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Bulletin SAF 1888


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Note sur les procès aux cadavres des suicidés

M. le conseiller Hardouïn

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NOTE

LUE PAR M. LE CONSEILLER" HARDOUIN DANS LA SEANCE
DU 29 MARS 188K .
Les indications qui vont suivre ont semblé de nature à com­
pléter utilement la très intéressante communication Jont la
Société a naguère été redevable à nos savants confrères
MM. le major Faty et l'abbé Peyron (1) . - Il s'y est agi,
comme chacun se le rappelle, du pl'ocès intenté,en 1682,
devant la Cour ou J uriclictiol1 épiscopale dite des Reguaires, .
pat' le PrOCl1l'eUl' fiscal près la mêmfl Cour, au cadavre du
suicidé François Hervé, à raison de « l'homicide commis pal'
(C le dict Hel'vé en l'a personne .•
Peut-être ne paraîtm-t-il point hors de propos de cil er
textuellement les dispositions pénales dont l'application fut
poul'suivie et prollonc.ée. Elles dalèl'etlt, comme on va le voir,
d'une époque qui fllt à réputer Immémoriale même en 1692.
« Gens qui se occient à leur escient.. .. , aussi devraient-ils
(, estre pendus, » lit-on dans le cbapitl'e 112 de la très an­
cienne coutume qui se borna manifestement, en ceci, à
consacrer un droit préexistant. (2)
L'ancienne coutume (3) contient un article, le 631 e et
non pas le 531 , comme l'indiqua par erreur Guyot (4), -
ainsi conçu: " Si aucun se tue à son escient, il doit, après,
« eslre peudu et traîner COITuue meurtrier, et sont ses biens
« meubles confisqués à qui il appartient. l)
(1 ) V, Bulletin de 1838, p, XVI.
(2) HÉVIN, comme cbnclll1 le sait, flLdater de 1330 environ, la
compilatiou éuoncée. (V. notamment Ar1'ests de FRAIN, p. 559,
R(lllnes, Garnier, 1684, in· 4·. 3" édition.)
(3) Rédigée en 1539.
(4) V, ~tERPN. Rép" V· Sllicide,

Il Y eut reproducLion littérale du même texte dans l'art. 631"
de la nouvelle coutume. (1)
En6n, Guyot, dont Merlin, son collaborateur, continua le
Répertoire si con nu, ne se borna point à i:appeler que, d'après
Établissements de saint Louis (2), le suil)ide ne donna
les
lieu, d'abord, qu'à la con6scaLion des meubles. Le même
auteur ajouta: Il Aujourd'hui (3) on condamne les cadavres
« de ceux Gili se sont homicidès eux-mêmes, à être traînés
« sur une claie, la ·fac8 contre teree, ensuite à être pendus
« par les pirds, ct on les pl'i ve de sépulture .....
M. Guyot constata d'ailleurs que les exemples de procès
faits à des cadavres ne fUl'ent pa;;; rares, Il mentionna,
cl1lr'autres, l'imtance criminelle poursui vie en 1604 contre le
cadavre d'un commis de M, de Villeroi, secrétaire d'Etat. Ce
commis, accusé de lèse-majc'lté, s'ét:mr., en fuyant, noyé dans
la Marne, son cadavre fut, de par un arrêt, dém'lmbré à quatre
chevaux, et mis en quatre quartiers sur quatre roues, aux
quatre avenues princi pales de Paris,
Mais il importe de revenir san" plus tarder aux documents
signalés pat, 'MM. Faty et Peyron.
A Quimper clonc, vers le déclin du XVIIe siècle, tous allants
el venants purent se rassasier à loisir de l'a~pect du cadavre
d'un suicidé. Il y eut, 'ln effet, exhibition en permanence de ce
cadavre dans l'un des locaux, voire dans le prétoire même de
la juridiction épiscopale, durant les longs délais des procédures
instruites tant à la bane de cette juridicLion, qu'à Rennes.
Un curateur ayant été désigné au eadavre, il y eut, au nom
du même curat.eur, appel au Parlement de Bretagne, juridic­
tion suprêmo, qui, loin de se bomer à maintenir la sentence
des Regllaires, en réglementa, au contraire, aussi ex pressé-

(l j Promulguée eu 1580,

Vers 1786.

