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Bulletin SAF 1891


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Fous, folles et astrologues à la cour de Bretagne

M. Trévédy

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FOUS, FOLLES & ASTROLOGUES
à la Cour de Bretagne.
Il n'est personue qui n'ait entendu parler des Fous de cour,
c'est~à-dire des Fous érigés en titre d'office à la cour des rois.
ont traité les fous des rois avec un suprême dé­
Beaucoup
dain ; mais ceux-ci ont cependant trouvé un illustre avocat.
« Les fous de cour donnent ce que les princes souhaitent
le plus, de bons mots, des railleries, des traits satiriques et
des saillies à faire éclater de rire ... Remarquez le beau pri­
vilége des bouffons : eux seuls sont en droit de parler sincè­
rement sans offenser ... C'est aussi ce qui leur fait le plus

d'honneur; car ils ne dissimulent pas les défauts et les vices
des rois; que dis-je? Ils s'échappent souvent jusqu'à leur
dire des injures sans que ces maîtres du monde s'en montrent
offensés (1). »
Ces phrases ont été écrites par un homme grave, un phi-
losophe, Erasme. Il est vrai qu'elles sont extraites de son
Eloge de la Folie.
Les fous de cour avaient leur place marquée d'avance dans
le Dictionnaire des Institutions de l'ancienne France de M.
Cheruel. Sauf meilleur avis, j'oserai dire que le savant
auteur n'a pas fait aux Fous de Cour une place suffisante.
En preuve, après M. Cheruellisez M. Jal, auteur du Diction-

(1) Si l'on veut voir jusqu'où allait la licence des fous de cour, on peut
de mauvaises plaisanteries si longtemps suivie entre
lire cette guerre
Brusquet et le maréchal de Strozzi, et dont Phistoire a été si complaisam­
(Vie du maréchal de Strozzi.) On ne sait
ment racontée par Brantôme
des deux, du fou ou du maréchal, décerner le prix de grossièreté.·
auquef
- Brusquet avait été mieux inspiré, en 1556, quand, ayant SUivi l'am­
bassade du roi Henri II auprès de Philippe II, il punit l'orgueil incivil des
Espagnols en tournant leur avarice en dérision. Brantôme n'a pas men- .
ce trait qui vaut 'beaucoup mieux que tous ceux auxquels il ap-
tionné
plaudit. (MrGNET Charles (juint à Yuste, chap. II.)

naire critique de Biographie et d' Histoire. Au mot Fous en
titre d'office vous verrez que de détails intéressants le curieux
et patient auteur a pu rassembler. Encore n'a-t-il pas tout
su ; et par exemple ce que nous apprennent nos historiens
et que nous verrons bientôt.
bretons,
Outre ces fous en titre, on trouve des fous suivant la cour,
c'est-à-dire « tenant à la maison du roi seulement par occa­
n'étant pas couchés sur l'état; mais recevant quelques
sion,
gratifications: fous ou bouffons de places ou de foires ». (1)
Ces fous, que Jal nous montre à la cour à peu près comme
en représentation, nous nous demandons s'ils n'y
des acteurs
étaient pas à un autre titre. Par exemple, au cas de vacance
de la charge de fou, les candidats à cette place n'étaient-ils
p~s pris à l'essai comme surnuméraires ou aspirants? Nous
suivant la cour.
trouverons plus loin un exemple de ces fous
Revenons à nos fous en titre .
Les rois ayant des fous, les reines eurent des folles; et les
grands seigneurs et les grandes dames suivirent l'exemple:
ainsi les ducs et duchesses de Bretagne.
Jean IV était mort en 1399. Deux ans plus tard, sa veuve

