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Bulletin SAF 1886


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L’Artillerie de Quimper

M. Trévédy

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XVI
L'ARTILLERIE DE QUIMPER
DEPUIS t 495

X v SIE C LE.
OJ?- raconte que le roi Henri IV entrant un jour dans uno
petite ville, le syndic des bourgeois vint le complimenter et
commença ainsi sa harangue: « Sire, nous aurions voulu
tirer le canon pour Votre Majesté; mais trois raisons
nous en ont empêchés. Premièrement, nous n'avions pas
de canons ... » « M. le Syndic, interrompit gaiement le
roi, 'cette raison suffit seule et vous dispense d'insister SUI'
les autres. »
Si la reine Anne était entrèe, en 1495, qans sa bonne
ville de Quimper, le syndic ne tirant pas le canon aurait pu
présenter ft la Reine une excuse analogue: il avait des ca-
nons, mais pas .un grain de poudre. Nous trouvons ce ren-
seignement dans un titre officiel, un inverdaire de l'artit­
lerie de Bretagne (1).
En 1495, le sieur Girardin de Billy (2), reçut commission

(1) Archives de Bretagne, publiées par la Société des Bibliophiles
page 123. V. l'introd. en tête du volume, p. XXXIII et suiv.
bretons, II,
(2) Un Girardin de Billy vivant vers cette époque, est nommé trois
fois dans l'histoire de Lobineau. En 1485 et en 1486, il faisait partie en
de secrétaire des ambassades envoyées par le Duc au roi (p. 755
qualité
et 761); en H87, oubliant la confiance que le Duc lui avait montrée,
il se rangea parmi les seigneurs qui s'unissaient aux Français pour
de la Bretagne, sous prétexte de la sauver de la domination
s'emparer
française
Il sem,hle bien que ce secrétaire d'ambassade, entré dans la faveur du
roi, est celui auquel sept ans plus tard, après le mariage d'Anne
Bretagne, le roi confia l'inventaire de l'artillerie de Bretagne.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. T. XIII (Mèmoires). 23

du roi de « faire l'inventoyre de l'artillerie de Bretagne »
Il commence pal' celle de Rennes, le 5 juin et jours suivants;
puis parcourt successivement les 18 places foetes de ·la
province; le 11 juin il est à Vitré, puis il va à Fougères,
Dol, où il n'a rien à voir, Saint-Malo, Dinan, Moncontour,
~10rlaix, Brest; et, le dernier jour de juin, il est à Quimper.
continuer sa route par Conq, Hennebont, Auray ..
Laissons-le
Vannes, Guérande, Le Croisic et Redon, où il sera le
13 juillet, pour revenir à Nantes seulement au mois de
décembre 1496 (1).

A Quimper, l'inventaire ne fut pas long à faire. Le voici:
« Au dernier jour o.udit mois de juing, audit an
II II c IIIIu et quinze, inventoire et déclaracion des pièces
ont est8 monstrées par évidence audit de
d'artillerie qui
sont de la ville de Quinpercorentin .
Billy qui

«( C'est assavolr un gros faulcon de fonte à teste de ser'­
sur le devant, du poix de VIn c lb i ,et une petite
pent
V' piez de voIlée, à deux boètes, et est
collevrine de fer de
en son affust d'une pièce ferré. Et quant est de pouldre et
autres matières, ne s'i en est aucune chose trouvé. Fait au
dit lieu les jour et an que dessus. Ainsi signé: de Kerguen
G. de Billy» (2).
Voilà ce que possède Quimper: un gros faucon de
fonte, c'est-à-dire une pIèce que l'on peut dire d'artillerie
sur affût; et une coulevrine de fer ..
légère; non montée

(1.) Dans les dix-huit places qu'il visite, les places fortes d'alors,
G. de Billy trouve 707 pièces de divers calibres et de divers noms,
canons, coulevrines, faucons, haquebutes (depuis arquebuses), serpen­
tines (probablement coulevrines), bombardes ou bombardelles, cour­
tauts, mortiers, pétards et ribaudequins. Trois places n'ont plus une
seule pièce: Dol, Hennebont, Auray. Les mieux pourvues sont Rennes,
'Vitré, Fougères, Saint-Malo, Dinan, Brest, Conq et Nantes.
(2) A rchives de Bretagne, publiées par la Société des Bibliophiles bre­
tons. T. II, p. 136.

