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Bulletin SAF 1887


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Les Dates de la vie de saint Yves

M. de la Borderie

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LES DATES DE LA VIE DE SAINT-YVES
. Par M. DE LA BORDERIE •
L'importante publication des Monuments orig'inaux de l'histoire de
saint Yves, magnifique in-folio, tirée à 75 exemplaires seulement, vient
Une gracieuse communication de l'édi­
d'être livrée aux souscripteurs.
teur (i ) nous permet de faire connaître la première partie de l'Introduction,
dans laquelle les dates des principales circonstances de la v ie de saint
Yves sont discutées et établies exclusivement au moyen de l'Enquête de
canonisation et de la Vie originale de l'Office primitif.
Voici ce travail, que nos lecteurs apprêcieront (2).
La Bretagne, si riche en saints, n'en a pas de plus illus­
tre que saint Yves.
Saint Yves, dans l'ordre des tem ps, n'est pas grâce a
Dieu le dernier saint de la Bretagne; mais, dans cet
ordre, il est le dernier de l'époque héroïque de l'hagiogra­
phie bretonne,

Epoque où les vieux patrons de notre race se dressent
devant nous dans leurs nimbes d'or avec un rayonnement
de force et de vertu gl'andiose, supérieurs aux proportions
de la nature humaine; avec un rôle national si impor·tanl,
si a,ctif, si essentiel, que sans eux, sans leur histoire, dans
ce lointain des âges, l'histoire de la nation n'existerait point
ou serait incompréhensible.
retracer l'histoire de Bretagne, du V· siécle
Essayez de
i) M. Ludovic Prud'homme, à Saint-Brieuc. .
2) Tous les renvois contenus dans les pages ci-dessus se rapportent
nêcessairement aux pages de la publication des Monuments originaux de
l'histoire de saint Yves, en tête desquels figure cette Introduction. Nous
indiquons'cet ouvrage par l'abréviation: Mo/wm.
BULLETIN ARCllÉ0L. DU FINISTÈRE. T. XIV (Mémoires). 2

au IX·, sans tenir compte des saint Melaine et saint Félix,
des saints Brieuc, Corentin, Tudual, Paul Aurélien, Sam­
son, Malo, Gildas, Gwennolé, Convoion, etc., on verra
à quelles erreUt'S, à quels résultats risibles vous aboutirez.
De même, si vous-ignorez, si vous omettez saint Yves, sa
vie et son rôle, vous ne connaitrez guère mieux le XIIIe siè­
cle breton.
Car saint Yves n'est pas, comme parfois on se l'imagine,
un saint homme pieusement retiré en un coin, s'y sancti-
fiant à loisir à force de dévotions, de mortifications et
d'aumônes, pour son profit personnel et celui de son petit
entourage.
Saint Yves est tout autre chose. D'abord c'est un savant
et un lettré (J). Il donne douze ans de sa vie à l'étude des
lettres, du droit, de la théologie, dans les célèbres univer­
sités de Paris et d'Orléans. Aprés quoi il passe vingt ans
dans les g randes magistratures ecclésiastiques, et pendant
tout ce tem ps, comme l'usage d'alors l'y autorise, il n'e cesse
de plaider avec éclat devant tous les tribunaux autres que le
sien pour les pauvres et gratis, sans doute, mais. il n'en
a que plus de clients. Il ne cesse point non plus, pendant
tout ce temps, d'éclaircù', d'approfondir la science du droit, _
prenant même la nuit pour oreiller, ses livres de jurispru­
dence. Comme avocat et comme official il va suivre ses
causes et ses sentences aux juridictions d'appel, à Tours
et à Paris. Aussi son action, sa renommée de grand juris-
consulte ne se borne point à la Bretagne, elle court toute la
France.
Pendant treize ans les derniers de sa vie il prêche.
parcourt, il remue toute la Bt'etagne (2). Les foules assiè-

(i) " Multum sapiens et literatus » dit l'Enquête de canonisation (voir
Monum. p. 20, 3U, 438, hymne, 4 et 5 strophes. sapiens, savant,
salientia, sei.ence (plutôt que sagesse) dans le latin du moyen-âge .
. (2) L'enquête de canonisation constate les nombreuses prédications de

