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Bulletin SAF 1887


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Les Cathédrales de France

M. Bigot, père

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XIV
LES CATHÉDRALES DE FRANCE
Après avoir compulsé divers ouvrages publiés dans la
dernière moitié du XIX· siècle, relativement à l'architec­
ture du moyen-âge, ouvrages qui sont le fruit d'études ar­
chéologiques, il semble que l'on se sent comme réveillé
d'un long sommeil. Ce réveil est dû principalement à
MM. de Caumont, Viollet-le-Duc, le Chanoine Bourassé,
l'architecte Ramé et d'autres artistes ou amis de l'art. A
l'écho produit par la publication 'que ces hommes de la
science ont faite, quelques sociétés d'archéologie ont
surgi, puis d'autres encore, bientôt apr·ès . L'élan du réveil
était dùnné; Victor Hugo, lui-même, a voulu lui rendre
hommage dans son roman de Notre-Dame de Paris.
En relisant toutes ces publications et en les analysant,
on peut se rendre mieux ·.compte des effets produits et
des causes qui ont enfanté les .vastes et splendides monu­
ments religieux du moyen-âge. Il était temps que l'heure
sonnât pour s'occuper de leur conservation, car ils étaient
restés depuis si longtemps en quelque sorte tellement
dédaignés, qu'ils allaient bientôt périr i pour la plupart,
soit sous l'injure du temps, soit par la main des hommes.
Comme on se croit plus assuré dans l'intérêt de la vé-
rité, eri ne parlant que des faits que l'on a vus de ses pro-
pres yeux ou entendus de ses propres oreilles,j 3 me bor­
nerai à ne citer ici que ceux du mauvais goût qui ré­
gnait, il y a un . demi siècle, touchant ces monuments .
Lorsqu'à la fin du XVIe siècle le style ogival avait fait

place à celui de la renaissance, l'engouement de cette nou-
velle époque commença à ~ faire oublier la beauté des

édifices plus anciens qui avaient le caractère bizantin,
roman ou ogival. C'est vers 1825 que le dédain de
ces édifices atteignit, je cl'ois, son plus haut deg ré. Qu'il
me soit permis d'en citet' une preuve, entre tant d'autres .
. C'était en 1826 que le premie,' maître que j'a i eu me
tint ce langage : « Maintenant que YOUS avez bien étudié
« et dessiné les cinq ordres d'architecture, vous les con­
« naissez tous, car il n'y en a plus d'autres . )) « Mais, lui
« dis-j e, alors, il l'este encore celui de notre cathédl'ale, »)­
« Non, non, m'objecta-t-it cet éd ifice n'appartient pas à
« un ordre, c'es t un désord re irrégu lier, fait par des Goths
« et Visigoths, dit-on . Il ne faut jamais contempler de telles
« cathédr'ales, qui ne saueaient être imitées; elles appal'tien­
« nent à uoe époque qui n'est plus la nôtre i ce sont des
(c œuvres de mauvais goùt,»)
Ce sentiment, heureusement méconnu a uj ourd'h ui, était
alors généralement admis . Les pl'o[esseurs de l'école d'ar­
chitecture, à Paris, étaient tous de Grands Prix, envoyés
aux fr'ais de l'État, d'abo rd à Rome, pour compléter leurs
études Ils se bomaient presque exclusivement à dessiner
d'anciens temples païens, presque tous l'uin és par les
barbares et à faire des l'I'ojets de leur l'es tauratio n. Il s ne
s'attachaient qu'a l'a l't antiqu e, importé de la Gréce; ils mé­
connaissaient entièrement les trois styles qui régnaient en
France pendallt le moyen-âge. Dès lors, ils ne pouvaient
enseigner' ce q ui le ul' était inconnu.
ll e situation, on peut se faire une idé e de la
Dans \lne te
quantité de mutilations que nos cathédl'ales ont subies pen­
dant deux siècles environ. On ne saurait en citer le nom­
tant il est grand; elles se faisaient au grand jour
bre,
sans qu'une seule voix se fit entendre pOUl' at'réter un tel
vandalis me.
pendant les cathédrales ogivales sont l'econnues

comme étant seules une innovation nationale. Après avoir
coûté pendant plusiems siècles des sacrifices énormes aux
populations qui en avaient admiré la beauté dont elles
étaient fiéres, elles auraient au moins dû avoir toujours
droit au respect. Malhemeusement il n'en fut pas ainsi,
tant est faible la raison humaine, tant son esprit léger est
inconstant et COlil't vers la mode du temps.
Ces grands maîtres de l'œuvre devaient sans doute pen-
ser qu'après tant de labem et de dépense les cathédrales
avaient le droit de n'être jamais oubliées par les générations
futures. Cette confiance était bien naturelle j elle était pro­
bablement l'un des principaux encouragements capables de
soutenir leul' imagination artistique. Lorsqu'il surgit dans
une nation des changements de vue ou des dissentions,
que le sentiment des beaux-arts subisse aussi des
faut-il
revÎL'ements f Le beau est toujoms beau; la raison dit qu'il
ne pourrait être oublié, car après le .'3 premiers maîtres d'une
belle œuvre, il en vient d'autres qui doivent sentir qu'ils
sont appelés à sauvegarder les droits des œuvres de· leurs
devanciers à la reconnaissance publique. Les véritables
artistes, ceux qui sont les plus jeunes, doivent se sentir
comme étant en quelque sorte les héritiers d'une même
famille.
Tous les monuments religieux, les plus beaux parmi
les créations architecturales du moyen-âge, sont dûs à
l'initiative des évêques, C'est à cette époque que la foi la
plus vive avait atteint son apogée. Il semble qu'alors on
éprouvait beaucoup plus que de nos jours le besoin d'être
d'une religion, qui en adoucissant les mœurs, tendait par
ses principes de charité à secourir ou à aimer ses sembla­
bles et li leur faire supporter avec courage les misères de la
vie. Ce sentiment religieux fut à son comble au XIIIe siècle,
et fut en grande partie la cause de j'enfantement de pro-
diges en architecture. .