de cinq pieds seulement de volée et se chargeant par la
culasse.
C'est ce que nous donnent a entendre les expressions
ci-dessus (1): Dans le canon on distingue la volée et la
chambre. La volée est la partie antérieure qui donne au
boulet sa direction. La chambre est la partie postérieur'e,
l'endroit où se met la charge. Quand la chambre est mo­
bile, on lui donne, au XVe siècle, le nom de boète (boîte) ;
une pièce a chambre mobile est une pièce qui se charge
par la culasse; la coulevrine de Quimper est de cette sorte,
et elle a une boîte de rechange.
Pas un grain de poudre et pas un boulet, pas une balle
comme on disait alors, pour charger ces canons.
Cette artillerie était-elle nouvelle venue à Quimper? On
pourrait le croire, car il n'est pas rapporté que Quimper
ait employé le canon pour repousser ou au moins effrayer
paysans de l'Arrez, quand ils escaladèrent ses mues,
les

- XVIe SIECLE.

Grâce à M. le ' Commandant Faty .. nous avons quelques
renseignements SUl' l'artillerie de Quimper, un siècle plus
tard. Notre confrère a puisé ces renseignements dans la
patiente et cueieuse étude qu'il a faite des Comptes des
hJiseurs de 1594, 1596 et 1597.
Suivant l'ancien usage, ' Quimper entretenait à cette
époque, un", ou q uelq uefois deux canonniers. Leur office con­
sistait ft charger, pointer, tirer)e canon; mais i1.5 devaient
savoir fabriquer la poudre et confectionner les gargousses,
selon le calibre de , chaque pièce (2).
(i J'emprunte les explications suivantes à l'introduction que M. de la
Bor erie, correspondant de l'Institut, a mise en tête du volume .
(2) . FATY (p. 7). On devine bien que la science de Henri Berthou

Combien de canons ces canonniers devaient-ils entrete­
nir et au besoin pointer ~ C'est ce que nous ne savons pas.
Mais le nombre de pièces devait être minime; et la ville le
réduit" puisqu'elle songeait, en 1594, il acheter
trouvait trop
d'autres pièces. Mais où et à qui s'adresser ~
Une tempête d'hiver simplifie la question. Un navire
flamand (1), chargé de canons et de munitions destinées
sans doute aux royaux" fait côte à Penmarch. Il est cap­
turé et le matériel de guerre est transporté à Quimper. Il
transport coûta 1,275 fr.
était assez considérable puisque le
de notre monnaie (p. 15). En outre, vers l'arrivée du duc
jorgeurfabriqua six balles d'artillerie; et les
d'Aumont, un
bourgeois purent mettre plusieurs canons en batterie SUl'
leurs murs (p. 16).
D'autre part, Moreau nous apprend qu'en juillet 1594,
lors de l'attaque de Lézonnet, il y avait sur la muraille,
auprès de la Tour Bihan, « nombre de pièces de fonte de fel'»,
affutées (p. 176) ; et, un peu plus tard, il montra au duc
de Mercœur, sur la Tour Penalen, à l'angle sud-est de la
muraille, « des pièces de fonte verte, et coulevrines et q tiel­
ques unes de fer (p. 202) ). Il Y avait notamment « deux
« beaux canons de fonte verte, portant 35 livres de balles
« et bien longs, qui n'avaient de pareils en tout le bas pays
« que les doubles canons de Brest (p. 240). »
Toutefois, Moreau ne fait pas connaître que l'on ait
tiré le canon pour repousser Lézonnet et le duc d'Aumont;
il ne nous parle que d'arquebusades.
Le duc d'Aumont jugeait les défenses de la ville insuffi­
retour de Mercœur; et il les avait fait
santes contre un

canonnier, et de Jehan Kervern, ancien canonnier, son coadjuteur,
était surtout p1'Cttiqlle : ils ne savaient pas lire.
(1) Le Miseur dit Flamand et Moreau (p. 3~O) dit Espagnol. Il n'y a
pas contradiction puisque à cette époque, l'Espagne était encore maî­
tresse de la Flandte.