gent sa chaire, vingt fois, trente fois plus; nornbl'euses pour
lui que pour tout autre orateur, « fùt-ce un évêq\le »,et si
charmés de sa parole qu'elles le suivent de paroisse en
paroisse, partout ou il lui plaît de la porter (1).
Et bientôt, quand on voit ce prêcheur si éloquent, ce ju­
risconsulte si savant promener dans les campagnes son
grand manteau de bure blanche, symbole de sa vie ascéti­
que, arborê par lui exprès « pour l'amener plus facilement
les brebis du Seigneur à « l'amour du Christ; » qùand on
sait que sa science, son éloquence ne sont rien, pour ainsi
dire, aux prix des merveilles incomparables de son austé~
rité et de sa charité, alors l'admiration est sans bornes, et
l'on voit tous les Bretons, « nobles et roturiers, riches et
« pauvres, honorer Yves comme leur père et, partout ou il
« paraît, se lever devant lui par respect (2). »
Et lui mort, ce n'est pas seulement la Bretagne, c'est le
roi et la reine de France, l'université de Paris, nombre d'é­
vêques et archevêques, la France entiêre, à bien dire, qui
prie, qui presse le Saint-Père de mettre Yves sur les autels.
Son culte, en un clin d'œil se répand dans toute la chré­
tienté, et partoutil symbolise la justice et la Bretagne: par­
tout on le couvre d'hermines; partout on reconnait en lui
la personnification la plus illustre et la plus achevée de la
race bretonne.
saint Yves dans les diocèses de Tréguier, de Saint-Brieuc, de Léon et de
Cornouaille; il n'est pas douteux qu'il ait prêché par toute la Bretagne;
mais les témoins de l'Enquête étaient tous de l'un ou de l'autre de ces
quatre diocèses, et chacun ne parle qU3 de ce qu'il a vu chez lui.
(i) «Pro uno qui ibat ad audiendum sermones alicu:us alterius, etiam
episcopi, ibant XX vel XXX ad sermonem domini Yvonis. " « Et
lta grate predicationes sue gentibus, quod, ipso presente et vidente
erant
populus eum sequebatur. " (llfonum.
qui loquitur, de parochia in parochiam
p. 51, US; cf. p. 32, 79, iro, H4,).
(2) Nobiles, divites· et pauperes homines habèbant eum in reverentiam,
et reverebantur eum tanquam patrem, et assul'gebant sibi.» (Enquête,
lIfonum. p. 6i.)

Voilà dans l'histoire, la place, le rôle, la grandeur de
saint Yves .
Etonnez-vous, après cela, que les amis des gloires chré-
tiennes et des gloires bretonnes aient pour la sienne un
culte spécial; que les cœurs élevés> vraiment patriotes,
dans l'alliance intIme du sentiment breton et du
qui voient
sentiment chrétien la meilleure sauvegarde de la Bretagne,
son antique vertu et de son esprit na­
de ses traditions, de
tional; étonnez-vous qu'ils s'efforcent par tous moyens
d'exalter le nom béni de saint Yves, de redoubler sur ses
autels les hommages concordants de la pitié chrétienne _et
du patriotisme breton!
Mgr Bouché, évêque de Saint-Brieuc et Tréguer, a eu
l'honneur il y a quelques années, de prendre l'initiative, en
se mettant a la tète d'une croisade ayant pour but de ren­
dre au saint un nouveau tombeau, dont la premiére pierre
a été posée le 19 mai dernier (19 mai 1886. )
A son exemple, avec ses encouragements, quelques Bre-
tons ont pensé qu'à côté de ce monument de pierre il serait
bon d'en élever un autre en papier, contenant les docu­
men ts originaux, au thentiq ues, de l'histoire du saint, savoir:
1" L'enquète de sa canonisation dans son texte intégral;
2° Le Rapport, sur cette enquête, pl'ésenté au Consistoire
partl'ois Cardinaux,et qui détermina le jugement de la cause;
3° L'Office primitif de la fête de saint Yves, composé
la canonisation et comprenant une Vie détaillée du
lors de
bienheureux, rédigée à la fois sur l'Enquête et sur les sou­
venirs encore vivants de ses contemporains.
pour publier ces documents il fallait d'abord les
Mais
découvrir; à ce moment (1884), on ne les avait signalés
nnlle pat!. Ils se sont retrouvés, puisque nous les pu­
blions ; on verra plus loin d'où ils viennent.
Il ne faut point se méprendre sur le but, l' objet, le contenu
présent volume.

