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Bulletin SAF 1890


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Le président de Boisbilly

M. de Blois

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LE PRESIDENT DE BOISBILI.I y
et les exactions coynTllises par les (ermie/'s et receveurs
des clTOit~ de ports et hâm'es en Bretagne.
Les biographies bretonnes ne font pas mention de Lau­
rent-François-Pl'ovost Douglas de la Boëssière de Bois­
billy, qui fut plus particulièrement connu de son temps sous

le nom de Président de Boisbillv.
Cependant les services qu'il a rendus, pendant le cours
d'une longue carrièl'e, à Moelaix, sa ville natale, et au com­
mercede Bretagne, méritent de sauvee sa mémoire d'un

injuste oubli.
Monsieur de Boisbilly naquit en 1695; son père dirigea
lui-même son éducation et ne négligea aucun moyen pour
développer les heureuses facultés de son fIls. Ses études
terminées, celui-ci visita successivement l'Espagne, l'Angle­
terre et la Hollande, pays dont il apprit les langues et dont
il s'appliqua à connaître le génie et les ressources .

Au retour de ses voyages, Laurent-François, employé
d'abord comme subdélégué de l'Intendance à Morlaix, devint
bientôt lieutenant g'énéral de l'amirauté dans cette ville et
commença à y faire preuve d'une g'l'ande aptitude pour le
maniement des affaires publiques.
Les connaissances qu'il avait acquises au prix d'un travail
persévérant lui assuraient déjà une réelle supériorité su~ la
plupart des membres de la noblesse qui siègeaient avec lui
aux états de la Province; la facilité et l'agrément de son élo­
cution achevèrent de mettre son mérite en relief. En 1728, la
faveur royale l'associa comme chevalier à l'ordre de Saint-
Michel; deux ans plus tard, à la suite d'un rapport présenté
aux Etats, il fut nommé par eux député en cour afin de pour-

suivre devant le conseil du roi la condamnation et la répres­
sion des malversations tentées par les agents des fermiers
O'énéraux, en vue de ressusciter un impôt sur les entrées et
~orties des ports de Bretagne. Cette eharge onéreuse con­
sentie pour un temps déterminé, était abolie depuis 200 ans
et son rétablissement au commencement du XVIIIe siècle,
menaçait d'une ruine complète et prochaine le commerce ,
maritime de la Bretagne. De là la sollicitude des Etats.
Monsieur de Boisbilly rédigea donc sur ce sujet une re­
quête qui eut un plein succès, parce qu'elle dévoilait jusqu'à
l'évidence les moyens illég'aux et frauduleux employés par
les agents du fisc pour faire réussir leur entreprise et aug­
menter leurs émoluments.
Le travail de l'auteur est divisé en deux parties distinctes:
dans la première il expose avec netteté les franchises et pri­
vilèges de la province et les principes qui y règlent la per­
ception des impôts, dans la seconde il démontre, avec une
dialectique que ne désavouerait pas la critique historique
moderne, la fausseté de la prétendue pancarte du 25 juin
1565 que les traitants invoquaient comme base de leurs ré­
clamations.
L'affaire évoquée devant le Conseil d'Etat se termina à
l'entière satisfaction du commissaire des Etats. Un arrêt
souverain déchargea la province des demandes du fisc et
débouta les agents des fermiers généraux de leurs injustes
prétentions dont, il ne fut même plus question depuis cette
époque.
A la tenue de 1732, les Etats félicitèrent publiquement leur
mandataire de l'heureux accomplissement de sa mission. A
ce témoignage flatteur s'en ajoutèrent d'autres, Leurs Altesses
Sérénissimes, le comte de Toulouse et le duc de Penthièvre
son fils, tous deux successivement gouverneurs de Bretagne
et grands amiraux de France, daignèrent marquer à monsieur
leur affectueuse considération en lui faisant don,
de Boisbilly

Cil 17:32 et en 1746, de leurs magnifiques portl'uits qui déco­
rent encore aujourd'hui la demeure dE' l'un de ses petits-fils.
La situation considérable qu'occupait monsieur de Bois­
billy dans son pays parut encore s'accroître lorsqu'il acheta
en 1742 la chal'ge d'e Président à la COUI' des comptes de Bre-
tagrie. Il remplit pendant onze ans ces nouvelles fonctions
une remal'quable distinction et mourut à Nantes le 23
avec
octobre 1753 à peine âgé de. 58 ans. Sa vie avait été active et
utile et plusieurs de ses œuvres lui ont survécu.
Soucieux des intérêts de sa ville natale, il avait pl'ocuré à
Morlaix en :1.730 la eréation de son impoI'tallte nianufa ture
de tabac, et obtenu du roi et des Etats une somme considé-
l'able pour la reconstruction de l'hôpital, détruit par un incen­
die; enfin il avait fondé de ses propres deniers, en 1752, le
premier établissement des sœurs de charité de Saint-Vincent­
de-Paule, pour le soulagement des pauvres de la ville. Ces
détails biographiques font apprécier le caractère de l'homme
privé; la lecture du mémoire révèle la science, la probité
et l'indépendance du magistrat.
Requête au, roy et à nosseigneurs de son conseil pour les
Etats de Bretagne, contre les fermiers générau.x des
fer1nes unies de Sa Majesté, au sujet des droits de trat­
tes, ports et hâvres; entrées et sorties de la province de
Bretagne.