Dans le principe, lorsque la religion païenne fut rempla-
cée par le Christianisme en France, et lorsque l'empereur
Constantin mit fin à la persécution des chrétiens, il n'est
pas étonnant que les premières églises aient été très-mo­
destes en dim-ensions; mais peu à peu celles-ci furent re- ·.
bâties d'après une surface plus grande en rapport avec
l'accroissement des fidèles convertis. Au style bizantin
succéda le roman et l'ogive, dont le goût dispal'Ut au
XVII· siècle pour faire place au style de la renais­
sance, qui n'était en petit qu'un . genre emprunté de l'an­
tique> sans en avoir cependant le caractère. Tous ces
différents types ont laissé de beaux exemples d'architec­
ture dans leur genre; mais les édifices les plus considéra­
bles en dimensions, en hardiesse et en beauté grandiose
sont, sans contredit> ceux qui appartiennent au XIII· siè­
cle où la rivalitè des al,tistes parvint à son comble en cher­
chant à se surpasser ente' eux.
Ce n'est pas par caprice que plusieurs cathédrales
sont venues vers cette èpoque remplacer leurs aînées;
mais la nécessité seule fut leur raison d'ètre. La cause
principale de cette succession d'édifices est due aux acci-
dents nombeeux produits par la foudre avant l'invention
paratonnerres. Le fluide électrique en s'abattant sur le
des
sommet de ces points les plus élevés, occasionnait assez
fréquemment leur ruine devenant progressive. Il fallait
reconstruire et lorsqu'on parvint à l'apogée de la foi
donc
religieuse, l'impulsion vers l'idéal et la splendeur du beau,
pour représentel'la maison de Dieu, produisit des merveilles.
Celles-ci sont dues d'abord au génie des archi~ectes qui en
ont conçu les plans avec l'aide des savants évêques qui les
avaient choisis; elles sont aussi dues à l'élan des corpora~
tions ouvrièl'es très habiles, fièl'es de travailler à des
œuvres qui feraient après leur achèvement l'admiration gé­
nérale. L'impulsion d'un tel enthousiasme, pendant les

constructions fut telle, que non seulement chacun voulut y
apporter son obole, mais encore se prêter momentanément
à des travaux manuels. Alors, ce n'était pas une charge,
c'était un désir. Un tel exemple et un tel _ mouvement
animé étaient bien faits pour enflammer les ouvriers et
leurs chefs. Néanmoins, il faut le dire, ce n'était pas seu­
lement avec les modiques ressources du peuple qu'on pou­
vait bâtir de tels édifices, car le peuple ne pouvait donner
que ce qui était en lui; il a fallu que la générosité des rois
et des puissants seigneurs vint souvent l'empli r la caisse
vide. Puis, lorsque ce grand levier, cel,ui de l'argent, de­
venait encore insuffisant, les évêques, de leur c6té, recueil­
laient des sommes trés importantes, par leurs prédications,
annonçant des indulgences en faveur de ceux qui contri­
bueraient à l'édification de ces églises.
Actuellement on entend rarfois dire qu'on ne serait plus
capable d'édifier de tels monuments. Une telle pensée, à
mon a vis, ne saurait atteindre la susceptibilité des archi­
tectes de nos jours, ceux qui ont fait de sérieuses études,
car ils ont sous les yeux, non seulement des exemples mul­
tiples, mais ils connaissent les essais malheureusement
tentés dans quelques cathédrales dans certaines parties de
leur construction, fautes graves provenant, au début,
du défaut de calcul des points de résistance, contre les­
quelles on se mettrait maintenant en garde. Mais actuel­
lement les moyens pécuniers faisaI't défaut sont le seul em­
pêchement à des constrnctions semblables. Leur repro­
duction ne se rencontre que de loin en loin, par cela même
l'impossibilité naît de les édifier de fond en comble, faute
de ressources suffisantes. Cette cause est une raison de .
plus pour rendre leur conservation plus précieuse; c'est à
quoi on doit seulement s'attacher, en rejetant toute an­
nexe capricieuse qui en dénature sou vent l'unité. De nou-
velles additions, le plus souvent inutiles, non seulement

sont toujours dispendieuses, mais elles ont parfois malheu­
reusement pour effet de pot'tet' préjudice à la solidité de
l'édifice. Lorsque celui-ci est bien établi sur sa base, il
ne demande que le repos. Entretenir dans une sage me­
sure, avec attention et économie relative, voilà le cercle
dans lequel on doit rester en principe, autant que possible,
pour les anciens monuments. Ceux auxquels est confié le
leur conservation doivent s'estimer assez heureux
soin de
d'avoit' contt'ibué à les protéger contre l'injure du temps et
à prolonger leur durée, afin de permettre aux générations
futUl'es de pouvoir les contempler; car ils sont tous des mo­
numents historiques qui, sous le point de vue architectural,
font la gloire et l'orgueil de la Fl'ance.
BIGOT, PÈRE,
Architecte diocésain .