Ce n'est poiut une Vie de saint Yves; ce n'est point un
recueil complet de documents, liturgiques ou autres, plus
ou moins anciens, relatif à ce saint ou à son cuite; ce n'est
point une bibliographie des ouvrages imprimés ou manus-
crits, auxquels son histoire a donné lieu , On n'y trouvera
rien de cela, C'est exactement, comme le titre l'indique, le
texte fidéle et complet des MONUMENTS ORIGl,NAUX DE L'HIS-
TOIRE DE SAINT YVES, c'est ,à -dire, de l'Enquête, de cano­
nisation, du Rapport des Cal'dinaux, de l'Office primitif et
de la Bulle de canonisation f'ien de plus, rien de moins,
- le tout jusqu'à présent inédit dans son ensemble, et cons­
tituant désol'mais la base nécessaire, la seule source sé­
rieuse, pOUl' tous les travaux qui seront entrepris ultérieu­
rement sur saint Yves, SOIl rôle, son caractère, enCOl'e si
imparfaitement connus, et aussi sur son époque, dont la vie
physionomie originale se révèlent dans ces d~cu­
réelle, la
ments par nombre dE: traits eUl'ieux, pris sur le vif.
Quant à l'introduction, elle comprend quatre parties:
1 ° Dates de la vie de saint Yves, discutées et établies
uniquement avec les témoignages de l'Enquête, et les leçons
de l'Office primitif; on y a joint l'examen de quelques
questions difficiles ou controversées, touchant à l'histoire
du saint;
2° Les monuments originaux de l'histoire de saint Yves:
provenance, authenticité des documents publiés ci-dessous,
descl'iption des manuscl'its qui les contiennent;
3° Mode de publication: méthode suivie daus celte édi­
pOUl' reproduire le texte des manuscl'its; indication des
lion
personnes qui ont tl'anscrit, l'évisé les dive l'ses parties du
' recueil' '
, 4° Illustration dn volume: explication des chromolitho­
graphies, des planches dans le texte et hOl's texte, des fleu­
rons typographiques qui ornent ce volume, avec quelques
observations sur l'iconographie de saint Yves.

PREMIERE PARTIE.
- DATES DE LA VIE DE SAINT YVES .

Dans cette vie illustre la première date à fixer est celle
de la mort.

Plusieu l'S témoins de l'Enquête de canonisation signalent,
Ct)mme étant le vingt-septième anniversaire de la mort de
saint Yves, le dimanche après « la dernière féte de l'Ascen­
sion », c'est-à-dire, après l'Ascension de l'an 1330. L'Ascen­
sion en 1330 tombant le 17 mai, l e dimanche suivant était le
20. Mais les témoins n'entendaient passe référer au quantième
du mois, ils tenaient compte seulement du jour de la fête et
de celui de la semaine : ils voulaieut c1ir'e, en un mot, que,
vingt-sept années avant l'an 1330 où se p~oduisaient leurs
témoignages, c'e.3t-à-dire en 1303, le dimanche a près la
fête de l'Ascension , Yves était mort. L'Ascension en 1303
tombant le 16' mai, ce dimanche était le 19.
Tout cela résulte clairement de diverses dépositions de
l'Enquête. .
Gressilh, de La Roche-Der­
Sibille, veu ve de Raimond de
ri en, décla l'e « qu'ayant entendu parler de la maladie de
cc monsieur Yves qui était son confesseur, ell e alla, il y a
« de cela vingt-sept ans, le trouver à Kermartin, le mer­
« credi aoant l'A scension, afin qu'il la confessât. Elle le ren­
« contra dans sa cllapelle, qui venai t de dire la messe et se
« dêpouillait de ses vétements sacerdotaux, mais si faible
« et si malade qu'il avait peine à se soutenü., ou plutôt il
« était soutenu par l'abbé de Beauport et par dom Alain de
« Bruc, archidiacre de Tréguer. Ayant dépouillé ses Ol'lle­
« ments, il dit à la déposante : « Que voulez-vous, ma­
cc dame, f » · c , Monsieur, j'ai entendu dire que vous éti ez
« malade, et je voudrais me confesser. » Alors, monsieur

« Yves s'assit, entendit sa confession, et le dimanche suivant,
« de grand matin, comme il fut dit au témoin, il expira. ».
(Déposition LIl, Monum. p. 121-122.)
En effet, dans la déposition d'Amicie, fille de Panthoada
et du jongleur Rivallon, on lit: « Le samedi de la semaine
« ou mourut monsieur Yves, le soir bie:! tard, dom Hamon
« Gorec, prêtre, administra audit monsieu r Yves, le sacre­
« ment de l'Extrême-Onction; monsieur Yves, répondait
« aux oraisons; étaient présents maître Yves Le Coniac,
« alors official de Tl'Aguer, Geofroi, de l'abbaye, Alain Sa­
« lomon, prêtres, et plusiems autres. Ayant reçu l'Extt'ême­
« Onction, monsieur Yves perditla parole; il resta les yeux
« fixés SUl' une croix placée devant lui, les mains jointes,
« se signant de temps en temps, et quand vint le lende-
« main qui était dimanche, à l'aurore, il rendit l'âme: on
« eût dit qu'il s'endormait. » (Déposition XI, ibid. p. 101) ..
L'Enquête établit donc que saillt Yves mourut le 19 mai
1303. Un témoin déclare qu'il était alors âgé de cinquapte
ans, ce qui reporte sa naissance à l'an 1253 (déposition XVII,
ibid. p. 50). Aussi sa Vie, composée immédiatement après
les premières procédures de canonisation et insérèe dans
le légendail'e de Tl'èguel', dit nettement: In aurora domi­
nicœ infra octavam A scensionis Domini, vitœ suœ anno
quinquagesimo, in Domino feliciter obdormivit. (Monum.
Quelq ues auteurs modernes, dont Albert Legl'and semble
ètre le plus ancien, indiquent comme jour natal de notre
saint le 170ctobl'e on ne sait sur quel fondement. Les
Bollandistes et Lobineau (1), venus depuis Albert, ne rnen-
tionnen t pas cette date du jour; on doit jusqu'à nouvel or-
({) Le vrai Lobineau, l'érlition in-folio ùe ses Vies des Saints de Bl'e­
. tagne. Tresvaux, au contraire, dans son édition de Lobineau interpolée,
reproduit la date douteuse fournie par Albert Legrand. . .