augmenter. Il avait avec lui l'artillerie qui avait battu le
fort de Crozon. On aurait pu croire que, quittant Quimper
laissant quinze ou seize compagnies, il n'en aurait
en y
enlevé aucune pièce. Mais les deux beaux canons de
fonte verte, le tentèrent; 'au mépris de la capitulation, il
les enleva pour lui-même, comme dépouilles opimes; et (( il
comptait les faire rendre en son château d'Aumont, en Poi-
tou; ce qui fut, dit Moreau, une grande perte à la ville et
au pays (p. 240). » .
Mais il restait a Quimper d'autres canons; et, suivant
délibération du 5 mars 1596, la communauté acheta
750 balle8 de fer pour le les charger (M. FATY, p. 45) .
Le duc d'Aumont avait laissé à Quimper le capitaine du
Pré, qui ne sut pas empêcher La Fontenelle de s'établir a
l'île Tristan, et qlle le roi chargea de l'en déloger. En
février 1697, une pièce de canon fut prêtée au capitaine,
lorsqu'il paetit sous prétexte de mettre le siège, mais en
pour se faire tuer devant l'île Tristan (1).
réalité
Cette pièce était remisée au Guéodet; mais d'autres
ètaient restées en batterie sur les remparts, puisque le
lors de la seconde attaque de La Fontenelle,
5 mai 1597 (2),
tira de dessus les murailles de Saint-Nicolas trois coups
canon (3).

Le même mois, des canons furent prêtés avec le canon­
nier de Quimper et son coadjuteur (p. 41), a M. de Sour­
déac, capitaine de Brest, pour attaquer Penmarch (18 au
22 mai), puis l'île Tristan, qui résista comme elle aurait
résisté iL une troupe beaucoup plus nombreuse et mieux
(1) MOREAU, p. 271.; M·. FATY, p. 66.
(2) C'est la date certaine révélée par le compte du Miseur qui écrivait
jour par joUI' ses dépenses. La date du 30 mai que Moreau donne sans
doute de mémoire est erron8e; ce qui suit suffirait il. le démontrer.
(3) MOREAU, p. 316. .

armée (1). Le 30 août, ces canons rentrèrent sans gloire à
Quimper(lVJ. FATY, p. 75).
La ville fournit dans les mêmes circonstances, une
quantité notable de munitions, entl"autl'es 174 balles de
batterie (boulets de siège) de 20 livres, et 136 balles de
coulevrines, chacune de six li vres.
Le compte du Miseur signale « surtout deux grandes

pièces vertes, d'un poids considérable, et poui>le transport
desquelles il fallut aménager des charrettes d'une façon par-
ticulière ('2). Ces pièces sernblent les sœurs de celles dont le
chanoine Moreau déplorait l'enlèvement par le maréchal
d'Aumont.
III. XVIIe SIÈCLE
Le rôle i:?elliqueux des canons de Quimper avait fini
devant l'île Tristan. Désormais, ils ne menacèront plus
que les canonniers chargés de les tirer, comme nous
le verrons plus loin. Ils ne tonneront plus qu'en signe de
réjouissance au jour de la procession de la Fête-Dieu,
quand l'église chante Te Deum pour la naissance d'un
prince ou l'annonce d'une victoire, lors de l'entrée en ville
d'un Ministre, du Gouverneur, du Commandant militaire,
de l'Intendant de Bretagne, du Gouverneur de la ville et de
tous autres p8l'sonnages de mat'que ou de leurs femmes.
Or, ces entrées solennelles se multiplièrent. à partir du mi­
lieu du XVIIe siècle. Sous l'impulsion de Richelieu, Brest
était devenu un grand port de guerre, et Quimper se trouvait
sur la route de Paris à Brest. On descendait la Loire, on

(1) MOREAU, p. 320).
(2) M. Faty (p. 76), fait remarquer qu'à cette époque l'affùt n'était pas
disposé pOUl' recevoir un attelage. Quand on avait à transporter une
pièc.:e, il fallait commencer par l'enleve~ d~ son affût; elle était ens~ite
placés sur une charrette solldement confectlOnnée pour supporter ce pOIds
énorme ... et par les chemins d'alors.

venait de Nantes à Quimper, pour s'emqarquer à Lanvéoc
et tmvel'ser la rade .

