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Bulletin SAF 1887


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Le Mystère cornique de saint Mériadec (1er article)

M. de la Villemarqué

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VII
LE MYSTÈRE CORNIQUE DE SAINT MÉRIADEC
Saint Mériadec, évêque de Vannes, sur l'E3poque duquel
on n'est pas d'accOl'd, mais dont on fait toujours l'office
en Basse-BI:etagne, le 7 juin, est le sujet d'un Mystère qu'on
a joué dans la Cornouaille anglaise tant que cette contrée
a conservé sa 'langue et sa foi. Restée inconnue jusqu'à
nos joUl's, la pièce a été publiée et traduiteen anglais avec d~s
notes par M. Whitley Stokes, correspondant de l'Institut de
France (1). Elle est intitulée Ordinale de vita sarteti Meria­
doei, episeopi et eonfessoris; en comique BEVNANS Meria­
sek (Le mot beonans a son équivalent ou à peu près dans
notre breton armoricain beoans « manière de vivre» (2) . Or­
dinale, « l'ordinaire )), est le titre donné à tous les drames
religieux ordinairement joués en Cornouaille. Le manuscrit
est un petit in-4° en papier, de quatre-vingt-dix feuillets;
aux versos des feuillet~ 49 et 90, on trouve deux plans
grossiers du théâtre; une note porte que le scribe se nom­
mait Hadton, et qu'il acheva de copier la pièce en l'année
1504. L'écritme, dont on peut juger par le fac-simile, est
en effet de cette époque. L'original se trouve à Peniarth,
près .de Towyn, dans le Merionethsbire, au pays de Galles;
il faisait partie de la célèbre collection de Hengwrt. La
pièce contient 4588 vers. -
Le pilre de Mériadec ouvre la scène (l'indication scénique
(i) London Trühner and co. Pater noster row i872.

(2) Colonel Troude, nouveau dictionnaire français du dialecte de
Léon. Brest, i876.

porte : pompabit hic (c il paradera ici.
>l) Après la parade
en question, il prend ainsi la parole:
C'est moi qu'ou appelle le duc de Bretagne;
Je suis sorti de sang royal,
Je suis le chef du pays,
suis proche parent d'un grand prince,
Le roi Conan, .'
Et de sa race en droite ligne;
Je règne sur les bêtes et les hommes (i );
On me craint parmi les seigneurs.
J'ai un fils, dont le nom est Mériadec (2) ;
oyer à l'école, dès maintenant, est mon désir, sans mentir,
L'env
Pour qu'il puisse apprendre tout ce qui est bon.
Si c'est le plaisir de Dieu, je voudrais l'élever,
Afin qu'il gouverne le pays.
LA MÈRE DE MÉRIADEC
Est-ce ton désir de t'en aller d'ici?
Dis-le nous, mon doux fils (3).
MÉRIADEC

Oui, mon père, oui ma mère, mon plaisir
Serait d'être envoyé à l'école ...
LE PÈRE
Que Dieu te bénisse Mériadec !
A toute heure tu es plein de cœur (4) ...
(i ) A la lettre « sur les sauvages et les apprivoisés" wur gwyls ha
do(; en breton armoricain moderne, gwez ha don.
. (2) JI erzasek y lwnow.
(3) Yu ze Vuth mos a lemma?
Lauer zynn.y, ov map wek.
(4) Beneth Du zys, Meriasek!
Pup vr ty yu colonnek.