Navarre donnait samain au roi d'Angleterre
Jeanne de
Henri IV. Les Bretons n'auraient pas souffert que la duchesse
en Angleterre; au moment où elle
emmenât ses fils mineurs
se disposait au départ (2), le duc de Bourgogne, déclaré
régent de Bretagne et tuteur du jeune duc Jean V et de ses
trois frères, vint chercher ses pupilles et emmena les trois
aînés à Paris (décembre 1402).
Un an plus tard, Jean V accomplissait sa quatorzième
année, était déclaré majeur, rendait hommage au roi et
revenait en Bretagne (février 1404).
Bourgogne avait pris soin de nommer à Jean V
Le duc de
un conseil pour aider son inexpérience; et en même temps
(1) JAL, p. 598.
(2) Elle prit la mer à Camaret, le 3 janvier 1403 .

il lui avait formé une maison. C'était une sorte de diminutif
de la cour de France. Nous en avons l'État (1). La longue
nomenclature des officiers de la cour commence aux cham­
bellans et écuyers pour finir aux galopins de cuisine, varlets
de chiens et fauconniers ... Et pourtant elle est incomplète,
puisqu'elle ne comprend ni l'astrologien ni le fou. L'astro- .
paraîtra à la cour de Bretagne que sous François II,
logien ne
le fou va venir sous Jean V.
mais
Pendant son séjour à la cour de France, le duc de Bretagne
avait été diverti par deux fous: le premier, nommé Haincelin
Coq, appartenait au roi; l'autre, nommé ou surnommé
Coquinet, appartenait au duc d'Orléans, et, pour être digne
de le servir, il devait être un maître fou.
Tous deux étaient à la cour dès 1387 (2). Le 2 mars de
cette année, tous les deux traités en frères « recevaient trois
aunes d'iraigne et trois de drap vert pour se faire une
longue houppelande. » . Le jour de Pâques 1388, tous deux
portaient « de longues houppelandes vertes fourrées de dos
de petit-gris rouge ».
Voilà d'élégantes houppelandes, aussi belles assurément
que la houppelande rouge fourrée de martre que le conné­
léguait à Bertrand de Dinan (3). La four­
table de Clisson
rure d'une autre houppelande léguée par le connétable au
seigneur de Vaucler n'était sans doute pas plus précieuse
la fourrure de petit-gris donnée aux fous du roi et du
que
duc d'Orléans.
En 1404, après le départ du duc de Bretagne, Coquinet
la cour; le 20 mai de cette année, il rece­
divertissait encore
vait en même temps que Coq « une houppelante d'iraigne
vermeille doublée de taffetas vermeil ».
(1) LOBINEAU Pro col. 813 à 816. MORICE Pro II, col. 735 et suiv .
. ' (2) JAL. P. 598.
(3) MORIOE Pro II, col. 782. Codicille du connétable de Clisson.

Mais en 1407, Coq seul reçoit une gratification du roi.
Qu'était donc devenu Coquinet? Avait-il quitté ce monde?
ou bien avait-il porté ailleurs ses plaisanteries et sa joyeuse
humeur?
De l'absence du nom de Coquinet aux comptes de la cour
Ja1 a conclu la mort de Coquinet. (1) Je crois au contraire
et voici mes raisons:
que Coquinet vivait encore,
Le duc d'Orléans avait été assassiné le 24 novembre 1407.
Sa veuve, Valentine de Milan, allait pleurer son coupable
époux et n'avait plus besoin des services de Coquinet.
fou resté sans emploi ne vint-il pas alors à la cour de Bre­
tagne? Du moins, quelques années plus tard, trouvons-nous
auprès du duc Jean V un fou nommé Coquinet.
en donnant à son fou le nom de
Dira-t-on que le duc
honorer la mémoire, du moins per­
Coquinet a voulu, sinon
pétuer le nom du fou qui avait tant diverti son séjour à la
cour de France? N'est:-il pas plus naturel de penser que le
V n'était autre que l'ancien fou du duc d'Orléans?
fou de Jean
Quoi qu'il en soit, Coquinet jouissait en 1419 de la faveur
duc; et en voici la preuve: Le roi d'Angleterre Henri V
vient de s'emparer de Rouen: il adresse 'au duc de Bretagne
message sur message pour le prier de venir le trouver à
Rouen. Le duc se décide sur un dernier message reçu à
Dinan, et, pour charmer les ennuis de cette longue route,
est mal monté, il lui
il emmène Coquinet. Mais Coquinet
faut un cheval et digne de lui. A Dol, le duc en achète un,
pour cent dix sols, de frère Jehan Louahere, jacobin, et le
donne à Coquinet (2).
ne nous révèle la présence d'un fou à la cour
Aucun texte