dre la tenir pour douteuse et se borner a dire qu'Yves
.Haelori naquit en 1253, a Kermartin, le manoir de sa fa­
mille, situé a une demi-lieue de Tréguer.
Yves passa la son enfance et les premiéres, années de sa
jeunesse; un clerc de Pleubihan non un prêtre, car il se
maria plus tard Jean de I(el'hoz, né en 1210, lui ensei-
gna la lecture et les premiers éléments de la grammaire.
Puis, sous la conduite de ce clerc, il alla a Pal'is suivre les
enseignemen ts de l'Université ; il Y devint maltre-ès-arts,
étudia ensuite la théologie et le droit eanon, et de la pass~
a l'Uni vel'sité d'Orléans pour apprendre le droit ci vil; après
il revint eri Br·etagne.
quoi
Yves Suet, l'un des condisciples d'Yves Haelori, dépose
qu'ils logèl'ent ensemble a Paris dans la mème chambre
pendant un an , qu'ils suivaient ensemble les cours de logi­
que, et que saint Yves avait alol's quatorze ans. (Déposi-
tion III, Monum. p. 15). .
Guillaume Pierre, un autre des témoins de l'Enquête,
déclare de son côté qu'il vécut pendant deux ans a l'Univer­
sité d'Orléans avec saint Yves, qui avait a lors vingt-quatre
ans . (Déposition X VIII, ibid. p. 52.
Ainsi saint Yves alla à l'Université de Paris à l'âge de
quatorze ans, c'est-à-dire en 1277; â celle d'Ol'léans, a
vingt-quatt'e ans, c'est-à-dire en 1267, et il y resta deux
ans, de 1277 a 1279. Puis il revint en Bretagne en 1280.
A peine de retour, son mérite fut reconnu par Maurice,
archidiacre de Rennes, qui en fit son official. De ces fonc­
tions il passa immédiatement à celles d'official de l'évêque

et du diocèse de Tréguer (1), charge qu'il exerça, nous le
verrons, jusqu'à une époque peu éloignée de sa mort.
Combien de temps resta-t-.il official de l'archidiacre de
Rennes ~ Ni l'Enquête ni aucun autre document contempo­
rain ne nous le fait connaître directement;. par voie indi­
recte on arrive à fixer ce point.
III
Sain t Yves fut pOUI'VU de l'officialité de Tréguel' par l'é­
vêque Alain de Bruc, qui lui donna en même temps, comme
c'était l'usage alol's, une cure de son diocèse, celle de Tl'e-
drez, d'où le sain t official passa plus tard à celle de Loua-
nec, qu'il garda jusqu'à sa mort. L'Enquéte nous dit com­
bien de temps il gouverna chacune de ces paroisses.
Geofl'oi Jupiter, l'un des témoins, dépose « avoir été au
(c service de monsieur Yves Haelori pendant quinze an­
« nées d'abord, dans l'église de Tredrez,"dont ledit mon­
« sieurYves fut recteur pendant huit ans, puis à son ma­
« noir de Kermartin. lJ Déposition XXX, Monum. p. 75). -
Maingui Yvon, paroissien de Louf\.nec, rapporte ensuite
« avoir vu Monsieur Yves dans la paroisse de Louanec
(t pendant dix ans environ avant sa mort. lJ (Déposition
XXXV, ibid. p. 88) . Un autre paroissien de Louanec, Ja­
quet, fils de RivaUon, qui était le tailleur de saint Yves
(c quia ipse qui loguitur vestes suas faciebat et eumdem
» ce Jaquet dé­
(dominum Yvonem) videbat eas [Jortantem,
clal'e « qu'il a vu et connu monsieur Yves depuis le temps
" où il fut recteur de Louanec. En quel, temps fut il
« l'eeteul' ~ lui demande-t-on. - Pendant onze ans environ .

