : « Les ruines,
dit-il, présentaient encore un ensemble considérable. » Mais
elles étaient, dès cette époque, exploitées comme carrières;
et, quand l'auteur y revint, en 1833, il n'y retrouva pas la
moitié de ce qu'il avait vu quatorze ans auparavant (1) Après
cinquante ans .passés, nous ne pourrons nous étonner de
retrouver moins encore.
Toutefois, je remarque que l'~veu de Pont, vieux aujour­
d'hui d'un siècle et demi, n'a pas nientionné ces noms de rues
significatifs. Ce silence me paraît un argument contre l'an­
tiquité de la tradition. Je l'ai dit, l'aveu de 1732 est la
reproduction d'anciens et très anciens aveux. C'est presque
un mémoire d'archéologi.e : les notaires rapporteurs signalent
chaque village par tous les noms qu'il a successivement
portés dans le COUl'S des siècles. (2) Poul'quoi auraient-ils
été moins scrupuleusement exacts en ce qui concerne les
noms des rues? '
Or, l'aveu nomme seulement les rues [(erc' hro1nme, Saliou,
Strays, Trouesson, Baccus, Gorrey,
Un siècle plus tard, ces cinq derniers noms se retrouvent
à la matrice cadastrale identiques ou à peine modifiés :
Salion, Strayer, Tronson, Baccus, Gorré, avec les noms
suivants: Lann d'allaif et d'an traon, Velen, Guelen, Croazic,
Vanel, C'habiten, Longès.
Quelques-uns de ces noms offrent un sens assez clair;
(1) Fréminville. Ant. du Finistère, II, p. 11 3 et suiv.
(21 Deux seuls 'exemples: fo 5j. Kervelegan, Kerlégan, Keranlégan,
Kerléan. Kermalezen, Kervaléguen, Ket'menhir, Rernizan, Kerogan,
Rerond at, Keroullê.

mais je ne me chargerai pas de donner le sens del? autl'es. (1)
Mais voici uüe observation qui m'est sug'gérée par un ami
connaissant bien mieux que moi la presqu'île de Penmarc'h.

C'est que ce nom de rue, en breton 1'U, très souvent
employé, n'est pas particulier à Penmarc'h. Il est en usage
à Plomeur et dans plusieurs communes du rayon voisin. Ce
se retrouve surtout aux abords des agglomérations. Les
nom
rues sont des sentiers mettant en communication des villages
ou les habitations disséminées dans la campag'ne. Généra­
lement ces sentiers prennent le norn des villages qu'ils
du propriétaire de quelque
desservent, quelquefois celui
maIson VOlsme.
Dans des communes comprenant de grandes étendues
sous prairie ou culture et dans lesquelles de simples
bornes délimitent les propriétés, comme à Penmarc'h et les
communes limitrophes, l'utilité de ces sentiers s'explique
d'elle-même; sans qu'il soit nécessaire ni peut-être permis
de chercher dans le nom de Tues le souvenir et la preuve de

l'existence d'une ville aujourd'hui disparue.
Je m'arrête à cette pensée. A mon sens, les noms de rues
des "Alarchands et des Argentiers éveilleraient l'idée de voies
bordées, comme les rues de nos villes, de maisons et de
magasins; mais les noms de rues de la Maison du Bossu, des
Salles, des Clwm;Ï'lts, etc., employés au dernier siècle, font
penser à des voies rurales, à des sentiers du genre de ceux
\ 1) Lan d'al laë, d'an traon (lande d'en haut, d'en bas). Velen en
composition pour melen (jaune:. 6uelen, houx. . Cl'oazic, petite croix.
Vanel, venelle. C'habiten, capitaine. 6or1'é, en haut. ' SaÛou.
des Salles (mot ordinairement appliqué à des ruines;. Ke1'c'h.rornrne, en
composition c'hron1.1n signifie cow'be, bossu. (L'habitation Courbe ou du
Bossu) ,
Restent à expliquer T1'ouesson ou Tronson, St1'ays .ou Strayer (peut
de SlT(~.at. chemin;, Lnngès et lJaccus La carte de l'Etat­
être pluriel
Major donne le mot lillbaceus entre le bourg de Penmarc'h, la mer et
Rérity. Ru-lJaccus signifierait tertre de Baccus (en admettant qu'il faille
flaccLts). Les noms mythologiques existent sur plusieurs points:
lire
il y a une famille Vénus à Plougastel~Daoulas.

