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Bulletin SAF 1887


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Groac’h Ahès (la fée Ahès)

M. Luzel

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GROAO'H AHES
La pièce de poésie bretonne intitulée : Groac'h A hès,
c'est-a-dire la Vieille ou la fée A hès, est généralem ent
plus citée qu'elle n'est connue. On la lit dans la riche coll ec- -
tion que M. de P enguern a faite des poésies populaires de
Basse-Bretagne, et le texte breton n'en a été publié jus-
. qu'ici que dans l'Annuaire historlque et archéologique
de Bretagne, pour' 1861> par M. A. de la. Borderie,
p_ 178. Mais ce livre, épuisé depuis long temps, est devenu
difficile à ü'ouvel'_ D'ailleurs, la version qu'il donne dif­
fère et par le texte breton et par l 'ol,thographe et par
la traduction, de celle qui ex iste dans la collection Pen­
guern. On sait que cette co llection est actuellement à la
Bibliothèque nationa le de Paris, sous la cote : Fonds
celtique, 91. C'est dans le tome II des Manuscl'its,
pages 123> 124 et 126, qu'on y lit la pièce.
Il importe donc, croyons nous, de reproduire dans notre
Bulletin, fidèlement et intégralement, les deux versions,
afin que les philologues puissent se former une opinion à
leur sujet, en parfaite connaissance de cause.
Voici d'abord la version que l'on trouve parmi les manus­
crits de M. de Penguern, sinon de son écriture, à la Biblio
thèque na tionale .
GROAH (sic) AËS

i Arri groac'h Aës en hon bro :
Kessomp meïn bras war en hincho,

Kessomp meïn bras ha mem bian
Wal' en hent bras en kreïs a lan_

5 Nag an den koz a level'é
En he goaze war vené Bré :
- Woel a ve Kernes ha bossen .
Wit groac'h Aës en hon c'hichen;
Woel a ve bresel ha maro
iD Wit groac'h Aës en hou c'hevro.
Man groac'h Aës en pen a lan,
Hones na deu ket ec'hunan;
Truantourien (i) a zo ganti
Da lakat 'nnoas lem'en ho ti.
15 Kessomp meïn vras ha meïn vian
War en hent bras en kreiz al lan .
zo ganti,
Kiri houarn a
Ha kezek gwen war he c'hiri,
Hag er gernès, gwen vel an erc'h,
20 War geïn eun eïez deu warlerc'h .
Kessomp meïn bras ha meïn bian,
ann hent bras en kreïz allan.
War

Er brezel gwal, er brezel ter
A deu warlerc'h, gant an erer,
25 Gant el' bleïdi, gant el' brini,
So clasq kat kik tud 'da dibi.
Kessomp meïn vras ha meïn bian
War ann hent bras en kreiz allan,
Ar vossen du, al' vossen ven
30 A deu, warlec'h, en eur c'har pren;
eur c'har pren, n'hen wuic'hourad,
An Ancou (l'eut hen charead.
(i) Dom LE PELLETIER, dans son Dictionnaire de la langue bretonne,
au mot Truant, dit que Truaig se trouve dans la Destruction de Jeru­
salem avec la signification de hommage, soumission, Dans le pays de
Tréguier, on dit encore communement: paea an truach ou an truachou,
dans le sens de payer l'impôt, les droits,

Kessomp meïn vras ha meïn vian

War an hent bras, en kreiz allan .
30 Warlerc'h hounes na welan ken,
Na welan den war al' blenen (i),
Na welan ken mert al' goën bras
o kreiski war an douar noaz.
Arri groac'h Ahés en hon bl'o,
40 Kessomp meïn bras war an hincho.
LA VIEILLE AËS

(Traduction d'une main inconnue) .
Aës la vieille vient dans notre pays.
Portons de grosses pierres sur les l'OU tes;
grosses pierres et de petites pierres.
Portons de
le pays (2).
Sur la grande roule qui traverse
Et le. "ie.i)J.ard disait,
Assis sur la montagne de Bré :
mieux la Famine et la Peste
J'aime
Qu'Aës la vieille parmi nous;
et la Mort
J'aime mieux la guerre
Qu'Aës la vieille dans notre patrie.
Aës la vieille est aux portes du pays (3).
Et celle-là ne vient pas seule ;
Avec elle sont les percepteurs des impôts,
Qui mettront à nu les murs de votre maison (4).
Portons de grosses pierres, etc ...
(i) Le mot an dachen est effacé dans le manuscrit et remplacé par
el' blenen, d'une autre écriture. .
2 Le breton dit: Sur la grande route, au mili,~u de la lande.
3 Le breton dit: La vieille Ahés est à l'extrémité de la lande.
4) Le breton dit: Pour mettre à nu l'aire de vott'e maison.