Du 8 juin 1730.
Au Roy
et à nos seig'neurs de son conseil.
- Sire,
Les Députez et Procureur général, sindic des Etats de
BrEtagne, représentent très-humblement à V. M. qu'ils sont
indispensablement obligés par le ministère de former oppo­
sition à deux arrestsde votre conseil, rendus les 6 mars 1"725

ct n novembre 1728 et à tout ce qui a été fait ou Ol'donné en

c.onsequence.
Le premier porte que les droits spécifiez dans la Pancarte
des droits et Devoirs dùs aux ports et hâvres de Bretagne
du 25 juin 1565 seront perçus par les receveurs des fermes
sur toutes les marchandises et denrées y dénommées soit à
rentrée ou à la sortie, à l'exception néanmoins de celles dont
l'entl'ée et la sortie sont prohibées par les arrests du conseil,
ct ce pour autant de temps qu'ils auront lieu, après quoi les
droits continueront d'être perçus conformément à la dite
dits
Pancarte; ce Caisant et salis s'arrêtel' à la sentence du juge
des Traites de Brest du 11 octobre 172 } que V. M. a cassée
et annullée, a condamné et condamne Noël David, Jean
Legris, Jacques Delarüe et Jean Duthoya, marchands de
à Landerneau au payement des droits de cinq sols
toiles
sur chaque cent aulnes de toiles
monnoye, faisant six sols
marchands ont fait charger sur le navire la
que les dits
« Marie-Magdeleine, » de Landerneau conformément à la dite
Pancarte du 25 juin 1565 au titre de l'Evêché de Leon; au
payement des quels droits, les dits marchands seront solidai­
rement contraints comme pour les propres deniers et affaires
roy; avec très-expresses inhibitions et. défense au juge
des Traites de Brest et à tous autres de rendre à l'avenir
semblables sentences à peine d'interdiction, etc.
Le second ordonne que les arrests des 30 septembre 1721
ct 3 mai 1723 en ce qui concerne les déclarations et soumis­
sions devant les ' :,ieurs intendants, pour les gl>ains que l'on
transporter d'un lieu à l'autre, et le contenu en -l'art.
voudra
Il du titre 2, de l'ordonnance de 1687 qui prescrit la forme
être faites
en laquelle les dites déclarations doivent encore
dans les bureaux des fermes, ensemble l'arrest du 13 avril
.1. 728, seront exécutez selon leur forme et tenenr dans la pro­
Bretagne. En conséquence V. 1\1. a cassé et annullé
vince de
la sentence du juge des Traites à Quimper du 2 octobre 1728,

lui fait deffenses d'en rendre de pareilles à l'avenir à peine
d'interdiction: déclare V. M. les barques saisies sur Jean
Gueguenou et Pierre l'Orphelin les 22 juin et 3 juillet 1728,
leur agrez et aparaux ensemble les grains dont elles se sont
trouvé chargées, acquises et confisquées au profit de Carlier
avec amende de 300 livres chacun portée par l'art. premier
du titre 2 de l'ordonnance de 1687, faute par eux d'avoir fait
au bureau des fermes de La Forest et Pont-l'Abbé leurs dé­
clarations conformément au dit article 4 du même titre et
. pris leur expéditions nécessaires avant leur départ, etc ..
Ces deux arrests rendus sur simple requeste et l'exposé
frauduleux de Carlier et de Cordier, sans entendre ni appeler
aucunes parties, ne tendent à rien moins qu'à autoriser une
prétendüe pancarte faussement dite du 25 juin 1565, mani­
festement nulle et dénuée de toute sorte d'autenticité; à
introduire en vertu de ce faux titre des droits qui n'ont
jamais été levés en Bretagne depuis sa réunion à la France
et à détruire tout d'un coup les privilèges les plus chers et
les plus précieux de cette i)rovince en ru ' nant les faibles
restes de sa na . ation et de son commerce.
yens dont on s'est servi pour surprendre
D'ailleurs les
ces deux arrests sont si odieux qu'il y a lieu d'espérer que
V. M. en ayant reconnu l'imposture, aura la bonté d'en con­
damner les auteurs à réparer de la manière la plus ample et
la plus satisfaisante, l'oppression et le dommage qu'ils ont
fait souffrir en conséquence aux peuples de la Province.
Mais comme cette prétention des fermiers n'est pas nou­
velle et qu'elle a été détruite autant de fois qu'ils l'ont
voulu faire revivre il convient de rappeler ici tout ce qui peut
avoir rapport avec une affaire si importante.
Vers l'an 1575 les fermiers du domaine et des' ports et
hâvres de Bretagne firent comprendre dans leurs baux le
devoir de cinq sols pour issüe de chacun tonneau de vi,n tiré
par charroy hors des villes de Bretagne, sous prétexte qu'il

