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Bulletin SAF 1890


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Le manuscrit de saint Vougay

M. de la Villemarqué

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tE MANUSCRIT DE SAINT-VOUGAY·" .

Dans une excursion à Saint~Vougay , près Saint-Pol-de-
Léon, l'Association bretonne, réunie dans cette dernière
localité p~Ul' son Congrès allnuel de 1888, ~;einarquaun
ancien 'manuscrit qui attira l'attention de plusieurs membres
de la compagnie, et particulièrement du cl,irecteur, IVI. Vincent
de Kerdrel, de M. l'abbé Duchesne, et de M. de la Borderie.
M. Duchesne le signala même à M!:p' l'Evêque de Quimper,
et Son Eminence chargea le savant ecclésiastique de le pOl'-
ter à Paris et de lui faire donner une reliure dig'ne du manus-
crit. Il ét~it temps, car l'ouvrage était dans le plus déplo-
rableétat. Aujourd'hui il est l'enfermé dans un riche écrin,
et M. l'abbé Paul Peyron,' ~ecrétaire de l'évêché, l'a apporté
à une séance de la Société archéologique du Finistère pour
en soumettre le contenu ù l'examen de nos confrères.
Mais quelle déception pour eux ! Les caractères du mauus-
crit sont devenus tellement Hoirs qu'il est à peine lisible.
Heureusement, il a passé, à une époque où il l'était encore,
sous les yeux de M. l\liorcec de Kerdanet, puis de dom
Plaine, et c'est par eux qu'on doit commencer, quand on en
parle (1) ; le l'apport antérieur de M. de Blois de la Calancle
sur le même ouvrage étant resté inédit.
C'est un in-folio à deux colonnes; (1 il a ollze pouces huit
lignes de long sur six pouces six lignes de large »), selon les
mesures de M. de Kerdanet; il contient, dit-il, quarante-six
feuillets et quart, de vingt-neuf, trente, trente-trois et
trente-quatre lignes à la page; il a remarqué, en certains
endroits, des notes de plain-chant ou neumes fort curieuses.

(1) Kerdanet, Vie des Saints ùe Bret.agne, édit. 1837, p. 293. - Dom
Plaine, Revue de l'Art Chrétien, 2 s., t. VI, 1877 .

La relillre est moderne; pour l'établir, poursuit-.il, on a
malheureusement rogné le manuscrit. En .outre, le livre a
été ~i mal relit>, daus le principe, que des feuillets s'en sont
dt;tachés et que plusieurs ont disparu, au commencement et
il. la fin du vollLme . .
Les matières contenues dans le manuscrit sont celles de
la messe; mais sans compare!' l'ancienne liturgie du vieux
missel avec la liturgic moderne, 1\1. de Kerdanet y signale
principalement de::; litanies où l'on invoque des saints bre­
tons dont le culte est antérielll' au IXe siècle. Le manuscrit,
à ses yeux, et il Ile se trompe pas, est, sinon de la
mème main, du moins du même siècle que le Cartulaire de
Laudévennec, e'est-à-dire du milieu du XIe siéele .
Dom plaine regrette aussi de ne plus trouver dans le
manuscrit qu'un débris de missel; il ne déplore pas moins
l'humidité ql.\i a attaqué un grand nombre de lettres que
l'incurie et l'insouciance du relieur sous la main duquel les
feuillets se sont brouillés: de là un désordre où il est difficile,
dit-il, de se reconnaÎtrc. :l\'Ialgré cela, le manuscrit lui paraît
digne de fixer l'attention, et il en donne une analyse.
Il y a compté soixante-dix messes ou parties de messes ,
comprises entre le jour de Noël et le samedi des Quatre-
Temps de septembre; il en dresse la table dans un appendice
où il corrige le désordre de la pagination.
La saison liturgique la plus riche, à savoir le Carême, les
semaines de Pâques et de la Pentecôte, y est représentée très
abondamment: on y remarque l'usage d'administrer solennel- .
lement le baptême le Samedi-Saint, et celui de donner la
confirmation la veille du jour de la Pentecôte, usage d'une
baute antiquité. C'est du reste avec le missel romain que
s'accorde le manùscrit de Saint-Vougay: le savant bénédic­
tin le prouve par plusieurs exemples. En effet, toutes les
Préfaces ou illatLOnef$ se retrouvent dans les anc :ens Sacra-

