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Bulletin SAF 1888


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A propos du procès fait au cadavre d’un suicidé à Quimper, en 1692

M. Trévédy

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XIII.
A PROPOS DU PROCÈS
FAIT AU CAOAVRE O'UN S UICIDÉ (QUIMPER 1692) (1).
Notre confrèl'e M. l'abbe Peyron a recemm ent déco ôlvert aux
archives du Finistère quelques pièces d'une procéd ure su ivie,
en 169:2, devant la Com des Regaires de Quimper. Il s'agIt
d'un procés fait au cadavre d'un suicidé (1).
Gette décou verte a donné lieu à deux intéressantes commu- .
nications insérées au Bulletin de la Soeielé archéologique.
La première est due à M. le major Faty (2). Notre zélé
confrère a publié, avec des observations, la ~el1tence rendu e
par les Hegaires, le 21 mai 169:2, et ['arrêt confirmatif du 7 juin
suivant. L'expo~é de M. Faty so ul ève cette qu estion: En
fait, le cada vre du suicidé a-t-i l été pendu ~ e7J, droit, cette
exécu tion réelle éta it-elle nécessaire ~
La seconde communica tion est de M. le conseiller Har­
douïn (3) . En finissan t, notre conft'ère pose deux ques­
tions ; 10 La Cour des Regaires, appliquant en 1692 " une
législation très ancienne non expressément abrogée (4) »,

(1) Mémoire lu à la séance du 28 juin.
(2) Cette découverte m'a déterminé à faire quelques recherches
sur les procès (aits a1tX cadavres; et je me suis conva incu que, sur
ce point comme sur d'autres, l'im aginati on s'estdollné li bre carrière.
Mais ce n'est ni le temps ni le lieu de publier cette étude. Je
nale seulemen t deux points : Les cadavres des suicidés étaient
sig
privés de séplûtnre, c'est-à-dire de la sép1tltw'e ecclésiastique, et
des prières publiques de l'Eglise. On lit aussi qu'ils sont jetés à la
voirie: c'est-à-dire enterrés hors de la terre chrétienne, m~x champs.
- Cela résulte de plusieurs arrêts.
(3) 1" partie, p. XVI.
(4) 2' partie, X, p. 186.
(5) Allusion aux chapitres 112 et 295 de la Très ancienne Coutum e
et DUX articles 586 (et non 631) de l'Ancienne et 631 de la Nouv~ lIe
Coutume.
BU LLET(:i ·AltCaÉoL. DU FL'HST~;ltE. - Tou(X V. (~lémoires) . H

n'avait-elle pas « saisi l'occasion telle quelle d'affirmer la survie
de la haute justice de l'Evêque en contestation ~ » 2° c Hévin
réussit-il à démontrer la compatibilité légale de la haute ips­
tice des Regaires avec l'institution du Présidial 1 »
Je crois pouvoir donner la réponse à ces trois questions:
Je répondrai briè'/emen t fi la première, en deux mots à la
et un peu plus longuement à la troisième (1).
seconde
M. Faty ne doute pas que la pendaison du cadavre n'ait eu
semble croire que cette exécution réelle était néces-
lieu, et il
saIre.
En t'absence du procès-verbal d'exéeution, je me permets de
croire que le cadavre n'a pas été traîné sur la claie dans les
rues étroites de Quimper, au risque d'y semer la peste.
Qu'on y songe, en effet! Le suicide est du 5 mai, l'arrêt
rendu, le 7 juin, n'a pu parvenir à Quimper que le 12 juin, au
plus tôt, trente-huit jours après le décès (2).
Comment la conservation du cadavre aurait-elle été possibie
squ'au 12 juin, lorsque la requête d'appel, écrite plus de
quinze jours auparavant, nous apprend que « la corruption
était entière (3) )) .
(1) Je n'ai pas besoin de dire que la publication de ces pages est
faite avec l'agrément de mes honorés confrères.
(;l) Cinquante ans enVIron après 1692, le messager ne faisait que
10 lieues par jour en été (règlement du 12 janvier 1737). OGÉE
compte 45 lieues (de 5 kil.) bntre Renues et Quimper: soit cinq
jours de route.
La requète n'a pas de date; mais elle a dû être faite d'ur­
21 mai.
gence et peu après la sentence du
Le procureur fi scal était Guillaume Bougeant, sieur dudit lieu,
syndic de Quimper, de 1688 à 1691, oncle et parrain de Guillaume­
Bouge,lu t, le jésuite, né le 4 novembre 1690, baptisé
Hyacinthe
le .9. (Saint-Sauveur).