de François 1 (1442-1450). On peut cependant conjecturer

que le duc n'avait pas d'antipathie pour les fous et qu'il aura

(I)JAL.P.598.
(2) LOBINEAU Pro col. 929.

sur ce point cédé à la mode : nous allons voir tout à l'heure
une folle aux gages de la duchesse Isabeau, sa veuve.
Nous sommes miéux renseignés en ce qui concerne
Pierre Il (1450-1457).
Au mois de janvier 1451', la reine Marie, femme de
adressa au duc de B,retagne un fou dont nous
Charles VII,

ne pouvons dire le nom. Nous ne savons que le nom de

gouvenieresse, Elisonne. Elle vint conduire le fou au duc qui
à Nantes, et, sa mission remplie, reçut au
se trouvait alors
départ une gratification de trente-quatre saluts (1).
Qu'on ne s'étonne pas de voir un gardien donné à un fou:
c'était assez l'habitude~ C'est ainsi que lorsque Louis XII
à la cour ce pauvre jeune homme cORtrefait et objet
recueillit
la risée publique, qui, d'après Jal, se nommait Févrial ou
et qui est devenu trop célèbre sous le nom de Tri­
Férial,
boulet, le roi lui donna « un aide et gouverneur. » (2). Seu-
lement le choix, d'une femme comme gouverneresse, comme
mentor d'un fou envoyé en Bretagne par la reine de France
permet de supposer que ce fou devait être un très jeune
homme, un garçonnet.
Nous avons dit que la duchesse Isabeau, femme puis
veuve de François 1 , avait une folle. Elle se nommait
Françoise; et, en 1452, le duc Pierre Il lui donnait une gra­
tification de douze livres pour son habillement (3). La du­
à ce moment, mais il semble
chesse Isabeau était veuve
bien que Françoise lui appartenait . du vivant du duc. Ce
serait presque faire injure à la mémoire de la duchesse que de

(1) LOBINEAU Pr. col. 1184. Le salut était une monnaie d'or valant
25 sols tournois, ainsi nommée parce que la Salutation Angélique était
côté, avec le mot Ave en exergue.
représentée d'un

P) JAL. p. 599 et 600. Je ne sais si la preuve est faite du nom de
Férial. Des registres portent Fér ial. frère de Triboulet. Que savons-nous
s'ils n'étaient pas seulement frères utérins?
(3) LOBINEAU Pro col. 1188.

supposer ' ennuis du veuvage.
grand s.eigneur de Bretagne
Dès cette époque, le plus
était Alain IX, vicomte de Rohan et de Léon. Pourquoi ne
pas donné le luxe d'un fou? Il n'y manqua pas;
se serait-il
et quand, en juillet 1454, il se rendi~ à la cour, il se fit
donna
accompagner de son fou. Celui-ci plut au duc qui lui
. une gratification de six saluts (1).
L'année suivante, le compte du trésorier nomme un fou du
la qualification (que nous retrouve­
duc et lui donne même
rons) de maître. En mars 1455, maître Denis Chantre reçut
trois saluts de gratification (2).
Pierre II, mort le 22 septembre 1457, eut pour successeur
Arthur de Richemont. Le glorieux connétable,
. son oncle
entre deux victoires sur les Anglais, aimait à rire. Il semble
un goût prononcé pour les exercices des bateleurs
qu'il ait eu
et pour les farces. Lui-même s'en permettait d'assez vives
que Brusquet n'aurait pas désavouées et que Brantôme eût
admirées. (3) Comment n'aurait-il pas eu un fou favori? Ce
Je trouve ce nom ailleurs.
fou se nommait Dago.
Quelques années auparavant, en novembre 1454, il Y avait
à la cour de France deux fous dont l'un nommé Dago (4).
Ils n'étaient pas fous en titre; mais seulement fous suivant la
COU?", c'est-à-dire y étant admis à titre provisoire, peut-être
comme à l'essai, comme aspirants à la place de fous en
titre.
Quoi qu'il en soit de cette dernière hypothèse, et si Dago
a élevé jusque-là ses visées ambitieuses, son espérance fut

