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Bulletin SAF 1891


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Visite au champ des martyrs Bretons de 725 en Bourgogne

M. Hersart de la Villemarqué

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VISITE AU CHAMP DES MARTYRS BRETONS
DE 725, EN BOURGOGNE,
Par M. HERSART DE LA V ILLE MARQUÉ .
On lit dans le procès-verbal de la séance du 27 juin 1886,
rédigé par M. de Blois, secrétaire de la Société archéolo ..
gique du Finistère, que le président épuisa l'ordre ~u jour
en donnant lecture d'un mémoire sur les Joeulatores bretons,
aux temps carlovingiens : l'honorable secrétaire ajoutait:
« A. propos de saint Emilien, évêque de Nantes, chanté
dans des chansons de gestes, du genre de la . chanson de
M. le major Faty,. éclaire
Roland, notre savant confrère,

historiquement les documents poétiques que M. de la Ville­
marqué a traduits des Bollandistes. Deux personnages, dit­
prélat
il, ont porté le nom d'Emilien; l'un était le vaillant
nantais, mort martyr, en 725; sa fête tombe le 25 juin; on
Sanetus k:milianus, et, . en Bourgogne,
l'appelle en latin
Saint Emiland; l'autre, qu'on a le tort de confondre quel­
et dont la fête tombe le 16 novembre, était
quefois avec lui,
Saintonge; il a été le deuxième
abbé d'un monastère de la
patron de Loguivy-Plougras (Côtes-du-Nord); on l'honore
767. » (V .. le Bulletin
en Dordogne où il mourut en l'année
t. XIII (1886) p. 56.)
Le mémoire dont saint Emilien est le sujet se lit aux pages

173 et suivantes du même volume (1).
Un an, presque jour pour jour, après cette lecture, le
samedi 25 juin 1887, c'était fête au village de Saint-Emiland,
Mgr
canton de Couches-les-Mines, et l'évêque du diocèse,
Perraud, de l'Académie française, qui vient de présider les fètes
à Mâcon, donnait un éclat extraordina~re à la
de Lamartine,
(1) Il à été relu à Nantes, au Congrès archéologique de France, en 1886,
et publié en 1887, dans le volume LXII du Congrès, p. 42 .

cérémonie religieuse, en prononçant un discours en l'hon-
J\eur du prélat breton. Résumant à grands traits, en puisant
aux mêmes sources que le Bulletin de la Société archéologique,
sont encadrés les souvenirs tradition­
l'épisode historique où
mort de saint Emiland, l'éminent académicien
nels relatifs à la
signale le service rendu par les Bretons du VIlle siècle à la civi-
lisation chrétienne. Précurseur des Godefroy de Bouillon et
leur général a été le champion et le
des Saint-Louis, dit-il,
martyr de cette civilisation menacée par l'invasion musul­
mane. « Un lien puissant nous unit à eux, s'écrie l'éloquent
évêque; nous ne sommes pas des étrangers les uns pour les
autres. Je le sais, à l'époque de saint Emiland l'unité de
patrie française n'était pas encore faite, mais elle se pr~pa­
rait. Vercingétorix y avait travaillé quand il convoquait les
tribus gauloises pour concerter avec
délégués de toutes les
eux un immense effort en faveur de l'indépendance
par les victoires de César. Bretons de
nationale, menacée
et Bourguignons se sentaient ou se
la vieille Armorique
pressentaient déjà les fils d'une même patrie. »)
. On se rappelle le mandement guerrier qu'adressa à tous
les habitants de l'Armorique l'évêque Emiland, à la nouvelle
de l'invasion de la Bourgogne par les Sarrazins; il a encore
plus de force dans le discours que nous analysons ':
« Emiland apprend le danger auquel sont exposés les
habitants d'Autun et du pays Eduen. Il convoque autour de
lui les plus vaillants de son peuple, et à ces hoinmes, solides
granit de leur terre armoricaine, il tient un langage
comme le
digne d'eux et de leur intrépide courage. A l'appel de leur
répondent: « Seigneur vénéré et bon
évêque, les Bretons
( pasteur, ordonnez, commandez, et partout où vous irèz,

« nous vous SUIvrons. »
Ils partent, ayant, disent les vieilles annales, (c l'espérance
- (c pour flambeau, les sacrements pour nourriture, leur évêque
« pour chef. »

« Ils franchissent à marches forcées la distance qui sépare
la Bretagne de la Bourgogne et ils arrivent à Autun, où leur
présence relève tous les cœurs. Bientôt, trois batailles suc­
cessivement livrées à Saint-Forgeot, à Saint-Pierre-l'Etrier,
à la Creuse d'Auxy, deviennent autant de victoires pour
l'armée des Bretons. Ils poursuivent jusque sur votre plateau
Sarrasins en déroute. Leur mission libératrice touchait à
les
son terme lorsque de nouvelles hordes ennemies, parties de
Chalon, viennent les assaillir. Le nombre les accable. Jus­
qu'au bout, Emiland soutient le courage des siens par des
paroles de feu: « Souvenez-vous, enfants, que vous êtes les
» soldats de Dieu et que vous combattez pour votre véritable
» mère la sainte Eglise ... Là-haut, avec le Christ, un meilleur
» sort nous attend; là est notre victoire; là est notre récom­
» pense. » Près du site agreste où tout à l'heure nous irons
prier ensemble,. continue l'orateur, se fait un horrible car­
nage des chrétiens. Le vénérable pontife est immolé au milieu
en tombant, il a pu redire d'un cœur paisible
de ses fils, mais,
et consolé la parole du Sauveur: « On ne saurait donner à
» ceux qu'on aime un plus grand témoignage d'affection
» que de se sacrifier pour eux. » Majorern hane dileetionem
ut animam suam ponat quis pro amieis suis. »
nemo habet
Fidèle à tous les souvenirs, j'ai voulu visiter « le site
agreste » où tombèrent les Bretons chrétiens et où pria
le pieux évêque de Mâcon. J'étais là le 18 octobre 1890:
c'est une vallée longue et étroite; les rebords sont tapissés
bruyères roses; dans le fond est un taillis plein
de petites
de ronces et de buissons sauvages; à mi-côteau coule une
fontaine surmontée d'une croix; ses eaux se rougirent du
sang de nos héroïques compatriotes ; puis on transporta
leur corps sur le plateau voisin où ils furent mis dans des
sarcophages autour d'une chapelle dédiée à Saint-Jean­
Baptiste, dont on voit encore la statue de marbre blanc,
œuvre d'art gallo-romain, mutilée par des mains impies .
La chapelle du saint précurseur a été remplacée elle-
par une autre sous l'invocation de l'évêque breton
même
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTERE, TOME XVIII. (Mémoires), 2

saint Emiland, qui a donné son nom à la paroisse. Le crâne
du martyr est placé sur l'autel dans une châsse plus digne
ses restes et de transmettre à
que l'ancienne de renfermer
l'avenir le témoignage de la foi des Bourguignons, de leur
reconnaissance pour le sauveur de leur pays, et de leur culte

filial. C'est à l'occasion de l'inauguration de cette belle pièce
la translation solennelle des reliques
d'orfèvrerie et de
est venu au bourg de Saint-Emiland.
que l'évêque diocésain
l'orateur sacré, la photographie
A l'admirable discours de
a voulu joindre ses merveilles. Malheureusement l'art n'a pu
montrer la trace du cimeterre qui a ouvert le ciel 'au martyr
et qui est encore très visible sur la joue droite du saint prélat.