est employé daus les ancien Iles Pancartes et notamment dans
eelles dont il s'agiL, et ils prétendirent en conséquence que
les communautez qui étaient en possession de percevoir ce
devoil', l'avaient usul'pé sur le domaine, les Etats de la Pro
vi Bce en portèrent leurs plaintes au roi Henri III qui par un
. édit solennel du mois de juin 1579, rendu sur les remon­
trances, plaintes et doléances contenües au cahier des gens
des trois Etats du pays et duché de Bretagne publié au pal'­
lemellt le 20 aout de la même année, ordonna entre autres
choses que les communautez continueraient à jouir de ce
toucher et s'en entremettre par cy après en sorte que ce soit.
Le même édit contient la disposition suivante: Et pour le
regard de remontrances qu'ils nous ont pareillement faites
touchant l'imposition de plusieurs devoirs que nous aurions
depuis nagueres mis et imposer, tant sur les bleds, vins,
pastels, toiles et autres marchandises, qu'ils appellent. une
imposition foraine de la quelle ils disent être exempts,
et aussi que pour icelle ils nous payent équipolent devoir
audit Pays; au moyen de quoi ils en auraient été exempts
même pal' contrat onéreux fait avec deffunt nôtre très honoré
seigneur et père le roi Henry que Dieu absolve dès l'an 1553
de l'effet duquel ils ont toujours jouï et usé. Nous, à ces
causes, désirant les soulager et maintenir dans leurs entiers
droits et privilèges avons révoqué et révoquons notre édit
eoncernant la dite imposition des dits devoirs et toutes lettres
par nous octl~oyées en conséquence d'icelui, pour le regard
de notre pays de Bretagne seulement, voulons et ordonnons
qu'ils en 'soient exempts suivant même l'intention de notre
feu sieur et père .
Il est certain que s'il avait été dù à Sa Majesté d'anciens
droits ou devoirs domaniaux de traites, ports et hâvres ou
issües sur les toiles et autres marchandises et denrées autres
que les droits et devoirs mis et.imposés depuis nagueres par

l'Edit que Henry III l'évoque pOUL' le regard de la Bretagne
seulement dans l'article qu'on vient de citer, on n'aurait pas
manqué d'ajouter à cette révocation la clause de payer les
anciens devoirs antérieurs à cet édit révoqué, si aucuns
avaient été dûs sur les dites marchandises et denrées. Mais
il est constant que depuis la réunion de la Bretagne à la
couronne il n'en avait pas été payé parce que pour aITranchir
marchandises et denrées
de tous droits les manufactures,
nécessaires pour le commerce intérieur et extérieur de la
Province, les Etats avaient imposé des devoiI non seule-
ment équipolents mais beaucoup plus forts sur les vins,
eaux-de-vie, cidres, bières et autres boissons afin de payer
les subventions que .les rois leur avaient demandées; et il
n'y a qu'à voir tous les contrats passés entre les rois et les
Etats depuis cette réunion pour connaître que ce n'est qu'à
titre onéreux que la province se trouve exempte et affran- .
chie des droits mentionnés dans les anciennes pancartes;

n'y ayant aucune proportion entre les dons gratuits et autres
impositions extraordinaires qu'on a successivement p.ayé
aux roys de France et les droits de traites, ports et hâvres,
entrée et issüe sur les marchandises et denrées qui étaient
les seules subventions extraordina;res qu'on payaitr en Bre­
tagne sous' la domination des ducs.
'Le même édit contient encore la disposition suivante: Et
quant à ce qu'ils nous ont requis de lever et ôter la deffense
par nous faite de ne tirer aucuns bleds hors le dit pays.
Nous, bien informez de l'abondance des bleds qui est cette
année au dit pays, avons ouvert la dite traite des bleds et
révoqué et révoquons les deffenses faites au contI:aire.
N'est-il pas évident que s'il avait été dû d'anciens droits
et devoirs suivant les anciennes pancartes et notamment sui­
vant celle du 25 juin 1565, qui, selon cette date, aurait été
toute fraîche en 1579. Cet édit n'aurait pas ainsi ouvert la
dite traite des bleds purement et simplement et sans aucune