(1) Voir Enquête, déposition XVII, Monum. p. 51 i et Office, 3 jour
d\\us l'octave de la fête, leçon 2·, ci-de~sous, p. 448-lj,4~.

(c et jusqu'à sa mort, » répond Jacquet (Déposition XLIII,
ibid. p. 104).
Ainsi saint Yves, mort recteur de Louanec en 1303, avait
occupé cette cure dix à onze ans, et celle de Tredrez huit
ans. Il entra donc dans celle-ci en 1284, immédiatement
après avoir quitté Rennes, dans celle-là en 1292. Pour
l'exercice de son officialité à Rennes il ne reste de disponi-
ble que l'intervalle entre son retour en Bretagne, 1280, et
son entrée dans la cure de Tredl'ez, 1284. C'est durant ces
quatt'e années qu'il fLi t official de l'archidiacre Maurice. -
Ainsi:
1253. Naissance de saint Yves.
va étudier à l'Université de Paris.
1277-1279. Il étudie le droit civil à Orléans.
1280. Retour en Bl'etagne après S3S études.
1280 à ] 284. Il rèside à Rennes comme official de l'archi­
diacl'e Maurice.
]284. Il quitte Rennes, devient official de l'évèque de Tl'é­
guer et recteur de Tredrez.
1292. Il laisse la cure de Tredl'ez pour celle de Louanec,
qu'il occupe jusqu'à sa mort.
]303,19 mai. Mort de saint Yves.
sont les principales dates qui jalonnent la carrière
Telles
du grand thaumaturge de Kermartin. Reste encore, sur plus
d'un point important, des incertitudes, des difficultés et
des problèmes que nous ne pouvons nous dispenser d'a­
border.

Et d'abord, quelle cause doit-on assigner à son départ de
Rennes et à son retour dans le pays de Tréguer?
Cette question a èté controversée: Quelques auteurs ont

cru qu'en passant de l'officialité de Rennes, grande ville,
diocèse important) a celle de Tréguer, petite ville et dio­
cèse moindre, saint Yves avait déchu en quelque sorte, ou
du moins était tombé dans une situation plus modeste.
C'est une erreur. Sans ent.rer dans l'histoire des officialités)
ce qui nous mènerait fort loin, il suffit de se rappeler qu'a
Rennes Yves était official, non de l'évêque, mais de l'un des
archidiacres, ce diocèse étant partagé à peu près également
en deux archidiaconés, celui de Rennes et celui du Désert,
en s'orte que la juridiction de chacun d'eux et celle de son
official ne s'étendait qu'à la moitié du diocèse; de plus, l'of­
ficial d'un archidiacre avait au-dessus de lui celui de l'é-
veql:1e. .
A Tl'éguer, au contraire, Yves était le délégué direct de
l'évêque, sa juridiction em brassait le diocèse entier et, dans­
rordre ecclésiastique, n'avait en ce diocèse, rien au-dessus
d'elle. Yves occupait donc, de toute façon, a Tl'éguer une
situation plus importante qu'a Rennes. Mais l'ambitiQn
n'ayant sur lui aucune prise, ce n'est .pas cet accroisse­
ment d'importance qui avait pu le déterminer.
Selon Alain Bouchart qui en sa qualité d'avocat s'oc-
cupe. beaucoup de saint Yves celui-ci quitta Rennes
c( pour ce qu'il véoit le peuple de cette ville moult bri­
cc gueux, litigieux et plein de subtiles tromperies, habitué
cc a toutes déceptions et nouvelles cau telles de plaidoye­
cc ries (1). » Opinion peu flatteuse pour les Rennais, mais
dont il n'y a trace ni dans l'Enquête ni dans la Vie de saint
Yves tirée de l'Office primitif.
Un bréviaire manuscrit du diocèse de Tréguer, conservé
actuellement au petit séminaire de cette ville, ne s'en prend
pas aux Rennais, mais a l'archidiacre de Rennes. Ce digni­
taire, ayant entendu vanter les talents d'Yves, l'appela
{i) Grandes Chroniques de Bretagne édit. de :1oH,~ f. :U6, va.