que désignent aujourd'hui les noms de rues de la Lande
d'en bas, de la Lande d'en haut, de la petite Croix, de la
Venelle, du Capitaine, etc.
Et, qu'il me soit permis de faire remarquer, que cette
contrarie en rien la description que fait dom
supposition ne
bourg de Penmarc'h, composé de plusieurs
Taillandier du
agglomérations distinctes, mais nécessairement réunies par
des voies tracées à travers la campagne.
Un rapprochement qui se présente naturellement à l'esprit
fera bien comprendre . ma pensée. Douarnenez est nommé
bourg. par le chanoine Moreau (p. 268) et dans un titre un
peu postérieur (l'aveu de Nevet de 1644) ; enfin, au dernier
siècle dom Taillandier le nomme gros bourg. (1) Or, qu'en-
tendre par ce mot bourg de Douarnenez? La réunion de
« distants l'un de l'autre de la portée de
villages distincts
l'arquebuse )), et formant les trois agglomérations de Port'":
Rhu, Le' Guet et le Vieux Port, qui, malgré tant de cons-
tructions élevées depuis le commencement du siècle, se
à pein~ de nos jours.
rejoignent
Mais si l'on peut contester à Penmarc'h le nom de ville
(au sens où nous entendons ce mot aujourd'hui), personne
ne niera qu'il y a eu pendant plusieurs siècles sur ce coin de
terre une population nombreuse se livrant à la pêche, à la
sécherie du poisson, au commerce maritime, avec un plein
sucees. .
Fréminville a trouvé la preuve authentique de cette pros-
périté dès le milieu du XIIIe siècle. Il cite un titre de 1266, •
publié dans les « A nciens jugements de la mer. Art. 26, p. 87
des constitutions du duché de Bretagne. (2) ))
Il cite au même endroit « une ordonnance ducale relative
Penmarc'h, datée de l'an 140[1)) et il copie
au négoce de

(I)II.p.444.
• (2) II, p. 109 •

un article de l'ordonnance en mettant en marge: « Ordon-
nance du duc Jean V relative aux négocians de Penmarc'h. »
Enfin, il se croit fondé à nous dir~ qu'aux XIVe
et XVe siècles, les armateurs de Penmarc'h attiraient
à eux les animaux de toutes sortes, « les graisses,
cuirs, œuvre de cordonnerie, fil, lin, ,chanvre, pour en
charger leurs navires. » Les cultivateurs des environs,
par l'appât du gain, délaissaient leurs terres en
affriandés
friche et venaient trafiquer à Penmarc'h. Il fallut que le duc
Jean V intervint, eh 1404, pour limiter les exportations des
armateurs de Penmarc'h aux blés, vins, poisson~, et les
sur leurs champs.
cultivateurs furent ainsi retenus
Or, les anciens Jugements de la mer ont été publiés
plusieurs fois. Vous y chercherez en vain le nom de '
Penmarc'h. (1) .
Le second texte sur lequel se fonde Fréminville est l'article II
de là constitution de Jean V de 1424 (et non 1404). (2) Mais fré-
minville était-il autorisé à appliquer spécialement ce texte
au négoce de Penmarc'h? Assurément non. La constitution
rè'glemente la police du duché en général ; elle touche à
tout, aux exportations (art. II), à l'accaparement (art. V), à
l'unité de la mesure d'aulne (art. VII), à l'unité « du picotin
(\) V. Sau vageau, à la suite de la T. A. Coutume, t. II, p. 87 ('le
pagination). L'art. :l6, auquel renvoie Fr'éminville, est à la page 95.
D. Morice a donné cette pièce Pro l, col. 7~6 à 792, sous ce titre: Us et
coutwnes de ta mer. « Cy commencent les coutumes de la mer~ C'est
l'établissement des rolles d'Oléron faits du jugement de la mer. »
L'art. 'West ici l'art. XXVIII (col. 7~·l). A la fin, on lit la date: le mardi
après la feste de saint André, l'an de grâce MCCLXXXVI (1280) au lieu
de la date mit deux cens soixante:"six ans imprimée par Sauvageau .
(2) L'ordonnance du duc Jean V a été imprimée par Sauvageau à la
suite de la T. A. C., t. II, p. 17 ('le paginationl. Il , donne en tête la
date du douzième jour de février, t'an mit quatl'e cens et quatre.
D. Morice, a imprimé cette constitution Pr. II, col. 1 t 52; il donne la
date 1424 (v. s.) qui est la date vraie, ou' t4. ·~5 (nouveau style). D.
Morice, hist., t. I, p. 494. Cet acte est intitulé: Uonstitutiof/, sur ta
poUce. .
DU FIN1STERE
Hôtel de Ville

