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Bulletin SAF 1889


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Les anciens jeux militaires en Basse-Bretagne: Le papegaut de Carhaix

M. Trévédy

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VII .

LES ANCIENS JEUX MILITAIRES
EN BASSE-BRETAGNE (1)
LE PAPEGAUT DE CARHAIX

Il Y a deux siècles, Carhaix possédait un nombre con$i-
. dérable de lettres du papegatd. (2) Ce dépôt, qui serai.t si
curieux pour nous, a disparu. Les ,archives du Finistère ne
gardent que quelques pièces : ce sont pour la plup'art des
copies ou extraits ayant fait partie de procédures. Mais;
quelles qu'elles soiènt, ces bribes valent un examen et une .
étude attentive.

La ville de Carhaix avait ·· très anciennement un jeu de
papegaut, que les délibérations de la communauté nomment
indifféremment de ce nom ou de celui de papeyai. Il semble
que le souvenir de cette lointaine orig'ine se retrouve dans
le nom de chevalier8 porté jusgu'à la fin du dernier siècle
par les archers ou arquebusiers du jeu, et dans le titre de
connétable dont se parait un,de ses digriitaires (3).
Ces dignit.aires étaient plus nombreux qu'à Quimper. Il y
avait le you oerneur, le roi, comme partout, le connetable, le
procureur et le grelJier du jeu; nous dirions aujourd'hui le
trésorier et le secrétaire. Nous reviendrons tout à l'heure

sur chacun de ces dignitaires.
Nous n'avons aucune indication SUl' le nombre des che­
. valiers dans les temps anciens; mais nous sommes rensei-
(1) Lire dans le Correspondant du 25 novembre 1889, comme introduc­
tion à cette excellente monographie, l'étude complète de M. Firmin Luce,
membre de l'Institut, sur les Jeux populaires dans l'ancienne Prance.
(2) Reconnaissance donnée par le syndic de Kerahès, en 1 G53. Arch. du
Finistère. Série E. Carhaix.
(3) Je trouve une fois ces deux mots accolés: chevaliers et pagBs .

gnés pour le dernier siècle. Les archives possèdent quatorze
listes des chevaliers de 1727 à 174[1: (1). Pendant cette période
de dix-sept années, le nombre des chevaliers varie de 141
marque
(1730) à 212 (1741). Il semble que cette année 1741
l'apogée du noble jeu dans la ville de Carhaix, du moins
au dernier siècle.
Les listes nous donnent non seulement le nombre, mais
les prénoms et noms des chevaliers et les noms des digni­
taires. Je ne puis songer à publier les noms des chevaliers;
mais il faut du moins rappeler les noms des rois et conné­
tables. On m'assure que plusieurs de ces noms se retrouvent
à Carhaix, et je serais heureux de rappeler un souvenir de
famille à cêux qui les perpétuent. .
D'après les listes, l'inscription se fait avec moins de
rigueur qu'à Quimper. Le rôle est établi aux premiers jours
de mai; mais, les listes dressées, on constate souvent la
réception tardive de nouveaux chevaliers, qui sont admis
sans difficulté à tirer à leur rang.
Tout se passe avec moins de cérémonie qu'à Quimper, et
avec une simplicité qui convient à une petite yille, et qui
fait contraste avec ces noms brillants de chevaliers et de
connétable. Il ne semble pas qüe la mise en place de
l'oiseau ou joyau donne lieu· à aucune solennité. Quand il
tombe, l'heureux abatteur est proclamé roi après son serment,
sur le champ même du tir : il est dressé procès-verbal
en quelques mots, à la suite de la liste des chevaliers. Le
nouveau roi se met à la tête des chevaliers présents; le
modèste cort.ége se rend à l'église des .Pères August:ns pour
y chanter Te Deum ... et tout est dit.
Mais les chevaliers de Carhaix sont gens· pratiques: s'ils
ont moins de faste que les archers de Quimper, au lieu de
tirer aux abords d'une promenade, non sans danger pour le

(1) Les listes des 1734, 1735 et 1737 font défaut.

public, ils ont consacré à cet exercice un parc voisin de la
ville, nommé le parc aux fJutte.ç, (1) ceint sinon de murs, au

moins d'une clôture infranchissable, avec deux portails et
une petite porte fermant à clé. Dans ce parc, il a été cons-
truit une galerie qui sert d'abri aux chevaliers et aux curieux.
C'est dalis ce parc aux Buttes, qu'est exposé le papegaut.
Il n'est pas « mis e~ l'arbre » comme à Quimper; mais il
. est monté au haut d'une perche.