Elle a des charrettes ferrées,
des chevaux blancs sur ses charrettes,
Et la Famine, blanche comme la neige,
Vient à sa suite sur une chienne (i).
Portons de grosses pierres, etc . . .
La Guerre désolante, la Guerre terrible
avec ses aigles,
Vient après,
Avec les loups et les cor beaux;
fis vetùent de la -chair d'homme pour manger.
Portons de grosses pierres, etc ...
La Peste noire, la Peste blanche
Vient ensuite, dans un chariot de bois,
Dans un chariot de bois, qui gémit,
Avec la Mort maigre pour équipage (2).
Portons de grosses pierres, etc ...
Après elle, je ne vois plus,
Je ne vois personne sur la terre (3),
Je ne vois plus que les grands arbres,
Qui croissent sur la terre déserte (4,)
. Aës la vieille arrive dans notre pays,
Portons de grosses pierres sur les routes.
GROAO'H AES
(Version imprimée dans l'Annuaire historique de Bretagne, 1861).
i Arri groac'h Aès en hon bro :
Kesomp mein braz war an hencho.
(i) Le mot chienne a été bien corrigé biche, par une autre main. Le
collecteur aura entendu kiez (chienne).
2) Le breton dit: Avec la Mort maigre à charroyer (pour charretière).
3) Le breton dit: Je ne ne vois personne sur la plaine.
(4,) Le b~eto.n dit: Qui croissent sur la terre nue (mal corrigé déserte,
par une mam mconnue) .

Kesomp mein braz ha mein biban,
War an hent braz, e kréiz al lann.
Ann el'el' dît, ann el'el' glaz,
Zo en dachen 0 c'hoal'i vaz.
Kesomp mein braz ha mein bihan, etc ...
Hag an den koz a lavare
En he goaze war Menebre : - Kesomp etc ...
iO GweU ar gernes hag ar vosen
Ewit ar groae'h en hon c'hichen. Kesomp etc ...
Gwel ve ar brezeI ha maro
'Vit groac'h Aès en hon c'hevro. - Kesomp etc ...
Man groac'h Aes el' penn allann,
i5 Hounez na deu ket he hunan. Kesomp etc ...
Truantourien a zo gant-hi
Da lakat noaz leuren ho ti. Kesomp etc ...
Kiri houarn a zo gant-hi
Ha kezek gwen ouc'h he c'hiri. - Kesomp etc ...

20 Hag al' gernes, gwen vel an erc'h,
War gein eun heiez deu warlerc'h. Kesorqp etc.
Ar brezel gwal, ar brezel ter
A deu warlec'h ganl an erer. Kesomp etc ...
Gant al' bleizi. gant ar brini,
Zo da glask ldg tud da zibri. - Kesomp etc ...
Ar vosen du, .ar vosen wen
deu warlec'h, en eur c'harr prenn. . Kesomp etc ...
En eur c'harr prenn en wiouc'hat,
An Ankou treut hen charrea t. Kesomp, etc ...
30 Warlerc'h hounez na welan ken,
Na welan den war px blenen. Kesomp etc ...

Na welan ken mert "er goe braz
o kreski war an douar noaz !
Kesomp mein braz ha mein bihan
35 War an henl braz, e kreiz al lann .
LA VIEILLE ARÈS.
(Version de l'Annuaire historique de Bretagne, 1861).
La vieille Ahès arrive en notre pays :
Portons de grandes pierres sur les routes.
Portons de grandes pierres el de petites pierres
Sur le grand chemin, au milieu de la lande.
Les aigles noirs, les aigles gris (:1.)
Sont dans le champ se querellant.
de grandes pierres et de petites pierres, etc ...
Parlons
Et le vieillard disait,
Assis sur le Ménébré :
- Mieux vaudrait la famine et la peste
Qu'Ahès la vieille parmi nous! ..
Mieux vaudrait la guerre et la mort
ès la vieille en nütre compagnie! (2)
Qu'Ah
Ahès la vieille est a l'extrémité de la lande,
Et elle ne vient pas seule :
Avec elle sont les percepteurs d'impôts,
Qui mettront a nu l'aire de vos maisons.
(i) Il faudrait: les aigles bleus; glaz ne signifie jamais gris, en Tré­
guie r; il est pourtant employé quelquefois dans ce sens, en Cornouaille,
les Diclionnrtires de TROUDE, aux mots gris et glaz. )
(Voir
Ces deux vers caractéristiques manquent dans la version précédente.
F.-M. L.
(2) Le mot kevro ne signifie pas compagnie; je ne le crois guère usité, et
il ne pourrait l'être que dans le sens de patrie,pays commun, donné p. 32:1..
F.-M. L.