( A UN' MESSAGER )
Va-t-en, avec mon très-cber fils,
Vers le maUre de grammaire (i).
L'enfant part avec le message!' et la bénédiction de ses
parents.
Le Magiste!', personnage grotesq ue, dev!'a le recevoir en
grande pompe, dit la rubrique, (hic magister pompabit).
LE MAGISTER
C'est moi le maître de grammaire.
'ai été fait bonilappel' (docteur?) dans une petite Université.
Je suis fort en citations;
Quand ma bouche est pleine de vin,
Je n'aime à parler que latin (2) ...
Approchez, pren2z place, Mériadec, parmi ces bons enfants.
J'aurai bien de la peine à vous instruire,
Car mon traitement n'est pas Iort!
Après une première leçon d'A B C D, leçon chantée
comme on l'observe, le Magister continue:
Quand vous voudrez diner,
Doux Mériadec, vous , viendrez avec nous:
Les petits enfants aiment à manger;
Moi-même c'est ma manière de vivre.
MÉRIADEC
Je dois vous dire, cher maître,
Et n'en soyez pas offensé, -
Que c'est aujourd'hui vendredi:
(t ) ](egy gans ov mab kerra,
Bys yn mestel' a grammer.
(:1) Pan ve luen ov zos a wyn,
Ny gara cous mes latin .

Il est hon d'aller un peu penser à notre âme;
amour .de la Passion que Jésus souffrit pour nous,
Par
Je voudrais jeûner un peu aujourd'hui;
Je voudrais priel' avant de manger ni de boire.
A la chapelle je veux aller
Pour faire ma prière au Christ
Qui a versé son sang pour nous,
Et à sa ·mère Marie,
Avant de boire ni de manger;
C'est mon habitude.
LE MAGISTER.
Mon fils, fais comme tu voudras;
Tu dois être un saint,
Je le vois hien; Mériadec,
Va et reviens, quand il te plaira .
L'enfant se rend seul à la chapelle, descendit solus ad
capellam, et pendant que b Magister est à table, il fait
ainsi sa prière: .'

o Jésus, Seigneur du ciel et de la terre,

Mon corps et mon esprit
Et toute ma force et mes pensées
Je vous les donne; je vous honore
o Marie, reine du ciel,
Qui avez nOÙl'ri Jésus de votre lait;
Tendèz la main à l'enfant qui veut s'instruire.
Sa prièl'e est exaucée, et quand il retoume chez lui, ses
parents admirent son savoil" sa bonté et sa courtoisi e.
Présenté pal' eux à la cour de Conan, il devient page du
roi de Bretagne. dont il gagn e tellement les bonnes grâces,
que le roi veut lui donner pOUl' femme une grande pl'in­
cesse. Natul'ellement l'es parents l'acceptent avec recon­
naissance, mais Mériadec l'efuse, en déclarant qu'il s'est
consacré à Dieu .

Vaines tentatives du roi pour vaincre sa résistance; le
pére et Id mère joignent lems instance;; à celle de Conan,
sans ètl'e plus heureux; alors ils le conduisent à l'évêque
. de Cornouaille qui l'ordonne prêtre.
A peine a-t-il reçu les ordres, qu'il fait deux miracles:
il rend la vue à un aveugle et l'usage de ses jambes à un
boiteux. L'évêque reconnaît én lui un saint, et veut I.e re­
tenir près de sa personne.
MÉRIADEC
Seigneul' évêque je vous rends grâce; mais ma cons­
pfus de sûreté, de m'en aller dans
cience mé conseille, pour
autre pays; que tous les saints et les saintes de celui-ci
vous bénissent!
Là dessus, l'humble prêtre s'éloigne, et traversant la
mer, il débarque dans la Cornouaille insulaire, aprés avoir
sauvé du naufrage les mariniers qui l'ont pris â bord. Le
lieu de son débarquement est Cambronne, paroisse du can­
ton de Penwith, sur la route de Rodruth à Penzance; il y
bâtit une chapelle, et fait jaillir une fontaine qui guérit les
malades, les estropiés et les iépreux:. Mais le rropri~taire .
du lieu, Téudar, qui est païen, vient lui chercher querelle,
et veut le forcer à renier le Christ et à adorer ses faux
Sur le l'efus du saint, Téudar va le faire mettre à la
dieux.
torture, quand un avertissement du ciel sauve Mériadec,
qui se cache sous une grande roche, puis retourne en Bre­
tagne, où il vit en ermite, dans un lieu sauvage, près de
Pontivi.
-Là, il est en train de bâtir une chapelle, quand il reçoit
une visite à laquelle il ne s'attendait. guères:
UN BRETON.
Brave homme, prends bil'n garde où tu iras;
n y a ici un grand loup ;

S'il vient à te rencontrer
fera couler ton sang.