29107 QUIMPER

d'avoine pour faire livrée ez chevaulx» (art.VIII), à la sépa­
ration des lépreux (art. 10), au prix de ,la journée des
Le nom de Penmarc'h n'apparaît même
ouvriers (art. XIV).
pas dans cette constitution.
Ce qui précède prouve une fois de plus combien il est
utile de vérifier les citations, même celles qui semblent les
plus précises; et ajouterai-je avec quelle circonspection
M. de Fréminville.
il faut lire
Un siècle et demi plus tard, malgré la cause de décadence
que nous signalerons, Penmarc'h avait encore une population
nombreuse; et, le 15 juin 1556, le roi Henri II, confirmant '
sans doute une concession ducale, accordait aux habitants le
papegaul(avec exemption de droits sur 45 tonneaux
d'roit de
-de vin. Au rapport du chanoine Moreau, Penmarc'h pouvait
« fournir deux mille cinq cents arquebusiers. » (1)
Mais dom Taillandier s'est assurément mépris quand il a
écrit: « Avant la guerre de la Ligue, on comptait dans ,
Penmarc'h dix mille matelots bien armés et bien équipés. » (2)
Ce chiffre pouvait être celui de la population totale dù
bourg .
Un autre renseignement emprunté par le même historien

-(1) P. 274. Penmarc'h ayant exemption de 45 tonneaux, était traité
à peu près comme Nantes (50 tonneaux), Rennes et Quimper (4,) tonneaux ~ .
Fréminville, apparemment pour grandir Penmarc'h, par comparaison,
« le privilège (de papegault) n'avait pas été accordé même aux
ajoute que
de Rennes et d~ Nantes. (P. 113) .. L'erreur est certaine. Le papegaut
villes
accordé à Rennes par lettres ducales fut confirmé pat lettres royales du
1 cr mars 1530. Les lettres du duc François II du 1 cr mai 148'2 relatives au
de Nan~es sont.confirmatives de lettres de Pierre II. (Arch. de
papegaut
Bretagne, Société des bibl. Bretons, 1 Cl' voL, p. 72).
Du reste ne très petites agglomérations avaient le droit de papegaut. Je
citerai, dans le Finistère actuel, Concarneau, Carhaix, Pont-l'Abbé, Lan­
Le Faou, Lesneven; dans le Morbihan, Auray, Josselin, La
derneau,
Roche-Bernard, Malestroit, Port-Louis, l'Ile de Groix, etc. etc.
Je viens de ,présenter au congrès de l'Associa.tion /fretonne ,à Saint-
, Servan une étude sur les papegallts de B/'eta.gne, et spécialement de
Quimper.