prés de lui, dit ce bréviaire, pour en fair\) son porte.::scel
(sigiLiifer), « persuadé que, grâce à son habileté, le pl'ofit
(c du droit de scellage afférent à l'archidiacre cl'oitrait
« beaucoup (1). » Mais Yves, sans s'inquiéter' du gain tem­
porel, 'n'eut en vue dans l'exercice de sa .charge que le
bien spirituel de lui-même et de l'archidiacre qui, mécon­
tent de cette méthode> car il était « avare et cupide» utpote
avarus et cupidus), renvoya Yves et prit un autre porte­
scel, plus disposé à servit' sa convoitise (2).
Cette historiette est racontée dans les leçons IV, v, VI de
l'office de la translation de saint Yves (29 octobJ'e). Le ma­
nuscrit ' ou elle se trouve, et que j'ai examiné, est certaine­
ment postérieur au XIVe siécle et semble du milieu du ,
XVe (3).
On voit là et c'est curieux comme la tradition orale
avait altéré les choses, un siécle et demi apeés l'événement.
n'y a pas, dans cette anecdote, un mot de vrai. La lé­Il
gende, c'est-a-dire la Vie de saint Yves formant les leçons
de l'Office pl'imitif, qu i a, on le sait, la valeur d'un docu­
ment contemporain, affirme au contraire que « MauJ'ice,
archidiacre de Rennes, homme de bonne mémoiJ'e « dlgne
« memorie), aprés avoir institué saint Yves dans son offi­
« ci alité, se J'éputa fort heueeux d'avoir sous lui un délé­
« gué si illustre et dans sa jUl'idiction un magistrat si in­
« telligent et si savant (4) , » Aussi quand Yves le quitta
(il « Rhedonensis archidiaconus eum ad se vocavit ut esset ~uus sigil­
lirer, credens quod ejus fideli diligerrtia emolumentum sui sigilli reci­
peret curo augmento. " (M émoires de la Société archéologique des Côtes­
du-Nord, 2 série, t. II, p. Hl. Le mot sigillirer, pour désigner l'of­
ficial d'un archidiacre, est insolite; mais il est vrai que l'official scellait
les actes émanés de la juridiction de l'archidiacre.
(2) Archidiaconus non approbans, utpote avarus et cupidus, ipsum
amovit a dicto olficio, et alium magis couIormem suo animo substituit
10co ejus. (Ibid., p. Hl.
(3) Le texte des leçons de cet office a éte publié par M. l'abbé France,
curé de Lannion.
(lj,) « Ipsuro (Yvonem) suum ofjicialern instituit, b.eatl1m sane se repu-

pour aller à Tréguer> l'archidiaére ne put lui dire adieu
sans pleurer (1-) . C'est précisément le contraire du récit
du bréviaire du XVe siècle, si malveillant pOUl' l'arcbidia­
cre de Rennes. Entre les deux il n'y a pas à hésiter.
Après avoir consacré deux leçons à peindre la belle con­
duite d'Yves dans l'officialité arcbidiaconale de Rennes, la
légende de l'Office primitif explique comme .suit pourquoi
il quitta cette charge:
( Son l'enom de science et de vertu se répandant de
(( toute part, son pays natal se prit à désirer de le revoir.
( Sa patrie avait en effet gl'and besoin de lui,et l'évêque
d'alors> Alain de Bruc, d'heureuse mémoire, voyant
, ( coillme il importait à son tribunal de posséder un homme
« de cette valeur, prenait tous les moyens de l'acquérir. Le
( saint, de son côté, pensant avec Cicéron qu'on ne doit
« pour aucun motif renier sa patrie, s'ingéniait pour y ren­
(( trer, Sous l'influence de ce triple motif il quitta les Ren­
« nais et regagna son pays. L'archidiacre pleure son dé­
« ( part, mais l'évêque l'accueille avec grande joie et fait de
« lui son official (2). »
Les motifs assignés ici au retour de saint Yves à Tré-
guer sont si naturels qu'il n'y a aucune raison de les con­
tester.
La légende de l'Office primitif détruit une autre inven­
tion du bréviaire manuscrit du XVe siècle, lequel, dans la
3 leçon de la fète de saint Yves (19 mai), prétend qu'avant
d'être official de Rennes il avait exercé le ministère d'avo­
cat près la COUt' épiscopale de Tréguer (3). L'Office primitif
tans dlUn et sibi de tam inclito officiali et Rue jurisdictioni de lam in­
et sufficienli ministro providisset. " Monum., p. q,q,S).
dustrio
(i) Archidiaconus deflet valedicens. (Ibid., p. q,Ej,9).
(2) Ibid., q,q,S-q,q,9.
(3) « Postquam a~vocatio~is ministerium exercuerat in :curia Treco­
tandem in curia archidiaconi Rhedonensis pl imulll ac deinde
rensi .... ;

au contraire, après avoit' raconté sa vie aux Univet'sités de
Paris et d'Orléans, et sans dil"e qu'il fût retourné â. Trè­
guer, ajoute : « Sur sa l'éputation de science et de piété,
(\ Maurice, archidiacl'e de Rennes, le manda de suite près
« de lui, et qua nd il fut arrivé, le gagna pal' ses très-ins­
« tantes rriéres et le nomma. son official (1). Impossible,
d'après cela, que le saint avant d'occuper cette charge ait
plaidé à Tréguel'. Dans l'Enquête non plus nulle trace de
ce fait.