Ah ! le voici!
MÉRIADEC.
o loup, je te deffends de me faire aucun mal,
Ni à aucun chrétien iamai~.
N'aie pas peur, bonhomme,
Il va me laisser le dompter;
Regarde, voilà qu'il me suit gentiement ;
Il ne fer1) plus de DaI à personne.
LE BRETON
Tu es, pour sûr, un homme béni! (i )
Nous te sommes bien obligés.
Le voilà, comme un agneau:
Il te suit tout apprivoisé!
MÉRIADEC (au loup).
Au nom du Christ, fils de la Vierge,
Je t'ordonne, Ô animal,
De retourner dans les forêts;
Moi, je relourne aussi au désert,
Pour y vivre Eln ermite,
Et y adorer mon Dieu ....
Là, auprès du château
Qu'on appelle Pontelyne,
Sur la montagne, assurément,
Au bord de la rivière de Josselin,
Je vais bâtir une chapelle
Déd ée à la Vierge Marie ;
Quelque froid et sauvage que soit le lieu.

Et on le voit vêtu d'un manteau grossier, avec une lon-
gue barbe, bâtir la chapelle en question.
(i) Sur, ty yu den binygays! •

En attendant que la constmction s'achève, la ·scène est
tl'ansportée à Rome où saint Sylvestl>e est pape.
L'empereul' Constantin, qui est encore païen, a envoyè
des chevaliers pour persécuter les chrétiens. Deux d'entre
eux, mis à mort, sont l'eçus au ciel, . tandis que les persècu­
teul'S sont frappés de la foudre. Saint Silvestre et son clergè
enterrent les martyrs, et Constantin attaqué de la lèpre,
chel'che un docteur et un évéque de sa religion qui puissent
le guérit'. Le docteur le berne, et s'esquive; l'évêque lui
ordonne de prendre un bain de sang d'enfants: on en réunit
trois mille; mais l'empereur s'attendrit aux cl'is de leurs
mères, et renonce à sa guérison.
Alors saint Piel'l'e et saint Paul lui apparaissent, qui lui
conseillent de s'adresser au pape Silvestre . Constan tin le
venir; il est 1 aptisé par lui, et c'est l'eau du baptême
fait
qui le guérit.
L'établissement du Christianisme est la récompense de

cette guérison.
Nous revenons en Bretagne, où nous retrouvons saint
Mériadec, non pl us au milieu des loups; mais des brigands.
Ces brigands dévalisent un marchand et un prêtre de la
vicomté de Rohan.
LE COMTE DE ROHAN
C'est moi le seigneur de Rohan,
Un noble comte sans pareiL
Mériadec qui est mon parent,
S'en est allé :
li a quitté son père et sa mère; .
Je ne sais plus ou il est maintenant;
Je suis bien contrarié de son départ.
UN PREMIER MESSAGER.
_ SJ3ij;neur comte, puissaot seigneur,
Mériadec est revenu dans le pays;

En effet, pres de Pontelyne,

Il passe ses jours en ermite.

UN PARENT DU COMTE.

Oui,il est sur la grande montagne;
Et lei, sans cesse, nuit et jour,
Absolument seul, il vit (i) .
(Le comte gravit la montagne avec sa suite).
MÉRIADEC (à part).
Dieu soit loué!
Ma demeure dans ce désert est bien celle d'un ermite.
Au lieu d'habits de soie,
Et de pourpre éclatante
.Ici je porte un vêtement sordide (2).
Autour de mes reins uue ceinture de crin ;
Je ne bois ni cidre ni vin (3),
Ni d'autre boisson que de l'eau pure;
Et les herbes des ruisseaux
Sont ma nourriture, à mes repas (4) .
Le comte de Rohan conjure vainement Mériadec de reve­
nir dans le monde.
Sur le refus du saint, il lui demande de lui rendre au
molUS un serVIce :
Mériadec, je te prie
De faire une chose pour moi,
Puisque tu es mon sang (5) :
(i ) Yma eff in meneth bras;
Hag l'na prest, nos ha deth,
y honen oU eff a veth.
(2) Lemen me a wesk {lueth los.
(3) Ny eve cydyr na gwyn.
(4) A veth ov bos, thum preggyou.
(5) Del oys ov goys.