Pas plus qu'à Quimper, nous ne trouvons à Carhaix le
règlement du jeu. Il contenait au moins dix-sept articles .
Je résume ci-dessous les quatre seuls articles qui nous
restent. (2)
(Art. l e,'). Toutes oppositions, plègements audit jeu ...
seront jugés sommairement sur le lieu, par le roi, procureur
ou commis appelant des chevaliers des plus éminents ...
Celui qui contredil'a paiera telle amende qui sera ordonnée
par les juges et néanmoins la sentence sortira son effet.
(Art. 2). Ne sera aucun chevalier reçu roi, s'il n'a abattu
le papegaut de façon qu'il n'en demeure rien en la verge de
fer où il aura été mis ... Au cas où la verge de fer serait
abattue d'un coup d'arquebuse, ou bîen qu'elle tomberait par
la force du vent, au moment que quelqu'un tirerait, et que
celui-ci prétendrait pas moins (pourtant) être reçu roi, est
dit quïl ne sera pas reçu; mais que le papegaut sera remonté
et que le tir continuera.
(Art. 3). Défendu au procureur et à tous autres' chevaliers
de faire descendre le papegaut, fors au cas que si aucun des
{I) Ce nom n'est 'pas spécial à Carhaix. « Buttes, dit DOM MORICE, élé­
vations sur lesquelles on place le but auquel on tire.» « Vient, dit
DOM LOBINEAU, du mot breton Both ", que Grégoire de Roslrenen signale
comme vieux et inusité. En 1460, le mot tirer au;! buttes était en usage.
LOBINEAU, Pro col. 1859. MOHIcE,pr. IL, col. 1747.

(~) Une pièce mentionne l'art. 17. . .

chevaliers prétendait l'avoir abattu, il pourra le faire
sa mise (à ses frais) en présence du roi, du
descendre en
procureur et dix ou douze chevaliers des plus éminents, non
parents de lui ni suspects, afin de savoir s'il y a encore quel­
que demeurant (reste) du papegault, sous peine de 2 s. 6 d.

d'amende; et s'il est trouvé qu'il en est demeuré, sera
ledit papegault remonté en l'état aux dépens de celui qui
l'aura fait descendre; et s'il advient que le demeurant
dudit papegault tombe à terre en le descendant ou le remon­
tant, ou que le demeurant soit si très petit qu'il n'y ait
aucune mire (qu'il n'y ait pas moyen de viser), il sera mis un
corps de papegault sans tête, ailes ni queue. .
(Art. 4). Si aucun faut (manque) à faire feu de son harque-
buse par trois fois, il perdra son coup et sera tenu sortir de la
barre sous peine de 12 d. d'amende et pourront les chevaliers
le contraindre à sortir. »
Il semble que des dispositions rédigées avec tant de
à aucune interprétation; mais il n'y
minutie ne donnent lieu
a pas de texte sur lequel ne puisse s'exercer la chicane; et le
parc aux Buttes a été témoin de plus d'une discussion pas­
et même de conclusions prises par des procureurs.
sionnée
Trf1:nsporto:ns-nous donc au parc aux Buttes: nous allons
gouverneur exercer son autorité, le roi et le conné­
y voir le
mériter et recevoir leurs dignités, le procureur rendre
table
ses comptes, le greffier tenir note exacte de tout ce qui
se passe, et fai.re, sans y penser, l'histoire du papegaut.
III.
Le gouverneur ou commissaire du papegaut semble avoir
été originairement lecapitaÎne de la ville. En 1575, c'était
Pierre de Kerampuil, sI' de Goazandec; en 1604, c'était
Hehri de Kerampuil; en 1617 ~ le gouverneur n'est pas
nommé; il a pour lieutenant Olivier Colin; en 1678, le.gou-
verneur est René de Canaber de Kerlouden. .