a!lx mémoires ùe SO~lI!déac lf'~st pas saD-S int~r~t; « ~orsque
Sourdéac enleva Penmarc'h aux brigands de LB: Fontenelle,
il apprit 'que celui-ci y avait mis à mort plus de 5,000 paysans
et qu'il avait mis le feu a plus de 2,000 maisons. » (1) Or, au
rapport de Moreau, il avait à peu près tout détruit. (2)
Faisons la part de l'exagération pardonnable aux malheu­
reuses victimes de la cruauté de La FontellBIJe; comptons
comme maisons les dépendances des habitations, nous
pouvons nous faire une idée de ce que c'étilit le bourg de
Penmarch; et il semble que le chif1're de 10,000 hapitapts
ne soit pas exagere.
Quant à l'industrie et à la richesse de Penmarch, Moreau .
et Taillandier sont d'accord: « Les habitants, dit dom
Taillandier, avaient plus de cinq cents barques de pêche»; (3)
et Moreau avait dit avant lui que La Fontelfelle « emmena
plus de trois cents de leurs 'bateaux chargés de butin. » (4)
:Moreall, apt'ès avoir conté 1;1 prise et le sac de Penmarc'h.
conclut: « De ce ravage d"emeul'e telle ruine que penmarc'h
ne pourra de cinquante ans se relever, si possible~ Semble
même que tout depuis ils (les habitants) sont suivis de je ne
sais quel malheur qui les accable de plus en plus, 'quelque

peine qu'ils prennent de reprendre haleine. l) (5) .
Penmarc'h se serait relevé de ce désastre, comme tant de
villes qui ont guél'i leurs blessures et repris vie après le
passage de bar)Jares vainqueurs.
Mais il y avait pour Penmarc'h une cause de ruine irré­
médiable, permanente et progressive. Cette CÇluse de ruine

avait précédé La Fontenelle et deux chiffres indiqués plus
haut démontrent ce f.ait. Les sécheries d~ COl'nQw~ille Bva-

P) P. 7.7G.

luées 1,250 livres en 1439, rapportaient 2,000 livres en 1501,
et seulement 1845', en 1534.
Tenez compte d~ la dépréciation progressive de la
monnaie et vous reconnaîtrez que la décadence avait CÜln~
niencé entre 1501 et 1534.
"La cause qui avait produit cette décadence'devait survivre
aux ravages de La Fontenelle et défier les efforts des habi­
tants.
Cette' cause est connue: Terre-Neuve avait été découverte
à la fin du Xye siècle; et les Bretons, cessant de pêcher le
merlus presque en vue de leurs maisons, allaient traverser
l'Océan pour pêcher la morue sur le banc dt Terre-Neuve.
Les Bréhatins faisaient cette pêche et celle d'Islande dès les
premières années du X VIe siècle, avant 1514. (1) Nul doute
que depuis un siècle ils n'eussent eu de nombreux imi­
tateurs.
Les habitants de Penmarc'h s'obstinèrent-ils fi la pêche
- du ~erlus ? Les paroles de Moreau 'que nous .avons citées
permettraient de le supposer. Ce fut un 'tort. La lutte du
merlus de Penmarc'h contre la morue de Terré-Neuve n'était
pas possible. Voilà la vraie cause de la ruine définitive de

cet opulent bourg de Penmarc'h. Les ravages et les
violences de L,a Fontenelle ne firent que précipiter Ulle
décadence commencée avant lui, et qui, même sans lui,
allait continuel;. Penmarc'h ne -xivait que de ses sécheries
de merlus, comme Douarnenez ne vît que de la pêche de la
sardine; mais le sort des deux industries a été bien différent.
(1) Teansaction du 14 décembre 1514 entre les moines de Beauport et
les habitants de Beéhat. Les moines réclamaient la dîme des « morues
pêchées à Terre-Neuve et en Islande, aussi bien que des congres, morues,
merlus et autres poissons pêchés sur la côte de Bretagne. » Cette récla­
mation se fondait sur un acte antérieur à la découverte de' Terre-Neuye ;
ime restreinte aux poissons désormais pêcbés sur la côte de
mais la d'
Bretagne aurait été considérablement réduite. Comm. de M. Tempier, '
des Côtes-du-Nord. S,)ciété arch. des Côtes-du-Nord, 2 série,
archiviste
t. II, p. XXXIII.