Il Y a beaucoup de brigands dans ce pays;
Ils désolent bien des gens;
Force-les à s'en aller,
Puisque ton pouvoir est grand.
Personne ne peut aller à la foire (i), •
Sans être volé, bien sftr,
Et perdu, corps et biens.
Des foires franches, en Bretagne,
Je pourrais en établir, certes (2)
Si tu voulaIs bien m'aider.
Au premier jour de juillet
Aurait lieu la première foire ;
La seconde au mois d'aoftt certainement,
Selon mes désirs,
Au huitième jour;
la troisième, au mois de septembre;
Celle-ci le jour de la fête de Michel.
Dans la paroisse de Noyal, à tout jamais,
Les dites foires auraient lieu (3).
MÉRIADEC.
Que cela vous soit accordé,

Conformément ft vos désirs;
la grâce de Dieu, et non autrement.
Par
Les brigands seront expulsés ;
Plusieurs deviendront meilleurs.
demandent pardon à Dieu.
S'ils
i Ny yl den mones then (el'.
2 Certen (eryou, ln Breten,
Catus y fènsen, certen.
(3) An wehes deth in go/'theren
An kynse (eer;
lIan gela vetft mys est, certen
Ortft ov deser,
A IL ei thveth deth;
Han tresse mys gllyn gala,
Da {lot Mihat yu henna.
In. plu Noala nrffrl'a
An keth {erioll ma a weth.

, Là. dessus, le comte de Rohan, tout joyeux, retourne
chez lui. Mériadec fait descendre le feu du ciel, et les bri-
gands sont affolés: - .
UN DES BRIGANDS •
Aïe! Malheur à nous, grands et petits,
Le bois est tout en feu!
Nous sommes réduits en cendres (i) .

LE CHEF DES BRIGANDS.
o Mériadec! Mériadec!
Puisque tu es un saint puissant,
ercède pour nous,
Int •
Afin que nous ne soyons point brûlés vifs.
Je serai ton serviteur
Assurément pour toujours.
Chacun des brigands l'invoque aussi; le saint se laisse
toucher:
MÉRIADEC •
Demandez pardon à Jésus.
Et souvenez-vous de Dieu;
Ayez soin de vous confesser,
Et ne retournez plus au péctJé;
Je vais prier Jésus-Christ pour vous ...
Le bon Dieu fait miséricorde
A tous ceux qui le supplient.
. Puisque vous vous repentez
Je vous bénis,
In nomine Patris et filii
Et spiritus sancti. Amen!

(Et il éteint le feu).
(i ) Out! go-ny, bras a byen,
fma ol an coys gans taen!
The ll/sIL y thon leskys !

. LE COMTE DE ROHAN.

Rendons grâce à Dieu,
Et aussi à Mériadec!
Désormais riche et pauvre . . .
à la foire sans crainte :
Pourront aller

Les brigands ont quitt{ le pays.