Quelquefois le gouverneur est remplac~ par. un çommis­

saire du jeu, qui est ordinairement le syndic ou le maire de
la ville.
C'est devant le gouverneur que sont affirmés les comptes
procureur ou trésorier. Habituellement, c'est le gouver-

neur qui reçoit le serment de l'abatteur -et proclame sa
royauté. Deux fois seulement, nous voyons le serment prêté
devant le bailli du siége royal de Carhaix. Le bailli ou
sénéchal agit-il en pareil cas en qualité de commissaire,
comme délégué ou comme suppléant du gouverneur? Je ne
le crois pas. En 1738 et en 1747, Joseph Blanchard de la
Villemoysan, conseiller du roi et bailli civil et crimir,lel
du commis-greffier et en présence du procureur du
assisté
substitut, reçoit le serment de l'abatteur.
roi ou de son
Comme on le voit, il fait acte de juridiction; aussi des épices
sont elles dues; et lui-même, le procureur du roi Chauveau
et l'avocat général Le Guill,ou . (qui le supplée), marquent
chacun 3 liv. C'est moins cher qu'à Quimper. (1)
Il faut l'emarquer que dans ces deux circonstances les
abatteurs ont laissé passer l'un vingt et un jours, l'autre .
plus de onze mois avant de faire reconnaître leur royauté. Il
peut que la compétence du commissaire du jeu pour
recevoir le serment n'existât plus une fois l'as$emblée dis­
soute, et qu'il fallût, en ce cas assez rare, recourir à justice.
maire de Carhaix, interviennent
Enfin, le syndic, puis le
souvent, par exemple pour obtenir le rétablissement du pape­
gaut vers 1610. C'est le syndic qui est dépositaire des
ar'chives du papegaut. En 1710, il préside au tir en qualité
. de commissaire du jeu. Il juge avec les chevaliers, il reçoit
le serment de l'abatteur dont les titres étaient contestés, il le
proclame roi et il le conduit chanter Te Deum aux Pères '
Augustins. . .'

(1) A Quimper, le sénéchal marque 10 liv.; mais aussi quel long procès
verbal il fait rédiger!

. Une fois intronisé, le roi, simple chevalier l'instant d'avant,
est le premier personnage du jeu. Quels étaient les priviléges
attachés à Carhaix à cette dignité? C'est ce que les pièces
ne nous indiquent pas. Nul doute que" selon l'usage univer­
sel, il ne s'agisse d'exemptions de droits de billot, que nous
appelons aujourd'hui droits de circulation et d'entrée. Il

semble que si le papegaut n'est pas tiré ou n'est pas abattu
à la fin de l'année, le roi continue à jouir de ses préroga­
tives jusqu'à l'année suivante: mais en ce cas, certainement
très rare, il doit la moitié de ses émoluments à la caisse du
jeu. (1)
Quels qu'ils fussent, les droits du roi étaient considérables,
puisque au commencement du XVIIe siècle, nous les voyons
évalués plus de 500 liv. tournois.: la communauté de Carhaix
les trouve excessifs, et elle en confisque la moitié au profit
des finances municipales, sans qu'il apparaisse de l'opposition
d'aucun de ceux qui peuvent prétendre à la royauté.
J'ai sous les yeux les délibérations des bourgeois de Car­
haix relatives à cet objet; et je m'y arrêterai un moment .
parcequ'elles nous révèlent de curieux détails de mœurs.
Les chevaliers imposèrent au roi certaines obligations:
ainsi nous lisons dans le procès-verbal de serment du roi en
1678,. ce qui suit:
« Et parce que néanmoins, comme il a été conclu entre les
dits officiers et chevaliers, ledit LavoUay (roi) paiera de
droits et tributs audit jeu, la somme de 24 liv. poUl' aider à
la réparation de la galerie du parc, sera exempt d'autres

frai$ sauf le réta.blissement du joyau en l'arbre l'année pro-
chaine, et les sonneurs pour honorer le Saint Sacrement pen­
dant l'office divin le jour du sacre, et hors d'icelui pour le
divertissement de la jeunesse. ») C'est-à-dire les musiciens,
probablement comme de nos jours, le biniou, la bombarde et
(1) C'est ce qu'il semble
permis d'inférer d'un compte que je citerai
plus loin.

