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Bulletin SAF 1891


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Pècheries et sécheries de Léon et de Cornouaille (suite 2)

M. Trévédy

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II (Suite).
PECHERIES & SECHERIES

DE LEON ET DE CORNOUAILLE.
(Stûte) (1)

B. Marquisat de Rosrnadec o'U de Pont-Croix.
L'aveu auquel j'emprunte les renseignements qui vont
est du 30 octobre 1730. (2) Il est rendu par René-
suivre,
Alexis Le Sénéchal, 'comte de Carcado-Molac. La mère de ee
seigneur, Marie-Anne de Rosmadec: avait hérité de son
neveu Sébastien, marquis de Rosmadec, lieutenant génél'al
du Roi, tué à Sénef, le 11 aoùt 167 t. Le marquisat fut vendù
par arrêt du grand conseil du 20 septembl'e
judiciellement
1714 ; vingt jours après: le comte de Carcado faisait recon­
retrait exercé par lui à titre de prémesse ; et, quel-
naître le
ques années plus tard, il obtenait la continuation du marquisat
sous le nom de Pont-Croix. (Lettres de février 1719, regis­
trées au parlement et à la Cour des Comptes les 28 juin et.
5 juillet 1719),
L'aveu nous pl'ésente l'état du marquisat après la cession
en 1649 au baron de N evet des droits que les seigneuries'
faite
et du Juch avaient dans la paroisse de Plo­
de Quéménet
gonnec. (2) Il contient plus de 400 pages et est divisé en
2,384 articles. (3)
(Il V. ci-dessus, p. 104 et HO,
Cl) Cet acte n'existe pas aux archives du Finistère. J'en ai dù la com-
munication à l'obligeance de ·M. Durest-Lebris, notait'e à Pont-Croix .
(3) L'acte de prise de possession de 1650 est visé dans l'aveu de Nevet
du 24 décembre 1682. Arch. du Finistère .
(1) Le numérotage atteint le chiffre de 2ï3'1; mais les rédacteuI's ont
passé par erreur du chiffre 1831 au chiffre t 88'?, omettan t ainsi cinquante

numeros.

A partit' de la commune actuelle de Plo·zévet la plus grande
partie de la côte relevait du marquisat à peu près jusqu'à
l'entrée de Douarnenez. Ce territoire était au dernier siècle

comme aujourd'hui. divisé entre neuf paroisses: Plozévet~
Plouhinec, Esquibien, Primelin , Plogoff, Cléden-Cap-Sizun,
Goulien, Beuzec-Cap-Sizun, Poullan. Six de ces paroisses
relevaient du marquisat: Plogoff, Cléden, Goulien seules
relevaient du Roi.
Le marquis de Pont-Croix se mont.re encore plus libéral
baron de Pont. Il est surtout jaloux de ses droits
que le
honorifiques: il n'omettra pas un de ses droits comme fon­
dateur des églises ou chapelles: enfeux, bans, ~itres, lisières,
comm~ seigneur fon­
armoiries en bosse, etc. Il réclamera,
dateur de N.-D. de' Comfort (en Meillars) c( le droiL le
premier dima llche de juillet, de faire aller ses juges avec la
la paroisse de Beuzec porter en offrande à la
procession de
chapelle un fléau, un crihle, nne faucille et courrois, pout' •
ouvrir la récolte tous les ans à pal'eil jour. » (art. 739).
A Plonévez-Por~ay, il réclamera, outre les honneurs de
fondateul', le. droit « de prendre le premier denier d'offrande
sur le grand autel au jour et feste de Noël. » (Art. 2[1::-10.)
mis
Mais ses droits utiles, comme par exemple les cheffrentes
ou rentes féodales qui sont un des g'rands profits de la
plupart des fiefs, combien peu il s'en soucie! et combien
sont omises! Croira-t-on que quelques chelTrentes seuleme.nt
grand fief de " Quéménet, qui
sont mentionnées dans le
235 articles ?
emploie
En beaucoup de lieux la chelTrente semble être la recon­
naissance honorifique de la seigneurie. Ainsi le manoil' de
Kerandraon (péil . de Mahalon )', "art 657 « paie un bouquet de
la Saint-Mathieu »,25 septembl'e. Des villages paient
roses à
paire de gants; cl'autres, par un vieux souvenir de la
urie
chasse au vol, doivent un gant à faucon (Lesguen, Plo"lJhinec,
art. 1532), un gant à épervier (Pal'c-ar-Veillanec, Beutee