restriction et. qu'on n'aurait pas manqué cl'y ajouter la claus.c
de ne tirer les bleds hors du pays qu'en payant. les droits ac-
eoutumel, sui.vant les anciennes pancartes. .
sont les clauses, les restrictions et les modifications
Telles
dont on s'est toujours servi même longtemps avant Henry
III dans les édits les déclarations et les arrests du conseil
pour la conservation des anciens dl'oits qui subsistaient ou
révocations portées
devaient subsistel' indépendamment des
pal' ces actes. Et puisque l'édit de 1579 donné quatorze an~
apr'ès la prétendue dat.e de lu pancarte en question révoque
Cil termes formels et pour la Bl'etagne seulement un éditgé-:­
nél'al rendu depuis nag'uel'es, que de plus il lève et ôte pure­
fIIont ot simplement la défense faite . par Sa Majesté de ne
tirer aucuns bleds hors le dit pays sans ajouter la disposition
conservatoire et ordinaire que c'est toutefo:s à la charge de
payer les droits suivant les anciennes pancartes, il faut né-:­
cessairement conelUJ'e qu'il n'était pas alors question ni de
la prétendue pancarte général~ du 25 juin 1565' ni d'aucune
alLtre espèce et que Henri III et son conseil étaient pleineme.nt
informez cles causes de la cessation et. de l'abolition ,des droits
mentionnez dans les anciennes pancartes lesquels n'étaient
on effet. que des subventions extraordin~ires accordées aux .
ducs de Bretagne pour un temps limité; subventions aux-
(fl~elles on avait substitué des impositions cI'une autre nature
infiniment plus grancIes au profit des rois depuis 'que la pro­
vince était en leur possession, c'estee qui sel'a plus ample­
ment éclairci dans la suit.e.
En 1641 les trésoriers cIe France en Bretagne ayant adjugé
le 20 avril la ferme des ports et hâvres cIe la dite province
au nommé Pierre Chesneau pour en jouir en la manière ac­
coutumée moyenn~nt la somme de 53,000 livres par an, le
nommé Pierre Geuslin fit a11 conseil une enchère cIe 17 000

livres sur le dit Chesneau à condition qu'outre les droits
contenus au bail fait à Chesneau, il fut autorisé à percevoir

les droits mentionnés en la pancaJ'te tirée des registres de
. la Chambre des comptes de Nantes. Les offres de Geuslin

furent agréés et le conseil lui accorda le 15 juin de la même
année sur la requeste colorée d'une augmentation de 17,000
livres, le bail de ladite ferme des ports et hâvres à la charge
d'en jouir conformément au bail du dit Chesneau et suivant
la pancarte tirée des resgistl'es de la Chambre des comptes.
Geuslin triomphant de cette nouvelle clause songea d'abord
â en profiter et donna ordre à ses commis et préposez d'exi­
ger en vertu du dit bail divers droits sur les bleds et seig'les
à rentrée et sortie des ports et hâvres de Bretagne, suivant
la pancarte. Mais ce fermier n'eut pas le temps de jouir du
fruit de sa surprise, car la province s'étànt plainte d'une in-
'novation si ruineuse au commerce et ayant justifié de ses
réclamations, le conseil après la représentation des pancartes
produites par Geuslin au soutien de son bail et après . une
entière connaissanc.e des raisons respectives des parties,
révoque le bail"de Geuslin, confirme celui de Chesneau pour
en jouir en la manière accoutumée et suivant l'état présent
des choses, et déclare que l'intention de Sa Majesté était
qu'il ne fut pris ni exigé aucun droit sur les bleds et seigles
et que la dite ferme demeurât et subsistât en l'état qu'elle
était auparavant le bail du dit Geuslin .
Ce qui prouve de plus en plus combien les remont»aness
de la Province furent trouvées justes, c'est qu'il fut pOUI'VÙ
par. Sa Majesté même à l'indemnité et dédommagement du
dit Geuslin sans qu'il en put prétendre aucun ni sur les
états, ni sur Chesneau et ses associez à cause de son éviction.
En 1662 le fermier des ports et hâvres de Guérande ayant
surpris un arrest sur requeste qui l'autorisait à lever des
droits sur les bleds suivant les anciennes pancartes, les
Etats assemblés en 1663 en 'portèrent leurs plaintes èHlX
sieurs commissaires du roi, lesquels ayant fait mande» ce
fermier pour déduire ses raisons, il déclara que les droits