le tambourin, qui sonneront à la procession de la Fête-Dieu,
et qui, passant du sacré au profane sonneront avec le même
entrain pour faire danser aux jours de pardon.
La dignité de eonnétable n'existait pas à Quimper, ni, je
crois, dans la plupart des jeux de papegaut. Le connétable
à Carhaix, le chevalier dont la balle avait ( enlevé le
était
premier morceau du joyau. » Il prêtait serment et était reçu
avec les mêmes formalités que le roi lui-même. Il jouissait
de certains honneurs et droits dont nous trouvons la mention
plusieurs fois répétée ; mais aucune pièce ne nous indique
quels étaient ces droits. Nous voyons seulement qu'il devait
faire partie avec le roi de ce tribunal arbitral qui jugeait au
parc des Buttes les contestations à raison du jeu.
Un connétable a droit à une mention honorable: c'est Ju-

lien Gaillac, dont l'adresse n'a pas reçu sa récompense.
Trois années de suite (1729-1730-1731) il est connétable et
il ne devint jamais roi! (1) .
Le roi et le connétable devaient leurs titres à leur adresse
proclamée par les chevaliers. Le greffier et le procureur doi-
vent leurs fonctions aux choix des chevaliers leurs pairs.
Le greffier ou :Jcerétaire dressait le rôle des chevaliers,.et
tenait note des faits concernant le jeu ; mais, comme à Quimper

depuis 1735, il n'avait pas la garde des archives qui res~
taient aux mains du syndic de la communauté. .
Enfin, le procureur, qu'on pourrait appeler le trésorier,'·
avait des devoirs sans aucun droit, sauf celui de siéger au
tribunal du parc aux Buttes.
Il nous reste un compte du procureur de 1604 i il n'est
pas long et peut être cité en entier. Vous allez voir un bud- ,
(1) Ce mot connétable exprime sans doute que ce dignitaire est le
. 1J1'emier après le roi. Le connétable de France est le premier officier
du royaume. « On nommait aussi connétable, un officier surbordonné aux
capitaines des places. » Dom MORICE. On trouve des connétables en
nombre de villef' bretonneil. En 1381, celui de Carhaix était Roland de
Quélen. MORICE. Pl'. II, col. 279.

get se chiffrant par sOlfs;, mais c'est un budget modèle; et
dont bien des villes et des 'Etats pourraient envier la balance:
il se règle par un boni relativement considérable.
« Compte que rend présentement Me Olivier Le Guy ayant
été procureur du jeu durant deux ans desdits joyau et
papegault des harbaletriers et arquebusiers, par le roi notre
sire octroyé aux habitants de la ville de Kerahès, (1) des
recettes par ' lui ' faites pendant le temps de sadite charge,
pour être présenté à Me Gilles, à présent procureur dudit
jeu, et être affirmé par devant messire Henri de Kerampuil,
gouverneur dudit joyau. .
Et 1° Se charge d'avoir reçu des nouveaux
entrants en 1602, la somme de cent sous. . . . . . .. 100 s » Ù
" Pour de nouveauX entrants en 1603. la somme

de soixante-dix sous ........................ .
Amendes trouvées dans la boîte du jeu pour les
deux années, trentre-cinq sous huit deniers ...... ' 35 8
EO n tout. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 205 s 8 d

2° Frais, mises et paiements faits par le sieur Guy.
Dit avoir payé en deux peaux de pa'rchemin pour . accom­
moder le gr,and tambour et y compris le faire coller par
Yvon Palmier et l'accoutrer, la somme de trente sous. 30 s
Dit pareillement avoir payé à Me Gilles Dud ... pour deux
peaux de parchemin pour accoutrer le grand tambour, la
somme de douZe sous six deniers . . . . . . . . . . . . . . 12 s 6 ct
Pareillement se décharge de la somme de douze sous six
deniers monnaie, qu'il dit avoir payée au sieur Jean Coz,
febvre, (en 1602) pour avoir fait deux cleH'es sur les
portails. ,dEls Buttes et accommodé les charnières.
rompues, ouze sous SIX emers............... 1

