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Bulletin SAF 1890


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Note sur les oeufs de coqs

M. Le Bourdellès

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sans· doute, quelque autre monument tout aussi curieux ; c'est
ainsi que nous verrons disparaître, les unes après les autres,
toutes les richesses monumentales du Finistère .

--._It:O:co...-
XXIV.
NOTE SUR LES ŒUFS DE CO S

La croyance populaire qui attribue à la prétendue ponte
d'üne forme particulière trouvés parfois dans
du coq les œufs
les poulaillers, est fort ancienne et non spéciale à la Basse­
Bretagne.
Les naturalistes sont d'accord, maintenant, pour recon­
<;Bufs sont seulement des germes avortés pro­
naître que ces
venant de poules trop jeunes ou trop vieilles.
Certains auteurs du Moyen-Age, et la tradition encore
vivante dans toute la Bretagne, en Poitou et dans le centre
la France se plaisent à accorder à l'œuf de coq des pro­
priétés. fantastiques: il est considéré, notamment, comme
à un animal étrange ou malfaisant .
devant donner naissance
Le scientifisme merveilleux du Moyen-Age appèlle cet
animal la codrille ·ou cocadrille. Le souvenir de ce terme est
cocatru, sous laquelle on
reproduit dans la dénomination de

par l'accouplement de la
désigne en Poitou l'œuf produit

avec un serpent ou avec un crapaud : cet œuf offre les
poule
dangers que l'œuf de coq, connu anssi dans les
mêmes
légende$ de cette province. Mais, d'après la majorité des
traditions" telles qu'elles subsistent aujourd'hui, c'est un
serpent qui est destiné à sortir de l'œuf du coq, si on a
de le laisser couver. .
l'imprudence

L'œuf de coq était considéré comme un instrumeut de
sorcellerie. En août 1474, à Bâle, un coq, convaincu d'avoir
pondu un œuf dont il était éclos un serpent ailé, ou basilic,
fut l'objet d'une information judiciaire, condamné à mort et
ill

brûlé, ainsi que l'œuf, en place publique, par le bourreau.
Un ouvrage publié en 1709: à Rotterdam, par P. Texel et

intitulé Phœnix ViSU8 et auditu8, va jusqu'à donner la des­
cription de la cocadrille: « Elle est de la grosseur d'une
« petite poule. La tête ressemble à celle ' d'un coq d'Inde.
« Elle a une couronne moitié jaune moitié bleue. Le dos et
« les ailes sont jau~âtres. Elle a une queue recourbée,
« tachetée comme le corps du crapaud et armée au bout
«. d'un dard redoutable en forme de fer à lance. » Afin de
les plus incrédules, l'ouvrage représente même
convaincre
en gravure la prétendue co drille ou cocadrille.
Il faut dire, immédiatement, pour relever l'ouvrage de
Texel de l'injuste appréciation que nos lecteurs feraient de
la bonne foi de l'auteur, que celui-ci est, sans doute, victime
du charlatanisme du Moyen-Age; en effet, les cabinets
d'histoire naturelle des physiciens, ou les collections des
curieux étaient encore encombrés, au XVIIIe siècle, d'ani-
maux fantastiques, cocadrilles, dragons, etc ... , fabriqués, le
plus souvent, avec des poissons, notamment avec de vulgaires
raies, dont les organes avaient été manipulés et préparés,
de manière à offrir les apparences de ' bêtes étranges : les
nageoires pectorales étaient relevées pour simuler les ailes,
. la bouche était fendue démesurément et mettait en évidence
le palaIs recouvert d'un pavé en mosaïque ... , etc ... Ces pré-
parations avaient orné autrefois le laboratoire des alchimistes
et des prétendus sorciers, dont les pratiques av~ient tant
d'empire sur les imaginations des siècles précédents.
La superstition campagnarde se défie toujours de l'œuf de
coq ou de ses similaires.
En Poitou; on tue impitoyàblement la poule qui charite