al' lui prétendus en vertu du dit arrest, n'avoient jamais été
P . . d SM' t'
levez auparavant, et les sieurs commissaIres . e a aJes e
après avoir examiné l'affaire sur les lieux ordonnèrent en
t.rès grande connaissance de cause que cet arl'est demeu-
rerait sans aucun effet ni exécution. .'
En la même année le nommé Jacques Pertuis receveur des
ports et hâvres de Redon ayant exigé le vingtième des mar­
chandises ou denréees non exprimées en vertu de la préten-
H.edon et de la rivière. de Villaigne, plusieurs marchands en
portèrent leurs plaintes aux juges présidiaux de Rennes.
Perthuis fut condamné.
Toutes ces innovations et ces troubles suscitez de temps à
autre dans le commerce de la Province avaient déjà occa­
sionné plusieurs plaintes et remontrances des Etats auxquel­
les il avait été pourvü par les contrats des années 1643, 1645,
1647, 1649, 1651 et l'arrest du conseil da 14 may 1655 dont
les dispositions furent encore confirmées par les contrats des
Etats des années 1655~ 1657, 1659, 1661, 1663. .
(Le mémoire rapporte ici les propres termes des contrats
ct énumère les tracasseries que les agents du fisc suscitèrent
à divers marchands, et spécialement en 1670 à plusieurs com­
merçants de Quintin et des paroisses voisines qui transpor­
taient leur toiles de ville en ville. Puis l'auteur ajoute. )
Il semblait après des règlements si précis et si solennels
que le commerce de la ' province tant par mer' que par terre
dùt être à l'abri de toutes sortes d'inquiétudes. Mais le
nommé Louis Moreau chargé des poursuites du papier ter­
rier et réformation du domaine des domaines de la province
de Bretagne ayant représenté au conseil en 1680 qu'encore
que les droits de Traites, ports et hâvres, entrées ou sorties
de la dite province eussent toujours faits partie des domaines
et droits domaniaux de Sa Majesté; cependant la plus grande
partie de ces droits ne se payait plus ayant été négligez et
c'ommeabandonnez, etque partie des pancartes desdits droits

avait été falsiHée en la Chambl'e des comptes de Bretagne et
quelques unes l'enouvellées par la dite Chambre, sans pou-

voir par lettres patentes, ni autrement ce qui apportait un
notable préjudice aux droits de Sa Majesté et avait donné
lieu à divers procès par l'événement des (Iuels les dits droits
avaient été Pl'csqu'anéantis, etc .
Sur ces représentations il fut rendu au conseil le 3 aoust
1680 un arrest qui ordonna qu'à la poursuite du dit Moreau
et à la requeste de Mc Pierre du Moulinet, procureur de Sa
Majesté en la commission du sieur Béchameil de Nointel,
conseiller du l'oyen ses conseils, maître des requestes ordi­
naires de son hôtel, commissaire député pour rex~cution des
ordres de Sa Majesté en la Chambre des comptes de Breta-
gne, en présence du Procureur général Sindic des Etats de
]a dite Province ou lui dûment appelé, il serait par le dit
sieur Béchameil fait recherche et perquisition de pancartes
étant en la dite Chambre des comptes, concernant les dit.s
droits des ports et hâvres, entrée et sortie de la dite Pro­
vince, Thème des régistres et livres de recette tenus par les
1"el'm1erS et receveurs des dits droits et autres titres du do-
maine du l'oy justificatifs des dits droits qui seraient repré­
s0ntés au dit sieur Béchameil par les garde-livres ou autres 0
officiers de la dite Chambre qui les o~t en leur possession à
la première réquisition ou demande qui leur en serait faite.
peine de demeurer responsables en leurs noms des droits
du roy; pour la dite représentation et du contenu esdites
pancartes, régistres et alltres titres, ensemble des droits ct
déclarations, réquisitions, defTenses et prot.estations des par-
ties, ètre pal' lui dressé proces-verbal, lequel avec son avis
.il enverrait au sieur Colbert, contl'olleur général des finances,
o pour à son rapport au conseil être pourvù par Sa Majes]é ce
qu'il appartiendrait, etc.
En conséquence de cet anest, ' le sieur de Coetlogon de
,Mej-llsseaume, Proc~reur général Sindic des Etals de Brela-

gne, fut donc assigné de la part du sieur du Moulinet p"Our
être présent au procès-verbal qui serait ùressé pal' le dit
sieur de Noint.el en exécution de l'arrest précité. Il compa­
rut à l'assignation, mais déclara que c'était seulement pou'r
obéir à l'arrest du conseil du 3 août 1680 et qu'il n'était point
partie capable pour assister et deffendre seul au dit procès­
ver'bal qui fut commeneé le premier etcOlîtinué les jours
su ivallt.s du mois de mars 1681, et il prot.esta que sa pré­
:-;ellce et tout le contenu au dit procèg-verbal ne pourrait
Buire ni pl'i-judicier aux droits des vél'itables parties qui
sont les mmuuautez des villes intéressées aux dits
d .·oits, e t.c.
Le pl'ocès-verbal fut envoyé au conseil pal' le sieur de
sur quoi il fut rendu un second arrest le 22 mars
Nointel,
1082 qui déclare que l'intention de Sa Maje~té était que
instruite avec toutes les parties intéressées et
l'affaire fut
ordonna que dans deux mois pour toutes réflexions et délais