Après la proclamati'on des· trois foiëes franches accor-
dées au bOUl'g de Noyal, la: scène passe en Angleterre.
_ Le duc de Cornouaille apprenant que saint Mériadec,
l'honneur de son pays, a été contraint de s'enfuir p·ar le tyran
Téudar, marche contre le prince païen et le tue; la défaite
du mécréant est célébrée pal' d~s banquets. Ainsi finit la
premièl'e journée du Mystére.
la seconde journée nous sommes
Au commencement de
à; Rome, à la cour de l'empereur Constantin, qui est en
train de cc paradel'») (hic pompabit). Il a en effet établi le
Christianisme dans ses étals, après sa conversion par saint
Silvestre.
Le comte romain Globus, qui est aveugle, se fait con­
duire à l'ermitage de Mériadec. et lui offre de l'or s'il veut
lui rendre la vue : le saint refuse les présents et guérit le
comte pour l'amour de Dieu. Un démoniaque et un sourd-
muet sont également guéris. Sur ces entrefaites l'évéque de
Vannes vient fi. mourir, et tous les Bretons, pauvres et ri­
ches, veulent avoir Mériadec pour son . successeur. Le
comte de Vannes envoie une ambassade au pape Silvestl'e.
Le pape donne une bulle; on va chercher l'ermite pour lui
annoncer la décision papale. Mais il décline l'honneur
qu'on veut lui faire.
Enfin, il se rend, pressé par le comte Glohus, et par les
évêques bretons, et conduit à Dol, il est consacré dans l'é-
Saint-$amson : .
glise de

MÉRIADEC (en habits d'évêque) .

La dignité qui m'est donnée,
Me se/TIble une honte 'plutôt qu'uu honneur; '
Dieu m'est témoiù que j'en suis indigne;
De joie, en ce monde, je n'en aurai plus!
Et il donne son. manteau a un pauvre, puis il touche un
lépreux qui s'éloigne en louant Dieu et le saint de sa gué:...

rlS011.
Ici se place une scène d'uu caractère fort touchant.
Le fils unique d'une pauvre veu ve se rend a la cour de
Maxime, compagnon du r'oi Conan Mériadec :

LE JEUNE HOMME .
C'est un devoir pour uu' jeune homme
De fréquenter lés nobles gens,
Afin d'apprendre ce qui est bon (i)
Et à devenir vaillant,
à se rendre meilleur (2).
Ma bonne mère, adieu!
LA MÈRE
Mon fils, que Marie te bénisse!
J'aurais été si hemeuse que tu fusses resté
Avec moi à la maison!
o Marie, mère de la pitié
Il faut que j'aille te prier
De nüus assister.
(AGENOUILLÉE DANS L'ÉGLISE).
o Marie, je n'ai point d'enfants,
Je n'en ai plus qu'uu pour m';limer;

(i ) Ena eff a deske dadder.
(2) May (0 the guel.

Douce Marie, prends ses intérêts;
Toute ma confiance est dans toi.
Le roi Maxime accueille favorablement le fils de la pau­
vre veuve et l'emm ène à la chasse. Mais un certain tyran
se présente; il attaque, il disperse ou tue les compagnons
de Maxime et fait pl'isonniet' le jeune homme.
A cette nouvelle la mère court se jeter aux pieds de la
Vierge :
Marie, mère et vierge,
Je t'en supplie,
Rends-moi mon enfant!
Je t'ai toujours fidèlement servie,
Bonne mère, bri8e ses chaines;
Si tu le veux, il sera délivré.
(Et elle attend).
Cependant le tyran ordonne de mettre à mort le prison­
nier; sa mère redouble ses prières: la Vierge demeure in­
sensible; alors folle de douleut' :
Marie, tu ne veux pas m'écouter!
cris ne touchent pas ton cœur;
Mes
Hé bien, ton petit enfant,
Marie, je vais l'emporter chez moi.
Oui, ton petit Jésus, va venir avec moi aujourd'hui (1).
Viens, viens, cher enfant (2) .
Adieu Marie,
Je ne veux pas t'ennuyer plus longtemps.
(Et arrachant des bras de sa mère le divin enfant, elle
l'emporte) : .
o Jésus-Christ, Ô joie a vous!
Comme je vais vous garder tendrement!

(i) Eff a dre gena hythyu.
(2) DIIS, dl/S, a vaby !

