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NOUVELLES DÉCOUVERTES DE DOLMENS
DANS LA RUSSIE MERIDIONALE
Par M. WL. DE YOUFEROW (i) .
Les monuments mégalithiques, parsemés dans le bassin
du Kouban et sur' tout le littoral de la mer Noire, attenant
aux habitations des peuplades Tcherkesses-Adighe, ont èté
l'objet d'une attention particulière de la part de quelques
voyageurs ét.rangers, tels que Taitbout de Marigny, James
Bell, Dubois de Montpèrent et Autry; mais jusqu'a ce JOUI'
ces l'estes d'une civilisation inconnue restent à l'état
d'ènigme pour la science archéologique ,
Les dolmens t.cherkesses, tout comme ceux de l'Europe
occiden tale, son t ordinairemen t foemés de q uatres dalles,
recouvertes par une cinquième, dont les bords dépassent
celles verticales, de telle façon quc le monument se pré
sente en guise d'une gl'ande table. Deux côtés sont. plus
longs, et les deux autres plus courts, et 'ilans l'un de ces
derniel's se trouve une ouveetul'e d'une grandeur d'envir,on
15 centimètres de tOUl'. Les investigations qui ont été fait2s
jusqu'à ces derniers temps ont produit des bouts de flèches
en bronze, cles bagues en spirale de bronze, des l'ondelets
en gu ise de perles en bl'oi1Ze et en terre glaise, des coquil
les ci e l'espèce ( Cypl'rna monela )J, des morceaux d'ocre
(i ) Ce remarquable travail que le trop modeste explorateur appelle des
Notes, et qu'il publie avec des figures, a été envoyé de Saint-Pétersbourg
au Btùletin de la Société d'Ethnograp hie, à l'obligeance de laquelle la
Société archéologique du Finistère en doit communication.
rouge et des traces de fer. Les savants archéologues, qui
avaient classé et étudié ces trouvailles, étaient générale
ment d'opinion que tous les dolmens du Caucase avaient
été fouillés précédemment, peut-ètre même à des époques
très éloignées de nous (1).
Voici que, tout dernièrement, au mois d'octobl'e 1885,
M. E. Felitzin, de la Sociétè impériale archéologique de
Moscou, s'est occupé de faire de nouvelles investigations
dans les districts de Maïkop et de Batalpatchinsk, sur les
versants Nord-Ouest du' Caucase, ce qui l'amena à des
découvertes fort intéressantes. C'est dans la vallée de la
Bielaya, tout près de ses sources, que M. Felitzin constata
deux grands cimetières de dol mens, 'qui pourraient être
rapportés à une antiquité très éloignée. Chacun de ces
contient jusqu'a cent monuments, de façon
deux cimetières
qu'ils présentent des nécropoles entiéres. La plupart des
dolmens a essuyé l'influence des longs siècles qui ont passé
la-dessus; beaucoup ont été détériorés par les populations
grandes pierres de grès pour leurs
actuelles qui profiten t des
besoins domestiques; pourtant il en reste une partie qui
conserve son type primitif et donne une idèe très définie
antiques au bord des affluents du Kouba~. Les
de ces l'estes
dolmens sont connus par les habitants actuels du pays sous
la dénomination de maisons des preux. Généralement ils
pl'ésentent une espèce de grand coffre en pierre, formé de
quatre immenses dalles, taillées d'une manièl'e primitive,
et pesant au moins 4,000 kilogrammes chacune.
Ces pièces sont posées verticalement et sont recou vertQS
comme celles citées précédemment, par une cinquième
dont les côtes ressortent quelque peu et forment une
dalle,
espèce de toit. L'ouverture se trouve toujours SUl' la dalle
Quelques-uns de ces monuments se
vel,ticale de devant.
(i) Bayern. Contribution ü l'archéologie du Caucase, Lyon, i882 .