La série, malheurellsement incomplète, des registres de
la communauté de ville commence au 27 novemb,re 1634 (1).
Ce jour, Sébastien II, marquis de Rosmadec, baron de Molac,
etc. (2), chevalier de l'ordre du Roi, convoqua ,l'Assemblée
générale cies nobles, bourgeois et habitants pour enten­
dre la lecture des lettres ,du Roi qui le nomœaient gouver- _
neur de la ville et château de Quimpel'. La veille, il était
arrivé « escorté, dit Albert Le Grand, de deux cents gentils-
hommes du pays: les bourgeois, au nombre de huit cents,
étaient sortis au-devant de lui à une-demi-lieue; et l'avaient
introduit en ville, où il avait été reçu par tous les ordres et
harangué dans les formes (3). » Est-il possible que le canon
n'ait pas uni sa voix aux acclamations de'la ville, saluant
en son gouverneur le nom de Rosmadec ~ Nous n'avons
pas de relation o,fIlcielle, puisque, pour faire honneur à son
nouveau gouverneur, la communauté inaugura le lende­
main un nouveau registre. Il faut donc nous en tenir au
récit d'Albert Le Grane1.
Il semble, en effet, que l'usage de tirer ]e canon existait
déjà pour les Te Deum et feux de joie; mais non encore
pour la réception des personnages de marq ue.
Nous lisons dans une délibération du 16 juin 1635 que' la

(1.) Il Y a seulement un l'élgistre isolé comprenant :1.D87 et ID88. -
Ces registres sont déposés, les uns aux archives départementales, les
autres à la mairie de Quimper. ,
(2) On le nomme d'ordinaire : Marquis de Molac. C'est le nom sous
lequel son père s'était illustré, et sous lequel lui-même avait paru très
jeune il. la cour. LA COLO~BIÈRE-VOLSON. Généalogie de la maison de
Rosrnadec.)
(3) ALBERT LE GRAND, cité par M. DE THÉZAN, (Histoire généalogique
de la ma'ison de PlœuG, p. 379).

Communauté de ville fera tirer « dix à douze canons en
« même temps qu'on chantera Te Deum et qu'on allumera
« des feux de joie pour montrer sa réjouissancë des succès
« des troupes du roi qui nous acheminent à la paix. » (1).
Au contraire, le 19 févl'ier 1636, la communauté apprend
l'arrivée d'un hôte illustre, l'archevêque de Bordeaux,
Hefll'i d'Escoubleau de Sourdis (2). Il n'y a pas un moment
à perdloe ... le prélat arrive le jour même. La campane du
Guéodet convoque en hâte l'assemblée de ville. La com­
munauté « avise que l'archevêque sera logé en la maison
de M. le marquis de IVlolac, gouverneur; que le pro­
ctIreur syndic y fera rendre des meubles, fera toute dili­
gence pour procurer du poisson, le meilleur qui se pourra
trouver (3), pour faire présent au seigneur arèhevêque, avec
des confitures, bois, chandelles et autres rafraîchissements
qui se poul'roient trouver, accompagnés du vin de ville et
do l'hypocras (4) ». Comme on le voit, il n'est pas questlOn
de salves d'artillerie. C'était pourtant le cas de tirer le ca­
non, si tel eùt alors été l'usage. Henri d'Escoubleau avait
vu la guerloe. Au siège de La Rochelle, en 1628, étant évê-
(1) Mais nous ne pouvons tirer de là aucune induction sur le nombre
de pièces; il fst clair que la Communauté veut dire 10 à 12 coups de
canons. Cette date de 1630, marque le com'mencemenl de la guerre déclarée
à l'Espagne par Richelieu. La campagne de 1630 devait 'se terminer
malheureusement; et, l'année suivante, les Espagnols entrés en France,
s'emparaient de Corbie. Mais, le 6 juin, nous avions été viotorieux à
A vein (Luxembow'g), et c'est cette victoire que l'on fêtait à Quimper.
(2) Frère et successeur de François, cardinal de Sourdis (1099) qui
donna l'absolution à Henri IV mourant, et qui maria Louis XIII et Anne
d'Autriche. Henri d'Escoubleau fut membre du Conseil privé du Roi, '
abbé de Sainte-Croix de Bordeaux, de Royaumont, etc., Commandeur
de l'ordre du Saint-Esprit. Il était un des présidents de l'Assen1blée du
Clergé, en 1640, quand il mourut.
(3) Le H) février était mardi, jour gras. Le carême en 1636, ne com­
mença que le 27 février. Le poisson était offert à titre de friandise.
('1-) Arch. dép. E. 94. L'hypocras était du vin aromatisé, qu'au
dernier siècle les apothicaires offraient encore en étrennes il leurs clients.
Voir la recette dans le dict. de l'révoux, .