reçut-il la prè-
A quel âge, à quelle époque sainfYves
trise ?
Selon le P. Albert Legrand, ce fut à Rennes, dés qu'il
revint d'Orléans et devint official de . l'archidiacre, à l'âge
de vingt-six à vingt-sept ans. Dom Lobineau met le fait
quatre années plus tard, quand Yves vint de Rennes à
Tréguer pour y tenir l'offi cialité diocésaine; comme il fut
alors pourvu de la cure de Tredrez, pour remplir les obli­
gations de ce bénéfice, la prétrise lui était indispensable. -
« Les actes de la canonisation, dit M. Ropartz, sont abso­
(r lument muets sur cette circonstance de la vie de notre
« saint; mais il sem ble résulter de la comparaison des .
« dates et de q uelq ues circonsta nces' apprises pa l' l'En-
« quête, que l'opinion de Lobineau est la moins fondée. »
(His toire de saint Yves, p. 28-29). M. Ropartz n'indique
point ces circonstances, et nous n'avons pu les déco uvril'.
- En revanche, la vie de saint Yves composée lors de la
in dicta curia Trecorensi fuit officialis. » (Mémoires de la Société archéo­
logique des C6tes-du-Nord, 2 série, t. II, p. 69.
(i ) « I.(lsum (Yvonem) continuo accersiit, et accersitum instantissimis
preclbus mductum, suum officialem instituit. » (~[onnm., p. fJ,fJ,8) .

canonisation et dont on a fait les leçons de l'Office primitif,
porte ce qui suit: .
« Non seulement Yves était (pal' ses vertus) participant
« au l'oyaume et au sacerdoce du Christ, mais il mérita de
« devenir lui-même l'un des ministres de ce royal sacer­
« doce. C'est ce que comprit trés-bien messire Alain de
« Bruc,. prélat de sainte mémoire, qui donna à Yves, mal-
« gré toutes ses résistances, l'église de Tredrez a gouver-
« ner, et pour occuper ce bénéfice, qu'il régit pendant huit
« ans, l'évêque le fit prêtre malgré lui. » (Monum. p. 452) .
Ce texte résout le problême en faveur de Lobineau. Car
après l'Enquête de canonisation, il n'y a pas sur l'histoire
de saint Yves de document plus autorisé que cette Vie.
Autre question. Pendant combien de temps saint Yves
exerça-t-il les fonctions d'official de Tréguer ~ Il s'en démit
certainement avant sa mort, car outre l'official Yves Le
Coniac, présent à . Kermartin quand on administra au saint
l'Extl'éme-Onction (J1onum. p. VI, on tl'ouve dans l'En':'
quète, avant Le Coniac, un autre official ·de Tréguer appelé
Yves Casin (ibid. p. 53). Selon certains auteurs, sain t Yves
aurait résigné l'officialité dès 1~88; il l'aurait donc exer­
cée à peine quatre ans. Opinion inacceptable, car, d'après
les déclarations concordantes de plusieurs témoins de l'En­
quête, il fut official, non pas seulement sous l'épiscopat
d'Alain de Bruc, mais aussi sous celui de son succe8seur
Geofroi de Tournemine (Dépositions VIII, X, XII, XVI, Mo­
p. 32, 36, 41, 48) . Geofroi de Tournemine étant monté
num.
sur le siège de Tréguer en ]296, Yves dut rester official jus­
qu'aux toutes dernières années du XIIIe siècle et ne résigna
ces fonctions que peu de temps (trois ou quatre ans tout au