DOUARNENEZ.
Pendant que dépérissaient les sécheries de Cornouaille, la
pêche de la sardine avait pris un heureux développement et
la prospérité passait de Penmarc'h à Concarneau et Douar­
nenez.
la fin du XVIe siècle, Moreau nous montre à Concar­
Dès
neau « une rue bien bordée de maisons où demeurent nombre
d'habitants riches par rappol't à leur commerce de mer. )) (1)
Il nous apprend que La Fontenelle « trouva à Douarnenez
un grand butia, d'autant qu'il y avait nombre de , riches
marchands. ») (2)
.l'ai essayé ailleurs non de faire l'histoire de la pêche de
la sardine à Douarnenez, mais simpleinent de rappeler
quelques faits de cette histoire. (3) J'ai insisté particulière­
ment sur les efforts faits au dernier siècle pal' la Socù!té
d'agriculture de Bretagne pour obtenir des réductions de taxes
en faveur de l'industrie sardinière et en g'énéral de la pêche
côtière en Bretagne.
Entre autres bonnes raisons invoquées par la Sociéte
d'agriculture était celle-ci, qui intéresse l'Etat: {( La pêche

côtière est un vaste atelier d'où sortent les principaux
instruments de notre commerce extérieur. )) (4)

, (1) P. 61. L'auteur anonyme d'une notice intitulée: Le passé et le
présent de Concarneau. (Journal Le Pinistère 4 juillet 1880) a cru que
Moreau représentè la ville de Concarneau comme peuplée « de vole~rs ct
de gens de corde.» La phease de Moreau (p. In), reproduite par cet
auteur, ne peut être entendue ainsi. Le chanoine ligueur parle en cet
endroit des soldats eecl'utés un peu partout par le néo-royaliste Lézonnet
l'histoiee du temps auto l'ise cette appréciation.

(3) La pdche de l'1 sardine en Bretagne au dernier siècle (Association
bl'eton ne, 1888;.
(4) Corps d'obsel'va tions de la Société d'agl'iculture, du commerce et des
arts en Beetagne (années 17j7-17~8 ) . (MDCCLXI) .

Cette phrase était écrite en 1758, quand la guerre de Sept
ans ne faisait que commencer. La Société n'avait envisagé
.que l'intérêt commercial de la France; mais, regardant plus
.. loin, ~lle aurajt pu dire que, en temps de guerre, ces hardis
pêcheurs, devenus corsaires, pouvaient être d'utiles auxi­
la marine royale. Soixante-six ans auparavant des
liaires de
la côte du Finistère avaient armé en course et
pêcheurs de