les habitants des villes de Nantes, Guérande, Vannes,
Bhuys, Auray, Hennebont, Redon, Musillac, Quimper-Co­
rentin, Pontlabbé, Penmarch,' Pontcroix, Concarneau,
Quimperlé, Morlaix, Lannion" La Rochederrien, Treu et
Lantréguier, Pontrieu", Paimpol et Bénic, Brest, Landerneau,
Le' Fous, Daoulas et Abergrach, Saint-Brieuc, Le ,Légué,
Rennes, Dinan, Fougères,
Douet, Saint-Malo, " Quintin,
Vitré, Dol et Ploërmel, en la personne de leur sindic ou de
tel autre qu'ils voudraient députer, prendraient au greffe
du dit sieur Béclrameil de Nointel, intendant de la province
de Tourraine, etc., communication du procès-verbal fait par

devers , lui... pour fournir leurs déffenses aux demandes -
portées par le dit procès-verbal et représenter telles pièces
jugeraient à propos, pour en-être pareillement dressé
qu'ils
procès-verbal par le dit sieur de Nointel" et icelui envoyé
au sieur Colbert, controlleur général, y être
avec son ' avis
ensuite pourvu par Sa Majesté ainsi qu'il appartiendrait.

En conséquence, les maires et sindicts des villes sus­
désignées furent assignés et comparurent à Nantes au mois
d'octobre dev.ant le sieur de Nointel qui dressa procès- ver-
bal des dêfTenses fournies par eux contre les demandes du
sieur de Moulinet et de Moreau.
Ces demandes par rapport aux pancartes des ports et
hAvres se r~.duisaient à quatre chefs.
Le premier concernant la non jouissance des droits du

vingtième po~té par les pancartes des ports et hâvres SUI'
toutes les marchandises entrant et sortant par .les ports . et
hâvres de la dite province, lesquelles ne sont expressément
dénommées et spécifiées dans les dites pancartes.
Le second concernant la perception des droits d'entrée et
sortie sur les g'rains portez par la dite pancarte .
Le troisième concernant l'inexcution de plusieurs articles
contenus spécifiquement daI1s les dites pancartes .

Et le quatl'ième concernant le droit de cinq sols monnaie
pour issüe de chacun tonneau de vin sortant par chanoi
11ol's de plusieurs villes de Bretagne suivant les mêm~s pan­
cartes duquel droit les communautez des villes sont en pos-
seSSIOn ..
C'est-à-dire que le sieur du Moulinet et Moreau deman­
daient' tout d:un coup et à la fois le rétablissement des droits
divers que les fermiers du domaine avaient tenté d'intro-
duire tour à tour et par partie en 1575, 1641, 1662.
Ces deux hommes, nourris et consommés dans la connais-
sance des droits du domaine, convenaient qu'il y avait une
. inexécution presque générale aux prétendues pancartes
depuis la réunion de la Bretagne à la couronne. et même
longtemps auparavant.
. Après un pareil aveu ils ne pouvaient donner quelque
couleur à leurs prétêntions qu'en alléguant que les droits
mentionnés dans ces chefs étaient domaniaux et aussi anciens

que la souveraineté de Bretagne même. ' .

C'est ee qu'ils s'efforceront de prouver; mais malgré
toult~S les perquisitions et toutes les recherehes ' les , plus
t'xael dans les anciennes pancal'tes, dans les registres et
li\Tes de recettes tenus pal> les fermiers et receveurs des
d,'oits et dans les tit.res généralement qu~lconques de la
chambre des comptes, leurs efforts furent inutiles et le pro­
génél'al gindic des Etats et les députés des villes
enl'eur
nH~J1leS titres « que les dl'oits de tl>aites en Bretagne nI
('eux de ports et hâvres n'étaient pas comme Moulinet et.
~IOl'ean L,n'aient prétendu aussi anciens que la souverainet(~
dC' Bretagne; mais qu'au conteaire ils avaient eu leur com­
mencement, leurs causes, leurs accI'oissements et leur durée,
que ee n'étaient point en effet des droits domaniaux ni qui
russe nt ùu patrimoine des dues; mais des impositions qui
étaient faites par lettres du prince suivies du consentement
des Etats du pays pOUl> dueel' un eertain temps. Que les eom-
mencements et augmentations ,se voient par le texte et la
suite des pancartes dans lesquelles les anciens devoirs de
coutume, les nouveaux droits et les doublements sont presque
toujours désignés.
et d'autl>es sout8nües d'un nombre infini
Ces raisons
d'exemples et de preuves furent alléguées devant le sieur de \.
Nointel sans que Moulinet et Moreau pussent y opposer
autre chose que des raisonnements vagues, fondés sur des
principes généraux et des maximes domaniales sans appli-
eation à l'espèce parti~ulière dont il s'agissait.
C'est ainsi que le conseil en jugea, car le sieur de Nointel
ayant envoyé ses procès-verbaux au sieur Colbert, controlleur
général des finances., ce ministre équitable" qui joignait à une ,
profonde connaissanee des ,droits de la couronne une grande
attent:on et une g'rande fermeté à les maintenir, ne PUt
autoriser les prétentions et demandes de MouliJiet et de
et il décida au eontraire, suivant l'avis du sjeur de
Moreau,