Oui, comme mon propre enfant j

Je vais vous emmailloter dans si beaux langes!
Je vais vous mettre dai:J.s mon coffret j
Là je vous tiendrai bien enfermé.
Maintenant je suis heureuse (1) !
La mère du SauveUt' se laisse toucher; avec la permis-
sion du Christ elle descend dans la prison; elle délivre le
prisonnier et le rend à sa mèl'e qui 1 ui rend EOn Jésus:

o Marie, joie à "Vous!
o Marie, à vous mille grâces!
Quand vous m'avez rendu mon fils (2) .
Marie, prenez votre enfant,
été bien lémèraire j
J'ai
Je vous prie de me pardonner.
(Et elle rentre dans l'èglise de Notre-Dame, avec le petit
Jésus qu'elle replace dans les bms de la Viel'ge).
A près cet épisode attendrissant l'auteur revient à Meriadec,
q Iii rend la raison à un fou, se livre à di ver'ses péni tences et
est nourri par les .anges; puis il retoume encoreà Rome, où il
nous fait assister au combat de deux princes contre un dra­
gon, dont l'apparition vengeresse est due à la conversion
de Constantin; mais le pape Sylveslre, qu'on a mis aux
fers, arrive, délivré par saint Pierre et tue le dragon.
Voyant ce miracle, les deux princes, qui sont païens, de­
mandent le baptème, et l'on se rend triompb'alement au
palais du pape .
Enfin, Mériadec va mourir. Entoura du clergé de son
diocèse, il rend son àme à Dieu, et elle est reçlle par les
anges. Evèques, comtes, doyens et chanoines, déposent le
(1) Lemen me yu lowenheys!
(2) Afaria, lowene dis! .
AJaria, dyso mur grays,
. Ov map dim dry pan vl'ynsis.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. T. XlV (Mémoires) . il

corps du saint dans un tombeau, fait et orné pal' tous les
gens qu'il a guéris, et la seconde journée se tel'mine pai' un
discours du comte de Vannes, ou, après avoir appelé SUl'
les spectatlturs la bén$diction de saint Mèriadec, de No­
tre-Dame de Cambronne, et des apôtres, il congédie l'au­
ditoire pal' ces mots:

. Nous avons joué de notre mieux
Celte vie de Mériadec . ...

Maintenant que la pièce est finie,
Buvez tous, je vous en prie,
de quitter la place (i).
Avant
Sonnez, ménétriers, gaiement;
Allons faire un tour de danse.
Le même appel à la gaieté avait été fait par le duc de
Cornouail1e, à la fin de la première journée :
Avant de vous en aller ,d'ioi,
Que la paix soit avec vous! (2)
Buvez tous, après le jeu,
Je vous en prie d'un cœur joyeux.
ecevez, hommes et femmes,

La bénédiction de Dieu et de Mériadeo,
La bénédiction de Notre-Dame de Cambronne,
Sonnez, ménétriers gaillards,
Que nous dansions gaiement!
D'ou venaient ces inspirations joyeuses ~ on le sait: une
chapelle (capella) est indiquée au centre du cirque qui re­
présente le théâtre; elle doit être là toute prête â s'ouvrir,
(i) Evugh oll, gans an guary,
Ny a vyn agis pesy
Kyns moys an piaeth.
(2) Peys wal' barth myns os omma!