Des charrettes ferrées sont avec elle,
Et à ces charrettes sont des chevaux blancs.
Et la Famine, blanche comme la neige,
Vient après elle, sur une biche.
La Guerre cruelle, la Guerre impétueuse
Vient ensuite, avec les aigles,
Avec les loups, avec les corbeaux,
Qui cherchent de la chair humaine à manger.
La Peste noire, la Peste blanche
Viennent après, sur un chariot de bois;
Sur un chariot de bois qui crie,
Conduit par la Morl maigre.
Après celle-là, je ne vois plus rien,
Je ne vois plus personne, dans la plaine :
Je ne vois plus que les grands arbres
Qui s'élèvent sur la terre nue!
Portons de grandes pierres et de petites piel'l'es,
Sur le grand chemin, au milieu de la lande!
Comme on l'a dit, les deux versions différent en­
ü"elles, et dans l'orthographe et dans le texte breton et
dans la traduction. Le breton et la traduction de la version
communiquée à M. ùe Penguern sont souvent défectl.leux :
dans la version de l'Annuaire, le tout a été revu, et,
presque toujours, corrigé heureusement, selon la métb,ode
de Le Gonidec, pal' un habile diascévaste, l'esté inconnu
(car ce n'est pas Kerambrun, qui lui-même orthogl'a­
phiait for t mal le breton). Il nE' s'est pas méme contenté
de corriger les fa.utes d'ol'thographe et de traduction, il a
peut-être aussi ajouté du sien, témoin les deux vers sui-
vants, que l'on chercherait en vain dans la version manus-
crite de M. de Penguern:

Ann erer du, ann erer glaz
Zo en dachen 0 c'hoari vaz .
. Les aigles noirs, les aigles gris
se querellant.
Sont dans le champ
à la lettre, jouant du Mton, image singulière.
Les couplets,dans la version manuscrite, ont quatz'e vel'S
ou davantage (le second couplet en a six) ; dans la version
de l' ri. nnuaire, ils sont de deux vers seulement, après les­
quels revient régulièrement le refrain: « Portons de gran­
des pierres et de petites pierres, etc ... )) On se demande
si ce refrain ne suffirait pour faire suspecter l'authenticité
populail'e de la pièce Les vieilles poésies bretonnes con-
nues sous le uom de Gwerziou ou Ballades, chants narra­
tifs, historiques (et la ViellLe Ahès semble être de ce genre),
n'ont jamais de refrain. Le refrain est au contraire très­
commun (autant qu'en France), dans les soniau, baLeau et
rimadellou, dans les litanies, marches, chansons à danser,
berceuses et autres. J'en ai recueilli un trop grand nombre
pour avoir voulu dire autre chose, comme l'ont pu supposer
quelques personnes, à la lecture de cette phrase de notI'e
avant-demier Bulletin, p. 71 du volume trop absolue,
quant à la forme: « Nos vieiHes chansons populaires,
.en Basse-Bretagne, n'ont jamais de l'efrain. J) Il est évi-
dent que j'ai voulu parlel' des gwerziou seulement (1).
F .-M. LuzEL .
(i) On aurait bien désiré pouvoir donner également le texte breton de
la pIèce connue sous le nom de Ronde du papier timbré, lue au Congrès
breton de Morlaix, en 1800 ; mais il n'a été publié nulle part, jusqu'ici,
il n'existe pas non plus dans les manuscrits de M. de Penguern, à la
le procurer, il serait
Bibliothèque nationale. Si quelqu'un pouvait nous
Bulletin. F.-M:. L.
publié dans notre