Ü'ouvent de plein-pied sur le sol; d'autt'es sont poses sur
des monticules al'tificiels de diverse hauteur; une troisième
catégorie est à moitié enfouie dans le terrain : il y en a
méme qui ont l'air d'êlt'e complétement ensevelis dans la
ten'e, de manièl'e qu'à la surface ~e n'est que la dalle supé
rieure qui est visible. Les dolmens sont disposés par gl'ou
pf'S et par rangées de 3, de 5 et de 7 pièces, et repl'ésentent,
l'un à la suite de l'autre, des lignes assez réguliéres. Les
ouvertures, rondes ou demi-rondes, sont tOUl'nées dans la
plupal't des càs vers le midi ou le sud-est. Quelques-unes
de ces tombes sont entourées de pienes, posées debout;
près d'autres, surtoût près de celles qui se tt'ouvent sur des
monticules, on renconlt'e des rangées de pierres serrées qui
font face a l'ouvertul'e et fOl'ment des ~spèces de galeries
d'entrée. La forme extérieure des monuments, leur gran
deur, les par·ticularités de la construction sont très diffé·
rentes entre elles. Il s'est trouvé que quelques-uns des dol
mens, enfouis dans le sol, avaient J'ouverture exactement
bouchée par des pierres taillées en guise de tampons.
En dehors de ces cimetières de dolmens, M. Felitzin a
trouvé les restes d'une longue rangée de pierres levées, posée
sur une longueurd'un kilomètre environ> a de petites distances
l'une de l'autre dans .la direction du midi au nord. C'est
tout ('omme les cromlec'hs de l'Angleterre, des Indes et des
bOl'ds de la Méditenanée. Un autre groupe a été retrouvé
par le même explorateur dans un endroit tout couvert de
bois qui a plusieurs centaines d'années de cI'oissance; ce
cromléc'h la est connu chez les habitants du pays sous le
nom de Chemin-des-Preux. Une troisième séi'ie de pierres
levées a été découverte dans un défilé trés étroit entre des
mtmtagnes, présentant un site sauvage et agreste.
Les fouilles de ces monuments ont toujours produit des
humains, des silex, des vases en argile
restes de squelettes
de différentes formes; ganlÏs d.'ornemeutations caractéristi-
q ues de l'époque de bronze, quelquefois des flèches en bl'onze,
des boucles, des bagues et de petites perles du méme métal.
Un des dolmens a produit un glaive romain et une monnaie
bosphorienne de l'an 215 de notl'e el'e.
Un autre a sel'vi à l'entel'rement de 15 personnes, toutes
enterrées assises. Cette façon de poSel' les cadavres a été
constatée dans tous les monuments fouillés. A côté des
squelettes humains on a souvent trouvé les restes de divel's
animaux domeE.tiques, chiens, chevaux, moutons, etc.
M. Felitzin, dans sIm compte rendu, insiste sur ce fait
que les dolmens qui ont servi à ses investigations, tout en
présentant des traits communs avec les mèmes monuments
trouvés en Afrique et dans les Indes, rappellent de plus le's
constl'uetions mégalithiques de la Bretagne, de l'Angletene,
du Danemarck et de la presqu'île scandinave. Ceci serait,
selon lui, une donnée de plus pour penser que lespérégri
nations de beaucoup de peuples, venant de l'Asie centrale,
suivaient la route du Caucase, et non celle de l'Oural et du
Volga. Visiblement les constructeurs de dolmens passérent
des bords orientaux de la Mer Noire, aux bords septen- '
trionaux, ou la cote de Crimée présente une série de monu
ments du méme genre. Ce n'est que dans ces deux pays que
les dolmens ont été remarqués en Russie.
Ceux de la côte méridionale de la Crimée ont été cons
tat~s d'abol'd par André Fabre, de la Société d'histoire et
d'antiquités à Odessa, en 1848. C'est lui qui établit, à cette
méme époque, la ressemblance de ces monuments avec les
dolmens' des environs de Genéve.En se basant SUI' l'hypo
thèse que les Tames, anciens habitants de la Côte, devaient
être de descendance celtique, il établit d'abord le principe
que ce sont là des l'estes de civilisation celtique qui aurait
passé pal' la Taul'ide méridionale (1).
(1) Mémoires de la Société d'histoires et d'antiquités d'Odessa, t. II.
pag.45.
En 1845, l'auteur de cetle notice a eu l'occasion de voil'
les dolmens indiqués pal' Fabl'e. Il y en avait sept tout près
de Yalta, chef-lieu de la Côte. D'auLI'es ont été constatés
bientat après dans différents endroits de la Côte.
