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Bulletin SAF 1888


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Sur les mots Probus miles, prudens scutifer, eques auratus

M. Trévédy

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'. SUR LES MOTS
PROB US MILES - PR UDEN S SCUTIFER -
QUES A URATUS .
(N écrolog es des Cordeliers de Quimper. )
Je rel isais, les jours passés, une curieuse broch u re pu bl iée
à Rennes, en 1841. Cette brochure, intitulée « L e R oi Audren
et Monseigneûr Saint Yves L égendes », est a nony me ;
elle a pour auteur M. Ba ron d u Taya, ancien Conseiller
mais
à la COUI', bibliophil e ém érite (1).
age 31, M. du Taya a ppelle l'attention SUI" une
A la p
expression que Geoffroy de Montmoutb a mise da ns la bouche
du Roi Audren, faisant l'éloge de son frère Constantin: cc In
militia cœterisque probitatibu s viget. Il brille dans la g uerre
et les autres ... l) Comment traduire le motp ro bitatib us?
M. du Taya ajoute: cc Cette précision donne ft pense l'. Q ui
n'aimerait ce m ot probitates 1 N'est-ce pas l'origine de

prouesses? »
Il cite Guillaume Le Breton employant lamêmeexpressiou,
qu'un tradu cteur « élégant » rend par « les actes de valeur
da ns l'exercice de la Chevale rie ~, plus simplement « les
exploits, les pro uesses . »
Méuage fait venir les mots preux, prouesses, prud'homme
de probus. Roq uefort leur donne pou r origine latine le mot
p rudens (1).
\ 1) Cet te brochure fait partie d'une série de publications intitul ée
Opuswles B1"etons ; elle porte les nO. IV et V.
(1) R OQUB FORT. Glossaire de la Langue Romane. V;' Preux
Prodom, preudhome, et Proesce, Proesse. A ce dernier article ou
lit cetle citation: « Gloire est quant los d'aucuue pr.oesse ou d'au­
cune bele œvre ci est renomée, et pour ce dist la lettre que renomée
fait le preudome mort revivre. ))

Cette lecture m'a donné à penser, comme dit ~. du Tara.
Elle m'a rappelé que j'ai trouvé dans les Nécl"Ologes du couvent
de Saint-François de Quimper le mot probus accolé au m ot
miles (chevalier), et le mot prudens accolé au mot seutij'er
(écuyer) . C'est aux actes numéroles 39 et 81, qui sont de 1480
et 1486, et se rapportent : le premier à Hen ri du Juch,
seigneur de Pratanroux, le second à Rqlland de Lezongar,
seigneur de Pratanraz.
Le mot probus se tl"Ouve à la même époque (1492, nO 89)
accolé au nom de Guillaume Lisiart, senéchal de Cornouaille.
Il est clair qu e probus qualifiant le sénéchal doit être traduit
par les mots « digne et loyal" qui entrent dans le serment des
magistrats de nos jours. L'épithète loyal pourrait aussi bien
s'appliquer au chevalier. Cependant, avantd'avoi r lu Ménage, et
d'instinct, j'a vais indiqué un sens plus pl"écis, et j'avais tl'ad" it

oaillant Chevalier (1) . Ménage me donne raison pllisqu' ï"l
dit que probus est devenu notre mot - preux.
Mais le mot prudens seuti/er ... ? J'ai traduit sage éeu!ler,
dans le sens d'écuyer expérimente (2). Mauvaise tl"aduction !
L'étymologie adoptée par Roq ue/Dl·t légitime la tradu ction
preux écuyer.
Ainsi, voilà deux savants hommes qui ne s'entendent pas sur
l'étymologie des mots preux,prouesses ; mais qui traduisent .
par le mot preux les épithètes probus etprudens appliquées à
des hommes de guerre. Le Nécrologe leur donne raison. A la
fin du XV' siècle, les COl"deliers de Quimper parlant d'hommes
d'armes prenaient indifféremment probus et prudens l'un
pour l'autre : c'est donc que, à cette époque, ces mots avaient
le même sens : preux (3) .
(1) Promenade à Pratanroux. Bull. 1887 , p. 182.
(2) Promeuade .à Pratanroz. Bull. 1887, p. 21l.
(3) La signification de p,"udens et de probus parait se rapprocher
eu certain sens dans la langlle latine. V. ces mots dans Pacciolati .