J'ai eu déjà l'occasion de révéler ce souvenir
abordé l'ennemi.
glorieux pour Quimper: il est permis de le rappeler:
Après la bataille de la Hogue, des volontaires Quimpérois
l'Aven­
montèrent une frégate armée en course, nommée
turier, inscrite à Quimper, capturèrent un navire. de la
Nouvelle-Angleterre et firent des prisonniers que le capitaine
des volontaires, second de la frégate, vint déposer aux
prisons de Quimper, le 24 juillet 1695. Ce valeureux capi­
est René Laënnec, le trisaïeul de l'illustre médecin.
taine
et procureur à Quimper. Vous le voyez,
Laënnec était notaire
tout le monde se mêlait, après une grandedéf~ite, de courir
à l'ennemi. (1) .
Et les volontaires de 1695 avaient de qui tenir. Voici quels
patriotes étaient, cent cinquante ans auparavant, les pêcheurs
de Cornouaille :
de nos côtes
Nous sommes en 1542. Les Turcs menacent l'Europe
toute entière, et, comme le dit ridiculement un grave auteur
« le croissant grossissait, de sorte qu'il semblait vouloir se
rendre pleine lune. )) (2) Soliman II a campé devant Vienne
,(1) Dans La Maison natale de Laënnec (1884). j'ai publi~ l'acte d'écrou
de René Laënnec. Arch. du Finistère, B. 753. Ecrous .
signé
(2) Le P. du Paz (gén. de la maison de Penthièvre, p. 1'29). Il se réfère
. ù l'année 159d. Le mot n'était plus si vrai à cette époque. La bataille de
Lépante (1571), avait marqué l'apogée de la puissance turque. et la déca­
dence avait commencé. Il est curieux que cette expression bizarre
/Jrotssant devenant pleine lune se trouve dans un aimable poète du XVIe
siècle, Bérenger de la Tour. Il l'applique à la France du roi Henri II qui
mettait partout le croissant de Diane de Poitiers. Ce n'est pas là assuré­
ment· que du Paz a vu cette expression; il l'a t1'ouvée et il faut pas lui
de sa trouvaille •
disputer l'honneur

(1.529). La Méditerranée devient un lac turc. Rhodes a été
enlevée aux chevaliers (1522). Barberousse a donné Alger,
auX Ottomans (1520) ; ils se sont ,emparés de 'Tunis (1534);
C'est en vain que Charles-Quint a tenté une expédition sur

Alger; il Y a perd u une armée et une flotte (1541). .
C'est à ce moment que François 1 flt alliance avec Soli­
man. Le scandale fut grand pour la chrétienté. C'était une
aperçut bientôt. Le premier
lourde faute et le roi s'en
' résultat de cette alliance fut le rapprochement de Charles­
Quint et de Henri VIII. (1:1. février 1543).
Cette alliance fut-:-elle tenue secrète, ou bien François 1

espéra-t-il ramener le roi d'Angleterre? Toujours est-il que
13, 19 et 31 mars des lettres royales, datées de Fontai­
les
nebleau, prescrivirent au gouverneur de Bretagnè de rendre
la liberté à des navires anglais arrêtés dans des ports
bretons. (1) . '
En réponse), deux mois pIns tard, une flotte anglaise, à
laquelle étaient joints quelques navires espagnols, menaçait

la place de Brest.
La Bretagne avait pour gouverneur, depuis le 25 février
1542, (2) Jean de Brosse, dit de Bretagne, ' duc d'Etampes et
comte de Penthièvre. Le gouverneur s'empressa de convo:...
quel' le ban et l'al'rière-ban ; mais, jugeant insuffisantes les
disposer, il dépêcha au roi, lui deman­
forces dont il pouvait
d'envoyer en Bretagne le vicomte de Rohan et le comte
dant
baron de Vitré et comte de
de Laval, en même temps
Marolles: il donna à
Quintin. Le roi était alors au camp de
René de Rohan le titre de lieutenant général avec des pouvoirs
égaux à ceux du gouverneur, efll'ahsence de ,celui-ci. (3)
Bohan et Guy de Laval partirent en poste; mais, quelque
arrivèrent après les premiers
diligence qu'ils fissent, ils

(1) Moriee, pl'. III, col. 1051.

(2) Moriee, pro III, col. 1045.