. (1) Quel roi?... Il est probable que les rois de France ne firent à
Carhaix, ' comme à Quimper et ailleurs, que confirmer des concessions
par les ducs de Bretagne.
faites

Il demande aussi décharge de la somme de huit sous quatre
deniers monnaie parcequ'il dit avoir payé à Pierre Le Chan,
1603, pour avoir fait une clef pour la petite
en ladite année
porte desdites Buttes au lieu de l'autre qui avait été perdue,
la baillant aux chevaliers pour aller tirer. . . . . . . . 8 s 4 cl
Pour la façon des comptes aurait baillé à un procureur y
compris fait une copie la somme de (mémoire). •
vaquera à l'examen du présent
A M. le Commissaire qui
compte sera payé la somme de (mémoire).
Balance des sommes liquides:
Recettes ............... 205 s 8 cl
Dépenses............... 63 4

Boni
Supposons que la façon du compte, que les honoraires du
commissaire s'élèvent à 20 sols, ce qui serait beaucoup;
portons les même à 40 sols, ce qui serait excessif, la dépense
aura été de cent sols, moitié de la recette. Heureuse situa­
tion que celle de ce modeste budget!
Le compte contient en plus un article porté pour mémoire
s'arrêter un instant. .
auquel il convient de
« ... Prend éharge de la moitié du devoir du joyau dudit jeu
dll par le dernier roi l'ayant abattu en l'année 1602, parce
que ledit joyau ne fut tiré ni gaigné en ladite année et ne lui
aurait été payé par le roi (la moitié), partant demande à
être déchargé dudit devoir, saufIe recours des chevaliers vers
ledit roi ainsi qu'ils verront l'avoir à faü'e. »
Cela veut dire , je pense: « Le joyau n'a pas été abattu en
1602 ; le dernier roi, celui de 1601 , a joui des droits pendant
cette dernière année. Il en devait la moitié. Je n'ai pu en
obtenir rien. Que les chevaliers avisent et me donnent quitus! »
Voilà qui nous révèle un roi assez peu scrupuleux et
aimant quelque peu le profit de sa charge. S1il était encore
roi en 1604, une surprise désagréable l'attendait .
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ' TOME XXI. (Mémoires). 25

C'est cette année, comme je l'ai dit, que la communauté
de ville trouva bon de s'emparer de la moitié des émoluments
du roi. Cette usurpation voulue par les habitants ne fut pas
combattue par les futurs rois.
C'était une vieille habitude à Carhaix que « les manants,
• « habitants et bourgeois fussent congrégés et assemblés en
« l'église paroissiale de Saint-Tromeur pour ouïr l'office
« divin et disposer de leurs affaires politiques. )) La délibé­
ration se prenait au moment du prône, qui, je présume, se
faisait après la communion de l'officiant.
Or, le 18 janvier 160~, M,'e Ollivier Pottiàer célébrant la
messe, Me Yves Ely, procureur-syndic exposa au prône cc que
la ville doit rembourser quelques emprunts, pourvoir aux
frais de procès qu'elle suit à Kerahez et à Rennes, enfin
subvenir pour la somme de 30 écus faisant 90 liv. tournois à
l'entretènement d'un maître d'école pour l'instruction de la
jeunesse ». Or ,la ville est saùs ressource présente. Le syndic
propose « qu'au lieu de recourir à l'emprunt elle vende ou
engage une moitié des devoirs du papegay et joyaulx qui
seront abattus au mois de mai prochain au plus offrant
et pour en jouir de cette moitié comme ferait l'abatteur lui­
même, » La proposition ' est agréée; les notaires royaux
présents dressent un acte authentique, avec la formule
sacramentelle : « Et p d'eux l'ont ainsi que dessus voulu, et étant ainsi avons à leur
requête condamné et les condamnons par notre Cour de
Kerahez ... )) Un Sr Cornillec signe pour tous les habitants,
avec les trois notaires royanx.
Le dimanche suivant, enc'ore au prône, le syndic annonce

'que l'adjudication se fera au même lieu dimanche prochain,
« après le finissement de la grand'messe. »