Noint!éI, qu'ilfallait suivre la manière ancienne ètaccoutumée:
sans aucune innovation, conformément aux contrats des
lhais, etc. Au moyen de quoî la province demeure dans son
anciénne liberté, c'est-à-dü'e que les droits mentionnés dans
quatre chef~ de demandes n'y fluent point levez.
les'
Il y avait iieu d'espél'er qu'après une procédure si ample
et une cOllunission expresse et particulière de cette nature,
les fermiers ne se prêtèraient plus aux suggestions dange­
reuses d'e leurs conimis et préposez, à qui l'avidité et l'envie
faire valoir fait toujours embrasser les découvertes qui
de se
tend'ent à l'extension des droits) et qui sans connaissance et
sans examen nè manquent pas d'e les proposer comme des
leur zèle pour le bien de la ferme.
marq'ues de
1705, Charles Ferreau, adjudicataire général .
Cependant, en
des fermes unies du roy, séduit par de pareils avis, préseIite ,
requeste à la Charilbre des Comptes de Bretagne pour
obtenir un extrait de la pancarte ou tarif qui est aux archives
pour en être fait tin tableau qui serait exposé dans chacun

des bureaux des ports.
La Chambre ordonna donc, par arrest du 12' mai 1705) que
les extraits requis seraient faits et collationnés par M. J eau
'l'auzé', conseiUer-secrétaire..;auditeur, à cette fin ' commis,
pour iceux communiqués au procureur général du roy et
mis sur le bureau, être ordonné de la délivrance ainsi qu'il
appartieildrait.
alors pl'océdé par ledit sieur Touzé à l'extrait, d'un
Il fut
livre en parchemin' intitulé sur la couverture d'icelui: « C'est
la déclaration des devoirs-dûs et appartenimts au roy et duc
'en ses ports et hâvres du duché de Bret'agne. » Mais Ferreau
ou son procu.reur voyant que ce registre en parchemin était .
trois ou quatre' écritures différentes, sans signature, sans
date et sans nom de commissaire ni de greffier, plein de

, blarics, de ratures et même de passages elitiers dont l'écri-
ture a été enlevée et qu'une pareille pièce ne pourrait jamais

être regardée que comme une paperasse sans forme et sans
autorité, à moins qu'on ne trouvât le secret d'y coudre
l uelqll'ordonnance qui put lui donner un air d'autenticité,
al'l'est de la dite Chambre des Comptes du 2::> Jum 1565, qUI
se trouvait à la fin d'un second registre attaché sous la cou­
verture et après la reliure du premier livre ou registre
avec du fil passé en d'autres endroits que la dite reliure. Le
second registre a sa couvertur.e particulière; il est d'un
parchemin dU1'érent, plus moderne et plus court d'un pouIce
que le parchemin du premier registre. ,Il est écrit d'autre
encre, d'autre main et d'une écriture postérieure et différente
et il contient un procès-verbal de la réformation faite en
1565 par ]a Chambre des Comptes de la pancarte particulière
de la prévoté de Nantes. L'arrest du 25 juin qui est à la fin
de ce second registre est uniquement relatif à la pancarte de
la dite prévoté de Nantes, et l'on voit par là que ce second
registre est absolument distinct du premier dans la t'oeme
et dans le fond. '
sieur Touzé se prêta à cette proposition, et de concert
avec Ferreau ou son procureur, il alla chercher à la fin du
second registre, l'arrest du 25 juin 1565 et ne fit pas difliculté
de l'insérer à la fin de l'extrait pal' lui fait du premier registre
atin de rendre par là cet extrait exécutoire .