art. 732), deux sOllliettes à ~pervier; un village est quitte
en payant ueux deniers (un liard) pour pain aux chiens
(Kel'isoré-Ploaré, al't. 956).
Pour la pêche et la sécherie, même laisser aller. Ainsi
le marquis ne réelarile les poissons royaux que dans deux
paroisses, Plogoff et Cléden (où il n'a pas la supériorité), et·
peut-être les réclame-t-il parce qu'il les partagera avec les
seig'neurs de Keeharo et de Kerarret (1). Dans les six pa
roissesdll fief riveraines de la mer ce droit n'est pas réclamé.
plus! Le seigneur a le .droit de pêche dans les
Il y a
pal'oisses maritimes; or, il semble que la rétribution annuelle
la licence accOT'dée aux pêcheurs n'est exigée que
qui paie
dans les deux paroisses de Plouhinec et de Plozévet. Sur c.e
point, nous ne trouvons dans l'aveu que la disposition qui
suit:
« Dl'oit de pèche sur ceux qui vont en mer pour Plouhinee
et Plozévet 30 sols et 6 merlus par pêcheur demeurant

entre le port d'Audierne et le chemin du bou"g de Plouhillec
a II bOUJ'g de Keridreux ; ceux d'au-delà et ceux de .Pluzévet
paiellt 27 sols eL 6 merlus. )) (Droits généraux à l'article
Pont-Cl'oix) .
Donc dans les quatre aulees paroisses rnaritimes la pêche
est: semble-t-il, absolument libre.
Nous avons vu le baron de Pont reconnaître que les deux
cinquièmes de la rente de cent livres due par le général de .
Combrit appartiennent au maJ'quis de Pont-Croix. (2) L'a,reu
du maf'quis omet cet.te rente: il se contente de réclamer la
supériorité à Plobannalec, sur le fief de Lestrédiagat trans-
porté avec rétention d'arrière fief (art. 1982-2079); il Loc-
(1) Nu 5H, art. Plogoff. « (Le marquis) est fondé de tout temps immé­
morial à faire loucher et percevoir un tiers de la septième partie des
poissons, comme mulels, bars et autres, qui se pêchent à la côte de Plogolf
el de Cléden, pat' concurrence avec le seigneur de Kerharo et celui de
Rerhal'l'et, qui ont chacun pareil droit. »
('~) Ci-dessus, p. 150 . .

wcly, sur le manoir de Kel'yen donné autrefoi~ en mariage à
une fille de Tivarlen épousant un baron de Pont (art. 854) ;
à Plonivel: sur le manoir de Trénélop, donné à une fille de
Tivarlen mariée à un sire de Kerarret (art. 855); à Plomeur
sur une trentaine de villages, à raison des seigneuries du
Juch et de Lesivy (art. 85Tà 862).
C'est à ce dernier titre que le marquis réclame « le droit et,
devoir de pêcherie, sécherie et varantage (t) sur les poissons
qui se pêchent et se sèchent dans les paroisses de Tréoultré,
Combrit, Lestrédiagat (2), Loctudy, qui est. le cinquième
desdits po issons. » (Art. 2077. )
, Voilà un droit exorbitant contraire aux énonciations de
Pont-l'Abbé, droit que l'abonnement aurait ancien~
l'aveu de
nement fait cesser pour la pal'oisse de Combrit, et qui très
certaineme'nt ne s'exerçait pas dans les autres.
Un point peut surprendre: nulle mention de séchel'ie
sur la côte de Plouhinec, en face d'Audierne, vers le lieu
nommé Poulgoaiec. En effet, une sécherie impor1',anle
existait en cet endl'oit au commencement du XIVe siècle .
Nous la trouvons mentionnée, en 1322, sous le nom de POlll­
goazec et Pentir. Le vicomte de. Léon, alors seignenr de Qllé-
ménet, et à ce titre seigneur de Plouhinec, avait affermé celte
sécherie à un certain Thomassin , en 1322; et., six ans plus
tard. Thomassin était encore débitelU' d'une somme de 200
livres dont Piel're, seigneur de Rostl'enen, se pOl'tait caut.ion
(:{). Ce chiffre semble indiquer que la séche6e avait quelque
importance.
~Iais, de ce que la sécherie de Poulgoa;l,ec n'est pas men­
tionnée dans l'aveu que nous étudions, il ne faut pas co n-