que de Maillezais, il avait eu l'intendance de l'artillerie, en
même temps que la direction des vivres.
Mais, le 19 avril 1636, le syndic de Quimper reçoit avis
du prochain passage de Monsieur, frère du Roi. Le syndic
cc fait battre la cam pane en la manière accoutumée »; et
l'assemblée générale des nobles, bourgeois et habitants de
Quimper se réunit en la Chambre haute du Guéodet. Le
gouverneur Sébastien II, marquis de Rosmadec, est absent;
mais l'évêque Guillaume Le Prestre préside assisté du séné­
chal Jean de Kerouartz (1) .
C'est la première fois que Quimper est assez heureux
pour recevoir un prince du sang; et il faut délibérer sur les
honneurs à rendre à cet hôte illustre. On arrête entr'autres
dispositions, que cc les canons seront mis en ordre de tirer
à son arrivée et réception ». Mais, en cette circonstance,
les canons ne suffisent pas: (c Les habitants se mettront
sous les armes au moins un de chaque maison, pour aller
devancer son Altesse ». Et, pour stimuler le zèle, « la com­
munauté supplie le sénéchal d'adjuger une amende de
50 livres vers chacun refusant ». Il va sans dire que les
gens de bonne volonté, allant au devant du Prince, ne pour­
ront se dispenser de bJ'ûler un peu de poudre sur la route
de Rosporden. Aussi « pour rafraîchir de poudre ès ma­
gasins de la ville, il sera délivré deux à trois barreaux au
sI' Augustin Le Bal'On, pour les distribuer . aux habitants à .
12 sols la livre», c'est-à-dire à un prix infime.
Toutes les dispositions prises, un contre-ordre arrive. Le
dimanche suivant) le Procureur-Syndic, un peu déconcerté,
convoque de nouveau l'Assemblée de la Communauté: non
pour lui annoncer que Monsieur ne viendra pas ... Hélas!'
on ne le sait que trop! Mais pour présenter le compte des
dépenses qu'il a faites inutilement. La Communauté ap-
(1) Je tmuve ce nom écrit aussi: de Quirouartz.

prou ve les dépenses et en ordonne une de plus. Elle
que l'occasion de recevoir d'illustres hôtes se
espère bien
présentera; « et elle charge le syndic d'acbeter six cais­
ses de thambour et deux enseignes pour servit' aux occa-
sions qui pourraient se présenter » (1). '
A partir de cette époque, les registres de la Commu­
nauté sont pleins de délibérations ordonnant le tir du ca­
non. On abusait de ces pièces déjà vieilles. Chargées avec
trop d'enthousiasme ou trop peu de souci de leur grand âge,
elles éclàtaient quelquefois. C'est ainsi qu'en 1684, le maré­
chal d'Estrées, partant de Qui'mper pour Brest, un canon

en son honneur creva et tua le canonnier.
tiré
Un inventaire officiel ;nous donne l'état exact de l'artille­
année . .Te copie aux registres
rie de Quimper cette même
des délibérations de la Communauté les deux pièces sui­
vantes:
(t De par le Roy,
« Sa Majesté désirant qu'il soit fait inventaire exact des
pièces d'artillerie de fonte et de fer, mortiers, pierriers-,
arquebuses à crocq, boullets, poudL'e, plomb, mesches, outils
grenades, mousquets et autres armes et munitions de guerre

qui peuvent être présentement en magasins et SUl' les rem-
parts de la ville de Quimper ... , S. M. a ordonné à l'offi­
cier q ni S81'a porteur du pr'ésent ordre de se transporter
incessamment dans ladite ville de Quimper Corentin et d'y
faire l'inventaire de toutes les pièces et munitions qu'il y
rencontrera et qui seront reconnues y avoir été gardées et
'conservées pour la défense et sûreté de la place .... S. M.
'enjoint très expressément aux. gouverneur, magistrats et ha­
bitants de ladite ville et tous autees qu:'il appartiendra de

(i) Arch. dép. E. 94,.