C'est même ce motif que le procureur fiscal in voque pour
s'excuser de ne pas faire « transporter le cadavre à Rennes» ...
écrit et c'est à pf'ine croyable!
C'est
Et à quoi bon ce tran~port ~ Le procureur fiscal ne sait-il
donc pas que le cadavre ne comparaît à l'audience que par son
curateur, qui est son mandataire et son défenseur judi­
ciaire (1).
es termes de l'arrêt sont formels!
Mais, dira-t-on peut-être, l
Ils ordonnent la pendaison ... Mais cette rédaction est de stile
(2). Le Parlement jugeant â. Rennes ne sait pas ce qui se
passe à Quirnpel' ; et, quand il ol'donne l'exécution de la sen­
tence condamnant à la pendaison, il sous-en tend, .selon les
termes de l'ordonnance: si le cadavre est encore extant, » (3)
En effet, l'ordonnance ne com mande rien d'im possible : elle
n'a même prescrit aucun moyen extraordinaire de conserver le
caclavre; il n'est gardé que si le procès peut être jugé en
peu de temps; et les juges peuvent ... bien plus! doivent
ordonner l'mbumation s'ils ia cl'oient néce<;saire (4).
Dans les causes de cette natul'e ce qu 'il s'agit d'atteindre ce
n'est. pas le cadavre, c'est la mémoire du suicidé, Or, l'exécu­
tion réelle n'est que pour l'exemple (5) ; ('.e n'est pas ell e,
c'est la condamnation qui produit laflétrissure à la mémoire.
La flétrissure, voilà le but cie celle lugubl'e procédure (6) .

(1) Ordonnance de 1670. Titre XXII, art. 2, 3 et 4. Le procureur
à la lettre les mots de l'article 8 du titre VI de ['ordonnance.
prenait
En cas d'appel « l'accusé et son procès seron t envoyés en nos cours li.
(2 ) FERnIÈRE la donne in-extenso. Homicide de soi-même. p. 1040.
(3) Titre XXII, art. 2.
(4) DENISART. V. Suiâde 6, 7 et 8.
(5) DENISART, 6 ... « Les condamnations ne s'exécutent sur le
cadavre que pour l'exemple et nfin de détourner de commettre de
pareils crim es par l'horreur du spectacle. »
(6) ... « L'esprit de la loi est rempli en faisan t le procès à la
mémoire. » ID. 7 .

Les pendaisons de cadavres, bien plus rares qu'on ne le
avant 1670, ont dû après l'Ordonnance de Ré(i(rmation
croit
être à peu près impos~ibles , à l'oison des délais qu'entrainait
l'ap pel rendu nécessaire. D'ai lleu rs, si le procureur fiscal des
avait commis la faute lou rde de s'obstiner à garder
Regaires
cadavre putréfié, le présidial, qui en ce moment même
prétend à la police, aurait saisi l'occasion de protester contre
un abus d'autorité dangereux à la santé publique el inutile à
la justice; et l'arrêt du Parlement garderait ll'ace de cette juste
protestation ,