4 ilS
ment, voire au~si minutieusement que possible, la mise il
ex~cution. De par l'arrêt, la population entière fut requise de
prêter, tout au moins par son affluence, aide et concou rs à
l'exécuteur des baufes ' œuv res dans J'accomplissement de la
li u i consista tan t à traîner sur la claie les restes pu tréfiés
tâche
du cadavre et à les suspend re par les pieds aux piliers pati­
bu la ires ornés des armoiries épiscopales, qu'à les en décrocher
pour finalement les jeter en pâture aux carnivores de toute
espèce.
abord, la perpétration de pareilles horreurs,
Da prime
quoique décrétées, comme on l'a vù, par une législatio n de
ancienne et non expressément abrogée, ne laisserait
date très
pas d'être quelque peu pour su rprendre, même à l'époque
eL dans la localité où elle survint.
Elle ne s'y autorisa, en effet, semble-t-il, d·aucun précé­
dent, du moins connu .
Ne fit-elle qu'accuser la persistance de la réproba tion reli­
se traditionnellement encourue pal' lE" suicid E', ou, au
gieu
contraire, ne permit-elle pas aussi, tout au moins, d'entrevoir
un mobile concomitant qui rentra, quant à lui, dans la sphère
d'intérêts d'c.n ordre essen tiellement temporel ~
La question a sa délicatesse.
sans faire plus que la poser, nous bornerons-nous à
Aussi,
ramener, quelques inst.an ts, de notre côté, l'attelltion, tout spé­
cialemen t sur les circollstances révélées par le tant célèb' feudiste Hévin, d'abord dans une consultation de 1680, puis
et surtou t dans un mémoire ou plaidoyer aussi remarquable
que yoiumineux, destiné à la défense des droits du très influent
Evêque dt: Cornouai lle d'alors, M. de Coetlogon, J'lm des plus
augustes d'entre ses nombreux .clients. Ces documents n'ont
écbappé ni à M . Faty, ni à M . Trévf.dy. Ils firent, d'ailleurs,

précédemment, de la part de M. Duchâteilier, de tant érudite
mémoire, l'objet d'une Monographie, dont la publication pos-

thume a naguère été un service rendu à la cause de l'histoire
notre province (1) .
Leur lecture, instructive entre toutes et à tons égards, ne
permettra-t-elle pas, du moins dans une certaine mesure, de
se demander si l'autorité de l'ém inent légiste n'eut point
quelque part aux hideu ses procMures criminelles de 1692 T
Ici qnelques indications rétt'Ospecti ves s'impÇ>sent inélucta­
blement.
Avant que ia réformation de l'ancien domaine ducal eût été
sur un rapport de Colbert au Conseil et par édit claté
décrétée
du Camp devant Ypres, le 19 mai 1678, R évin et l'Evêque
de Coetlogon, -purent croire an triomphe définitif de leur
cause contre les entreprises du Présidial et de la Communauté
elle-même de Quimper. En effet, à la difference de ce qui
précédemment avait été jugé, anêts SUL' arrêts de consécration
de la sou verainelé temporelle de l'épiscopat de Cornouaille
dans l'étendue de la ville close, son siège, étaient intervenus
en Parlement.
y ictoire éph~lUère, hélas! et bientôt cruellement expiée.
R evin en dut faire l'aveu dans sa consu ltation du 31 mai
et pks spécialementdans le mémoire ou plaidoyer mo­
numental qui y fit suite (3). IL nous apprend qu'en la personne
du fermier général, c'est-à-dire de l'intéressé par excellen ce à la
poursuite de la réformation décrétée, l'hydre qui eut nom le
(1) Voir notamment: 1° Mémoires, t. XIII, p. 185, et Hullet'in
}88N, p. 16: Communications de M. Faty, intitulées : Une ténébrense
St~rDenlle à QU'imper en 1653; 2° p. XIV. Passim, com­
affaire
municatious de M. Trévédy; 3° [(emper, évèché et ville dans les
la Société d'Émulation des Cotes-du-Nord. Saint­
mémoires de
Brieuc 1887 et Paris, Retaux-Bray, 1888. 8°.
V. en outre HÉVIN, Questions (éodales, p. 56, et 5, et aussi
p. 387. Rennes, Vatar, 1736, in-4°.
(2) Questions (éodales, p. 357 et suivantes.
(3) Ibid. p. 56 et suivantes.