laisser au dit officier une entière liberté d'exécuter ce qui estde
l'intention de S. M. ; et, comme S. M. a d'ailleurs eu avis
qu'il y avait plusieurs pièces de canon de fonte anciennes
ou cachées ou recelées depuis long temps en plusiel~rs en­
droits de ladite ville, du nombre et du calibre desquelles piè­
ces il est important qu'elle soit parfaitement informée, S. M.
ordonne pareillement aux dits .... de faire faire ouverture
au dit officier des dits magasins, tours,casemates,granges et
autres lieux où il pourrait apprendre qu'elles _ sont ... et au
surplus de lui donner tout raide et toute l'assistance dont
il aura besoin et les pourra réquérir en cette occasion en
sorte qu'il puisse être en état d'en rendre compte à S. M.
Le tout à peine de désobeïssance. A Versailles ce 16 sep-
tembre 168L LOUIS. Plus bas LETELLIER }) (1).
L'officier a fait son rapport; et, le 25_ novembre 1684, le
Roi écrit:
« De par le Roy,
« S. M. étant informée qu~en conséquence des ordres ci
devant donnés, il a été trouvé dans la ville de Quimper
Corentin 5 pièces de canon de fonte de 3 1. de boullet d,mt
deux hors de service avec deux pierriers de 51. défectueux,
un fauconneau chambré, 5 arquebuses à croq, et trois em­
boètures, le tout de même métal, et S. M. désirant que les
deux pièces de 3 livres hors de service les 2 pierriers dé­
fectueux, le fauconneau chambré et les trois emboètures
soient incessamment conduits en sa bonne ville de Paris où
Elle en a besoin pour son service: S. M. ordonne au gou­
verneur syndic ou magistrat de sa ville de Quimper de les
remettre à l'officiel' qui sera porteur du présent ord~e et de

ceux du sl' de Lude., pair et grand-maître de l'artillerie. Fait
(1) Arch. dép. E. 9lJ,. FO 12 VO.

à Versailles le 25 novembre 1684. LOUIS. - Plus bas
LE TELLIER (1).
Notre histoire locale est pleine de guerres intestines. Le
présidial entre a chaque instant en querelle avec l'Évêque
et avec la eommunauté de ville. A l'époque ou nous som­
mes un apaisement venait de se faire entre le Présidial et
la communauté; ils plaidaient ensemble devant le ParIe-

ment un très-mau vais procès contre l'Evêq ue. Tout a
coup une question posée par le sénéchal Dondel, seigneur
du Parc, vient troubler la paix. Voici cette question qui
mit le ' f~u aux poudres : A qui appartenait-il de faire
tirer le canon au passage d'un grand personnage ~
Au gouvernem' de la ville sans aucun doute. Mais le
gouverneur ne résidait guère au XVIIe siècle. En son absence

le sénéchal présidait l'assemblée de ville; et, de cette pré-
rogative, il concluait «( qu'il remplissait, en l'absence du
gou verneUl', toutes les fonctions pri vati ves au gouverneur,
et qu'il jouissait de tous ses droits. » Il soutenait, par exem­
ple ... avoir le droit de faire tirer le canon, a l'exclusion du
syndic de la ville. J'ai dit ailleurs le débat qui s'éleva a ce
propos entre le sénéchal Charles Doudel et le syndic, lors
du second passage a Quimper des ambassadeurs de Siam
(février 1687) (2). Le syndic, vu l'ul'gence, a fait tirer le
canon et donné le mot d'ordre. Le sénéchal l'assign en
dommages-intérêts devant le Parlement. La communauté
prenant parti pour le syndic, lui donne mission de suivre
l'affaire au hesoin jusqu'au Conseil du Roi. Heureusernent
que le premier Président Lefebvre de la Fallu~re intervient)·
il ménage un accord entre les parti os ; en vertu de transac-

(i) Arch. dép. E. 94. fa iD rO. Au-dessous est transcrit l'ordre
du duc de Lude, 7 décembre i684.
(2) Les Ambassadeurs de Siam èt Quimper .

. tian passée (le 4 décembre 1688) devant notaires royaux a
Rennes, c'est le syndic qui donnera désormais le mot d'or­
dre et fera tirer le canon (1).
IV. - xvm SIÈCLE
Au commencement du Çlernier siécle, on définissait encore
« l'officier d'artillerie qui a soin de charger,
un canonnier,
de pointer et de tirel' le canon; qui doit savo~r le calibre et
charge de chaque piéce avec la perfection des gabions
et des plate-formes de batterie (2). »
Je pense qu'on ne demandait pas tant de science au ca­
nonnier de Quimper. Il ne semble pas que l'organisation du
service de l'artillerie ait changé en notre ville depuis la fin
du XVIe siécle jusqu'a la Révolution. En 1766, comme en
1594, Quimper avait un canonnier. Il se nommait François
Le Roy: il avait vieilli dans ses fonctions, et, le 4 mars
1766 «( se trouvant par son grand âge hors d'état de conti­
nuer son service » il demanda sa retraite. Mais le vieux et
Jean-Baptiste
loyal canonnier voudrait bien que son fils
fit, comme lui, quelque bruit dans le monde, et il demande
pour lui la survivance. Sa double requête fut accueillie.
Les fonctions de François Le Roy n'avaient pas été une
sinécure; il avait, dans sa longuè vie, brûlé beaucoup de '
poudre sans jamais faire de mal a personne. Son fils, en-
trant en fonctions, se voit mu,nir de poudre fraîche (28 juil-