(1) L'aveu dit vamntage et non vacantagc V. ci-dessus, p. 1-'17 et 1'18.
('!; ErreUl'. Il faut lire sans doute Treffiagat, ou Lechiagat, sa trève.
Lestrédiagat n'est pas paroisse, mais manoir et seigneurie en Plobannalec..
(3) Obligation de Pierre, seigneur de Rostrenen, t 3'28. . Morice, Pl'. II,
col. 1350.

clure qllO les pêcheut's ne faisaient pas sécher le poisson le
long des côt.es. La,preuve c'est que, de proche en proche,
en chaque paroisse du fief, le seigneur réclame, un, deux,
fJuelquefois trois merlus secs. On ne voit même pas cl'antee
poisson mentionné comme chefl'rente, sauf en un village
de Poullan, qui doit deux paquets de papillons .. , (.L) .
C. Ba-ron-rüe de Névet.
Les archives du Finistère conservent plusieurs aveux de
la bal'onnie de Névet. Le plus ancien est de 1644. J'emprunte
les détails qui suivent à l'aveu du 24 décembre 1682 ; (2) il
ost plus complet que les autres et décrit la seigneurie
après deux. actes que lui avaient créé une situation Hon­
velle:
1 L'acquisition faîte en 1(jllH du fief de Quéménet, en Plo­
gonnec, acquisition fJui substitua le seigneur de Névet au
marquis de Rosmadec. comme seigneur de la paroisse (3).
2 L'union faite par lettres patentes de mai 1681, des set-
gneuries de Pouldavid, Quéménet, en Plogonnec, Lezai'-
gant, en Plonévez-Porzay, Névet et ses anciennes annexes
pour former du tout une seigneurie unique sous le nom de
Névet. C'es~) à la suite de ces deux actes que le s~igneur
devenu majeur prit le titre de marquis de Névet, sans qu'il
apparaisse de l'érection régulière du marquisat (4).

(1) Evidemment, il faut entendre ici ce mot dans hi sens de petites raies.
(2) Arch. du Finistère, E. 44, aveu rendu par Mre Louis du Breil,
cheyaliE:ir, seigneùr de Pontbriand ... tuteur de Mr. Henry-Anne de Névet •
chevalier, seigneur dudit lieu de Névet, de Lezargant, Beaubois, Launay, et
colonel du ban et de l'arrière-ban de l'évêché de Cornouaille.
{3) Prise de possession en 16;)0, aveu de Nével.
(11 ) Le seigneur de Névet, mineur en 1681,' était Henri-Anne, f1Is de
Hené, mort en 1674, et de Anne de Matignon, elle-mème petite-fille dE la
pl'incesse Léonore d'Orléans-Longueville. Le premier il prit le titre de
marquis, comme l'indique J'inscription gravée sur la pierre tombale dont
l'~glise de Locronan. Il fut colonel du
les fragments sont conset'vés dans
régiment des vaisseaux, du ban et de l'ardère-ban de Cornouaille, et mourut
à 29 ans, le 12 décembre 1ü99, sans mariage. .

Nous avons dit que la seigneurie de Poullan appartenait
au marquis de Pont-Cl'oix; toutefois le baron de Nével y
po~sédait plus d'un villag'e ; et il exerçait les droits seigneu­
riaux sur la rivière de Pouldavid, qui sépare Poullan de
Ploaré et Douarnenez. Voici comment le baron énonce ces
droits :
« Hivière de Pouldavid avec hâvres de Port-HllU el de
Tréboul, et le droit de passage et de pescherie en la dite
rivière et côtière de Ploelan (Poullan), les droits d'arrivage
pour chaque barque, bateau et navire entrant dans la dite
rivière et qui y mouille l'ancre, dix sous monnaie pOUl'
chacun ..... plus les droits de lods et ventes sur les bateaux
sont vendus dans la rivière.
qui
« Plus le droit d'avoir les poissons principaux pris en la
rivière ou costières de Ploelan comme morroues (morues),
dauphins et esturgeons et autres poissons. et de tous bateaux
allants à la pescherie ès dits lieux; lorsqu'il y a quatre
hommes à chaque bateau l'on fait cinq loties: la cinquième
appartient à la seigneurie pour les mulets et maquereaux;
et, lorsqu'il se prend des turbots, le plus grand appartient à .
la seigneurie, et doivent être rendus au moulin de Poul-
david; et l'on a coutume de bailler à ceux qui apportent le
. dit poisson une galonnée de vin, et pour deux sols de pain;
et doivent les dits hommes offrir le reste de leur poisson au
dit seigneur ou receveur de 1a dite terre pour en prendre en
payant. ». . .
Vous le voyez, l'aveu ne mentionne pas la sécherie du
Faut-il conclure de ce silence que
poisson, ni le merlus.
la sécherie n'existait pas sur ces côtes? Ce
l'industrie de
serait bien téméraire. L'aveu ne fait non plus aucune allu­
sion à la pêche de la sardine; et il n'est pas douteux que la
sardine se pêchait et depuis longtemps dans la baie de
au porche occidental de
Douarnenez. Les pierres sculptées
l'ég'lise de Ploaré bâtie au XVIe siècle nous représentent