Le dimanche 1 el' février la foule remplit l'église. Les
habitants déclarent « regréer les précédents consentements
par eux» et demandent qu'il soit passé outre à
donnés
l'adjudication. Le syndic fait savoir qu'il a reçu offre de
12 vingt livres (240 liv. ) tournois. Jean Le Menez enchérit
jusqu'à 243 liv; et Guillaume Morin, notaire royal, pousse
jusqu'à 246 liv. Aucune enchère ne se produisant plus,
la suite de l'adjudication est remise au dimanche suivant,

8 février.
Ce jour, le maire annonce qu'il a fait publier que « les per- .
sonnes qui voudraient ajouter 80 sous, faisant 250 liv. ,aient
à se trouver à l'église, à l'issue de la messe. » Uùe chandelle
est allumée, mais elle s'éteint sans enchères, et Guillaume
Morin reste adjudicataire de la moitié des droits du pape-
gault, pour2461iv. .

Il s'engage « à payer cette somme par obligation, gage et
« hypothèque de tous et chacun de ses biens quelconques et
« par son serment. Fait, gréé, juré et condamné par la Cour
« de Kerahès par nous notaires d'icelle, le gré pris en
• « l'église, etc. »
On peut conclure de là que les émoluments du roi étaient
supérieurs à 500 liv. ; car Guillaume Morin, homme d'aJfaires
expérimenté, en affermant la moitié pour 246 liv. comptait
assurément en retirer avantage.
Mais son espoir sera déçu: un an plus tard, le bail est
forcément résilié. Le roi Henri IV, par l'édit de 1605,
supprime les papegauts de Bretagl}e, réunit au domaine
royal les droits concédés à leurs rois, droits évalués
livres; et, deux ans plus tard, il comprendra ces droits
dans la dotation du collége de la Flèche, qu'il va fonder.
(Edit de mai 1607).
Cette suppref'sion fut vivement sentie par la commu­
Carhaix qui perdait ainsi une ressource considé-
nauté de

rable. Mais un bourgeois de Quimperlé, nommé Stang,
prit pitié de ses embarras. Au commencement de 1609,
il allait se rendre « en la ville de Paris, pour quelques
siennes affaires. » En homme avisé, il se promit de faire
ce dispendieux voyage aux frais de la communauté .

Il fit savoir son prochain départ à Laurent Legoff, syndic
de la ville, en le priant de dire aux bourgeois que
« étant à Paris il s'emploierait volontiers à faire rétablir en
« la ville de Kerahès, le papegaut» qu'elle pleure encore.
Mais « il a besoin d'aucune somme de deniers pour les frais
« et démarches de la dite poursuite.» Il demande donc,
mais, en cas de boB. succès seulement, que les habitants
répondent de ses frais jusqu'à la somme de 300 liv. Le pro­
cur.eur-syndic fait cette communication au prône de Saint..,.
Tromeur ; les bourgeois applaudissent, et, d'enthousiasme ,
votent les cent écus sous la condition posée.
Quel était donc le personnage qui osait se promettre de
faire revenir le roi Henri IV sur son récent édit? Il sem­
ble bien que ce marché à forfait ne contenait pas d'alea, et
que le bourgeois de Quimperlé, mieux informé que la com­
munauté, savait bien que le rétablissement du papegaut
était déjà résolu. Comment croire que Carhaix a pu devoir à
son mandataire le rétablissement du papegaut, quand nous
voyons le papegaut · rétabli en Bretagne par mesure géné­
l'ale? .. Les papegauts rétablis, les cent écus furent-ils payés?
C'est ce que nous ne pouvons dire.
Ce que nous savons seulement, c'est que, en 1617, le pape­
gaut était monté à la perche et qu'il était abattu et d'une
mànière qui donna lieu à une curieuse contestation .

Le 9 mai 1617 ,4 les chevaliers . et pages étaient réunis au
parc aux Buttes. Mc ' Gildas J égoux, pro.cureur du jeu,
remontre que le joyaù a été mal abattu par Jean Guesran .