dit l'ordonnateur du jeu, C'est de l'église même de ' Noyal-
Ponti vi, qu'il s'agit, située prés du chasteaiz du 'Thélem,
comme l'appell e une enq uête de l'ân 1479, touchant les di'oits
. de la maison de Rohan, lequel château a donné son nom,
sous 'la forme de Pontétaine, dénaturée en Pontelyne, dans
le Mystére, a une famille dont uu membre figure, en 1437>
parmi ' les châtelains de la vicomté de Rohan. La patronne
de la paroisse de Pontivi est précisément Notre-Darne de la
Joie, causa nostrœ lœtitiœ, comme la qualifie l'Église
catholique. En associant la Sainte-Vierge à saint Mériadec,
chez nous, comme dans la Cornouaille insulaire, le d,'ama-
turge a suivi la tradition authentique.
Quant au thème de son mystère, il l'a tirè de la légende;
ell e est faite de pièces de morceaux qu'il a so udés, dialo­
gués, rimés, bariolés; illustrés, historiés pal' personnages.
Le fond paraît sortir du légendaire de Trégùier, probable-
ment du XV· siècle; j'histoire du pape saint Silvestre et
celle ou fils de la veuve> la meilleu['e partie de la pièce, se
trouvent dans la Legenda aurea de Jacobus de Voragine;
cependant l'auteur prétend qu'il l'a doit au récit des mi­
racles de saint Mériadec (ut invenitur in miraculis de
livl'e inconnu.
beato Mereadoco ) ;
J'ai dit qu'on n'était pas d'accord touchant la chronolo­
gie; M. de la Borderie, llott'e plus grande autorité, a lui­
même hésité: (t On ne peut douter, écrivait-il en 1862, que
ce saint évêque n'ait vécu vers la fin du VIle siècle ou le
commencement du suivant.)) (A nnuaire hi~t., p. 219).
Grand; dom Lobineau le trans­
C'était l'opinion d'Albert Le
portait au XIVe siècle; il se fiait au légendaire de Tréguier
qui, fixant à l'an 1302 la mol'! du saint, rendait vraisem­
blable l'intervention d'un vicomte de ROhan, pour débat'-
rasser Pontivi des brigands. Mais, si la date de 656, donnée
par Albert Le Grand, est inacceptable, celle que donne Lo­
bmeau ne l'est pas moins; M. de la Borderie rejette au­
jourd'hui l'une et l'autt'e. En effet, saint Samson, comme

archevêque de Dol, n'a pas pu consacrer saint Méria­
dec, l'archevêché n'existant pas de son tem ps et le siége
de Vannes a été occupê par Henri Le Tort, de 1287
à 1306. Mais le fait de la consécration de saint Mériadec
par un archevêque de Dol quelconque, permet de placer
l'épiscopat du saint entre l'année 848, date de l'érection de
l'évêché de Dol en archevêché, et l'année 1200, époque de
sa suppression. Il y a, il est wai> encore de la marge:
352 ans 1 Cependant on peut arriver, selon M. de Bordel'ie,
à une plus grande pl'écision : de 818 à 912, pas de place
pour Mél'iadec, dans la liste des évêques de Vannes, dOlln ée
dans le Cartulaire de Redon. De 910 a 937, dévastation de
la Bretagne par les Normands; en 970, le siége épiscopal
de Vannes est occupé par Avriscand; de l'an 1000 a l'an
1200, liste complète, terminée par Guéthénoc (1197). L'es­
pace resté libre poU!' l'épiscopat de saint Mél'iadec se
trouve ainsi réduit a la dernièl'e moitié du Xe siècle, et
voici la conclusion de M. de la Borderie : « Certainement
de 940 a 1000; três-probablement 951. »
A l'appui de son ingénieuse hypothèse, il en appelle aux
paléographes qui auraient pu lire 951 au lieu de 1302,
dans le manuscrit, où la date était sans doute donnée en
caractères romains. Ell e est confirmée par le sarcophage
de Noyal-Pontivi, dit tombeau de saint Mèriadec, qui est
carlovingien, selon M. Euzenot. Si les brigands qui pillaient
1 estes de l'invasion nOl'mande, expulsés
le pays étaient des
par les Rohan, comme le suppose M. de la Borderie, la
concordance serait t-lllcore plus .remarquable, et l'établisse­
ment par eux des tl'Ois foù'es franches de Noyal trouverait
son explication.
L'importance de leU!' concession ne pouvait manquer de
frapper le dramaturge Cornouaillais; seulement il se trompe
légèrement en mettant la première au P' juillet au lieu du 6.
HERSART DE LA VILLEMARQUÉ .
(A suivre)