jaulon} c'est-à-dire qui imite le coq, car cette transforma­
tion dans le gosier de la poule indique qu'elle pondra le
'le cocatru : or, du cocatru sort un serpent, lequel grandit,
sous les tuiles des habitations, cause de grands ravages et,
périr les gens de la maison (1),
finalement, fait
Dans le centre de la France, on charme les œufs de coq,
on neutralise leur funeste influence, en plaçant, le premier
jour de mai, dans les juchoirs et sur les fumiers des basses­
cours, des feuillages de charme (2), .
est à noter également, par rappol't à notre légende, que
l'on rencontre, mis en œuvre, dans la description de la
cocadrille fantasmagorique du Moyen-Age, les éléments
d'un coq et d'un reptile, lesquels se trouvent liés à l'origine,

d'abord, et 'au développement, ensuite, du serpent de Ker-
lagadec, Partout, d'un autre côté, l,e symbolisme a, pour
constituer le dragon légendaire, emprunté le type des
grands serpents, auxquels il ajou,te, indépendamment de
pattes armées de griffes et d'ailes puissantes, une crête
. imposante et une barbe, attributs qui appartiennent au coq,
Le dragon fabuleux de Roc'h-Morvan, au pays du roi
Elorn, dompté par les saints chevaliers Derrien et Neven-
terius, et dont la légende bien connue est racontée par
Albert Le Grand, participe des mêmes traditions:

long de cinq toises .. , la teste faite comme un coq .. , tout
couvert de dures écailles », dit Albert Le Grand,
Aussi termine-t-il dans la mer le cours de SyS méfaits,
à Poulbeuzual, en Plounéour-Trez, lieu nommé ainsi, ajoute
Albèrt Le Grand, par corruption de Poulbeuz-Anéval} c'est-
à~dire port ou fut noyée la bête, de même que le serpent .
disparaît à la pointe de Combrit, et de
de Kerlagadec
(1) Le coq, la poule et l'œuf par Desai vre. Niort 1876. - Confér. Mélu­

sine, 1878, col. 1-19.)
('2) Superstitions du centre' de la France, par Laisnel de la Salle.

même, encore, que le dragon de la légende de saint Pol est
précipité par l'évêque dans un « Toul-ar-Sarpant », situé

sur la côte de l'Ile-de-Batz. .
La science étymologique est d'accord avec ' les transfor­
mations du symbolisme; il est constant, au point de vue
linguistique, que le mot même de dragon dérive, dans les
racines sanscrites, de l'iJée du regard du serpent: dgrvischa,
œil-poisson, et drkcruti, ou drkkarna, celui dont l'œil est
1 oreille, expression énergique pour indiquer que la vigilance
du serpent se concentre dans la vue. C'est de la même liai­
et racine drc, en grec derkô, je vois, que dérive
son d'idées
grec drakôn, drakontos, littéralement le voyant, sanscrit
darçant. Ce nom grec a passé dans toutes les langues euro­
péennes, par l'intermédiaire du latin draco (1).
En celtique, aer signifie serpent, et aerouant, dragon: la
. langue. ne s'oppose donc pas à une parenté très proche entre
le serpent de Kerlagadec et le dragon de Roc'h-Morvan, ou
celui de la légende de saint Pol: cela est si vrai que le gouffre
où finit le monstre qui ravageait l'Ile-de-Batz s'appelle
« Toul-ar-Sarpant », comme notre caverne de Tréméoc.
faut-il pas rattacher au même cycle de tradi­
- Enfin, ne
tions parmi lesquelles nous a conduit le serpent de Kerla­
gadec, le .culte mystérieux accordé par le druidisme à l'œuf
de serpent, dont les vertus forment l'un des dogmes de la
religion des gaulois? (2)

LE BOURDELLES .

( 1) LAROUSSE, Dict. uni v. V. Dragon.

('2) PLINi:, Hist. nat., XXIX, 12.