Il Y a dans les tmgments du Necrologe une antre expression '
employée une toi s seu lement, c'e,t eques auratus, chevalier
doré (Acte 10-1-1533).
Ottte expression est lI'ès ancienne. Tite Live l'emploie en
son livre IX. /1 dit qne dans . l'armée des Samnites il y avait
des cavaliers dorés et des cavaliers argentés, - aurati et
argentati: expr'essions un peu ambitieu ses, comme vous allez
vorr.
Les premiers étaient des cavaliers dont le costume était de
clivel'ses couleurs, le~ autre, étaient vêtus de toile blanche,
linteœ candidœ. Nos régiments de cavalerie, allant à la
parade, mér'itemient a ljoul"d'hui le nom de equites aurati;
mais, quand nos cavaliers sont au pansage ou l'on t en corvée,
vêtus de snrtollts peu él~gants de toile, il s ne sont plus que
argentati,
Le dictionuaire de Trévoux, au mot Chevalerie, rappelle

qll'on ceignait l'épée an nouveau chevalier et qu'on le chaus­
sait d'éper'ons dorés .• D'où vient, dit l'auteur, qu'on les nom­
mait chevaliers du baudriel' ou cheva liers dorés .•

Mais notre Nécl'Ologe, qui mentionne nomb,-e de chevalip.rs,
n'employant cette expl'ession qu'une t qu'elle n'est pas prise en (;e sens général. J'a vais pensé d'abord
qu'il devait s'agir de quelque ordre de chevalerie portant un
collier d'or; et, s'agissant d'un chevalier breton, Olivier de
Plœuc, j'avais tout naturellement songé à l'Hermine,
A la date de l'acte ( 1533), rOrdr'e n'existait plus; mais cet
acte concerne la l'eu ve d'Olivier de Plœuc, qui, mort peut-être
longtemps auparavant, avait pu appartenir à l'Ordre.
M. de La Bord erie m'a détrom pé. Rien n'échappe à notre
éminent confrère: il a trouvé l'éclaircissement de mes doutes
daps le dictionnaire de Trévoux, au mot l)oré, Chevalier dqré,

Ce mot a deux sens:
Il s'applique à un ordre de chevalerie créé, selon la tradition,
pal' Constantin, mais en réalité pal' Isaac Comnène (1191),
continué pal' Michel Pal éo logue (1293), puis par le pape Paul
III (1540 et 1545) et plu sieu rs de ses successeu rs. On nomme
les membres de l'Ordre Chevaliers angéliques et dorés de la
croix de Coni1.ntin: Angéliq ues en sou venir de l'ange qui
apparut à Constantin avec le Labarum, et Dorés à cau se du
collier d'or qu'ils portaient.
En Angleterre, on nomme Cheoalier doré « un gentilhomme
qui a reçu l'ordre de cbevalerie, parceq u' il cbausse l'éperon
dMé.» C'est un sens qui se rapproche du sens général que nous
avons indiqué plu s haut. Le dictionnaire ajollte que cc les Che­
valiers dorés n'étaient autrefois que des gens d'épée; mais
que, depuis longtemps, l'Ordre est conféré à des gens de robe,
mèdecin~; mais jamais à des th éologiens ou gens
avocats ou
d'église. »
er de Plceuc était-il cheva lie r Doré en Angletel'l'e ~
Olivi
Nétait-il pas plutôt chevalier Angélique et doré à Rome '1 ...
C'est ce '-lue je n e puis décider.
J. TREVEDY,
Ancien Président du Tribunal civil
de Quimper .