(1) LOBINEAU Pro col. 1(193.

(2) LOBINEAU, Pro Col. 1194.

(3) On peut voir une de ces farces
au compte d'Olivier Le Roux. LOBI-
NEAU; Pro Col. 1205.
(4) JAL. p, 598.

déçue: il ne devint pas fou en titre, puisque en 1458, le fou
du roi se nommait Colard, surnommé Monsieur de Laon (1).
Le connétable avait-il vu Dago à la cour de France et
l'avait-il appelé à la cour de Bretagne?
Quoi qu'il en soit, Dago était fou en titre du duc dès le
mois de novembre 1457. Il avait à cette époque suivi le duc
à R~nnes, où lui arriva une cruelle mésaventure. C'est cette
mésaventure qui a conservé son nom à la postérité. Certaine
plaisanterie du fou déplut à un officier « et des soumets
furent baillés à Dago, en présence du duc ». Arthur rappela
l'auteur des soumets au respect dû à la présence de son
souverain, et en même temps consola Dago en lui « baillant
publiquement de sa main un écu neuf (2). »
Quelques mois après, en janvier 1458, le duc va saluer le
roi à Tours. Les ambassadeurs de Hongrie vont venir de­
mander pour leur roi la main d'une fille de France; le roi
veut les éblouir de l'éclat de sa royauté; il a appelé son
connétable; un grand tournoi se prépare en son honneur.
Le duc part avec la fleur de sa chevalerie : il présentera au
tournoi vingt-huit tenants ... Mais non! Le duc de Bretagne
va être retenu en route par la maladie. Il arrivera trop tard
et le tournoi n'aura pas lieu. (3)
Mais le roi ne néglige rien pour donner plaisir et divertis
sement à ses nobles hôtes. Les bateleurs de toutes sortes se
sont donné rendez-vous à Tours. Témoin ces cc certains
compaignons qui feront plusieurs esbatements de morisques
et autres jeux devant le duc » et auxquels le duc charmé fera
remettre six écus. Mais ces bateleurs de places et de foires
ne suffisent pas, à ce qu'il semble. Chaque seigneur amène
et présente à Tours quelque curiosité.
Ainsi Arthur n'a pas manqué de se faire suivre des
(1) JAL. P. 598.
(:2) LOBINEAU Pro 1204.

(3) LOBINEAU, p. 667.