mentaircs i les stations quadragésimales des QtJ.atre,..Temps

et des pluS grandes fêtes de l'année sont_.Jndiquées comme
dans les Antiphonaires du pape saint Grégoire-Le-Grand;
la fête de la Sainte-Trinité est chommée le premier dimanche
de la Pentecôte, comme dans l'ancienne liturgie romaine.
Malgré ces preuves de romanisme, il est évident que le
missel de Saint-Vougay . a été écrit pour la Bretagne;
témoin la rubrique insérée au 1 mai: NATALE RA:\C­
'fORUM CHORENTlNI ET BWIOCI EPISCOPORUM.. Les noms de ces
deux patrons de la Cornouaille et du pays de Tréguier suivent
ceux des g-rands Apôtres saint Philippe et saint Jacques,
si chers à la piété des anciens Bretons de l'île comme des Bre­
tons du continent. Mais cette rübrique ne témoigne pas seule
en faveur de la nationalité du manuscrit: on y tronve, pour le
Samedi-Saint, une litanie qui achève de la démontrer: pour
les saints dont les noms étaient solennemellt invoqués au
moment où l'eau du baptême coulait sur le fI' . _.~ \.~ S Bretons,
j'ai remarqué, il y a plus d'un demi-siècle, les suivants que
je reproduis tels · que je les ai lus alors et que je retrouve
écrits plus· ou moins différemment par M. de Kerdanet et
dom Plaine:
Rauc, BLACHEH , TEonoH, ~AMSON, MACUT , -
GUITGUAL, BRIOC, MELAN, PATEliN, CHOUHENTll\,
- GUINGUALOE, RJUAHE, PAULININN, COLOMBAN, -
TEAGUAL (?), GUIlHAN, BEcl: ŒU, Int:NET, NUi\IA (?), .
BOnJAN, LOHEN, CONOCAN, IIuARDoN, BIIANGUALADrt
- HUAnUI~ , GUIDNOU, BUD;\IAIL, SULIAU, ENEUR,
TECONOC.
Sur ces trente noms, vingt-trois seulement se retrou-
vent dans la litanie reproduite par dom Plaine; six étaient
encore lisibles, il y a un demi-siècle, et sont donnés par M .

de Kerdanet (p. 299 et 300).
Une fois leur transcription bien fixée, ils offriro"nt aux
philologues la matière d'une étude intéressante qui n'a . pas
encore été faite. Il y aura auss-Î à relever les gloses bretonnes)
s'il en existe. .

. En jnvoquant l'assistance Je protecteurs déjà dans la
Seig'n~ul' de délivrer les Bretons de cmq perIls Immments,
parmi lesquels le péché, le danger de la Mort et le tran­
chant d'un certain glaive qu'ils qualifient d'une façon sin­
gulière : A gladio magnalio Zibera nos, Domine.
M. de Kerùanet signale la prière sans-l'expliquer; dom
Plaine ne la mentionne pas. A quoi avait-elle rapport?
Quelle est la signification de l'adjectif magnalio? On le
J'approche naturellement du grec. megas, megaZè, dugothique
Mikil, du gaulois magalos, de l'anc.ien breton maglo,
et SUl'tout. du latin Inagnus dont nou') trouvons une form~
moyenne dans le collectif pluriel magnalia, li. grandeurs »
(Magnalia Dei) : donc gladius magnaliu!J signifie ( le grand
Glaive», ( l'Epée gigantesque». Mais de quelle épée s'agit-
il? Est-ce de celle de Satan ou des ennemis des Bretons?
Il Y a lieu de croire que le symbôle s'applique aux étrangers;
on se souvient. de la prière de Clément, vel's 874 , à la vue

de l'épée terrible des envahisseurs ::\T Ol'mallds :

Chris tU8. • . • . . . • .
Pellat cursus GentiZium!
Ce !l'est pas notre confrère 1\'1. l'abbé Abg-rall qui tl'Oll­
verait à redire à l'assimilation (V. le Bulletin de i88ô, t. XIII,

p. 33 et 42) ; M. Cuissart l'a sugg'érée dans son édit.ion de la
vie de saint Pol-de-Léon, qu'a publiée la Revue Celtique.
La question serait tranchée si l'on constatait l'authenticité
.du texte: aJurore Normanorum Zibera nos, Domine.
UnJac~simile d'une page du missel de Saint~ Vougay est
donné par dom Plaine. Il contribue à prouver à l'œil l'iden-
tit.é de l'écriture et de celle du Cartulaire de Landévennec'
l"ol't,hogJ'aplte earactér'istique des Homs propres, surtout des

noms de saint Corentin et de saint Gwennolé. achève la

démonstratiou.
I-IERSAIIT DE LA V ILLEMAHQUÉ.