des .bancs de sardines sur lequel plane le goëland. Ces
pierres sont, on n'en peut douter, des dons d'armateurs de
Douarnenez enrichis par la pêche de la sardine; et si le sei­
gneur de Névet ne nomme pas la sardine, c'est qu'il ne
réclame expressément que les poissons royau·x, et la sardine
'11,' a pas été éle'Dù au rang de poisson royal (1).
Soixante-quinze ans plus tard , la Société royale d'agri.cul-
ture et de commerce de Bretagne protestera contre les impôt~
sur les huiles qui mettent, dit-elle, « des entraves à la fabri­
cation des sardines. » (2) En 1682, le baron de Névet n'en,­
courait pas un reproehe analogue ; il ne réclame pas une
::;ardine comme poisson royal, il ne l'assimile pas aux maque-
l'eaux et aux mulets dont une part lui appal';tient, dans les
bateaux montés par quatre hommes: quelle imposition paie
la pêche de la sardine? Aucune, si ce n'est (et les termes
, ne sont pas bien clairs) dix sous pour l'ar.rivage de ehaque
bateau.
Qu'on ne s'étonne pas qu'une industrie franche et quitte de
tous droits ait pi'ospéré.
A u milieu du de l'nier ,siècle, la société royale d'agl'i­
culture et de commerce écrivait: « La pêche de la sue­
dine sur les côtes bretonnes est d'Lm pl'oduit considér'able,
on le fait monter à plus de deux millions. Le Croisic en

retire au moins 20,000 écus. La pêche du Port-Louis pl>oduit, .
année commune, plus de 400,000 francs. Celle de Belle-Ile
et de Concarneau n'est pas moins considérable et l'on pêche
avec le même succès à Douarnenez et Camaret (3). ))
Il) V. 'ordonn. de 1681, art 1, titre VI. Moreau affirme la richesse de
Douarnenez en son temps ... « Ce bourg était, dit-il, habité pÇlr des gens
» (p. 15:))... « Il y avait nombre de riches marchands.» (p. 209.)
riches.
Lisez: armateurs et pêcheurs.
(2) 1757-1758. J'ai résumé les observations relatives à ta pêcherie de
la sardine dans un mémoire publié sous ce litre par l'Association bl'6-
tonne, 1880.
(3) P. 222-226. Corps d'observations de la Société d'agl'iculture, etc.

Quelques années plus tard, en 1775, un voyag'eur visitant
Douarnenez pouvait écrire que « cinq ou six cents bateaux de
Douarnenez ou de Crozon couvrent journellement cette vaste
et magnifique baie que de hautes collines enferment comme
un bassin. »
Dix ans après, le même, devenu « associé de pêche »,
visitait de 1I0uveau Douarnenez, el il nous apprû'ld que .Ia
pêche y était aussi active bien que donTlant peu de bén(~­
Hees. (1.).
Voilà tout ce que j 'ai pu trouver sur les s~cheries dans
notre F'inistèl'e actuel. Je pouerais, je deVl>ais peut-étf'e
m 'arrêter là; mais il m'a semblé qu'il était permis de diJ'e
un mot de l)enmare'l~ et de rappeler (je puis dil'e de 'révéler)
aux pêcheurs de Douarnenez et de Teéhoul un souvenir qui
do il les rendre fiel's de leurs ancêtres .

.J. TREVEDY .

(A suim'e.)

( 1) Petit~ voyages aux environs de ()uimper. 1775. - Voyage de
O /w1'bourg ct ()uimlJer, 1785, par F. M. ("'rançois Milrand, pseudonyme
de Mat'lin).· Je viens de publier des extraits· de ces voyages sous le titre:
Voyages. dans le département actu.el (lu Finistère (1775 et 1185). Quim~
perlé, Clairet, 1891.