C'est par cette fraude qu'on a fait passer à la prétendue,
pancarte des ports et hâvres de Bretagne, qui est dénuée de
toute date et nulle en tout sens, la date du 25 juin 1565, qui
n'appartient qu'à la pancarte particulière de la prévosté de
Nantes, au moyen de quoi le fermier suppose aujourd'hui
qu'il ya deux pancartes du 25 juin 1565.,
Ces deux pancartes, en les supposant égajement authen-
tiques, sont plus difl'érentes l'une de l'autre, que la coutume
de Bretagne, qui est générale pour toute la province: n'est '
' BULLETIN ARCHÉOL. D'U FINISTÈRE. TOME XVII. (Mémoires). 4

diJl'érente des usements particuliers de la ville et comté de
Nantes. Mais corInne le fermier pour pêcher en eau h'ouble
affecte de ne parler de ces deux pancartes que sous le nom
générique de pancarte du 25 juin 1565, il est à craindre
qu'après avoir faussement appliqué par une transposition

criminelle la date de la pancarte particulière à la prévosté
de Nantes avec l'arret qui le rend exécutoire à la prétendue
pancarte générale des ports et hâvres de Bretagne, le même
fermier ne veuille, par une suite naturelle de la même fraude,
appliquer à cette nouvelle pancarte de sa création toutes les
décisions, sentences, jugements et arrests en grand nombre
qui n'ont de relations qu'à la pancarte de la prévoté de
Nantes . .
Cette pièce est un titre réel et autorisé servant de tarif '
pour 'la perception des droits particuliers de la prévoté, et

l'autre au contraire n'est qu'un être de raison destitué de
toute ombre d'autorité et qui n'est connu sous le nom supposé
de pancarte du 25 juin 1565 que parce que le fermier, de
concert avec le sieur Touzé, commissaire de la dite Chambre,
l'a habillé des livrées et des dépouilles de la pancarte de la
prévosté en détachant l'arrest du 25 juin 1565 pour en
revêtir le prétendu extrait, collation ou compulsoire du dit
sieur Touzé. Car pour ôter tout soupçon que cet arrest fut
tiré d'un autre registre, ce commissaire fit plus et se servit ,
dans son extrait des termes suivants; et a folio soixante-trois
et dernier du livre de pancarte est écrit ce qui suit ': « Au
payement desq~lels devoirs, etc., puis la m'ention fait et conclu
au bureau de ladite Chambre le 25 jour de juin de l'an 1565,
ainsi signé par les gens des comptes Guilloppe, et plus bas:
collationné à l'original de la dite pancarte par moi soussigné,
conseiller du roi, secrétaire et auditeur, signé Touzé.
L ïdé~ , naturelle qui se ' présente à la vüe de ce collationné
c"est que l'arrest ci-dessus du 25 juin 1565 est tiré du même

livre de pancarte que les articles insérés dans l'extrait qui
rééède et que cet arrest n'est fait que pour assurer l'exécu-
sont tirez d'un registre informe et dépourvu de toute appa­
J'ence d'autenticité et l'arret qu'on Y applique est tiré d'un
autre reO"istt'e et est relat.if à des articles absolurhent diffé-
chàliments el n'y a-t-il pas tout lieu de croire que ceux
qui en sont les autheurs sont ceux-là même qui, pour donner
quelque couleuI' il cette fraude, ont attaché le nouveau
reO"isll'e au livre contenant le procès-verbal de la reformation
de la pallcarte de la prévoté de Nantes du 25 juin 1565 sous
la couverture et après la reliure du premier livre ou registre
avec du fil passé à un des bouts, en d'autres endroits que la
dite reliure et ont chiffré les feuillets de ce nouveau registre
comme s'ils étaient la suite de l'ancien?
En effet l'ancien registre ne contient que quarante-cinq
feuillets et le premier feuillet du nouveau registre de la
prévosté se trouve chiiTré 4G. Il est cependant évident que ce
second registre n'est ni la suite ni la continuation du premier .
Ce qui justifie de plus en plus ce soupçon c'est qu'encore
que l'arrest de la Chambl'e du 12 mai 1705, qui avait commis
le sieur TOllZé. auditeur, pour faire collationner les extraits
requis par Ferreau, ordonnât que les collations desdits
extraits seraient communiquées au procureur général du roy
et mises sur le bureau pour être ensuite ordonné la déli­
vrance ainsi qu'il appart:endrait. Cependant il ne paraît
nullement par l'imprimé collationné sur lequel ont été surpris
les areests des 10 février 1711, 5 mars 1725 et 9 novembre
1728, etc., qu'on ait satisfait aucunement à cette formalité
essentielle.
est l'ouvrage de surprise et de ténèbres que les fermiers
Tel
ont osé présenter à V. M. comme un titre légitime et

-authentique ; qu'ils ont en conséquence distribué à leurs
receveurs, commis et préposez pour s'y conformer dans tous
les ports et hâvres de Bretagne pour l'exécution desquels ils
inquiètent et désolent aujourd'hui sans règle et sans mesure
tous les marchands et négociants de la province .

Vte DE BLOIS .