La procéd ure jugée à Quimper, le 21 mai 1692, et portée
au Parlement, n'a rien qui pilisse surprendre :
en ap pel
en effet, elle est l'exécution pure et simple d't::n~ loi du royaume
qni doit être obéie partout, à Quimper comme ai lleurs, l'ordon­
nance de R~rormation de la Justice, du m ois d'août 1670 .
On ne peut donc voir en cette procédure ni une n ou veauté ,
ni une exagération de rigueur, disons le mot, un abus d'auto­
rité de la part de la Cour des RegaÏl'es ... Quelle maladresse eût
été pour cette Cour un abus d'autorité en 1692 1
Depuis nellfans, une lutte violenteest engagée contre l'ÉVêque
de Cornouaille, baut justicier des Regaires, pour le profit sinon
du présidial. Le présidial a pour chef un magistrat
. sous le nom
considérable ; mais l'homme le plus ardent, le plus batailleur,
le plus obstiné qui fut jamais, le sénéchal Charles Dondel,
seigneur du Parc . .
Charles Dondel est devenu sénéchal, à 30 ans, en 1676 (1).
sont entrés en lutte avpc le gouverneu r
Ses prédécesseurs
de la ville et avec l'Evêq ue. Le jenne sénéchal va faire comme
eux: à peine installé, il s'attaque au gou verneur: il oblige
à juger contre lui en faveur du gouverneu r une question
le Roi
(1) 1" audience, 20 septembre 1676 (Arch. du Finistère) .

de préséance que le Roi a déjà jugée deux fois contre ses pré­
décesseurs (1).
s'attaque au syndic de ville, et le Premier Président
Après, il
lui impose une transaction qui donne raison au syndic (4 dé­
cembre 1688) (2), Ces mauvais succès ne le découragent pas: il
n'aura de repos que 10L'squ'il aura lutté contre l'Évêque ...
et subi une troisième défaite.
En 1692, il doit avoir reçn plus d'une mauvaise nouvelle
de Rennes; et il doit s'inquiéter de la tournure que prend ce
procès qui' va finir. Quelle joie pour lui s'il pouvait prendre
la Cour des Regaires en flagrant délit d'abus d'autorité! Que
de pages il couvrirait de ses interminables requêtes! Comme
il prendrait sa revanche des traits qu'Hévin lili a décocbés !
non! ce plaisir sera refusé ail présidial et à son séné­
Mais
chal. L'Évêque est plus maître de lui-même que les présidiaux,
ql)'il a confiance dans l'excellence de son droit sur lequel
parce
Parlement délibère et qui sera proclamé dans l'année qui
vient... Pourquoi faut-il qil'Hévin ne voie pas sa victoire? Mais
va mourir, le 15 novemb e 1692, et l'arrêt ne sera rendu que
le 15 décembre 1693.
III.
Celte défaite, qui semble définitive, doit être d'autant plus
sensible aux présidiaux que ce sont eux qui ont voulu et engagé
la guerre.
En' 1678, le Roi avait ordonné la réformation de son domaine
de Bretagne. Sur la sommation de Bougis, fermier dil
domaine de Quimper, François de Coëtlogon, évêque de
COL'Douail le, fournit sa déclaration, le 14 juillet 1682 . Comme
tous ses prédécesseurs, il employa l'universalité de fief dans la
(1) Lettre du Roi du 25 juillet 1677.
(2) J'ai publié la transac tion, et, en appendice, les lettres du Roi
dans Ambassadeurs de Siam à Quimper.

ville close. Bougis impunit la déclal'~tion, et les commissaires
du l{oi déboutèrent l'Évêque dè quelques mouvance~ ( 19 se p-
tembre 1682),
Cela n'est rien auprès des pl'étenLÏ6ns de Bougis qui conteste
ti ce et de la police, En réalité,
surtout l'universalité de la jus
il importe assez peu au fermi er du Roi que l 'Ev~que ait Olt non
la justice sur la cathédrale et su r les mU l'S de ville, et la police,
en toute son tltendue; mai s cela importe à J'amou r pl'o pre dl]
pr~sidial, et cette considération suffi t.