(1) En ce qui concerne le mot d'ordre, l'ordonnance du 1.0 décembre
1.762 modifia ces arrangements particuliers: aux termes de l'ordonnance,
le mot est donné par le gouverneur, en son absence par le colonel ou le
lieutenant-colonel des milices, et, en leur absence, par le major ou
l'aide-major. Mais le maire eut plus d'une fois le titre de colonel, et
eut à donner le mot d'ordre, comme colonel. Ainsi furent nommés en
même temps maires et colonels des milices: MM. Laennec, 19 avril 1762;
Demisit, 6 décembre 1765. Un peu plus tard M. Léon, seigneur de Tré­
verret, installé comme sénéchal, en juillet 1.7 68, devenait maire et co­
lonel des milices.
(2) DrCT. DE TRÉVOUX, VO cano nier ou canonnier.

let) et il en fera l'essai avec un plein succès, le 15 du mois
suivant, pour la pl'Ocession du vœu de Louis XIII, le 20 août,
ur de Mme de Flesselles, femme de l'Intendant de
en l'honne'
passe la nuit à Quimper en se rendant il Brest,
Bretagne, qui
l'honneur du duc de Praslin,
et, le 24 du même mois, en
ministre de la marine, qui retourne de Brest à Paris .
L'inventaire de 1684 nous a révélé qu'à cette époque il
ne resta plus à Quimper que trois canons de trois livres de
la Communauté ne nous appren­
boulet. Les délibérations de
nent pas qu'elle ait. fait la folie d'en acheter d'autres. Trois
canons 1 C'est assez pour faire du bruit un jour de réjouis­
sances publiques. Mais la Communauté semble un peu hon­
teuse de sa pénurie; on dirait qu'elle veut la déguiser;
souvent elle écrit dans ses délibérations que « tout le canon
sera tiré ».
Tout le canon! Ce mot fait illusion. La postérité va
croire qu'il s'agit de nombreuses pièces en batterie sur le
Parc, Château ou PLace aux Canons, jusqu'à ce que vienne
un désœuvré, un curieux malavisé qui mette au jour l'in­
ventaire de 1684.
Plus de cent ans après, en 1791, on retrouva ces trois
vieux canons fidèles au poste. Le 16 janvier de cette année,
on les essaie, et ils partent avec un plein succès (1).
Depuis, ils ont tonné joyeusement pour Marengo et pour
Austerlitz, comme ils avaient tonné autrefois pour Rocroy,
Lens et Fontenoy .... Puis leur voix s'est tue pour toujours.
impropres même au service d'honneur qu'ils
Reconnus
avaient autrefois rendu, les vieux canons ont été remplacés
par de plus jeunes; et ils ont été longtemps déposés sur le
Quai, au Bout du Pont, en face de Locmaria. Si je suis bien

(i) Délib. du Conseil municipal.

informé, deux d'el1tr'eux sont ceux que vous voyez plantes
et à demi enfoncés dans' le sol pour servir de bornes sur
lesquelles s'enroulent les amarres des navires. Le tl'oisiéme
serait un peu plus loin sur le chemin de halage.
Sur le même chemin sont plantés, de distance en distance,
une vingtaine de canons de fer qui ont la même destination.
Ils paraissent contempoeains des premiers, mais ils ne sont
pas leurs compatriotes. Si l'on en croit la tradition, ce sont
des ennemis, amenés prisonniers par des corsaires quim­
pérois. Reconnaissons qu'on aurait pu traiter avec un peu
plus d'égards les trophées de nos prédécesseurs. Sie
transit gloria.
J. TRÉVÉDY,
Ancien Président du Tribunal civil,
Vice-Président de ln Société archéologique
du Finistère .