La difficulté gît, semble-t-il, en ce point: Le corps de l'oiseau
est à peu près intact; et, s'il est tombé, c'est que la verge
de fer qui le soutient au haut du mât a été coupée.
La procédure est réglée par les statuts du jeu; et elle
-est bien simple; dix chevaliers au moins, des plus éminents,
devront se réunir au roi, à l'ancien roi, au capitaine de
la ville, et juger souverainement. NIais vous allez voir
comme il sera malaisé de constituer cet aréopage.
Le 10 mai, les chevaliers sont au parc en grand nombre .
par demander que tous les parents et
.légoux commence
alliés de Guesran se retirent. Ainsi est-il ordonné et fait.
.légoux demande qu'il soit monté au mât ~t que la verge
de fer soit descendue. Ordonné.
Jégoux présente douze chevaliers comme juges. Guesran
en récuse un. Un autre est présenté et récusé.
La verg'e est descendue et examinée: ' cc elle semble à l'en­
droit de la coupure porter la marque de halles Nlmées. )) Les
juges à l'unanimité déclarent le joyau mal abattu; et, sur ce
verdict, le gouverneur ordonne que le joyau sera remonté.
Mais aux frais de qui a-t-il été descendu et a-t-il été
remonté? Seconde question .
Guesran se porte appelant et s'oppose à ce que la verge
de fer soit remontée , il en demande le dépôt aux mains du
greffier pour qu'elle soit soumise à des experts.
Le procureur demande qu'un corps d'oiseau armé d'une
cuirasse de fer soit monté au mât. Il est ordonné qu' « une
(c verge de fer et un oiseau neuf seront mis au mât pour être
«, tirés suivant le rang et ordre que le précédent a été
c( abattu.)) Nouvel appel de Guesran: il veut tirer le
premIer.
Le 11 mai, le nouveau joyau est. en place. Les chevaliers
se préparent à tirer. Guesran renouvelle ses protestations, et
menace d'exercer son recours contre celui qui abattrait le

joyau. Pour l'apaiser, les chevaliers lui permettent de tirer;
mais sa main tremble et il manque le but.
Le 12 mai, le papegaut est abattu par Pierre Le Bihan,
qui prête serment devant le capitaine en présence du con­
nétable Yvon Le Roux.
Guesran a-t-il donné suite à ces appels dictés par la colère,

et quelle a été la suite de ces appels? C'est ce que nous ne
savons pas.

Cent ans après, en 1710, deux contestations non moins
entre chevaliers.
vives s'élevaient
René Le Floch conteste à Mathieu Gallollx le droit de
tirer, parce que, la veille, il a fait trois ou quatre T'ats.
« Il demande que Jacques Giton tire en son lieu ou place,
ou mieux, il tirera pour eux, attendu qu'ils sont convenus
partager l'émolument. »
Gallouxconteste ... naturellement, et la preuve est ordonnée.
la permission de
Mais Galloux . se ravise. Il demande
tirer; s'il abat l'oiseau « les deniers en provenant seront
employés par lui au divertissement et traitement des officiers
et chevaliers du jeu. »
Le maire, en même temps commissaire dujeu et par là même
officier du jeu, est touché de çette généreuse proposition ...
tirer. Mais hélas! l'oiseau n'est pas abattu par
Il autorise à
Galloux; l'heureux abatteur sera Louis Poissaden. .
Poissaden ne jouira pas paisiblement de sa
Mais Louis
royauté. Il a un compétiteur, Me Claude Bédault, maître
perruquier, qu'excite son ambitieuse femme. Le roi recourt
à la justice et il assigne le maire, commissaire du jeu, et le
greffier, pour qu'ils le fassent maintenir en possessiOn.
Ces deux dignitaires, Pierre le Drégat, maire, Pierre­
Corentin Pourcelet, procureur au siège royal et greffier
pour obéir à la justice, et ils exposent
du jeu, comparaissent
trop longuement, mais très clairement, ce qui s'est passé .