Tout ce que M. Felitzin rapporte au sujet des dolmens
caucasiens, nouvellement découverts, est d'accord avec les
exemplail'es de la Crimée. Ceux-ci ont aussi l'air de tables
immenses ou de coffres, fOl'mé's de ' quatl'e dalles, taillées
d'une façon pl'imitive (1), d>une longueul' quelquefois de
4 mètres et recouverts d'une cinquième dalle de forme irré
gulière . Quelques-uns de ces monuments se tl'ouvent tout
a fait en dehors du so l, mais d'autres sont enfouis dans le
tel'rain. Ils sont situés pOUl' la plupart du temps sur des
tertres, d'ou le visiteur peut jouil' d'une certaine vue EUl' Ies
environs. Tout comme au Caucase, ces restes de la plus
haute antiquité onl été fouillés et dérangés depuis des
siécles. Dans plusieurs la dalle supél'ieure n'est plus à sa
place, et dans tous une des pierres de c6té a été enlevée.
L'intérieul' des tombes devait avoil' été vidé, car partout
elles étaient remplies de déc')mbres, et non de tel're végétale .
Le savant professeur Th. Broun en imprimant, en 1868,
son élude SUI' les Cimmeriens d'Hél'odote et sur les trans
migl'ations de la tribu Kymrique (2) insiste sur la nécessité
de comparer ce que l'on appelle les Celtie monuments avec
les débris pareils de la Cl'imée. Il cite là-dessus la descrip
tion que faie Nilson des dolmens scandinaves (3) et qui
correspond pa rfaitementaux exem plaires tl'OU vés en Tauride.
« Ces tombes », dit Nilson, sont or'dinairement composées
de dalles en pierres, formant un espèc.e de coffre d'une lon-
i D'aussi grands exemplai.res ont été constatés par Tchesoloff en i86lJ,.
2 Ibidem, t. VII, p. 2lJ,9.
(3 Nilson, Die U rbewohner des scandinavischen NOl'dens, i8lJ,lJ"
page tH>.
gueur de 3 a 3 ] /2 aunes et recou vet't d'une cinquième pierre
taillée. Elles bordent quelquefois des monticules de .terre
ou de pierres réunies en tertres. Quelquefois on y .trouve des
restes de squelettes d'une grande antiquité. Cette descrip
tion convient en tous points aux exemplaires tant de Crimée
que du Caucase.
Les pierres levées ont aussi été remarquées en Crimée
par Kondarak (1 ), comme en Suéde par Nil'Son.
Un fait qui a encore fixé l'attention des savants, c'est la
différente grandem' des dolmens de la Crimée. S'il y en a
d'une longueur de 4 métres, il y en a d'ault'es qui ne
dépassent pas 1 mètre 35 centimétres. La la rgeul' de ces
derniers est de 80 centimétres et la hauteur de 65 centi
métres. Ces mesures corresponden t assez aux 3 aunes citées
par Nilson. Mais, si ce sont là des tombes, les cadavres
enterrés ne pouvaient pas s'y trouvel' couchés de toute la
longueur du corps: visiblement ils y étaient posés assis, ce
qui nous fait encore un e fois revenil' sur les données exacte
ment pareilles, constatées par M. Felitzin au Caucase. Un
spécialiste a concl u de là que ces tombes ne pouvaient
ètre g recques, mais devaient appartenir à une ault'e race (2) .
Quelle a donc é té cette race énigmatique, qui n'a laissé
d'autres vestiges de son existence et de son histoire que
ces restes informes d'une culture primitive?
Dans son « Ethnogt'aphie des peuples dp, l'Europe avant
Jésus-Christ .» (3), M. Ch. Stern, de l'Académie royale de
Belgique, constate parfaitement la double direction, dans
laquelle ont eu li eu les migrations de l'Asie centrale. Le
cOUrant septentrional devait dépasser la Mer Caspienne dans
la direction du Volga; le courant méridional devait, de l'A I'-
(1) 1I1émoires de la Société d'histoire et d'antiquités d'Odessa, 1. VI,
page 5L
2) Podhereski, Sur les monuments cinunel'iens, Yalka, 18lJ,9.
3) Edition de 1872, t. 1 p. 16.
BULLETIN ARCHÉOL, DU FINISTÈRE. T. XIV (Mémoires). 6
ménie, s'avancer yers l'Hellespont et arriver en Europe par
la Propontide, mais M. Stern constate un troisième courant
moyen: en partant des bords de II:\. Mer Caspienne, vers le
Sud-Ouest, il arrivait en face de la Crimée, vers le Nord
aux bords de la Scandinavie et dans la Chersonèse
Ouest,
Cimbrique (1).
C'est que la science européenne arrivait déjà en 1872 aux
mêmes conclusions que M. Felitzin, qui est le plus récent
des explorateurs des dolmens caucasiens .
(i) Ibidem, p. 1.7.