C'est alors que se produisit un fait exu'aordinail'e, incroyabl e,
n'en avions la preu l'e aLLthentique .' Bougis relève
si nous
appel et assigne devant le présidial ; et le prés id ial ne se l'écu­
jugera entre Bougis - jp- me tt'ompe - entre le
sera pas ; il
présidial et l'É vêque. (1) ,
Mais le prélat demande au Pa rlement d'6voq uer « pUl'ce que
le présidial est intéressé dans l'a ffa ire» ; le Parlement ol'donne
l'évocation, et c'est à Rennes qu'on plaidera .
Une observation impol'tante : c'est que Bougis l'éclame la
police pour le roi; mais il ne co nte, le pas p OUl' le tout la hau te
justice de l'E l'êq ue ; seulem3nt, s'appuy commises pal' le pl'ésidial et répri mees pU I' :e Parlement, il
prétend imposer à cette camc justice certaines limitaôÏ ons.
détestable ! puisq ue res u <;llrpations, à supposer
Haisonnement
qu'ell es eussent p~ssé sans protestation de la part de l'E vêque,
effet. L'article 294 de la coutume est
étaient sans au cun
formel
(1) La ~onsultation d'HÉVIN, insérée aux Quest'ions féodales ,
p_ 387, est étrangère à cette affaire. La preuve s'cn trouve dans les
dates. La consnltation est datée du 31 mai 1680 ; la décl aration de
que est du 14 juillet 1682. - Scntence 19 septembre 1681. -
l'évê
Assignation de Bougis 24 févricr 1683. - Evocation du Parlement
9 mars 1683.
(2) Sur ce point, v. DU PAnc DU l' OU LLAIN . COlttumes, Il, p. 343.
Lire Une Ténébreuse Atrain publi ée par M. FATY, Bu lletin 1886,
p. 185. - Ou voit, dès 1654, le Présidial se substituer aux Regaires
et rési~tant à trois arrêts dll Parlement.

Le présidial sent la faiblesse de cetLe a"gumenLation. Il
imagine une prise de possession violente. En 1683, de nuit,
il fait planter un poteau de justice avec cep et collier, aux
armes du Roi, devant la porte de la cathéd l'ale; et la commu­
nauté de Quimper (qu i plaidera bientôt contre le Sénéchal
devant le Parlement) (1), se faisant, cette fois, l'alliée du
Présidial, vient mettre ses armes au -dessolls de celles du Roi:
entreprise dont Hévin a grand tort de s'indigner; il suffisait
d'en rire, en la signalant au Parlement (2).
années, intervient cet arrêt qui -reconnalt, il
Après dix
l'Evêque seu l, la justice et la police.
Si la haule justice avait eté contestee en principe, l'argu­
mentation d'Hévin aurait été calquée sur celle qu'il produisait
pour la police : et elle eût de même triomphé; rien de si
sim pie:
« La baute justice, aurait-il dit en substance, existait pour
l'Évêque au temps des Ducs. Voici les recon naissances des
Ducs et du Roi Louis XII ! Or, l'édit de 1532 pour l'Union de
la province maintient et con6rme les droi ts des seigneurs laïcs
par exemple la haute jus ti ce des Regaires.
et ecclésiastiques, et
Donc, pOUl' sou tenir que l'Évêque n'a pas la haute justice
aujourd'bui, il vous faut prou l'el' quïl ne l'avait pas au temps
Osez-vous essayer cette preuve? ... » (3)
des Ducs .
Et si Bougis poussé à bout, était venu dire comme il avait
fait pour la police: « La dignité des présidiaux veut que dans
les villes présidiales, la justice leur appartienne. » Hévin aurait
encore une fois répondu victorieusement par cc des arrêts de

(1) C'est ce I:l'ocès terminé par la transaction du 4 décembre 1688
(v. ci-dessus, p. 213).
(2) Le Roi pouvait avoir un poteau de justice sur le fi ef des
Regaires puisqu'il y avai t une part de la justice (cns royaux) ;
mais ('entreprise de la co mmunauté contraire à tous ses aveux était
ridicule.
(3) Questions (éodales, p. 76.