lutteurs les plus renommés de Basse-Bretagne. Le sire de
la Marche a amené son serviteur (nous dirions un clown à
ses gages) qui « joue de souplesse)) devant le duc de Bre­
tagne et auquel celui-ci fait donner deux écus. « Monsieur
de Bourbon» est accompagné de son fou, dont les plaisan-
teries charment le duc qui lui fait aussi donner deux écus (1).
François II commença son règne le 3 février 1458. La suc­
cession du duché lui venait fort à propos, car s'il était
~ beau et de grande apparence)), il était aussi « pauvre
prince et disetteux )) (2). Le pauvre comte d'Etampes n'aurait
pu se donner le luxe d'un fou. Le duc de Bretagne s'empressa
d'en chercher un ; et il le trouva si heureusement, que, cette
année même, il voulut le faire voir au roi, comme les enfants
qui montrent avec admiration les jouets qu'ils viennent de
recevoir et qu'ils vont bientôt briser.
C'est à Chinon que le fou du duc de Bretagne fut présenté
au roi. Ce voyage lui fut heureux. Charles VII le combla.
Il lui fit remettre « six aunes de velours tanné pour faire une
robe, trois aunes de drap rouge, .blanc et vert (les couleurs
du roi) pour faire un chaperon, enfin un pourpoint de velours
gris (3).
Mais le fou du duc n'allait pâs longtemps parader à la
cour de Bretagne sous ce brillant costume.
Nous n'avons pas dit le nom du fou envoyé par le duc au
roi;· mais nous ne doutons pas qu'il ne soit le même dont
nous allons parler: maitre Denis d'Espinel.
Or, au mois de novembre 1459, le trésorier du duc remit
à maitre Denis d'Espinel « quatre livres onze sous et huit
deniers pour s'en aller et ne revenir plus)) (4). Ces expres-
(1) Pour tout ce qui précède, LOBI~EAU, Pro col. 1'205.
("2) LOBINEAU. P. 671. Il cite Olivier de la Marche.
(3) JAL. P. 604 .

0) LOBINEAU. Pro col. 12.59.

slons ne permettent pas d'attribuer pour cause au départ de

d'Espinel une retraite volontaire oprès un si court exercice.
Non, c'est un congé forcé: le fou est chassé. Pour quelle
cause? C'est ce que le trésorier ne dit pas. D'Espinel aurait­
il déplu à Antoinette de Meignelais; et, comme tant d'autres,
aurait-il conseillé au duc « de s'en départir? » On ne saurait
supposer tant de sagesse et de raison chez un fou.
On ne peut douter que d'Espinel n'ait eu un successeur,'
bien qu'on ne le trouve mentionné nulle part, pas même au
béguin de François II (1). Mais on peut inférer la présence
d'un fou du duc de la préSE)IlCe des folles qui furent successi­
vement aux gages des deux duchesses femmes de FrançoisII.
Marguerite de Bretagne, la première, avait une folle
dont le trésorier indique le surnom : Madame de Toutes Cou­
leurs. En novembre 1460, elle reçut une gratification de six
livres dix-sept sols et six deniers (2).
Marguerite de Foix, que François II épousa en 1471, eut
successivement deux folles.
La première, nommée Françoise Gaillart ou GaHard, était
à la cour en 1l! 77 : elle est nommée au béguin de Marie de
Bretagne, la plus jeune des sœurs du duc, abbesse de Fonte­
vrault '(3). Il semble que Françoise se retira peu après; mais
la duchesse ne l'abandonna pas. La preuve, c'est que, en
1492, Anne de Bretagne devenue reine lui servait encore une
pension de dix livres au titre de « folle de la feue duchesse
de Bretagne » (4).
Après Françoise Gaillart, une autre folle succéda à la
faveur de Marguerite de Foix. Nous ne connaissons que son

(1) Je veux dire qu'il n'est pas mentionné avec son titre de fou. Plusieur.
de leur qualité.
personnes apparaissent sans indication
(2) LOBINEAU Pro col. 1261.
(3) LOBINEAU Pro col. 1378.
(1) JAL. P. 601. On a imprimé « duchesse de Bourgogne ll. Ce qui pré-

céde démontre l'erreur; .