(3) Moriee, pl'. III, col. 1047.

coups de feu. Il ne semble pas en effet., que ]a flotte
anglaise se soit bornée à cette promenade sur mer qu'Am­
broise Paré, chirurgien du vicomte de Roban, yi l avec tant
d'admiration et qu'il a décrite avec tant de charme. (1) Dès
les premiers jours de juillet, et à plusieurs reprises, les
Espagnols tentèrent des débarquements que le capitaine
de Brest repoussa en faisant des prisonniers. (2)
Les mois de juillet et d'août passèrent ainsi dans l'attent.e
d'une action plus sérieuse.
Au mois d'août, René de Rohan inspectait les côtes de
COl'nouaille, dont une grande part était dans ses vastes
domaines de Daoulas, Crozon, Porzay et Quéménet. 11 trouva
parmi les marins une généreuse ardeur; mais aussi quelle
imprudence!
Nombre de maîtres de navires s'offraient à doubler leurs
équipages et à courir à l'ennemi. Dou rnenez et Tréboul
étaient habités comme aujourd'hui par de hardis pêcheurs
qui deyaient naturellement être de la partie; mais ils
entendaient se mettre en mer les premiers. Or, leurs embar~
cations équipées pour la pêche, n'étaient pas armées pour la
guerre.
Rohan ne ponvait laisser ces braves gens ql~itter le port
pour aller au-devant d'un désastre; mais il n'était pas facile
de maîtriser leur imprudente ardeur. Rohan dut faire appel
(1) Voyage d'Ambroise Paré en Bretagne. (Bull. de la Sociétp, 1800 .
en Le capitaine de Brest était alors Philippe de Chabot·Beion, comte de
Charny, amiral de France, en même temps gouvemeur de Concarneau,
le l juin 1543. Il ne résidait pas et avait pour lieutenant
qui mourut
Mal'c de Camé, grand veneur, vice-amiral, gmnd maîtl'e des eaux et
de Bretagne et lieutenant du l'oi .
forêts, maître d'hôtel héréditaire
Celui-ci fut continué dans sa lieutenance par M. de Dampierre, successeur
de Philippe de Chabot, et c'est à lui que revient l'honneur d'avoir repoussé
l'ennemi, en
Marc de Carné eut pour successeUl' son · fils, Jérôme de Carné, qui se
qualifie gou vemeur de Brest, en l.:iG(j, et que le roi Charles IX remerciait
en 15 ïO « d'avoir conservé Brest en son obéissance. »

à son autorité. Le 20 août, il donna mission au sieur de Ker-
guelenen « d'avoir l'œil sur les navires destinés à la course,
« en sorte qu'ils fussent tous équipés et prêts à partir avec
(c ceux des hâvres voisins )) au premier signal; mais en
même temps il « défendit expressément aux mariniers de

Douarnenez et Tréboul et généralement à tous autres de
Comouaille de n011 partir de leurs hâvres sans en avoir
congé sur les peines au cas appartènant )), c'est-à-dire souà
peine de rébellion.
Bientôt la flotte anglaise disparut, le cap sur l'Angleterre.
L'impatiente ardeur des pêcheurs n'avait pas été mise à une
longue épreuve et le vicomte de Rohan n'avait pas eu à
seVIr.
Mais qu'ai-je dit ? ... Sévir contre les marins-pêcheurs
coupables seulement de trop d'empressement, le vicomte de

Rohan n'y songea jamais. Ses menaces, il l'entendait bien,
n'éta.,ient qu'un moyen d'intimidation. Au moment même où
il les publiait, il admirait le courage des pêcheurs de Douar­
nenez et' de Tréboul ; et, comme un farouche ennemi admi­
rant une charge français e dans la de'rnière guerre, il s 'écriait:

« Oh ! les braves gens! ))

(1) Morice, pl'. III, col. 10 '19. Kerguelenen, manoir, commune de
Pouldergat, olt est né du Couëdic de Kergoaler, le 17 juin 17!!0.
(Actes paroissiaux de Pouldergat'. On enseigne aujourd'hui aux écoliers
du Finistère que du Couëdic est né en 1739 et 17 !IO (les deux dates y
sont\ au château de Pontdrégat, près Quimperlé, qui n'exista jamais.
(Géographie Atl, J,s (/,It Finistère). Et ceÙe erreur, bien .que signalée, a été
scconde édition.
reproduite dans une