cou rs sou veraines et des lettres patentes d Il H.oi H el1l'i 1 V,
registrées au Parlement qui déclaren t que l'éel i t des présid iau x
D'a pas préjudicié aux ju~tices des é\'êques en première ins­
tance 0 1 en appel, en matière cil"il:" criminelle et de police .. » (1)
Voilà pourquoi les sentences des Regaires, qui allaient
autt'efois au Parlement, continuent, passant par-dessus la tête
du présidial, d'y aller directement, comme les senten ces du
présidial iul-même. lndè irœ.
Cet arrêt de 1693 ne créait don c pas u ne innovation. Il ne fai­
sait que consacrer un droit appuyé d'une longlle possession in­
terrompue seulement par des actes isolés d'usurpations et de
violences de la part du présidial.
Cet arrêt souverain va-t-il fail'e loi ~ Oui ... si les prési­
diaux de Quimper, qui apparemment exiilenl le re~pect de
leurs décisions, savent respecter les arrêls du Parlement.
Mais le sénéchal Dondel qui, nous ravon~ vu, considère
les lettres patentes du Roi comme lettres mortes, va-t-il se
soumettre ~
Moins d'un an après l'arrêt du 15 décembre 1693, il fait
planter une potence à demeure devant la porle principale de
cathédrale. C'est, n'en cloutons pas, la réponse aux pl'Otes ·
talion~ d'Hévin contre la plantation du potpau de justice aux
armes de la ville." Plainte de l'Evêq ue ail Parlement. Arrêt du
Parlement qui ordonne l'enlèvement de la potence (4 octobre
1694). L'arrêt a entendu l'enlèvement immédiat; mais le mot
immédiat n'est pas écrit; la potence reste en place. Nouveau
recou rs cle l'Evêq lle ; et nouvel arrêt (12 novembre) interpré­
tatif du prem ier, qui éCl'it celte fois le mot immédiat, et défend
au sénéchal de« placer une potence en aucun lieu cles terres
de l'Evêque. »
Un quart de siècle plus tard, le sénéchal Donclel Qut une
grande joie. Le 28 jan viel' 1719, il pu b 1 ia un règlement gênerai
(1\ Questions f éodales, p. 96.

de police. Comment eut-il ce pouvoir Y Etait-il intervenu , du
consenlèment de l'évêque Hyaeinth e de Plœ uc, une décision
sou \'eraine modifiant sur ce point l'arrêt de IG93 '{. ,. C'est ee
que je ne puis dire aujourrl"bni (1).
Quoiqu'il en soit, des règlements de police furent désormais
réd igés pal' les séné~baux, sans opposition des successeurs de
François de Coël.logo l1; et nOl1s voyo ns l'avant. dernier sénécha l
(Léon cie Tréverret) se parer, en 1775, du titre de seul juge
de p olice.
Le sénéchal Dondel mOllrut, le 9 mai 1722. Son fils lui
sllcréda; m ais sa vie fut moins longue que n'avait été la
magistratlll'e de son pèl'C, Il m ourllt, le 9 avril 1724, et il
eu t pour s ll ccesseur H ervé-Gabriel de Silguy, qui allait occuper
pen clant trente-trois ans (2) ,
le siége
En lui s'est incarné de nouveau l'esprit tracassier et batail­
leu r de ses prédécesseurs ,
L'E vêque a les poids et mesures et un étalon en piel'l'e est
déposé sous le porchet du baptème (3) , En 1742, penclan tune
absence de rEvAqlle, les présldiallx font martel el' les armoiries
de l'Evêqll e sur la mesu re, et tentent de la faire enlever. Voilà
la guene a llumée!
En 174:5, le potea u du Roi pianté en 1683 est vermoulu, le
senechal le fait remplacer. L'Evêqu c, au lieu de faire peindre
ses armes au-dessous de celles clu noi , comme il avait fait en
1693, fait planter un poteau à ses armes en lieu moins
éminent. Le sénéchal demeure dans la maison l'oisine, il
(1) Les archi ves du présidial n'exi stent plus de 1688 à 1720.
J'a i publié ce curieux: arrêté, avec des observatioo s sur le droit
de police de l'E vêque, dans la ReVlle h'istoTique de l'Ouest ( 1886-87).
(2) Ce n'est pas lui , comm e l'a cru M. du Chatelli er (Evèché de
Quimper, p. 165), c'est son Ols, Jean-Hervé, qui, ayant succédé il
son père (1757), est entré au Parlemeo t de Reones (1768).
(3) La jolie porte latérale dl~ IJord qui donne ::lCç~~ Ç1UX fonts
ha ptisma~lX.

s'emporte en m~naces contre ce qu'il nomme une usurpation, et
ce qui n'est que l'exercice d'un droit immémorial sur lequel
'arrêt de 1693 n'a même pas eu à prononcer. Ce qui est plus
gra ve, le sénéchal adresse clandestinement un long mémoire
au duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne. Mais le duc
communifjue honnêtement ce mémoire à l'Evêque.