nom de baptême, Colette. Lorsque le duc François Il mouru.t,
Colette « folle de la duchesse», fut comprise au béguin du
duc pOUl' une robe évaluée quinze livres (1). La folle n'avait
pas à se plaindre: elle était traitée comme (c Mesdamoiselles
J ehanne de Rosnyvinen, Françoise de Breseillac, Anne de
Plumaugat, Margarite du Maz, » filles d'honneur, qui rece­
vaient aussi des robes de quinze livres.
Colette, si bien traitée en 1488, resta-t-elle à la cour comme
folle de la reine Anne? C'est ce que nous ne pouvons
dire. Tout ce que nous savons, c'est que Anne devenue reine
avait une folle en titre. Le 18 janvier 1492, la reine fit re-
mettre « à Sinocte, pauvre femme, mère de sa folle, la somme
. de dix-sept livres dix sols tournois, aumosnée pour lui aider
à vivre et s'en retourner à sa maison » (2).
L'humble maisçm où Sinocte allait rentrer avec son petit
trésor n'était-elle pas en Basse-Bretagne ? ... Je ne veux pas
en douter. Comment croire que la reine eùt une folle qui ne
sùt pas plaisanter en breton?
V oilà la nomenclature des fous et des folles de la cour de
Bretagne.
APPENDICE.
Je crois pouvoir joindre ici, en Appendice, la liste des
astrologiens ou, comme nous disons aujourd'hui, des astro­
logues, ces charlatans qui demandaient aux étoiles le secret
de l'avenir.
Les ducs de Bl'etagne ont eu le mérite de ne pas suivre
sur ce point rexemple des rois. Ils n'ont pas eu d'astrologues
en titre. Deux seuls astrologues sont nommés aux registres
de la chancellerie de Bretagne, et tous les deux sous Fran­
çois Il, au début de son long et triste règne.

par la Société
(1) LOBINEAU Pro 1506. Arc!ûves de Bretagne publiées
des Bibliophiles Bretons. II. P. 102 et 98.
(2) JAL. P. 598 .

Le premier est nommé (,( Maistre Arnoul des Mares». Il
n'apparaît qu'une fois, en avril ou mai 1461. Le duc l'avait
sans doute consulté et lui fit un don d'argent (1). .

Le 1 janvier 1458, un « astrologien du roi » nommé
Charles VII « t.rente­
Maistre Arnoul des Maretz recevait de
huit livres tournois pour étrennes » (2).
Le nom de cet a!i!trologien en titre se rapproche trop du
nom de celui que consulta le duc de Bretagne trois ans plus
tard, pour que nous ne soyons pas tenté d'identifier les deux
astrologues. Du moins, s'ils n'étaient pas une et même per­
sonne, le second était-il l'héritier et le continuateur du

premIer.
En 1462, nous trouvons un autre astrologue qui a dû avoir
rapports plus suivis. Il est nommé « Maistre
avec le duc des
Nicolas de Poulaine)). Il exerçait son art à Paris, peut-être
avec assez peu de succès. En novembre 1462, il vint à Nantes
pour voir s'il trouverait moyen de s'y établir ... pour tâter le
terrain; mais il avait fait ce voyage d'exploration sans
apporter ses livres. François II lui fit bon accueil et lui fit
remettre une somme d'argent « pour aider à son deffroy
d'aller quérir ses livres à Paris pour venir demeurer à
Nantes » (3).
Poulaine ait eu le titre
Rien n'indique que Nicolas de
d'astrologien du duc; mais, si celui-ci l'attirait à Nantes et

lui donnait les moyens de s'y établir, c'est apparemment
qu'il comptait recourir à ses lumières .
Le nom de Poulaine n'apparaît pas plus tard aux extraits
des registres publiés par nos historiens, ni au béguin de
François II publié récemment in-extenso (4).
(1) LOBINEAU Pro col. f26L ter compte de Landais.
(2) JAL. P. 77.
(3) LOBINEAU Pl'. col. t26ft. . '
(4) Société des Bibliophiles Bretons. 1884. Archives de Bretagne II, p. 79.

J'ai cru· pouvoir sans scrupule rapprocher les astrologiens
et les fous de la cour de Bretagne. Les astrologiens méritaient
fous que les bouffons des princes, puisqu'ils
mieux le nom de
leur a donné
prenaient au sérieux le titre assez plaisant que
un auteur comique : Truchements des étoiles.
J. TRÉVÉDY,
J1nc'ien président du Tribunal de Quimper .