Le papagai a été trois jours sur la perche. Claude Bédault:
.qui a le numéro 3, ne s'est pas présenté pour tirer. Après
cinq jours, un coup de vent abat le papegai; il est remonté
quelques heures après. Claude Bédault juge l'occasion
favorable: il se présente alors ; les chevaliers le repolIssent
et ils ont raison; mais le maître perruquier est un beau
parleur: les chevaliers étourdis de sa faconde ont la faiblesse
de lui permettre de tirer une balle hors de son rang. La balle
est perdue et c'est justice!
Le 11, le maire' donne à Claude Bédault une leçon mé-'
ritée. « Pour moi, dit-il, n'ayant pas tiré quand mon numéro a
« été appelé, je ne tirerai pas: commissaire du jeu, jy veux
{( être la premier à en observer les lois. Le joyau est
(( faible , il n'est pas juste de profiter de sa faiblesse au préju­
(( dice de l'haoitant qui a consommé sa poudre, son plomb.
(( et son temps pour le mettre en cet état. ))
J'ai regret à le dire; ce stoïque désintéressement n'a pas
d'imitateurs. Malo Hosselin, qui n'a pas encore tiré, trouve
l'occasion bonne ; mais il est repoussé par tous les cheva­
liers. Enfin Claude Bédault se présente de nouveau.
Un tumulte s'ensuit. On va chercher le maire, commis­
saire du jeu. Celui-ci arrive tout essoufflé. Il prie Bédault de
s'expliquer. Prière inutile! Le maire fait battre le tambour.
Quarante chevaliers s'assemblent, et à l'unanimité' ils
déclarent que Bédault ne doit pas tirer.
Sur quoi Poissaden tire, abat le joyau, prête serment, est
proclamé roi; et le cortége, plus nombreux que d'ordinaire,
va chanter Te Deum.
Mais Bédault est allé conter ses doléances à sa femme.
Celle-ci prend aussitôt son parti. Il faut qu'eIre soit sinon
reine du moins femme d'un roi! Elle laisse son mari se
lamenter et court chez son voisin Dienlangar, premier
huissier ... Quelques instants après , le cortége du roi entre
sons le porche des Aug'ustins . La femme Bédault et l'huissier,

la plume en. main, se présentent et parlant ensemble
à la réception de Poissaden.
déclarent mettre opposition
Les chevaliers répondent en riant qu'il est trop tard, et que
le roi est roi; ils passent et le Te Deum est chanté.
jour la paix n' a-t-elle plus été troublée au parc
Depuis ce
aux Buttes? Il nous est permis de le croire, puisque le
procédure postérieure à celles
dossier ne contient aucune
que nous avons analysées.
Le papegaut de Carhaix fut supprimé, en 1770, comme
papegauts de Bretagne, sauf ceIui de Saint-Malo.
les autres

J. 'TREVEDY,
Ancien Président du, Tribunal de Quirnper,
Vice-Président de la Socié-té Archéologiq1w.
uel.ques Gouverneurs, Rois et Connétables
DU PAPEGAUT nE CA1UIAIX .
GOUVERNEURS. 1575. Pierre de Kerampuil, S' de Goa-
zanvot. (1) 1604. Henri de Kerampuil. (2) 1617. Olivier'
Colin (lieutenant). 1678. René de Canabel't, S' de Kerlouet.
ROIS. 1617. Pierre Le Bihan. 1678. Jean Lavollay. 1710.
Louis Poissaden. 1727. Claude Loyel'. 1728. Louis Labbé.
-1729. Yves Pezron. 1730. Hel'vé Beau regard. 1731
Guillaume Lecerff. 1733. Jean-Baptiste Guichal'd. 1736.
Guillaume Méheu, procureur. -- 1738. Jean-Mathieu Lefort.
--1739. Guillaume Lelay. - 1740. Michel FOI'f'ay. 1741.
Bernard Proux, maître-chir'urgien juré, commis aux hôpi··
taux de la ville.' 1742. PierTe Jaffl'é, débitant. 1743.
- Thomas Le Gloannec. 1744. Piel're Nevo. -- 1746. Pierre
Balleray, perr·uquier·.
CONNÉTABLES. -- 1617. Yvon Leroux. 1678. Claude Fou-
cher. 1727. Pierre Richard. 1728. M 1729. Julien Gaillac. 1730. Julien Gaillac. -- 1731. Julien
Gaillac. 1733. Hel'va Beauregard. 1736. René Le Bel.
-- 1738. Michel Meheu.: 1739. Jean-Nicolas Thépau lt.
Jean Lefort. 1741. Nicolas Le Hanatf.
1742. Adrien Proux. 1743. Tremeur Méheu. 1744.
Julien Le Goff.

(1) Pierre de Saisy, Sr de Keram puil.
(2) Henri de Saisy, de Kerampuil. '