Il faut lire le mémoire du sénécha l pour se persuader com­
bien le pal'ti·pris, la passion, l'amour-propre mal placé peu vent
égarer un esprit éclairé comme l'était celui du sénécha l de
S ilguy. Qllaml on lit ce factum on condamne le sénéchal su r
et on peut en toute sllret.é déclarer la
ses seu ls al'guments,
cause entendue : mais il faut lire pourtant la réponse de
l'Evêque très pifJuante et très instructive (1).
De ce jou r, tou tes relations cessen t entre le sénéchal et
l'Evêque; et, au lendemain de Fontenoy, la joie d'une grande
victoire ne calme pas la mau vaise h u meu l' d II présidial.
L'Evêque, sur l'ordre du roi, invite le présidial au T e Deum
qui sera chanté dans la Cathédrale; le présidial boude et il
s'en va tristement chanter seu l le T e Deum dans l'ég lise des
Cordeliers (mai 1745).
Avant la nn de cette anné l'Evêqne récllsait le pl'ésidial
pour suspicic,n légitime; et le Parlement le renvoyait devant
le présidial de Vannes (31 aOllt 1745). Trente-qll:.;tre ans plus
hommes aUl'Ont changé, les relations seront les
tard, les
mêmes, et le grand et sévère procurellr-généml, La Chalotais,
demandera le renvoi des affaires de l'Evêque de 'Qu imper à
Vannes (8 mars 1779), pour suspicion légitime.
Comme on le voit., depuis le commencement de la lutte
judiciaire, le Padement est du côté de l'Evêque, contre le
que c·est de ce côté que sont la justice et le
présidial, parce
droit.
(1) 1\1. DU CHATELLIER en a publié une partie dans Éllèché et ville
de Quimper.

Au milieu de toutes ces luttes, il y avait un droit que l'on
ne contestait pas à l'Evêque : c'était la haute justice des
Regaires. Il l'exerça jusqu'au Jourde la suppression, en 1789.
Seulement, au point de vue criminel, elle fut amoindrie par
deux causes concordantes : les empiéteinents des présidiaux, et
le laisser-aller du seigneur haut justicier. Il en fut ainsi dans
tou tes les hau t~s justices. Les j ustices se~gneu riales a vait fait
leur temps; au dernier siècle, elles n'avaient pl us guère, au
moins au point de vue criminel, d'autre intérêt que celui d'un
c1roi t honori6q ue ; et les seigneu rs tenaient encore au titre,
mais plus à l'exercice du droit bien plus onéreux que lu­
Cl'atif (1) .
Je crois trouver une des causes de cette révolution dans
l'ordonnanée de 1670. L'article 6, titre XXVI, rend nécessaire et
de droit l'appel de toute sentence prononçant la peine de mort,
de galères, de bannissement, etc . Il faut que le seigneur haut
justicier en voie le condamné au Parlement et se charge de la
responsabilité et des frais de son voyage et du séjour dans la
prison (2) . Dans ces condition~, les haut~ jllsticiers jugeront
le moins possible; et, quand les juges royaux s'empareront
d'une affaire, ils les laisseront faire, trop hedreux de s'en
débarrasser. 01', on sait si les présidiaux de Quimper sont
ardents à étendre leur.,; comp é.tence !
Mais le droit de la haute justice restait entier; l'Evêque le
réclamait dans ses aveux jamais impunis sur ce point, et en
gardait les marques extérieures, le poteau avec cep et collier,
et le<; fourches patibulaires concédées en février 14'24, ft
(1) J'ai sous les yeux un litre établissant que le greffe de la haute
justice d'une seigneurie bannière très ancienne (Guémadellc), ne
trouvait pas fermier, en 1750, à douze livres.
(2) Au minimum, 14 livres par jour pour l'escot'te seulement, et
le convoi ne fait que 8 lieues par jour en hiver et 10 en été, Régle­
1737, Aller et retour entre Quimper et Rennes,
ment du 12 janvier
84 ou 70 livres peur l'escorte senlement.