Présidial et le corps de ville coalisé5, reparut plus menaçante
et plus redoutable ' q ue jamais.
A s'obstiner de se vouloir exercer contre des criminels en
vié, la Haute justice de l'Évêché, qui, en fait, n'avait pu
depuis longtemps y réussir, n'eût-elle point couru un péril
plus grand encore que la renai.,sancc des querelles avec les
juges royaux: le péril d'une inaction prolongée dont les
seÏussent fait une arme irrésistible O {
réformateurs
Par suite et survenant en 1692, c'est-à-dire après douze
années de renouvellemeflt d'une lutte plus implacable qUe
jamais, une occasion de sévir, sans contradiction, tout all
moins contre le cadavre d'un suicidé, celte occasion ne fut elle
point saisie telle qu'e:le pour affirmer la survie réelle de la
Haute justice en contestation ~
C'est-là, nous le réf,étons, ce dont il ne serait point
par trop téméraire de s'enquérir.
Happelons, en terminant, à propos des combats engagés à
la barre de toute espèce de juridictions entre Hévin et Bougis,
l'avocat du domaine et de la ferme générale, qu'ils devin­
rent d'autant plus homériqu es sous le double rapport des
formes et dll fond, qu'ils ne cessèrent qu'avec la vie
du prémourant des champions. Il en fut ainsi tout spéciale­
ment de la défense de l'autQrité temporelle de l'Épiscopat de
Cornouaille dans la ville close de Quimper en particulier.
-L'infatigable feudiste y prodigua les trésors d'une érudition
véritablemen t vertigineuse.
H évin fut assurément. la conscience en même tem ps -que.la
science incarnées.
Sa consultation de 1680 et sa tant mémorable dissertation
subséquente ne sont pas néanmoins à confondre avec des
œ uvres d'histoire purement spécu lati ve et désintéressée . Hévin
plaida avec autant d'habileté que de savoir assurément, mais
ce fut en vue du succès d'une thèse préconçue. Toutes
réserves 80nt donc à maintenir ' en faveur de la vérité .

Elle courut, fatalement ainsi, le ris'lue d'atteintes qui, pour
es qu'elles fussent, n'en " devinrent pas moins parfois
involontair
tlagran tes,
Hevin, oui Hévin lui-même réussit-il à démontrer la com­
patibilité léga le du maintien de la haute justice de l'épiscopat
avec l'institution du Présidial?
Adhuc sub judice lis est,
Mais ce dont il n'y a point à douter, c'est, d'une part, qu" e le
patronage d'Hévin, tou t précieux qu'il restât, fut loin d'avoir
. contre le domaine et la ferme générale autant d'autorité que
nagu ère à la barre du Parlement, contre les re\'endications des
. juges royaux. C'est, d'autre part, que Hévin prévit facilement et
_qu'il ne lui fut pas donné de conjul'er la renaissance plus ou
moins prochaine des mêmes conflits dans des conditions encore
plus défavorables que de son temps.
La survenance, en 1745, du plus aigll, sans contredit, de ces
incidents précurseurs de l'avènement d'un nouveau régime, fit.
l'objet de l'un des chapitres les plus curieux de la monographie
déjà citée de M. Ducbâtellier (1). "
UnE: indlligence, toute relative assurément, ne s'impose-t-elle
point, même à l'endroit des effroyables procéd ures " criminelles
dont Quimper devint le théâtre en 1692, lorsque vient
à être constatée l'opiniâtreté de la résistance tradition-
m~lle des Compagnies judiciaires à toute réforme pénale ~
La torture ct ses atrocités ne subsistèrent-elles point jusque
vers la fin de l'ancien régime? Sous le n.ouveau lui-même,
- par suite de 1:: prédisposition de la presq ue unanimité des
Cours et des Tribunaux à vouloir UD':) répression à outrance,
ne vit-on pas renaître la marque abolie en 1791 et s'éterniser
la cbaîne des forçats, l'infernale discipline des bagnes, le
pi lori 1
. (1) V . ÉVÊCHÉ ET VILLE DE KEMPER cité ci-dessus, note 8, le
XIII intitulé: Les gens d1/, liai et de l'É·vêché. - Procès et
chapitre
voies de (ai', p. 154 et8.