plus) avant sa mort. Voici, entre autres, deux dépositions
qlli ne permettent pas d'en douter.
n'avait connu
Guillaume Roland, cordelier de Guingamp
Yves que trente-deux ans avant l'époque de-l'Enq uête (1),
donc pas avant 1298. Cependant il l'avait vu dans ses fonc­
tions d'official, rendant à tous bonne justice; il ajoute
dans cette déposition
méme ce détail, qu'on ne trouve que
et qui dénote bien le juge en exercice, c'est qu'Yves qui
couchait touj ours tout chaussé, tout vêtu, sur un peu de
paille, plaçait alors sous sa tête, pour oreiller, le livre des
Décrets et la Table de ce livre: Libro suo D ecretorum cum
TabuLa ad caput apposito pro pulvinari (2) : sans doute le
Décret de Gratien, avec
célèbre recueil de droit canon dit
un copieux index et de vastes commentaires, manucrit in­
folio sur parchemin dont on voit encore des exemplaires
dans nos bibliothéques, gl'OS billot bien assez dur pour rem­
placer convenablement de temps à autre le quartier de
granit sur lequel d'habitude Yves s'endormait .
C'est même à cette fin du XIIIe siècle que doi t se rappor­
ter un épisode trés souvent cité de la carrière judi­
ciaire de notre saint. Geofroi de l'Isle, paroissien de Plou-
gasnou, marié 3, l,lne veuve, plaidait, de CODcert avec sa
femme, contre deux fils du premier lit de cette femme . Un
matin , dans la cathédrale de Tréguer, Yves l'encontre les
quatre plaideurs, qui sans doute allaient ouïr messe avant
de reprendre leurs débats; il les presse avec instance de
transiger; il s'offre pour arbitre. Les deux jeunes gens se
laissent toucher, Geofroi et sa femme sont intraitables:
« Atteridez au moins que je dise ma messe, je vais deman­
« der pour vous l'esprit de paix, » fait l'official. Sa messe

(il « Cognovit dictum Dominum Yvonem bene sunt trigenta duo am~i.»
Test. XlV, Jlfonum. p. 4,5. L'Enquête de canonisation est de 1.330.
(2) .Ho/mm., p. 116, 1. l, et fO-i2.

dite, Geofroi et sa femme lui crient: « Reglez notre procès
c.omme vous voudrez! » . Dans l'enquète df\ 1330 on en­
tendit Geofroi , de l'Isle et l'un de ses beaux-fils, Raoul
Portier; celui-ci dépose qu'il a vu monsieur Yves, official de
Tl'éguer au temps dé l'évêque Geofroi de Tournemine, « il
y a bien trente ans et plus (1), » et immédiatement après,
il raconte son procès avec son beau-père. « Trente ans et
plus » c'est-à-dire tl'ente à trente-deux ans avant 1330, cela
mène, comme tout à l'heure, à 1298, Yves, à cet date, était
encore official. '
VII
En ce qui touche la succession des deux évêques sous
leeq uels il exerça cette charge, on opposera sans doute aux
dates ci-dessus indiquées l'opinion de quelques auleurs
(Albert. Legrand, l'abbé Tresvaux, Ropartz) qui placent la
mort d'Alain de Bruc en 1285, l'avènement de son sdcces­
seur l'ann ée suivante.
Tresvaux ici est le principal coupable. Dans le tome VI
de ses Vies des Saints de Bretagne, publié en 1839 avec
ce iitre spécial: L'Eglise de Bretagne depuis ses commen-
cements jusqu'il, nos jours (p, 355), non-seulement il ressus-
cite, sur la mort d'Alain de Bruc, l'erreur d'Albert Legrand,
déjà repoussée par dom Morice dans son Catalogue des
évêques de Bretagne (Histoire de Bretagne, 1. II, p. LXXIV;,
il affirme en outre que Geofroi de Tournemine fut élu évèque
en avril 1286, et au bas de la page il cite, en pre~ ve de cette
date, « Martène, A necdotes, III, p. 970. » Quand on vérifie

(1) « ,Radulphus Portarii. .. dixit quod bene sunt trigenta anni et
amplius qu?d ipse .v~dit dominun~ Yvon~lll o!ficialem Tl:ecorensem tem­
pore dom'im GaufndJ de TornamlDa, eplscopl Trecorensis. " (Test. XII,
MOnlt11t. p. 41.).
BULLETIN ARCHÉOL . DU FINISTÈRE . Tome XIV. (Mémoires). 3

cette citation, on trouve au lieu indiqué une lettre du cha­
pitre de Tréguer adressée à l'archevêque de Tours, lui
demandant de ratifie!' l'élection récemment faite par les
chanoines de Geofroi de Tournemine, un de leurs con­
frèt'es, à l'évèché de Tréguier. Seulement cette lettre, l'epro­
duite par dom Morice dans les Preuves de l'Histoire de
Bretagne (l , col. 1117-1118), est datée, non point de 1~86,
mais de dix ans plus tard, du 26 avril (1) 1296. Cette date
est incon testable, et même la Gallia Christiana (tome XIV,

col. 1124\, incline à retarder l'avènement de Geofroi de
Toumemine jusqu'en 1297. Ne voulant pas compliquer
cette discussion, nous nous tiendrons ici à la date du docu­
ment invoqué par Tresvaux lui-même, mais à la date véri­
table, 1296,

(i) Le jeudi après la fête de saint Marc i296 :: 26 avril i296.