dressees sur la colline de Saint-Denis (1). Ce sont seulement les
fonctiolls de la llaute justice qui, comme je J'ai dit ail:eurs de
lice, ont glissé des mains de l'Évêqu~ qui ne les retenaient .
la po
pas, aux mains du présidial impatientes de s'en saisir. Mais au
vu e ci vi l, la jus tice des Regail'es jugea corn me ancier.­
point de
llent et jugea seule dans la ville close et les faubourgs, moins

la TeT'T'e-au-Due : elle avait un senécllal, un alloué ou lieute­
pl'Ocureur fi scal, des procureurs, des notaires et des
nant, un
se l'gents.
Rien ne montre mieux l'importance relative dQs Regaires et
t.ions de sénéchal et de procureur fi s­l'bonneur attaché aux fonc
ca l que les noms et qualités des del'l1iers titulaires de ces offices.
ès 1762, le senéchal était René Gu esdon, sieur de CJé­
c~nan, avocat au Parlement et conseilleL' du roi, d'une vieille
famille de conseillers ail présidial. Après sa mort, le 18
octobre 1782, il eut pour successeur son gendre, Théophile
(2), qui préféra cette situation à celle de lieutenant
Laënnec
d'amiraute, et qui avait le titre de conseiller du roi.
Tbéophile, Michel-Alexandre Laennec, était,
Le père de
Ilepuis 1754, pl'ocureur fi scal des Regaires. C'était illl homme
idérable à Quimper: conseiller du roi et avocat, il avait été
cons
maire de la ville etdéputé aux Etats (1760). Quand il mourut, '
31 octobre 178 2, il eut pour successeur un homme de beau­le
coup supérieur·à la situation modeste qui semblait pourtant
sat isfaire son ambition: J acq ues-Coren tin Royon , frère de
cousin et beau- il'ère, puis gendre de
l'abbé Thomas Royou,
Fréron (3).
(1) Au-d essus de t'hippodrome actuel.
(2) Père du grand médecin, né te 17 février li86 daus la mai son
c ie son aïeul maternel, aujourd'bui 2 rue du Quai.
(3) Mais n OIl son calomniateur, co mme l'a cru M. Monselp.t (Fréron
al! l'illt!st1'e criti que) et co mme ou ra imprimé depuis saus preuve.
Je dcmontrerai prochainement par A + fi que Jacqu es-Corentin
Royou est innocent de l'aITreux libelle vel1U qe LOl!dres en 1770, ~ !
que Voltaire a osé publier,

De procureur fiscal de la baronnie de Pont-l'Abbé, il devint,
aux derniers jours de 1782, procureur fi scal des Regaires, En

même temps, il plaidait avec s uccès ; et, entre deux plai­
doiries devant le présidial, deux réquisitoires deHnt la' Cour
des Regaires, il adressait il l'Année littéraire et de la pt'ose et
des vers. A la suppl'ession rie la justice de !'E vêque, écoutant
l'a ppel de son rrère, il partit pOLll' Paris, et il a laissé un nom
comm e journaliste, avoca t et historien. Pas un magistrat du
présidial de Quimper n'a eu autant de titres Il la renommée.
Puissé-je un jour écrire l'histoire des sénéchaux de Cor­
nouaille et dire leur lutte contre les Regaires, lutte qui com- '
XVI' siècle, et il laquelle la suppression
mença au milieu du
présidial et des Regaires put seule mettre fin. On verra

comhien ces discussions ont été fatales >lUX intérêts des justi­
ciables et de la justice , à la paix de l'E vêq ue et des Regaires,
et - j'ajoute avec tristesse - à la dignité du présidial.
J. TRÉVÉDY,
AT1.cien Prési.tel1t du. Triburt.al ClOU
de Quimper.